Nous retrouvons donc notre Maréchal, l'esprit quelque peu "tourmenté" ...
S'adrssant à Capelle, arrivé la veille au soir, il dit qu'il ne reste plus au roi qu'à se faire porter sur un brancard à la tête des troupes, pour ranimer les courages !
Quelques temps plus tard, les émissaires arrivés de Lyon, entrèrent à "l'Hôtel de la Pomme d'Or", où logeait Ney, et remirent à ce dernier un courrier de Bertrand, et qui disait que l'Empereur ne pouvait que réussir dans son entreprise, que tout était arrangé pour Lui, que peuple et Armée s'étaient exprimés contre les Bourbons, et que lui, Maréchal de France, serait tenu responsable devant le Pays, de la guerre civile et du sang inutilement répandu ...
A cette lettre, se trouvaient joints un ordre de marche et un billet signé de l'Empereur en personne :
-"Mon cousin, mon major-général vous expédie l'ordre de marche. Je ne doute pas qu'au moment où vous aurez appris mon arrivée à Lyon, vous n'ayez fait reprendre à vos troupes le drapeau tricolore. Exécutez les ordres de Bertrand, et venez me rejoindre à Chalon. Je vous recevrai comme le lendemain de la bataille de la Moskowa" ...
Ney se renseigna sur l'atmosphère générale en questionnant les émissaires ; ceux-ci lui répondirent, avec force détails, que la France manifestait un grand enthousiasme, que l'on voyait le drapeau tricolore flotter sur toutes les villes, qu'il n'y aurait aucune résistance, que le roi était déjà loin de Paris, que l'Europe même favoriserait le rétablissement de l'Empire, que l'Autrichienne allait revenir de Vienne avec le prince impérial, et qu'enfin, l'escadre anglaise avait reçu ordre de laisser passer Napoléon ...
Tous ces propos, exprimés dans un enthousiasme non retenu, associé aux rapports faits au Maréchal aux plus fervents royalistes, commencèrent à perturber sérieusement son esprit, et cette nuit-là fut certainement pour lui une nuit fortement tourmentée ...
Angoissé, instable et fougueux, quekl combat put-il livrer au fin fond de sa conscience ?
réalisant finalement que la situation était plus de nature à le dominer que l'inverse, il sembla la subir sans plus de résistance ...
Imaginant la France ensanglantée dans une guerre civile, dont il aurait été le seul à donner l'impulsion (mais encore, était-ce possible qu'une si faible minorité ait pu agir contre un tel déploiement de forces déterminées à accueillir l'Empereur ??), il se ravisa, très certainement rassuré par les mots de Napoléon, lui confirmant qu'il serait accueilli comme le lendemain de la Moskowa ...
Mais la véritable raison, je viens de l'exprimer, et le Maréchal lui-même l'a dévoilée, lorsqu'il a dit :
-"Je ne puis pourtant pas arrêter l'eau de la mer avec les mains !" ...
Qu'en serait-il alors advenu si Ney avait trouvé du soutien dans sa première impulsion ?
Personnellement, je ne parviens pas à croire à la sincérité du Maréchal, sincérité qui l'aurait alors amené à une démarche "personnelle" vers son Empereur, et non une démarche guidée, voire imposée par les évènements...
Toujours est-il que le 14 Mars dans la matinée, notre Maréchal fit appeler chez lui Lecourbe et Bourmont pour leur faire part du parti qu'il venait de prendre tout récemment, et, surtout, pour tenter de les convaincre du bien fondé de sa décision, comme pour se rassurer, auprès de ses lieutenants d'avoir choisi ce qu'il contestait encore hier ...
Comme vous le savez, Bourmont et Lecourbe ne faisaient pas parti de ceux qui admiraient l'Empereur.
Aux propos de Ney, tous deux se récrièrent, Bourmont rappelant les serments du Maréchal vis-à-vis du roi, et Lecourbe, plus violent, eût ces mots :
-" Comment voulez-vous que je serve ce b....-là ?? Il ne m'a fait que du mal, et le roi ne m'a fait que du bien. Puis, je suis au service du roi, et, voyez-vous, Monsieur le Maréchal, moi, j'ai de l'honneur !" ...
Recevant ces propos cinglants au visage, le Maréchal, plutôt que de laisser s'exprimer les véritables raisons de son soudain revirement,(c'est-à-dire l'impossibilité de faire marcher ses troupes, et son appréhension de déclarer une guerre civile), emporté par la rage de son tempérament (cela n'est donc pas toujours négatif !

), il rétorqua en s'en prenant aux Bourbons :
"- Et moi aussi j'ai de l'honneur ! C'est pourquoi je ne veux plus être humilié. Je ne veux plus que ma femme rentre chez moi, les larmes aux yeux des humiliations qu'elle a reçues. Le roi ne veut pas de nous, c'est évident. Ce n'est qu'avec un homme de l'Armée comme Bonaparte que l'Armée pourra avoir de la considération."...
Tout en parlant, il saisit sur la table l'ordre du jour, rédigé par l'Empereur sous son nom, et le tendit aux généraux en disant :
"-Tenez, voici ce que je veux lire aux troupes"...
Au bout d'une longue discussion, les deux hommes finirent par se ranger à l'avis du Maréchal; concevant comme lui la difficulté à fiare obéir les Soldats.
A une heure, nos hommes se réunissaient sur la place d'Armes ...
Se plaçant au centre du carré formé par les troupes, et entourés de leurs états-majors, le Maréchal et les généraux Bourmont et Lecourbe écoutèrent les tambours ouvrirent un ban ...
Puis, Ney tira son épée, et s'écria de sa forte forte et claire :
"- Officiers, sous-officiers et soldats, la cause des Bourbons est à jamais perdue ..." Il fut de suite interrompu ...
... Déjà un immense cri de "
VIVE L'EMPEREUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUR !" retentit, cri dans lequel se mêlaient indistinctement joie et délivrance... soulagement !
Le Maréchal reprit :
"- La dynastie légitime que la Nation française a adoptée, va remonter sur le trône : c'est à l'Empereur Napoléon qu'il appartient, seul, de régner sur notre beau pays ... Soldats, je vous ai souvent menés à la victoire ; maintenant je vais vous mener à la phalange immortelle que l'Empereur conduit à Paris ..."
La fin de la lecture fut accueillie par un torrent d'acclamations, dans lequel tous les soldats s'embrassaient !
Ney, lui-même, exalté par tant d'enthousiasme général, alla se jeter dans les bras des Officiers qui l'entouraient, puis, se mêlant à la troupe, embrassait aussi les Soldats ...
Il parcourut ainsi tous les rangs, tel un homme pris d'un foudroyant délire, allant jusqu'à embrasser les fifres et les tambours ! ...
Impossible, dans cet instant, de ne pas reconnaître le cavalier, non moins fougueux, non moins enragé, qui chargera dans de délirantes actions, au cours de la bataille finale ...
Le soir même, l'euphorie ayant atteint son paroxysme , (Dieu que c'est beau de voir ainsi s'exercer à distance, le magnétisme du Grand Capitaine !

Et comme je regrette de n'avoir pas vécu ces moments intenses et si forts en émotions !), donc ce soir là, les soldats s'étaient regroupés avec le peuple pour partager une indicible joie !...
Tous chantaient et buvaient, brisaient les enseignes qui osaient encore afficher la fleur de lys, et s'étaient mis à saccager un café à l'enseigne insupportable désormais "Café Bourbon" ...
De son côté, le prince de la Moskowa invita à dîner son état-major, ainsi que les généraux et Officiers supérieurs ...
Le repas se déroula dans une immense gaité, et une animation extraordinaire ...
... Un seul homme, visiblement, ne prenait pas part à ce bruyant enthousiasme .. Vous l'avez deviné : c'était le Maréchal Ney ...
La voix de sa conscience faisait en lui plus de bruit que la joie débordante de son environnement, et son visage sombre révélait un grand malaise, après une exlatation sans bornes ...
Plus tard d'ailleurs, il avouera que depuis cette "malheureuse proclamation", il ne désirait plus qu'une seule chose : la mort ...
Dans l' esprit troublé de cet homme, qui ne devait retrouver de sérénité que devant le peloton d'exécution, et que l'on peut louer d'avoir, pendant un temps, fidèlement servi l'Empereur, je ne parviens toujours pas à discerner, dans cet épisode, certainement tragique pour lui, les manifestations d'un coeur magnanime, ni l'éclat d'une âme fidèle quoiqu'il arrive, à Celui qui avait su l'élever si haut, Celui qui lui avait tant donné, et, nous le verrons un peu plus loin, Celui qui avait tant de coeur pour être ainsi disposé à pardonner ... si souvent !
