C'est un rendez-vous bien charmant que celui qui invite à évoquer
La mémoire du Grand Capitaine, toujous entouré de ses "compagnons"...
Dans ces lieux impériaux où se profile majestueusement l'Ombre Sacrée
Un parfum de roses a remplacé l'odeur âcre de la poudre du canon ...
En cette mi-mars 1815, pas plus de canons que de roses, mais un retour impérial et majestueux, comme nous prendrons plaisir à l'évoquer un peu plus tard.
Pour l'heure, et après que le pays tout entier eût été enfin informé du débarquement de l'Empereur, on en était venu à la dissimulation, voire au mensonge, quand ce n'était pas la presse elle-même qui, prétextant des interruptions télégraphiques, faisait silence sur l'évolution de la situation, ou n'hésitait pas à donner de fausses nouvelles ...
Ainsi, l'entrée de Napoléon à Grenoble ne fut pas évoqué, et l'on présenta l'abandon de Lyon par le Comte d'Artois comme une manoeuvre stratégique !!
Toutefois, le peuple n'était pas dupe, et se trouvait renseigné par les courriers qui circulaient dans les villes et les villages, annonçant la marche rapide de Napoléon ; par ailleurs, et malgré la vigilance de la police, des lettres particulières arrivaient du Lyonnais et de la Bourgogne ...
Dans la capitale, les déclarations officielles étaient démenties par le retour du Comte d'Artois, du duc d'Orléans, de Macdonald, ainsi que par le départ furtif de nombreuses dames du Faubourg Saint Germain.
On savait également que, sur le conseil de Vitrolles, les diamants de la Couronne étaient passés à Londres, accompagnés de plusieurs millions de traites ...
Maintenant, la foule mécontente s'exprimait haut et fort, ne craignant plus la prison puisqu'il n'y en aurait jamais assez pour l'y enfermer !
Cette foule anonyme criait son enthousiasme, parlant ouvertement des nombreux succès inouïs de l'Empereur, tout en évoquant sa rentrée prochaine à Paris ...
Que ne donnerais-je pour (re)

vivre ce moment-là !!
Mais je pense vous l'avoir déjà dit ...
La bourgeoisie, quant à elle, était atterrée : à la Bourse, c'était la panique totale , et la rente avait fortement chuté à la nouvelle du débarquement de Napoléon ...
Bref, la confiance avait disparu, comme cela s''est toujours observé dans le milieu de la Finance, dès qu'une rupture dans la structure politique provoque une perte des repères.
Même les Officiers généraux, qui au départ avaient montré tant de résolution, commençaient à s'inquiéter ...
Ainsi, le 13 Mars, Oudinot écrivit à Clarke :
"-Je ne sais que penser de l'esprit des troupes ... Demain, les Grenadiers se mettront en marche. J'espère qu'ils seront sages." ...
Le lendemain, il ne doutait plus du tout, et s'exprima en ces termes :
-"Non seulement les troupes ne se battront pas, mais elles renforceront le corps de l'ennemi aussitôt qu'elles le pourront."
Le 15, c'est le général Ornanot qui dit à la Comtesse Dupont :
"- Moi, je tiendrai mon serment au roi, mais il n'y aura pas un soldat qui ne jette son fusil devant Napoléon" ...
Comme on peut le constater, le ton était donné, et de tous côtés, l'harmonie des intentions éclatait tel un Soleil après une nuit d'orage ...
Les mêmes rapports arrivaient au Minitère de la Guerre, parce que l'armée pensait et parlait de même.
En entrant au Mans, l'émouvante image des Soldats et Officiers de la 61è, y compris leur Colonel, tenaient en leurs mains des bouquets de violettes ...
Dans le 11ème, on riait en s'exclamant :
"- On nous appelle à Paris pour le roi, mais nous y allons pour l'Empereur !"
Et ce Colonel du 41è qui tenait dans son portemanteau l'Aigle de son Régiment, sans en cacher le fait au Préfet de Limoges !....
Du côté de Villejuif, le même état d'esprit régnait dans les cantonnements, quand on pouvait entendre, ici et là, les Soldats se faisant la promesse "de ne pas faire de mal au roi, mais de ne jamais tirer sur le Petit Caporal" ...
Dans toutes les casernes de Paris, on entendait : "Vive le Père la Violette " !
A l'entrée de La Flèche, cette bribe de conversation entre le Comte de Lucé et un fantassin, fut rapportée :
"- Vous allez à Paris ?"
"- Oui, mais le petit Général y sera avant nous" !
"- On vous a trompés. Il est peut-être mort en ce moment".
"- Vous n'en savez pas plus long que notre Colonel. Il nous l'a dit ...Est-ce que vous croyez que jamais un Soldat français se battra contre l'Empereur pour votre Louis XVIII ?" ...
Le lendemain, en se levant, le roi donna des ordres à Marmont qui était, pour la circonstance, chargé du commandement supérieur des Gardes du Corps et des Compagnies rouges.
Mais il n'était plus question d'une défense des Tuileries ; Marmont proposa au gros louis de se diriger vers le Havre ou encore Dunkerque pour pouvoir compter sur d'éventuelles aides de la mer.
Le roi qui poursuivait son unique idée de s'enfuir sans résistance aucune, écouta distraitement Marmont, sans lui répondre, et réitéra ses ordres ...
Quant à Vitrolles, dont l'animosité contrastait avec la passivité du souverain, suppliait le roi de se retirer à La Rochelle

où, selon lui, la moitié de la France serait à ses genoux ...
Ses propos, tout comme ceux de Marmont, restèrent vains ...
Tout ce qu'il obtint fut un départ retardé pour Lille , car, disait-il en aparté, "il n'y a pas besoin de soleil pour éclairer la honte de cette fuite" ...
C'est juste un peu avant minuit qu'une douzaine de voitures entrèrent dans la cour des Tuileries ...
Celle destinée au roi s'arrêta sous la marquise du pavillon de Flore.
Aussitôt les Gardes nationaux de service accoururent pour un dernier salut. Dans cette foule, régnait un silence religieux ...
Soudain la porte des appartements du roi s'ouvrit, et un huissier portant un flambeau en sortit ...immédiatement suivi du roi que soutenaient le comte de Blacas ainsi que le Duc de Duras ...
Le spectacle que donnait la vue de ce vieux roi infirme, ainsi chassé de la demeure de ses ancêtres, et contraint à s'expatrier à nouveau, après déjà vingt trois ans d'exil, impressionna beaucoup.
A cette heure , jugée pathétique, on ne voyait plus qu'un roi malheureux et menacé, portant sur ses épaules tous les malheurs de sa race.
Ici et là, on entendit de faibles "
Vive le roi", et quelques sanglots ...
Faut-il être atteint de sensiblerie mal placée pour pleureur un tel roi incapable !!
Un vieux serviteur (ayant sûrement perdu la raison), alla même jusqu'à crier : "Il porte une couronne d'épines" !
Savait-il seulement qu'il fallait avant tout être un "Grand Homme" pour supporter les plus grandes souffrances ??
Au milieu de cette foule prosternée, le vieux louis eût beaucoup de peine à avancer : on lui baisait les mains et lui touchait ses vêtements comme on l'eut fait vis-à-vis d'un Grand Homme ... !
Le gros louis n'avait que très peu de sensibilité ; mais cette nuit-là, paraît-il, il se montra quelque peu "troublé" ...
En aparté à Blacas, il dit :
"- Je l'avais prévu ; je ne voulais pas les voir ; on aurait dû m'épargner cette émotion (Que d'égoïsme et de petitesse !)
Puis élevant la voix, il dit à la foule présente :
"- Mes enfants, votre attachement me touche. Mais j'ai besoin de forces. De grâce, épargnez-moi ...Retournez dans vos familles ... Je vous reverrai bientôt".
Arrivant enfin à sa berline, il s'éloigna, entouré d'une escorte de Gardes du Corps.
Le Comte d'Artois se mit en route, dans sa chaise de poste ; le duc de Berry et Marmont se rendirent au Champ de Mars, où s'étaient trouvés réunis précipitamment les différents Corps de la Maison du roi, pour se diriger ensuite sur la route de Beauvais.
Tous les ministres partirent dans la nuit ...
Je vous la souhaite, quant à moi, excellente, et .. prenez garde de ne pas rêver du gros louis !
