L'Énigme des Invalides

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Le 18 octobre 1812 à Moscou

Le maréchal Mortier
Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Moscou:

■Le général Éblé, les pontonniers et l’équipage de ponts partiront demain, à la pointe du jour, pour suivre le mouvement de la Garde impériale. Le général Chasseloup pour le parc du génie, également.
■Mander au maréchal Murat que toute l’armée est en mouvement. Le maréchal Bessières, avec la Garde à cheval, couche ce soir à quatre lieues.
■Un officier envoyé par le géné­ral Girardin a fait connaître que le maréchal Murat s’était porté sur Voronovo. La division Broussier est à Fominskiya avec le général Ornano. Il est nécessaire que Murat lui envoie des ordres pour se porter partout où les mouvements de l’ennemi l’exigeront, soit vers Voronovo, soit vers Desna. Nous supposons que Murat aura écrit directement, la canonnade ayant cessé à midi. Les nouvelles qu’il enverra mettront à même de bien connaître l’état des choses.
■Le maréchal Davout portera son quartier général, ce soir, au-delà de la porte de Kalouga, et y placera son infanterie, son artillerie et tous ses équipées militaires, ainsi que ses bagages, de manière à pouvoir partir demain, à la pointe du jour, pour faire une forte journée. Il laissera une garde au couvent retranché, jusqu’à ce que le maréchal Mortier l’ait fait relever, s’il y a lieu.
■Le maréchal Ney portera aujourd’hui son quar­tier général hors de la porte de Kalouga et d’y bivouaquer avec son infanterie, sa cavalerie, son artillerie et ses bagages, de manière à pouvoir faire demain une forte journée.
■Le Vice-Roi Eugène se placera une lieue en avant, afin de pouvoir partir le premier.
■Le petit quartier général, le maréchal Lefebvre, le quartier général de l’Empereur, se rendront hors de la porte de Kalouga; la Garde bivouaquera en carré autour du logement de l’Empereur.
■Le maréchal Ney laissera une arrière-garde d’infanterie et de cavalerie au couvent retranché et à la porte de Kolomna, qu’il garde. Cette troupe fera l’arrière-garde et ne quittera que lorsque le corps recevra l’ordre de marcher.
■Le Vice-Roi Eugène laissera également une arrière-garde d’infanterie et de cavalerie à la porte de Saint-Pétersbourg et à la maison retranchée qu’il occupe, jusqu’à ce que son corps marche en avant et que le maréchal Mortier ait pourvu au remplacement de cette garde. Si Eugène laisse un dépôt, il le chargera de garder cet endroit.
■L’intention est que le maréchal Mortier se loge au Kremlin et y caserne, 1° la division Delaborde; 2° la brigade du général Carrière, composée de quatre bataillons de cavalerie à pied et forte de près de 4,000 hommes; 3° deux compagnies de sapeurs; 4° une compagnie d’artillerie; 5° l’artillerie de la division Delaborde ; enfin une brigade de 500 hom­mes à cheval. Avec cette force, il pourra garder la ville, mais avec la prudence convenable. L’intendant laissera un ordonnateur, plusieurs commissaires des guerres et des chefs de ser­vice. Le général du génie laissera un officier supérieur commandant. Le général d’artillerie laissera un officier supérieur d’artillerie et plusieurs officiers d’artillerie. Le maréchal Mortier fera travailler avec la plus grande activité à l’armement du Kremlin et mettra en batterie les pièces qui se trouvent ici; il fera construire une petite batterie en terre sur le terre-plein, où il fera mettre ses pièces de campagne de manière à bien battre le pont de pierre; il tiendra un fort poste au couvent du maréchal Davout, dont la position est importante parce qu’elle commande un pont sur la Moskova. Tous les malades qui se trouveront ici seront réunis aux Enfants-trouvés; il doit y en avoir 3 à 400, il faudra donc les faire garder en force. Le magasin d’eau-de-vie, près le pont de pierre, doit être également gardé par un fort détachement. Tous les magasins qui sont trop éloignés, Mortier les fera réunir dans le Kremlin. Tous les généraux, officiers supérieurs d’administration qui se trouvent ici, logeront dans le Kremlin. Le commandant de la place et l’intendant pourront conti­nuer à loger dans le logement du gouverneur ou dans le logement que Mortier occupe près du Kremlin. verra s’il veut faire garder le couvent du maréchal Ney. Il serait utile de garder par un poste la prison qu’a fait retrancher le Vice-Roi Eugène sur la route de Saint-Pétersbourg; pour tout le reste, il réduira le service comme il l’entendra, en conservant de préférence ce qui sera le plus près du Kremlin.
■Demain, quand l’armée sera partie, Mortier fera faire par la munici­palité une proclamation pour prévenir les habitants que les bruits d’évacuation sont faux, que l’armée se porte sur Kalouga, Toula et Briansk, pour s’emparer de ces points importants et des manufactures d’armes qui s’y trouvent; pour engager les habitants à main­tenir la police et à empêcher qu’on ne vienne achever de ruiner la ville. Il fera, dès demain, commencer les travaux du Kremlin et veillera à ce qu’ils soient poussés avec la plus grande activité. Il fera faire de fortes patrouilles dans la ville, surtout du côté des portes de Mojaïsk et de Kalouga, afin de pouvoir recueillir tout convoi et régiment qui seraient en route de Mojaïsk pour se rendre ici.
■La division Roguet restera ici la journée de demain; elle partira demain soir, escortant le trésor et le quartier général de l’intendant.
■Le maréchal Mortier fera dans la ville une police sévère; il fera fusiller tout soldat russe qu’on trouverait dans la rue; à cet effet, il fera donner l’ordre à tous ceux qui sont aux hôpitaux de n’en plus sortir; on ne mettra nulle part de petits postes, afin d’être à l’abri de la malveillance des paysans et des surprises des Cosaques. Enfin, Mortier doit réunir le plus de vivres qu’il pourra; il fera confectionner beaucoup de biscuit; il s’assurera des vivres au moins pour un mois en farines, pommes de terre, choucroute, eau-de-vie, vin, etc. Il doit conserver cet approvisionnement pour les cir­constances urgentes, en faisant moudre à tous les moulins, pour que, s’il est possible, cela puisse alimenter son journalier.
■Avoir soin de donner au maréchal Mortier un chiffre, afin que la correspondance avec lui puisse être libre et sûre.
Ordre au maréchal Mortier, duc de Trévise, commandant la Jeune Garde, Gouverneur de Moscou:

■Garder tout Moscou, autant que cela est possible sans compromettre les troupes; surtout garder le Kremlin, qui est une place forte; il faut réunir les malades; le grand magasin d’eau-de-vie, le pont de pierre et le couvent du maréchal Davout, où il y a un pont sur la Moskova.
■Travailler avec activité à doubler l’artillerie qui est en batterie; travailler aux portes et les mettre à l’abri du canon; Placer deux pièces de canon au couvent du maréchal Davout; tous les convois qui arriveront à Moscou seront placés sous la protection de ce couvent, entre le couvent et la rivière: par ce moyen, ils seront à l’abri de toute insulte; ne rien parquer dans le faubourg par où nous sommes arrivés. Faire ramasser tous les traînards et de les envoyer à leur corps; après-demain, les faire incorporer dans vos cadres en subsistance. Demander un chiffre ce soir au major général pour pouvoir correspondre faci­lement et sûrement. Tenir les régiments de cavalerie à pied pour la défense du Kremlin, de la maison des Enfants trouvés, du pont de pierre et de la caserne du maréchal Davout. Que tout le monde soit demain logé au Kremlin, de sorte que la nuit tout votre monde soit sons la clef; ne pas souffrir que personne loge en ville, si ce n’est le commandant de la place et l’intendant, qui se tiendront près des Enfants trouvés et du Kremlin, ayant bonne garde. Ramasser des vivres, faire du biscuit, faites faire le service comme dans une place de guerre. Toute l’armée ennemie serait-elle contre, devoir tenir au Kremlin bien des jours. Organiser bien la brigade à pied. Il y a ici des colonels, des majors, des capitaines d’infanterie, qui sont blessés légèrement; les mettre à la tête de ces bataillons. Prendre dans la jeune Garde une douzaine d’officiers et sous-officiers pour les attacher à ces bataillons et les instruire. Porter une grande attention au feu. Vous avez ici 200 000 livres de poudre, 2 millions de cartouches, 300 caissons chargés. N’écrire qu’en chiffre pour les choses importantes. Un chef de bataillon d’artillerie est chargé d’incendier le Kremlin en cas d’ordre; qu’il étudie bien sa besogne. Faire charger et porter sur les tours des bombes, des obus et des grenades pour défendre les murailles.
■Après le départ de l’armée, faire par l’intendant une proclamation qui rassure les habitants et leur fasse connaître que l’on ne veut pas évacuer leur ville.
Ordre au général comte de la Riboisière, commandant l’artillerie de la Grande Armée, à Moscou:

■Le maréchal Mortier avec 10 000 hommes reste en ville, et à tout événement, défendra le Kremlin. Il est donc nécessaire que demain matin tous les caissons et voitures quelconques soient réunis au Kremlin. Il est possible que je revienne à Moscou. Il ne faut donc rien détruire de ce qui serait précieux, tel que poudre, cartouches d’infanterie, coups de canons, plomb à faire des balles; mais le salpêtre, le soufre peuvent être brûlés. Les hangars, magasins, qui sont autour de la ville, peuvent être brûlés. Les caissons russes et autres matériaux qui ne peuvent pas être transportés au Kremlin seront brûlés demain, à huit heures du matin, avec le soufre et le salpêtre.
■II faut y laisser un officier supérieur d’artillerie avec des garde-magasins. Il faut y laisser une compagnie d’artillerie pour le service des pièces qui sont sur le rempart, et quatre officiers d’artillerie attachés au Kremlin pour ce service important.
■Il est nécessaire d’avoir à la suite de l’armée le plus de caissons possible. Il faut donc que les 400 chevaux de l’équipage de pont attèlent les caissons que l’on a et suivent l’armée. Le grand quartier général partira demain, sous l’escorte d’une division d’infanterie.
■La compagnie d’artillerie emploiera la journée de demain et la suivante à augmenter la défense du Kremlin, charger les obus, bombes, grenades, et à pourvoir aux moyens qui peuvent assurer la défense de cette place. Les officiers d’artillerie chargés de faire sauter le Kremlin, quand il en sera temps, resteront au Kremlin.
Napoléon 1er, Empereur des Français, à Moscou, le 18 octobre 1812.

Source: D’après l’original. Dépôt de la guerre.

http://www.carreimperial.fr/18-octobre-1812-a-moscou/


Suite aux circonstances explicitées ci-dessous, Napoléon décide de quitter Moscou :

« L’espoir où nous étions que des arrangements de paix seraient pris, espoir nourri par le souvenir glorieux de la victoire de la Moskowa, par la suspension des hostilités aux avant-postes et par les fausses protestations des généraux russes, fut cruellement détrompé, lorsque, le 18 octobre, l’ennemi, voulant anéantir notre avant-garde, tomba inopinément sur notre cavalerie à Winkowo, et que l’on se battit de nouveau avec acharnement. Le Roi de Naples avec sa cavalerie formant l’avant-garde, entouré de masses de troupes ennemies quatre à cinq fois plus nombreuses que les siennes, et attaqué d’une manière inattendue, perdit beaucoup de monde dans cette surprise, qui mit d’abord le désordre parmi les Français ; mais l’intrépide Murat, parvenu à rallier ses troupes, repoussa l’ennemi, nonobstant l’inégalité du nombre, avec une perte que l’on a prétendu être plus considérable que la nôtre, évaluée à plusieurs pièces de canon et à trois mille hommes, tués, blessés ou prisonniers. Néanmoins ce combat désorganisa entièrement notre cavalerie, déjà auparavant aux abois, faute de fourrage. La nouvelle de l’attaque imprévue du 18 parvint à Napoléon au moment où il passait une revue au Kremlin. Aussitôt le départ fut ordonné et commença immédiatement à s’effectuer. Ce départ était déjà décidé depuis quelques jours, d’après ce que je me rappelle avoir entendu dire dans ce temps par le maréchal Ney. On évacua sur les derrières nos nombreux malades et blessés, dont environ deux à trois mille furent abandonnés à Moscou, qui, pour la plupart, moururent de privations, tandis que la plus grande partie de ceux qui furent évacués, périrent par la faim et le froid ou bien lâchement assassinés par les gens qui les conduisaient. Il paraît que Napoléon, prévoyant l’impossibilité de se maintenir à Moscou, avait arrêté depuis le 15 de quitter, comme le prouve un ordre qu’il donna à sa Garde de se tenir prête à marcher.

Le même jour où les Russes tombèrent sur notre cavalerie au-delà de Moscou, notre deuxième corps, resté à Polotsk, fut vivement attaqué par le général de Wittgenstein, auquel était venu se joindre un autre corps d’armée russe sous les ordres du général de Steingel. Comme je n’aurai plus l’occasion de parler du deuxième corps de l’armée française, je rapporterai ici que le brave général de Gouvion Saint-Cyr, après avoir fait essuyer des pertes considérables à l’ennemi, et ayant perdu peu de monde, commença à opérer sa retraite, le 20 octobre, avec autant de prudence que d’intrépidité, en se dirigeant sur Smoliani, où il fut joint le 31 octobre par le neuvième corps, commandé par le maréchal Victor, venu de Smolensk à son secours.

A l’époque du 18 octobre, l’armée, par suite des combats et des maladies, était tellement diminuée qu’elle n’avait guère plus que le tiers de sa force primitive. Avec cela nous allions lutter contre le sort misérable qui nous attendait. »

Joseph de KERCKHOVE, « Mémoires sur les campagnes de Russie et d’Allemagne (1812-1813) », Édité par un Demi-Solde, 2011, pp.92-94. L’auteur était à cette époque, médecin attaché au quartier-général du 3ème corps (Maréchal Ney).

voir aussi :

viewtopic.php?f=30&t=1036

viewtopic.php?f=30&t=887

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Message Publié : 19 Oct 2012 11:14 
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19 octobre 1812 à Moscou

Ordre à M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Vilna:

■Le général Sébastiani, placé à une lieue sur la gauche du maréchal Murat à l’avant-garde, s’est laissé surprendre par une horde de Cosaques, le 18, à cinq heures du matin. Il a perdu six pièces de canon qui étaient au bivouac. L’infanterie ennemie s’est alors portée sur les derrières du maréchal Murat pour aller occuper un défilé. Murat, à la tête des carabiniers et cuirassiers, a enfoncé cette infanterie et l’a écharpée. Le général Dery, aide de camp de Murat, a été tué. Ces détails sont pour votre gouverne. Les pertes sont égales, à nos pièces de canon près que nous avons perdues.
■L’armée est en marche; on se décidera demain à faire sauter le Kremlin et à passer par Kalouga ou par Viazma pour arriver avant les grands froids et prendre les quartiers d’hiver. Tout du reste va bien.
Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Moscou:

■Écrire au maréchal Murat pour lui faire connaître que l’armée se met en mouvement à cinq heures du matin, pour se diri­ger sur lui par la route de Desna; qu’il doit manœuvrer pour se tenir à la tête de l’armée; que le prince de Hohenzollern vient d’arriver.
■Écrire au chef d’état-major Borelli qu’il ait à vous envoyer un état des prisonniers que nous avons faits, des prisonniers que l’ennemi nous a faits et de notre perte en hommes, bagages, artillerie, etc.
■Il paraît qu’il restera ici un millier de malades ou blessés; il pourra y en avoir davantage dans le courant de la marche de l’armée, s’il y a des affaires; il est donc indispensable de connaître le nombre des voitures que l’armée a à sa suite, indépendamment des bataillons du train des équipages militaires et des compagnies des équipages régimentaires. En conséquence, le major général donnera des ordres pour que dans chaque corps d’armée et à l’état-major général, il soit fait un recensement exact de toutes les voitures.
■Les propriétaires des caissons, fourgons, berlines, calèches, ca­briolets, briskas, charrettes, et généralement de toutes voitures quelconques, seront tenus d’en faire la déclaration, afin que ces voitures puissent recevoir l’ordre de prendre un ou deux blessés, lorsque les circonstances l’exigeront. Les déclarations seront faites à l’état-major général pour les voitures de la Maison de l’Empereur, pour celles de l’état-major général et de l’administration générale de l’armée, et à l’état-major de chaque corps d’armée pour les voitures appartenant à ce corps.
■Les voitures seront enregistrées et numérotées, de manière qu’il y ait une série pour l’état-major général et une série pour chaque corps d’armée. Chaque voiture sera marquée du numéro qui lui aura été donné dans sa série. Il n’y aura d’exceptées de cette disposition que la voiture de l’Empereur, une voiture du major général, une du mi­nistre secrétaire d’État, une de chaque maréchal ou général comman­dant en chef un corps, et une de l’intendant général de l’armée.
■Le vaguemestre du quartier général et les vaguemestres des corps d’armée tiendront le contrôle des voitures numérotées. Toute voiture non numérotée sera confisquée. Toute voiture numérotée qui aurait reçu l’ordre de prendre un ou plusieurs blessés et qui sera trouvée en marche sans lesdits blessés sera brûlée.
Napoléon 1er, Empereur des Français, à Moscou, le 19 octobre 1812.

Source: D’après l’original. Dépôt de la guerre.

http://www.carreimperial.fr/19-octobre-1812-a-moscou/

Suite :

« Moscou, à l’exception du Kremlin, fut évacué le 19. Le temps était très beau. Il fallut toute la journée pour déboucher de la ville. Les voitures d’artillerie et d’équipages, les chariots de vivres, les calèches, les chevaux de selle et de bât se mêlaient, s’embarrassaient, se heurtaient et gênaient la marche des colonnes. 10,000 soldats valides étaient employés à l’escorte ; chaque corps, chaque compagnie, chaque état-major y était représenté par des hommes de confiance. On se battait et on se disputait partout. On jurait en français, en allemand, en polonais et en italien. Nous commencions à revenir en arrière, et c’est de ce moment que commencèrent nos grands revers et cette immortelle retraite bien digne de figurer à côté de celle des dix mille. Je crois, tout amour-propre de côté, que nous avons, en cette circonstance, laissé bien loin de nous les romains dont l’Empereur nous parlait tant en Italie et en Égypte. Ces cohues présentaient un spectacle aussi étrange qu’effrayant. On prit d’abord la vieille route de Kalouga, sur laquelle se trouvait l’armée russe ; on la quitta le 21 pour passer sur la nouvelle, qui, de Moscou, passe à Borowsk et à Malojaroslavets. Ce mouvement fut masqué par le maréchal Ney et le roi de Naples. Beaucoup de voitures restèrent dans les boues du chemin de traverse, que nous suivîmes pour passer d’une route à l’autre. L’artillerie y perdit des chevaux. Cette circonstance nous démontre d’une manière évident que l’armée, trop appesantie par son immense matériel, ne pouvait se mouvoir que sur une grande route, et que, dans cet état de choses, il fallait marcher, toujours marcher, et ne combattre que pour s’ouvrir un passage. »

Général de PELLEPORT, « Souvenirs militaires. Tome II : 1812-1853 », Édité par un Demi-Solde, 2009, pp. 36-37.L’auteur était à cette époque colonel du 18ème de ligne. Son régiment faisait partie du 3ème corps (maréchal Ney).

*******************
Autre témoignage :

"Le maréchal Mortier, avec huit à dix mille hommes de la jeune Garde Impériale, avait reçu ordre de Napoléon de rester à Moscou pour assurer la retraite de nos convois sur Mojaïsk et couvrir notre marche sur Kalouga ; en même temps il ferait faire sauter le Kremlin et incendier le reste des bâtiments de la ville échappés aux flammes. Cette triste vengeance, exercée sans but et si peu digne du chef de notre expédition, ne sera-t-elle pas jugée par la postérité plus sévèrement que la conduite de Rostopchine ?
Lorsque nous sortîmes de l’ancienne capitale de la Russie, rien de plus curieux à voir que le cortège extraordinaire que formait l’armée : elle rappelait les scènes des armées grecques et romaines quittant les ruines de Troie et de Carthage. Que de milliers de voitures chargées de vivres, de denrées de toute espèce, de fourrage et de riches dépouilles de Moscou, elle traînait à sa suite ! On remarquait parmi ces voitures une foule de carrosses de toute beauté, et dont on s’était emparé par le droit bizarre de la conquête. Que de personnes, mêmes des sous-employés, se faisaient traîner dans des équipages magnifiques ! Toutes ces voitures, marchant sur plusieurs files, qui s’étendaient à plus de quatre ou cinq lieues, faisaient naître l’encombrement et la confusion. Dans ce singulier cortège, on remarquait des vivandiers, des domestiques et d’autres goujats revêtus d’habits de cour et en costume les plus élégants, enlevés à Moscou. C’était une scène réellement comique : un peintre n’aurait pu trouver un sujet plus piquant."

(Joseph de KERCKHOVE, « Mémoires sur les campagnes de Russie et d’Allemagne (1812-1813) ».

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Message Publié : 20 Oct 2012 12:19 
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20 octobre 1812 à Troitskoïe

Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Trotskoïe:

■Le 22, on lèvera le cantonnement de la maison Galitzine, et par conséquent, les postes de Desna et de Charapovo.
■Passé 18 heures, le 21, l’estafette doit donc rétrograder de la maison Galitzine sur Koubinskoïé et être expédiée de Koubinskoïé sur Ojigovo et Fominskiya, où se trouve le Vice-Roi Eugène. Les estafettes, qui arriveront jusqu’au 23 inclusivement, suivront donc cette direction. Le commandant de Koubinskoïé aura les moyens nécessaires pour les bien faire escorter.
■Le 24, Koubinskoïé devant être évacué, les estafettes qui arrive­raient rétrograderaient sur Mojaïsk; le général Junot, qu’on prévien­dra, les expédiera sur le Vice-Roi Eugène, avec lequel il doit être en commu­nication, sur Fominskiya ou sur Borovsk.
■Le major général enverra 100 chevau-légers bavarois à Kou­binskoïé.
■Les postes d’estafettes se reploieront sur Mojaïsk à mesure que la ligne prendra une autre direction.
■Envoyer un officier de l’état-major et un agent des postes pour veiller sur ce service et rendre compte par le passage de chaque estafette.
■Le maréchal Mortier fera partir demain, à la pointe du jour, les hommes fatigués, et éclopés des corps du maréchal Davout et du Vice-Roi Eugène, de la cavalerie à pied et de la jeune Garde, et dirigera le tout sur Mojaïsk.
■Le 22 ou le 23, à deux heures du matin, il fera mettre le feu au magasin d’eau-de-vie, aux casernes et aux établissements publics, hormis à la maison des Enfants trouvés. Il fera mettre le feu au palais du Kremlin. II aura soin que les fusils soient tous brisés en morceaux; qu’il soit placé des poudres sous les tours du Kremlin; que tous les affûts soient brisés ainsi que les roues des caissons. Quand ces expéditions seront faites, que le feu sera en plusieurs endroits du Kremlin, le maréchal Mortier quittera le Kremlin, et se portera sur la route de Mojaïsk. A quatre heures, l’officier d’artillerie chargé de cette besogne fera sauter le Kremlin comme l’artillerie en a reçu l’ordre.
■Sur sa route, il broiera toutes les voitures qui seraient restées en arrière, fera autant que possible enterrer tous les cadavres et briser tous les fusils qu’il pourrait rencontrer. Arrivé au palais Galitzine, il y prendra les Espagnols et les Bavarois qui s’y trouvent, fera mettre le feu aux caissons et à tout ce qui ne pourra pas être transporté. Il ramassera tous les commandants de poste et reploiera les garnisons.
■Il arrivera à Mojaïsk le 25 ou 26. Il recevra là des ordres ultérieurs pour se mettre en communication avec l’armée. Il laissera, comme de raison, une forte avant-garde de cavalerie sur la route de Mojaïsk.
■Il aura soin de rester à Moscou jusqu’à ce qu’il ait vu lui-même le Kremlin sauter. Il aura soin de faire mettre le feu aux deux maisons de l’ancien gouverneur et à celle de Razoumovski.
■S’il reste encore aux hôpitaux quelques officiers, qu’il les fasse prendre sur les caissons; également qu’il fasse parcourir les hôpitaux pour voir tout ce qu’on en peut ôter, et fasse faire des re­cherches pour retirer les hommes isolés et traînards qui pourraient s’y trouver encore.
■Que le 21 et le 22, il tienne beaucoup de cavalerie sur la route de Desna, afin de maintenir ses communications libres contre les Co­saques. Qu’il place une arrière-garde à trois ou quatre lieues pour empêcher qu’il ne revienne plus personne, malades ou autres, à Moscou.
■Le général Roguet se portera avec le quartier général à deux lieues avant d’arriver à Desna, et enverra ce soir un aide de camp faire son rapport. Il aura soin de ne laisser personne en route et de ne laisser passer aucun homme isolé ni blessé se rendant à Moscou; il ramassera et consignera tout le monde; il mettra le feu à toutes les charrettes et voitures qui resteraient sur la route, et enfin se regardera comme l’arrière-garde de l’armée et fera filer devant lui tout ce qu’il rencontrera.
■Charger le général de division qui commande les ponts de raccommoder tous les ponts, afin de faciliter le passage de la Desna, et de faire cette opération d’ici au quartier général.
■Le maréchal Ney se portera à l’avant-garde et prendra position sur la Motcha. Il laissera tous ses objets inutiles et ses parcs de réserve, de manière à déboucher facilement sur la route de Tchechkova à Ojigovo.
■Le maréchal Davout se portera aujourd’hui à la tête de son corps ici et sa queue à Desna.
■Faire connaître à l’un et à l’autre de ces maréchaux qu’il est possible que Moscou soit abandonné le 21 au soir.
■Le prince Poniatowski fera filer ses malades et blessés et tous ses embarras par Tachirovo et Ojigovo sur Fominskiya; aussitôt que le maréchal Ney l’aura remplacé, il com­mencera son mouvement et sera sous les ordres du Vice-Roi Eugène, à qui il enverra demander des ordres. Tous ses malades et blessés, aussitôt qu’il sera à Fominskiya, doivent filer sur Mojaïsk, et tout son corps appuiera les mouvements d’Eugène.
Ordre à Eugène Napoléon, Vice-Roi d’Italie, commandant le 4e corps de la Grande Armée:

■L’officier d’ordonnance Christin rapportera des renseignements sur la route de traverse que vous prendrez de Tchechkova à Ojigovo. Il faut activer les sapeurs, afin de faire des ponts où cela sera nécessaire; il en faudra plusieurs sur les petits ravins.
■Envoyer un officier du génie au général Broussier; qu’il s’y rende en toute diligence et fasse connaître les routes de Fominskiya à Mojaïsk et de Fominskiya à Koubinskoïé. Aussitôt passé, le prince Poniatowski se rendra de Tchechkova à Fominskiya; il sera sous vos ordres, mais il est nécessaire que tous ses bagages inutiles, il les fasse filer sur Mojaïsk. Cela formera toujours une augmentation de 5000 à 6000 hommes. Il ne sera rendu que demain 21.
■Faire connaître la nature de la route, les nouvelles que l’on a de l’ennemi, de Tominskoié et de Borowsk. Le général Pino vous a-t-il rejoint ou est-il sur la traverse? Est-il rallié et a-t-il tout son monde?

Napoléon 1er, Empereur des Français, à Troitskoïe, le 20 octobre 1812.

Source: D’après l’original. Dépôt de la guerre.


http://www.carreimperial.fr/20-octobre- ... roitskoie/


Guillaume Peyrusse (« En suivant Napoléon…, Cléa, 2009, pp.149-150) : "19 octobre". Sa Majesté quitta Moscou à neuf heures du matin. Nous suivîmes, prenant la route de Kalouga. Notre service eut beaucoup de peine à se faire jour à travers la longue file de voitures, de chariots qui, placés sur trois à quatre rangs, s’étendaient à plusieurs lieues, chargés de l’immense butin que les soldats avaient arraché aux flammes. Des femmes, des enfants, des filles et des paysans russes étaient dans ce grand convoi. Plusieurs caissons, remplis de trophées, où se trouvaient des drapeaux turcs et persans, le lustre d’argent massif et surtout la fameuse croix de Saint-Ivan, marchaient à notre suite. Je n’ai jamais vu plus d’encombrement, plus de cohue et plus d’attirail. Les meubles et les provisions étaient confondus et entassés sur les charrettes ; de longues files de voitures chargées de malades, de blessés, de convalescents, cheminaient sur un des côtés de la route. Comme on était parti fort tard et qu’on avait éprouvé les plus grand embarras pour marcher, Sa Majesté s’arrêta au château de Troskoé, non loin de Moscou. »

Peyrusse avait écrit à la date du 28 septembre 1812 (p.144 de l’édition précédemment citée) : « Les objets voués à la destruction et aux flammes appartenant de droit aux vainqueurs qui les avaient préservés, Sa Majesté fit enlever de l’église du Kremlin les lames d’argent qui lambrissaient les murs, ainsi que le magnifique lustre en argent massif. Le peuple russe attachait à la possession de la croix de Saint-Ivan la conservation de la capitale ; Sa Majesté ne se crut obligée à aucun ménagement vis-à-vis d’un ennemi qui n’avait pas d’autres armes que le feu et la dévastation. Elle ordonna que la croix de Saint-Ivan soit enlevée pour être replacée sur le dôme des Invalides. Je remarquai que, pendant que les ouvriers étaient occupés à ce travail, une multitude considérable de corbeaux, rôdant sans cesse autour d’eux, les assourdissaient par leurs éternels croassements. »

Le lendemain, 29 septembre (pp.144-145), il écrit : «J’ai visité l’Arsenal ; j’ai remarqué plusieurs couleuvrines montées sur des affûts immobiles et dont la plus grande peut avoir 24 pieds de long. Outre cela, il y a, du côté de la porte principale, un énorme obusier ayant au moins 3 pieds de diamètre. Je voyais de ma chambre tous les préparatifs qui avaient lieu pour déraciner et soulever la grande croix. Au moment où elle ne tenait plus, un des câbles d’une chèvre vint à se rompre ; l’équilibre fut perdu, le poids des chaînes entraîna la croix et une partie de l’échafaudage. En tombant, la terre trembla sous ce poids énorme, et la croix se rompit en trois morceaux.»

Le général Mathieu Dumas, dans ses « Souvenirs », tome troisième, Libraire de Ch. Gosselin, 1839, pp.455-456, écrit : «Cette croix ne pouvant être arrachée sans détruire la clef de la coupole, dans laquelle elle était profondément scellée, on prit le parti de la scier et [de la] limer ; elle tomba avec un grand fracas sur le sol, et fut ensuite dépecée et soigneusement emballée pour être transportée à Paris.»
--
Pour ce qui est de Joseph de Kerckhove; il est dit encore : «Cette triste vengeance, exercée sans but et si peu digne du chef de notre expédition, ne sera-t-elle pas jugée par la postérité plus sévèrement que la conduite de Rostopchine ? » . Le médecin Kerckhove écrivit une première version de ce ses « mémoires » qui parut peu de temps après la campagne de Russie, publié à Maastricht en 1814, précisément. Les faits y sont racontés d’une manière différents et plus hostiles à l’Empereur (p.48) : « le 19 octobre [1812], nous partîmes de Moscou pour nous rendre sur la route de Kalouga [note de Kerckhove : « Buonaparte, voyant par la destruction de Moscou et par d’autres preuves, la ferme résolution des russes, et prévoyant l’impossibilité de lutter contre le sort qui l’attendait en Russie, voulait se retirer, probablement dans la Galicie, pour y former ses quartiers d’hiver (selon le bruit qui courait dans le temps) ; mais après la bataille sanglante de Mala-Jaroslaff [Malojaroslavets], les Russes nous ont rejetés par Vereja sur la route de Mozaïsk [Mojaïsk] : route fatale ! qui était déjà entièrement dévastée par nos armées, en allant à Moscou]. Il faisait le plus beau temps qu’on eut jamais vu à Moscou dans cette saison de l’année. Je veux me taire sur les horreurs infernales que Buonaparte fit exécuter, en quittant l’ancienne capitale de la Russie [note de Kerckhove : « Sans parler du Kremlin, qu’il a fait sauter »] ;

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21 octobre 1812 à Krasnoie

Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Krasnoie:

■ Faire connaître au maréchal Mortier qu’aussitôt que son opération de Moscou sera finie, c’est-à-dire le 23, à trois heures du matin, il se mette en marche et arrive le 24 à Koubinskoïé; que, de ce point, au lieu de se rendre à Mojaïsk, il ait à se diriger sur Vereya, où il sera le 25. Il servira ainsi d’intermédiaire entre Mojaïsk, où est le général Junot, et Borovsk, où sera l’armée. Il sera convenable qu’il envoie des officiers par Fominskiya pour nous instruire de sa marche. Il mènera avec lui l’adjudant commandant Bourmont, les Bavarois et les Espagnols qui sont à la maison Galitzine. Tous les Westphaliens de la première poste et de la deuxième, et tout ce qu’il trouvera de Westphaliens, il les réunira et les dirigera sur Mojaïsk; s’ils n’étaient pas en nombre suffisant, il ferait protéger leur passage par de la cavalerie.
■ Le maréchal Mortier instruira le général Junot de son arrivée à Vereya et de tout ce qui sera relatif à l’évacuation de Moscou. Il est nécessaire qu’il nous écrive demain 22, non plus par la route de Desna, mais bien par la route de Charapovo et Fominskiya. Le 23, il nous écrira par la route de Mojaïsk; son officier quittera la route à Koubinskoïé pour venir sur Fominskiya, le quartier général devant être probablement le 23 à Borovsk ou à Fominskiya. Soit que Mortier fasse son opération demain 22, à trois heures du matin, soit qu’il la fasse le 23, à la même heure; il doit prendre ces mêmes dispositions. Par ce moyen, il pourra être considéré comme l’arrière-garde de l’armée.
■ Peut-être faut-il recommander de charger sur les voitures de la jeune Garde, sur celles de la cavalerie à pied et sur toutes celles qu’on trouvera, les hommes qui resteraient encore aux hôpitaux. Les Romains donnaient des couronnes civiques à ceux qui sauvaient des citoyens; le maréchal Mortier en méritera autant qu’il sauvera de soldats. Lui mander qu’il les fasse monter sur ses chevaux et sur ceux de tout son monde; que c’est ainsi que l’Empereur a fait à Saint-Jean d’Acre; qu’il doit d’autant plus prendre cette mesure, qu’à peine ce convoi aura rejoint l’armée, on trouvera à lui donner les chevaux et les voitures que la consom­mation aura rendus inutiles; qu’il doit, comme de raison, commencer par les officiers, ensuite les sous-officiers, et préférer les Français; qu’il assemble tous les généraux et officiers sous ses ordres, pour leur faire sentir l’importance de cette mesure et combien ils mériteront de l’Empereur d’avoir sauvé 500 hommes.
■ Le maréchal Ney formera l’arrière-garde de l’armée, il aura à cet effet son corps augmenté de la division Claparède, ses deux brigades de cavalerie légère, celle du général Girardin.
■ Le maréchal Murat fera partir aujourd’hui les divisions Friederichs et Friant pour suivre le mouvement de l’armée.
■ Le maréchal Ney fera relever le bataillon et la batterie qui sont en avant; que, si cela peut se faire de jour, il le fera faire, sans quoi, il le fera faire ce soir à sept heures; qu’il aura soin que l’ennemi ne s’aperçoive de rien et qu’il n’y ait rien de changé devant lui.
■ La division Morand reste à Desna. Cette division se rendra demain sur les hauteurs de Gorki, à l’intersection, de la route qui conduit sur Fominskiya, et à midi, s’il n’y a rien de nouveau, cette division continuera sa route pour arriver le plus tôt possible à Fominskiya, en laissant un bataillon au pont de Desna où se trouve la brigade du général Colbert.
■ Toute la cavalerie de Murat partira demain à la pointe du jour pour rejoindre l’armée, qui se porte sur Borovsk.
■ Demain 22, le maréchal Ney fera passer tout son bagage, toutes ses réserves d’artillerie et tout ce qui pourrait l’embarrasser, sur la route de Fominskiya par Tchechkova, et se disposera de manière que le 23, à une heure après minuit, il puisse disparaître sans que l’ennemi en sache rien et faire une grande marche, la plus forte possible, pour se porter sur Fominskiya.
■ Faire connaître au maréchal Ney que le 23, à trois heures du matin, le Kremlin doit sauter, que probablement il en entendra l’explosion, et que Moscou sera évacué.
■ Le maréchal Mortier se rendra avec ses troupes par la route de Mojaïsk sur Vereya.
■ Le général Colbert, qui est au pont de Desna, et le général Morand, qui sera demain sur les hauteurs de Gorki, doivent partir demain, après-midi, pour ne pas embarrasser la route, et se porter à Fominskiya.
■ Cependant, le maréchal Ney devra s’assurer qu’il n’y a plus personne, afin qu’à la pointe du jour, le 23, les Cosaques puissent aller jusqu’à Moscou sans nous prendre personne. Dans la journée de demain 22, il fera battre des patrouilles pour ramasser les bagages, traineurs et hommes isolés. Que tous prennent la route de Borovsk. Arrivé à Fominskiya, il recevra des ordres.
■ Ce soir ou dans la journée de demain, nous devons occuper Borovsk; il sera nécessaire que le maréchal Ney dirige sa marche par ce lieu, où le quartier général de l’Empereur sera cette nuit, parce qu’on y laissera un poste de correspondance et que Ney pourra y trouver des ordres. Le maréchal Ney enverra demain, à huit heures du matin, un officier pour faire connaître s’il y a du nouveau.
■ Le général Colbert enverra au moins 200 chevaux sur Moscou jusqu’à ce qu’ils rencontrent la ca­valerie du colonel Deschamps, et qu’on soit sûr que l’officier qui porte des ordres importants arrive au Kremlin avant neuf heures du soir. Il fera connaître au maréchal Mortier qu’il attend sa réponse, qu’il est nécessaire qu’il l’ait avant minuit. Le maréchal Mortier l’en­verra par un de ses officiers qui reviendra avec le parti de 200 chevaux.
■ Le parti que le général Colbert enverra retournera sur Desna, d’où il fera partir un officier frais pour porter la réponse du maréchal Mortier au quartier général de l’Empereur par Gorki et à droite sur la route de Fominskiya.
■ Le général Colbert profitera de ce parti pour nettoyer la route de Moscou, ramasser les traîneurs, brûler toutes les voitures restées en arrière, et être certain que demain 22, à sept heures du matin, il n’y a plus rien entre Desna et Moscou.

Napoléon 1er, Empereur des Français, à Krasnoie, le 21 octobre 1812.

Source: D’après l’original. Dépôt de la guerre.

http://www.carreimperial.fr/21-octobre-1812-a-krasnoie/

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22 octobre 1812 à Fominskiya

Ordre à Eugène Napoléon, Vice-Roi d’Italie, commandant le 4e corps de la Grande Armée, à Fominskiya:

■ La Garde à cheval et à pied arrivera avant midi à Fominskiya. Le 1er corps de réserve n’arrivera qu’une heure après. Toute la cavalerie du maréchal Murat y arrivera dans la journée. Avant tout, il faut occuper aujourd’hui Vereya. Le prince Poniatowski y marchera avec son corps; il se fera précéder d’une avant-garde de 500 à 600 hommes de cavalerie, de 1000 hommes d’infanterie de ses meilleurs marcheurs, et d’une ou deux batteries d’artillerie légère; ils doivent arriver aujourd’hui; le reste de son corps suivra. Peut-être que ses coureurs seuls suffiront pour entrer à Vereya. Aussitôt qu’il y sera, il se mettra en communication avec Bogorodsk et Borisovo, où le général Junot a des postes fixes. Indépendamment de ce que cela établira mes communications avec Mojaïsk, il faudra recevoir et envoyer des estafettes. Il y a un poste de 100 hommes à Charapovo; il faut l’y laisser et y envoyer un officier de confiance qui placera un cheval à mi-chemin; il y restera jusqu’à minuit ou trois heures du matin, heure où il doit entendre l’explosion du Kremlin. Aussitôt qu’il l’entendra, il viendra ventre à terre pour en instruire; alors les piquets d’infanterie et de cavalerie se mettront en marche pour venir à Fominskiya, où ils rejoindront leurs régiments. Dans tous les cas, ce détachement se mettra en marche à cinq heures du matin, demain, le 23 oc­tobre 1812, s’il n’entend pas l’explosion. Cet officier, pour mieux entendre l’explosion, pourra se porter un peu en avant avec le piquet de cavalerie qui est là.
■ Quant au détachement que commande l’adjudant commandant Bourmont, à la maison Galitzine, le maréchal Mortier a ordre de le ramasser en passant. Comme l’ennemi croit avoir encore toute l’armée devant lui sur l’autre route, il est convenable que de ne trop montrer les troupes, et seulement ce qui est nécessaire pour bien éclairer et avoir des nouvelles. L’occupation de Vereya est la grande affaire d’aujourd’hui.
Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Fominskiya:

■ Écrire au maréchal Ney qu’il n’y a ici rien de nouveau.
■ Le Vice-Roi Eugène marche sur Borovsk, où il doit être arrivé à l’heure qu’il est; que toute l’armée est sur Fominskiya, mais que la pluie tombée, ce matin, a rendu les chemins un peu difficiles, que, si cela est possible, il sera utile de se maintenir maître du débouché de Gorki, ou un peu plus bas, pendant toute la journée de demain.
■ La cavalerie légère, une batterie d’artillerie et quelques compagnies de voltigeurs paraîtraient suffisantes pour maintenir, si l’ennemi n’a fait aucun mouvement, les Cosaques qui viendraient en reconnaissance; il ne faudra pas, dans la journée de demain, dépasser le demi-chemin d’entre les deux routes, c’est-à-dire le village où a couché le maréchal Davout, afin de donner le temps aux bagages de filer, et de sauver beaucoup d’hommes qui restent toujours en arrière.
■ La traverse qui joint la grande route ayant trois ou quatre débouchés, il les faudra occuper. Lui-envoyer un croquis de la route qu’a suivie l’armée.

Napoléon 1er, Empereur des Français, à Fominskiya, le 22 octobre 1812.

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23 octobre 1812 à Borovsk

Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Fominskiya:

■ Écrire au prince Poniatowski que le Vice-Roi Eugène est entré hier à Borovsk; il faut donc qu’il se mette en communi­cation avec lui.
■ Écrire au maréchal Ney que nous sommes entrés hier à Borovsk; il a dû recevoir les instructions sur sa marche d’aujourd’hui; il est nécessaire qu’il ne laisse rien derrière lui; que tous les renseignements reçus, hier 22, portaient que l’ennemi était encore devant lui dans ses anciennes positions.
■ Écrire au prince Poniatowski que tous les ré­giments de marche d’infanterie, de cavalerie, les batteries d’artil­lerie et autres objets que le général Junot enverra à Vereya, seront sous ses ordres, et que, lorsqu’il aura un ordre de mouve­ment, il ne doit rien laisser, mais emmener tout avec lui jusqu’à ce qu’il rejoigne l’armée. Lui faire connaître également qu’il ne doit pas envoyer ses blessés et malades sur Mojaïsk, ce qui encombrerait cette route, qui l’est déjà trop; qu’il vaut mieux qu’il les mène avec lui.
■ Écrire une lettre qui fera connaître au général Teste, qui commande à Viazma, que l’intention est que le général Evers, avec une colonne de 3 à 4000 hommes, infanterie, cavalerie, artillerie, en prenant spécialement les régiments de marche qui iraient rejoindre l’armée, se dirige de Viazma sur Youkhnov, à dix-huit lieues de Viazma, et de là, pousse des postes jusqu’à l’intersection de ces routes à Znamenskoïe. Ce général mènera avec lui les estafettes qui seraient arrivées de Smolensk. Il placera à chaque poste, c’est-à-dire à Sosova, Trofimova et Andriéyenki, des détachements de 100 hommes d’infanterie et d’un piquet de cavalerie, sous les ordres d’un commandant de place, qui se retrancheront dans les maisons pour être à l’abri des Cosaques et des paysans.
■ Mander au général Teste d’écrire à Smolensk pour faire connaître que l’armée se dirige sur Kalouga, et de là prendra sa ligne d’opération sur Yelnia. Il retiendra toutes les esta­fettes qui passeraient, pour les diriger de Viazma sur Youkhnov, où il est probable que la jonction se fera très-promptement, c’est-à-dire du 25 au 27.

Ordre à Eugène Napoléon, Vice-Roi d’Italie, commandant le 4e corps de la Grande Armée, à Fominskiya:

■ Beaucoup de renseignements porteraient à penser que l’ennemi est encore aujourd’hui dans son ancienne position de son camp retranché, à l’embouchure de l’Istia dans la Nara. Il aurait craint d’être tourné par Fominskiya et aurait envoyé une colonne d’infanterie et de cavalerie pour bien éclairer la marche des divisions françaises. Cette colonne aurait suivi le mouvement de l’armée et se placerait cette nuit sur la lisière des bois, entre Borovsk et son camp, à peu près à deux lieues de la rivière, afin d’arrêter les mouvements de notre armée et de prévenir l’armée ennemie, si nous la tournions en marchant sur elle. Si cela était ainsi, ce ne serait que cette nuit, lorsque la petite ville que le général Delzons doit occuper, que l’ennemi pourra penser qu’au lieu de tourner sa position pour l’attaquer, nous marchons droit sur Kalouga. Il est nécessaire que le général Delzons, aussitôt qu’il sera maître de cette petite ville, s’éclaire bien sur sa gauche. II faut même que vous vous éclairiez beaucoup sur votre gauche, et que vous me rendiez compte, demain matin de bonne heure, de ce que vous aurez vu. Il faudra, à cet effet, envoyer sur votre gauche de fortes reconnaissances une heure avant le jour. Nous faisons ici, depuis le général Delzons jusqu’à Fominskiya, face à l’ennemi. Je serais aise, si le général Delzons s’emparait cette nuit de la petite ville. Lui donner pour instruction que, si jamais il entendait une grosse canonnade, il devrait retourner pour prendre part à la ba­taille. Si l’ennemi montre des feux, bien les faire observer ce soir.

26e Bulletin de la Grande Armée:

« Après la bataille de la Moskova, le général Koutouzov prit position à une lieue en avant de Moscou; il avait établi plusieurs redoutes pour défendre la ville; il s’y tint, espérant sans doute en imposer jusqu’au dernier moment. Le 14 septembre, ayant vu l’armée française marcher à lui, il prit son parti et évacua la position en passant par Moscou. Il traversa cette ville avec son quartier général, à neuf heures du matin. Notre avant-garde la traversa à une heure après midi.

Le commandant de l’arrière-garde russe fit demander qu’on le laissât défiler dans la ville sans tirer: on y consentit; mais, au Kremlin, la canaille, armée par le gouverneur, fit résistance et fut sur-le-champ dispersée. 10 000 soldats russes furent le lendemain et les jours suivants ramassés dans la ville, où ils s’étaient épar­pillés par l’appât du pillage; c’étaient d’anciens et bons soldats: ils ont augmenté le nombre des prisonniers.

Les 15, 16 et 17 septembre, le général d’arrière-garde russe dit que l’on ne tirerait plus et que l’on ne devait plus se battre, et parla beaucoup de paix. Il se porta sur la route de Kolomna, et notre avant-garde se plaça à cinq lieues de Moscou, au pont de la Moskova. Pendant ce temps, l’armée russe quitta la route de Ko­lomna et prit celle de Kalouga par la traverse. Elle fit ainsi la moitié du tour de la ville, à six lieues de distance. Le vent y portait des tourbillons de flammes et de fumée. Cette marche, au dire des officiers russes, était sombre et religieuse. La consternation était dans les âmes: on assure qu’officiers et soldats étaient si pénétrés, que le plus grand silence régnait dans toute l’armée, comme dans la prière.

On s’aperçut bientôt de la marche de l’ennemi.

Le maréchal Bessières se porta à Desna avec un corps d’observation.

Le maréchal Murat suivit l’ennemi d’abord sur Podolsk, et ensuite se porta sur ses derrières, menaçant de lui couper la route de Kalouga. Quoique Murat n’eut avec lui que l’avant-garde, l’ennemi ne se donna que le temps d’évacuer les retranchements qu’il avait faits, et se porta six lieues en arrière, après un combat glorieux pour l’avant-garde. Le prince Poniatowski prit position derrière la Nara, an confluent de l’Istia.

Le général Lauriston ayant dû aller au quartier général russe le 5 octobre, les communications se rétablirent entre nos avant-postes et ceux de l’ennemi, qui convinrent entre eux de ne pas s’at­taquer sans se prévenir trois heures d’avance; mais le 18, à sept heures du matin, 4000 Cosaques sortirent d’un bois situé à demi-portée de canon du général Sébastiani formant l’extrême gauche de l’avant-garde, et qui n’avait été ni occupé ni éclairé, ce jour-là. Ils firent un hourra sur cette cavalerie légère dans le temps qu’elle était à pied à la distribution de farine. Cette cavalerie légère ne put se former qu’à un quart de lieue plus loin. Cependant, l’ennemi pénétrant par cette trouée, un parc de douze pièces de canon et de vingt caissons du général Sébastiani fut pris dans un ravin, avec des voitures de bagages au nombre de 30, en tout 65 voitures, au lieu de 100 que l’on avait portées dans le dernier bulletin.

Dans le même temps, la cavalerie régulière de l’ennemi et deux colonnes d’infanterie pénétraient dans la trouée; elles espéraient gagner le bois et le défilé de Voronovo avant nous. Mais le maréchal Murat était là; il était à cheval, il marcha et enfonça la cavalerie de ligne russe dans dix ou douze charges différentes. Il aperçut la divi­sion de six bataillons ennemis commandée par le lieutenant général Müller, la chargea et l’enfonça. Cette division a été massacrée. Le lieutenant général Müller a été tué.

Pendant que ceci se passait, le prince Poniatowski repoussait une division russe avec succès. Le général polonais Fischer a été tué d’un boulet.

L’ennemi a non-seulement éprouvé une perte supérieure à la nôtre, mais il a la honte d’avoir violé une trêve d’avant-garde, ce qu’on ne vit presque jamais. Notre perte se monte à 800 hommes tués, blessés ou pris; celle de l’ennemi est double. Plusieurs offi­ciers russes ont été pris; deux de leurs généraux ont été tués. Le maréchal Murat, dans cette journée, a montré ce que peuvent la pré­sence d’esprit, la valeur et l’habitude de la guerre. En général, dans toute la campagne, ce prince s’est montré digne du rang suprême où il est.

Cependant l’Empereur, voulant obliger l’ennemi à évacuer son camp retranché et le rejeter à plusieurs marches en arrière, pour pouvoir tranquillement se porter sur les pays choisis pour ses quartiers d’hiver, et nécessaires à occuper actuellement pour l’exé­cution de ses projets ultérieurs, avait ordonné, le 17, par le général Lauriston à son avant-garde de se placer derrière le défilé de Vinkovo, afin que ses mouvements ne pussent pas être aperçus.

Depuis que Moscou avait cessé d’exister, l’Empereur avait projeté ou d’abandonner cet amas de décombres, ou d’occuper seulement le Kremlin avec 3000 hommes; mais le Kremlin, après quinze jours de travaux, ne fut pas jugé assez fort pour être abandonné pendant vingt ou trente jours à ses propres forces. Il aurait affaibli et gêné l’armée dans ses mouvements sans donner un grand avantage. Si l’on eût voulu garder Moscou contre les mendiants et les pillards, il fallait 20 000 hommes. Moscou est aujourd’hui un vrai cloaque malsain et impur. Une population de 200 000 âmes errant dans les bois voisins, mourant de faim, vient sur ses décombres chercher quelques débris et quelques légumes des jardins pour vivre. Il parât inutile de compromettre quoi que ce soit pour un objet qui n’était d’aucune importance militaire, et qui est aujourd’hui devenu sans importance politique.

Tous les magasins qui étaient dans la ville ayant été découverts avec soin, les autres évacués, l’Empereur fit miner le Kremlin. Le maréchal Mortier le fit sauter le 23, à deux heures du matin. L’ar­senal, les casernes, les magasins, tout a été détruit. Cette ancienne citadelle, qui date de la fondation de la monarchie, ce premier palais des czars, ont été !

Le maréchal Mortier s’est mis en marche pour Vereya. L’aide de camp de l’empereur de Russie, Winzingerode, ayant voulu percer, le 22, à la tête de 500 Cosaques, fut repoussé et fait prisonnier avec un jeune officier russe, nommé Nariskine.

Le quartier général fut porté le 19 au château de Troitskoïe; il y séjourna le 20. Le 21, il était à Ignatovo; le 22 â Fominskiya, toute l’armée ayant fait deux marches de flanc, et le 23, à Borovsk. L’Empereur compte se mettre en marche le 24 pour gagner la Dvina, et prendre une position qui le rapproche de quatre-vingts lieues de Pétersbourg et de Vilna, double avantage, c’est-à-dire plus près de vingt marches des moyens et du but.

De 4000 maisons en pierre qui existaient à Moscou, il n’en restait plus que 200; on a dit qu’il en restait le quart, parce qu’on y a compris 800 églises; encore une partie en est endommagée. De 8000 maisons en bois, il en restait à peu près 500. On pro­posa à l’Empereur de faire brûler le reste de la ville pour servir les Russes comme ils le veulent, et d’étendre cette mesure autour de Moscou; il y a 2000 villages et autant de maisons de campagne ou de châteaux. On proposa de former quatre colonnes de 2000 hommes chacune, et de les charger d’incendier tout à vingt lieues à la ronde.

Cela apprendra aux Russes, disait-on, à faire la guerre en règle, et non en Tartares; s’ils brûlent un village, une maison, il faut leur répondre en leur en brûlant cent. L’Empereur s’est refusé à ces mesures, qui auraient tant aggravé les malheurs de cette noble nation. Sur 9000 propriétaires dont on aurait brûlé les châteaux, 100 peut-être sont des sectateurs du Marat de la Russie; mais 8900 sont de braves gens déjà trop victimes de l’intrigue de quelques misérables. Pour punir 100 coupables, on en aurait ruiné 8900. Il faut ajouter que l’on aurait mis absolument sans ressources 200 000 pauvres serfs innocents de tout cela. L’Empereur s’est donc contenté d’or­donner la destruction des citadelles et établissements militaires selon les usages de la guerre, sans rien faire perdre aux particuliers, déjà trop malheureux par les suites de cette guerre.

Les habitants de la Russie ne reviennent pas du temps qu’il fait depuis vingt jours. C’est le soleil et les belles journées du voyage de Fontainebleau. L’armée est dans un pays extrêmement riche, et qui peut se comparer aux meilleurs de la France et de l’Allemagne. »

Napoléon 1er, Empereur des Français, à Borovsk, le 23 octobre 1812.

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Message Publié : 26 Oct 2012 11:24 
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Le 24, s'est déroulée la bataille de Maloiaroslavetz :


Le 24 octobre, de très bonne heure, après une marche de nuit exténuante, le corps de Doctoroff parvient en vue de Malo-Iaroslavetz ; dès 5 heures du matin, avec 8 bataillons de chasseurs, il déloge les 2 bions français jetés dans la ville la veille au soir. Delzons se hâte de passer le pont, de gravir les hauteurs sous la mitraille russe et de pénétrer baïonnettes baissées dans la ville ; il parvient à en chasser l’ennemi. Doctoroff qui a maintenant sous la main 12 000 hommes, n’entend pas renoncer et se précipite dans la ville par toutes ses issues.

Delzons, avec moins de 5 000 hommes, plie sous le nombre. Il prend le temps de jeter une centaine de défenseurs dans l’église et rameute son monde l’épée à la main ; déjà, il a cédé la moitié de la ville aux Russes quand il prononce une contre-attaque : c’est alors qu’il tombe, frappé de plusieurs balles ; son frère se précipite pour le couvrir de son corps et l’arracher des mains de l’ennemi quand il s’écroule à son tour, atteint de plusieurs coups de feu. Ce qui reste de cette division reflue et va être précipiter dans la Lougéa quand le général Guilleminot (chef d’état-major de’Eugène) accourt au galop, suivi de la dion Broussier.

Cette nouvelle troupe renouvelle la charge de Delzons avec autant de vaillance et refoule à son tour les Russes en–dehors de la ville malgré un feu épouvantable. Les baïonnettes font place nette. La dion Pino qui s’est déployée en arrière va s’engager à son tour, emmenée par Eugène en personne, afin de balayer définitivement les Russes du plateau qui surplombe Malo-Iaroslavetz et assurer ainsi un débouché définitif à la Grande Armée. Il est un peu plus de midi, quand surgit le corps Rajewski qui court plus qu’il ne marche au bruit de la canonnade. Eugène n’en est pas ému quand il aperçoit de loin les masses profondes de toute l’armée russe ; Il suspend le mouvement de la dion Pino pour faire face à une éventuelle tentative d’enveloppement.

Cependant, les Russes ne paraissent pas y songer et, tous ensemble, compagnies décimées de Doctoroff et soldats pleins d’ardeur de Rajewski, se jettent avec fureur dans la ville. Les Français tiennent ferme quoique l’ennemi alignent plus de 24 000 hommes contre 10 000 à peine. La ville, bombardée, incendiée, est prise et reprise six fois !

Une dernière fois, les Russes repartent à l’assaut et refoulent tout sur leur passage. Alors, la dion Pino, survenant par la gauche de la ville, parvient à refouler les masses de l’infanterie russe… Le corps de Rajewski, rameuté, se précipite sur les Italiens à la baïonnette, pensant n’en faire qu’une bouchée. Mais les Italiens du général Pino entendent faire honneur à leur Nation : ils tiennent bon, jusqu’à ce que –noyés par le nombre- il soient sur le point de lâcher pied. Eugène lance alors les chasseurs de la Garde Italienne pour les soulager et Malo-Iaroslavetz est définitivement conquise. Ce résultat est dû en partie à la centaine de défenseurs jetés par Delzons dans l’église au début de la bataille : dès que les colonnes russes dépassent cet édifice, elles sont surprises à chaque fois d’être fusillées dans leur dos ; à la fin de la journée, il ne restera plus qu’une trentaine de ces braves.

Cependant, si le jour baisse, rien ne dit que la bataille soit terminée, car toute l’armée russe accourt et semble devoir écraser le Vice-Roi qui envoie courrier sur courrier pour alerter son beau-père. L’empereur survient enfin avec les dions Compans et Gérard du corps de Davout ; celles-ci se déploient de part et d’autre de la ville et rendent un succès des Russes problèmatique. Les cris de « Vive l’empereur » deviennent formidables. Les généraux russes décèlent sa présence au travers de leur lunette et renoncent alors à la lutte en se retirant d’une lieue en arrière. Que faisait donc Napoléon pour arriver si tard ?

La veille de la bataille (23 octobre), Napoléon s’est établi à Borowsk. Ségur indique qu’il y fut informé de l’occupation de Malo-Iaroslavetz par Delzons et de ce que la route de Kalouga était vide d’ennemis, ; alors, l’empereur aurait voulu assurer ce succès par sa présence, allant jusqu’à donner l’ordre à sa maison d’y marcher. Si c’est le cas, il n’en demeure pas moins que cet ordre a été rapporté : ses aides de camp ayant fait probablement valoir le danger d’être enlevé par un « hourra » de cosaques.

Ce qui est certain, c’est qu’il passe la soirée dans les environs de Borowsk, du côté où il suppose Koutousov, examinant le terrain comme s’il était destiné à devenir un champ de bataille. Le lendemain, quand Napoléon apprend que les Russes disputent à Delzons la possession de Malo-Iaroslavetz, il ne s’en émeut guère et sort de Borowsk tardivement sans se hâter. Alors, le bruit du combat très vif lui parvient ; aussitôt, il galope pour se placer sur une hauteur et il écoute, inquiet, tout en scrutant l’horizon :

« Les Russes m’ont-ils donc prévenu ? La manœuvre est-elle manquée ? N’ai-je point mis assez de rapidité dans notre marche, pour dépasser le flanc gauche de Koutousov ? »

Il tend l’oreille et s’informe de la marche du reste de l’armée :

« C’est donc une bataille ! » N’y tenant plus, il s’élance sur la route qui conduit à la ville chèrement disputée à cette heure, rattrape le corps de Davout et presse le maréchal d’entraîner ses deux dions de tête. Cet effort –trop tardif- a le mérite d’impressionner les Russes qui abandonnent le champ de bataille. Une bande de Cosaques (ceux de Twer) manque de prendre un de ses officiers de sa suite à peu de distance du cortège impérial…

Napoléon se retire dans une cabane de tisserand, située sur le bord du ruisseau de Gorodnia et passe les premières heures de la nuit à recevoir rapports et nouvelles. Du récit de la bataille qui lui est fait, il résulte que plus de 4000 hommes ont été mis hors de combat pour une perte de 6000 russes. Il en ressort également que Delzons ayant pris position sur le plateau au-delà de Malo-Iaroslavetz, il aurait été soutenu par Eugène en arrière, et ainsi qu’il aurait immanquablement empêché le mouvement des Russes, jusqu’à ce que l’empereur accouru sur ce point, trouve le moyen d’accabler Doctoroff et Rajewski, contraignant Koutousov à le laisser passer sous peine d’être détruit en détail !

A onze heures du soir, Bessières fait son apparition et Napoléon l’envoit immédiatement reconnaître la position de l’ennemi. A son retour, ce brillant cavalier assure que le front des Russes est inattaquable :

« Trois cents grenadiers suffiraient là pour arrêter une division ». On voit alors l’empereur croiser les bras et baisser la tête, signe de sa préoccupation, et bientôt, livrer à tous d’amères réflexions :

« Mon armée est victorieuse, et je suis vaincu ! La route est coupée, ma manœuvre déjouée ; Koutousov ! un vieillard ! un Scythe ! m’a prévenu… Et je ne peux accuser mon étoile ! Le soleil de France ne semble-t-il pas m’avoir suivi en Russie ? Hier, encore, la route de Malo-Iaroslavetz n’était-elle pas libre ? Ma fortune ne m’a pas manqué ; c’est donc moi qui ai manqué à ma fortune ! »

Ce monologue pathétique (rapporté par Ségur) explique bien des choses et notamment l’espèce de dépression dans laquelle va sombrer l’empereur : perdu dans cet abyme de pensées désolantes, il n’a pas la force de se ressaisir. S’il veut prendre quelque repos, une brûlante insomnie l’empêche de retrouver le calme présidant aux grandes décisions. Qu’importe ! Le lendemain matin, il décide de se rendre compte par lui-même, puisqu’après tout, les Russes se sont retirés.

Le voilà qui s’avance imprudemment vers la ville, entouré seulement de quelques officiers, négligeant l’avis de ceux qui croient avoir aperçu des cosaques. Ce sont eux en effet qui entourent bientôt le petit groupe : Napoléon, Berthier, Caulaincourt mettent l’épée à la main ; Rapp, au 1er rang, est bientôt couvert de sang, son cheval est tué d’un coup de lance… L’escadron de service arrive enfin au triple-galop, mais cela ne suffit pas car le nombre de cosaques s’accroît sans cesse. Alertés, les escadrons de la Garde surviennent à leur tour et dégagent le groupe impérial sur le point de succomber. Mais ce n’est pas encore suffisant, il faut l’arrivée des troupes d’Eugène pour décourager les cosaques qui semblent avoir reconnu Napoléon. Il paraît que c’était Platov et 6 000 de ses meilleures recrues…

L’empereur rit de cette mésaventure et semble retrouver cette fermeté d’esprit indispensable à toute réflexion stratégique : il dépasse Malo-Iaroslavetz pour observer dans sa lunette ses fameuses positions des Russes que Bessières lui a dépeint comme imprenables. Derrière lui, ses officiers murmurent, mais il reste impassible, fixant plus particulièrement deux ou trois points. Enfin, il tourne bride et, laissant Eugène dans cette citée ruinée, revient vers Borowsk suivi de son état-major.

C’est là, dans cette obscure masure de Gorodnia que Murat, Davout, Berthier et Bessières le rejoignent, bientôt suivis par Eugène, car il convient de prendre un parti dont va dépendre l’issue de la campagne et le sort de l’armée !

Faut-il s’obstiner et livrer une seconde bataille pour percer sur Kalouga, ou faut-il se rabattre par la droite afin de gagner la grande route de Smolensk ?

Les positions tenues par les Russes sont-elles aussi formidables que l’a dit Bessières ? Sur ce point, il semble que l’inspection faite par l’empereur l’ait rassuré, contrairement –du reste- à ce qu’il a soutenu à Sainte-Hélène !Evidemment, il faut encore livrer bataille et celle qu’on s’est épargné devant Taroutino, se représente à nouveau. Certes, mais les Russes n’ont guère de temps pour se retrancher dans ces nouvelles positions ; on peut dire que Koutousov n’a pas choisi son terrain. Est-ce que le souci des pertes aurait encore arrêté Napoléon dans sa volonté de livrer enfin une bataille décisive ? C’est ce qu’affirme Thiers qui a soutenu que cette certitude de perdre 20 000 hommes au moins dont plus de 10 000 blessés que l’on aurait été obligé de laisser à la charité des Russes, cette certitude donc aurait été un déchirement du cœur et –pire encore- un grave péril : « car c’était démoraliser le soldat et lui dire que toute blessure équivalait à la mort ».

Pourtant, la réflexion de Napoléon ne peut que l’encourager à persister dans cette pensée de livrer bataille, parce que percer sur Kalouga, c’est aller s’établir victorieusement dans une province fertile ; de plus, c’est rétablir l’ascendant des armes par une victoire. Enfin, c’est installer la Grande Armée dans un pays riche où on ne pourra plus douter de son dévouement, une fois qu’elle aura été abritée et nourrie.

S’il y a un danger de s’affaiblir numériquement, il est largement compensé par un renforcement moral et on ne peut douter qu’un grand capitaine comme Napoléon ne se soit fait ces réflexions. Reste que l’historien ne peut pas toujours rendre compte de l’exact déroulement des faits et que, entre Thiers, Madelin ou Ségur, les versions sont trop différentes pour s’arrêter à une opinion certaine, objective… Nous avons pris le parti de nous en remettre à Ségur qui fut un témoin direct des évènements qui se déroulèrent au cours de ce fameux conseil de guerre tenu le 25 octobre 1812 au soir.

Pour le résumer, on peut relater que le silence de Napoléon au dilemme posé « percer ou revenir sur ses pas » conduisit Murat à s’exprimer le premier en faveur de la bataille, soulignant que la prudence contraignait à se montrer téméraire, quand fuir était dangereux et s’arrêter impossible ; que lui, Murat, se chargerait d’ouvrir la route de Kalouga avec sa cavalerie et celle de la Garde, peu important l’attitude des Russes et leurs bois impénétrables !

Cette vive intervention du Roi de Naples n’aurait pas paru susciter l’approbation impériale, Bessières aurait alors répliqué vertement à Murat, soulignant que pour de pareils efforts, l’élan manquerait, n’insistant que trop sur le trouble de la troupe, convaincue que tout soldat vainqueur mais atteint resterait la proie des vaincus ; que la force reconnue de la position ennemie serait encore doublée par la fureur des recrues russes dont on avait remarquées qu’à peine armées et vêtues, elles étaient venues se faire tuer sans broncher, ni reculer. Cette péroraison de Bessières s’achevant sur le mot retraite, le silence persistant de l’empereur lui aurait donné plus de poids…

C’est alors que Davout, voulant interrompre un silence qui devenait gênant, aurait constaté avec trop de vivacité l’accord d’une majorité pour se retirer, demandant seulement que ce fut par Medouin et Smolensk. Murat l’aurait interrompu en s’étonnant que l’on puisse proposer une si grande imprudence, une telle route inconnue offrant à l’ennemi l’occasion d’attaquer l’armée sur son flanc gauche et qu’à tout prendre, si la retraite était ordonnée, mieux valait prendre la route qui ramenait à Mojaïsk par Borowsk et Vereja. Il paraît qu’à ces mots, Davout étincelant de fureur, aurait souligné que cette route de Medouin qu’il proposait était fertile et qu’elle se résumait à une retraite par le chemin le plus court, quand toute perte de temps devenait mortelle, qu’au surplus, on en interdirait ainsi l’usage à l’ennemi, ce qui –hélas- devait se révéler parfaitement juste !

Présentant Napoléon comme perplexe, agité et tourmenté par des les spectacles contraires que lui présentait sa forte imagination, Thiers assure qu’il s’en serait remis au général Lobau. Ce dernier aurait répondu qu’il fallait sortir immédiatement par le plus court chemin d’un pays où l’on avait séjourné trop longtemps. Cet avis, prononcé avec énergie, aurait achevé d’ébranler l’empereur qui –tout en inclinant vers l’opinion dominante- aurait remis sa décision au lendemain…

Quoiqu’il en soit, le 26 octobre, à cheval de très bonne heure, Napoléon décide de reconnaître une dernière fois la position des Russes, preuve qu’il songe encore à la bataille. Justement, ceux-ci paraissent vouloir se retirer pour adopter une meilleure position. Ses lieutenants, Berthier, Bessières et même Eugène, le pressent de leurs instances pour qu’il décide la retraite, Davout restant silencieux. Tous sont encore incertains sur le parti que va prendre l’empereur quand on apprend que Poniatowski, partant de Vereja d’où il a chassé quelques partisans, vient d’essuyer un échec sur la route de Medouin, en y rencontrant un fort parti composé de troupes légères et de cosaques !

La direction intermédiaire conseillée par Davout étant fermée, on apprend encore qu’une chaude échaffourée s’est produite en arrière à hauteur de Borowsk. Ainsi, tous ces indices laissent plutôt penser que les Russes –loin de se retirer- paraissent vouloir envelopper l’armée. Alors, Napoléon, vaincu par les sollicitations de ses lieutenants et ces dernières nouvelles, se décide à ordonner la retraite par Vereja et Mojaïsk !

Or, presque au même moment, malgré les vœux ardents de ses lieutenants et de toute son armée, Koutousov venait de donner l’ordre itératif de se replier sur la position de Gonzerowo, abusé par les derniers coups de canons tirés par Davout chargé de l’arrière-garde ! Le témoignage du major Wilson, anglais détaché auprès du généralissime russe, est indéniable ; il raconte comment il soupire d’aise à la pensée que Koutousov se prépare au combat ultime, bien que la position des Russes si forte qu’elle soit, est mauvaise, adossée à un ravin fangeux que seul un pont branlant permet de franchir. Dès qu’il apprend la retraite projetée, il se précipite, furieux, chez le vieux chef, mais ses efforts sont inutiles et non seulement Koutousov entend se retirer vers Gonzerowo, mais encore plus loin vers le sud, au-delà de Kalouga, derrière la rivière Okra, dont le passage est préparé, comme les officiers de l’état-major l’assurent la mort dans l’âme au bouillant britannique !

Ainsi, pour avoir été trop matinal dans sa dernière inspection, Napoléon n ‘a pu apercevoir que les prémices d’une retraite qu’il aurait pu transformer en déroute, s’il avait lancé sa cavlerie sur cette foule armée que Wilson dépeint comme se transformant à mesure en une cohue désordonnée ! Véritablement, le destin semble avoir hésité jusqu’au bout en ce triste lieu de Malo-Iaroslavetz.

Hélas, c’est Napoléon, c’est sa malheureuse armée, La France elle-même qui vont être frappés par la fatalité et de quelle façon ! Comme l’a écrit Louis Madelin : « de ce moment où Napoléon s’est donné l’apparence de craindre, pour la première fois la bataille, cet esprit, jadis si ferme, a perdu cette maîtrise des opérations et des évènements qu’il ne devait plus guère retrouver ! »

L’erreur est humaine et Napoléon, comme tout autre, n’en était pas exempt. Certains historiens ont minimisé l’épisode de Malo-Iaroslavetz, considérant que la Grande Armée n’en aurait pas moins été atteinte par le froid et la disette en gagnant le sud par Kalouga. Cette opinion paraît spécieuse, car si la Grande Armée naturellement aurait bien tout autant souffert du froid, elle se serait, du moins, convenablement ravitaillée et aurait ainsi échappé à la famine, cause essentielle de sa ruine, comme on le verra. Sans compter que Koutousov, hors de cause, n’aurait pu la harceler comme il le fit…



Le 25, les deux armées sont restées en présence :

« Le 25, l’Empereur se trouva à Malojaroslavets avec toute l’armée, rangée en bataille sur le même terrain d’où le vice-roi avait, la veille, si glorieusement repoussé les russes. Quel tableau déchirant y frappait nos yeux ! Les coteaux et les ravins du champ de bataille étaient jonchés de cadavres et de mourants ; la ville entièrement dévorée par le feu ; le passage des rues obstrué de morts et de moribonds ; au milieu des ruines on voyait errer une foule de blessés couverts de sang, cherchant en vain du secours, on en voyait d’autres couchés ou se traînant ensanglantés dans la boue et poussant d’effroyables gémissements ; il y avait partout, sous les décombres des maisons réduites ne cendres, des cadavres torréfiés, tristes restes des blessés qui n’avaient pu fuir les flammes. »

(Joseph de KERCKHOVE, « Mémoires sur les campagnes de Russie et d’Allemagne (1812-1813) » .

C'est le 26 octobre que commence réellement la trop fameuse et malheureuse retraite de Russie.

LETTRE du MARECHAL BERTHIER au MARECHAL NEY [sur la BATAILLE de MALOJAROSLAVETS et l'ordre de l'Empereur]

Au bivouac près Malojaroslavets, 26 octobre 1812, 10 h. 1/2 du matin.

Monsieur le maréchal, l'ennemi a évacué son camp retranché. Il a détaché un corps de deux divisions pour occuper Borovsk. Mais ce corps a été prévenu par le vice-roi. L'ennemi, alors, s'est porté sur Malojaroslavets. Le vice-roi est arrivé le 24 au soir aux maisons de ce côté-ci de la rivière, tandis que l’ennemi arrivait et s'emparait des couvents et des hauteurs de l'autre côté. Ce qui a donné lieu à un combat très vif pendant la journée du 25. L'armée ennemie est arrivée et a engagé plusieurs divisions. Le vice-roi seul s'est engagé, soutenu du prince d'Eckmühl. L'ennemi a perdu 7 à 8.000 hommes dans la journée du 25. Le prince d'Eckmühl a débouché et les armées se sont tenues en présence. Ce matin, on s'attendait à une affaire; mais l'ennemi s'est mis en retraite et déjà il est à quelques lieues de la ville. L'intention de l’Empereur est de regagner Viazma par Vereia et Mojaïsk, afin de profiter de ce qui reste de beaux jours, de gagner deux ou trois marches sur la cavalerie légère de l'ennemi qui est très nombreuse, et de prendre enfin des quartiers d'hiver après une campagne si active. Sa Majesté ordonne en conséquence, monsieur le duc, que vous dirigiez sans délai sur Vereia, et de là sur Mojaïsk, sous l'escorte d'une de vos divisions, tous les bagages qui sont à Borovsk, le trésor, le quartier- général de l'intendance, les équipages militaires, les parcs de l'artillerie de l'armée. Vous ferez l'arrière-garde de ce convoi avec vos autres divisions et vous laisserez des troupes à Borovsk jusqu'à ce qu'elles soient relevées par la division Morand. De Vereia vous vous dirigerez sur Mojaïsk de manière à arriver avec le convoi demain. Vous trouverez à Vereia le prince Poniatowski et le duc de Trévise. Le prince Poniatowski recevra des ordres pour son mouvement; mais il aura déjà fait filer ses bagages sur Mojaïsk. L'Empereur sera ce soir entre Vereia et Borovsk. Le vice-roi sera vraisemblablement à Borovsk. Le prince d'Eckmühl marchera en retraite cette nuit pour être dans la journée de demain à Borovsk.

Arthur Chuquet, « 1812. La Guerre de Russie. Notes et Documents. Troisième série », Fontemoing et Cie, Éditeurs, 1912, pp.38-39).

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Message Publié : 27 Oct 2012 11:25 
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Ordre au maréchal Berthier, Prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Borovsk:

■ Faire connaître au maréchal Davout que le prince Poniatowski est à Egorevskoïé; il était nécessaire là, pour garder le débouché qui vient de Medyne à Vereya; il doit en partir au même moment que le maréchal Davout partira de Vereya ; il se rentra sur Mojaïsk en droite ligne; il faut que sa marche soit calculée de manière à arriver à Mojaïsk avant le maréchal Davout.
■ Le prince Poniatowski enverra un officier au maréchal Davout et recevra ses ordres pour son mouvement.
■ Faire connaître au prince Poniatowski qu’il sera convenable qu’il disparaisse de nuit de devant les Cosaques et règle sa marche de manière à arriver à Mojaïsk avant le maréchal Davout.
■ Instruire également le Vice-Roi Eugène de la position du prince Ponia­towski et de tous les mouvements.
■ Expédier sur-le-champ un officier au prince Ponia­towski avec ordre de faire filer promptement ses bagages sur Mojaïsk et de là, sur Viazma, et d’aller prendre avec son corps une bonne position à trois ou quatre lieues de Vereya, sur la route de Vereya à Egorevskoïé, en tenant son avant-garde à ce dernier endroit, qui est à l’embranchement de la route de Medyne à Mojaïsk. Quand il sera temps de partir de ce point pour se rendre à Mojaïsk, il effectuera ce mouvement en un jour. Il comprendra que la position qu’il va prendre a pour objet de couvrir la marche de l’armée. Il laissera sous les ordres du maréchal Mortier tous les régiments de marche français qu’il aurait.
■ Faire connaître au général Junot que l’armée russe s’était portée sur Malo-Yaroslavetz; son avant-garde y arrivait sur une rive en même temps que notre avant-garde arrivait sur l’autre; la ville est située sur la rive de l’ennemi et dans une posi­tion très-élevée, ce qui a donné lieu à un combat qui a duré toute la journée du 24; pendant que notre avant-garde soutenait ce combat, toute l’armée russe est arrivée; de notre côté, des troupes du maréchal Davout sont arrivées au secours du Vice-Roi Eugène; nous sommes restés maîtres du champ de bataille; l’ennemi a perdu 7 à 8000 hommes; notre perte est de 2000 tués et blessés; le général Delzons a été tué; nous avons trouvé les cadavres de deux généraux russes; 250 à 300 prisonniers sont restés entre nos mains.
■ Écrire aussi que le 25, l’armée a pris position; l’armée russe était vis-à-vis, à une lieue en arrière de Malo-Yaroslavetz; nous mar­chions, le 26, pour l’attaquer, mais elle était en retraite; le maréchal Davout s’est porté à sa suite; mais le froid et la nécessité de se débarrasser des blessés qui sont avec l’armée ont décidé l’Empereur à se porter sur Mojaïsk et de là, sur Viazma; il est donc nécessaire qu’il écrive sur-le-champ au commandant de Viazma pour que le détachement qu’on aurait envoyé sur Youkhnov soit rap­pelé; l’infanterie ennemie, depuis la bataille de la Moskova, est extrêmement diminuée; elle ne se compose pas de 15000 vieux soldats; mais ils ont recruté leurs Cosaques, et que cette cava­lerie, peu dangereuse en réalité, fatigue beaucoup.
■ Recommander au général Junot d’avoir soin qu’il ne parte pas de voitures sans prendre des blessés ou des malades; de se préparer à un mouvement qui, aussitôt qu’il sera remplacé, le portera sur Viazma. Le-prévenir que le maréchal Ney a pris une route de tra­verse pour se porter d’ici également sur Viazma; enfin, il fera tout ce qui lui sera possible, et écrira au commandant de Viazma pour que la route soit bien gardée et qu’on puisse facilement communiquer.
■ Écrire, au maréchal Victor, à peu près la même chose sur le combat, et, en chiffre, que l’intention de l’Empereur est de se porter sur Viazma; le mouvement sur Yelnia, s’il a été fait, aura été utile, et il faut envoyer à notre rencontre sur Viazma le plus de vivres qu’on pourra et faire venir, d’Yelnia sur Dorogobouje, ce qui aurait été réuni et dirigé sur Yelnia.

Napoléon 1er, Empereur des Français, à Borovsk, le 26 octobre 1812.

http://www.carreimperial.fr/26-octobre-1812-a-borovsk/

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Message Publié : 16 Déc 2012 22:48 
Nous avons remarqué qu'à plusieurs reprises vous citez Ségur. Devons-nous rappeler que ce général ne fut point un combattant et qu'il ne fut qu'un romancier à l'imagination fertile. Il servit la cause royaliste et des absolutistes après Napoléon ? Vous n'avez pas été dupe de certaines choses exposées... ne soyez pas dupe de ce général de salon parisien.


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Message Publié : 10 Jan 2013 16:14 
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