La nouvelle du retour de Napoléon commençait à agiter tout le pays ...
Si le secret avait été bien gardé durant deux jours, le 7 Mars, une publication officielle du
Moniteur révélait les évènements ; quant aux milieux politiques et au monde des Affaires, c'est le 6 Mars qu'ils avaient été informés ...
Monsieur de Blacas écrivit toutefois au Comte d'Artois, dans cette tournure d'expression quelque peu paradoxale :
-" Je me félicite d'avoir à vous instuire des excellentes dispositions de Paris et de la sensation favorable qu'y a produite la nouvelle du débarquement de Buonaparte. Tous les coeurs sont au roi et tous les bras se lèveront pour le défendre".
Cette lettre comportait cependant une part de vérité ; car, si le débarquement n'étonna pas plus que cela, puisque chacun savait bien que Napoléon ne passerait pas le restant de sa vie sur cette petite île d'Elbe, il n'en provoqua pas moins la stupeur, voire la colère , surtout dans les classes moyennes ; la conséquence étant une réaction favorable au roi.
Associé au retour de Napoléon, la bourgeoisie imaginait le spectre de la guerre, et cela les rapprocha soudainement des Bourbons ...
Tout comme la bourgeoisie, les députés épousèrent la cause des Bourbons à la nouvelle du débarquement de Napoléon...
Les patriotes, qui n'était que le parti des anciens terroristes n'allèrent pas vers les Bourbons comme les constitutionnels, mais leur dépit était immense...
Il en allait de même pour les Bonapartistes, les familiers de la Cour Impériale, les anciens ministres, les ex-fonctionnaires, et les confidents de l'Empereur qui n'affichaient guère de satisfaction. Mais eux, pour une toute autre raison ...
Ils considéraient cet évènement comme un coup de tête, et redoutait plus que tout l'avortement d'une telle entreprise, ce qui aurait eu pour effet de les compromettre , en leur faisant perdre leur cause...
D'ailleurs, les journaux les dénonçaient déjà comme étant les complices de cette tentative qu'ils qualifiaient de "criminelle", et le public réclamait leur arrestation ...
Au fond, ils tremblaient pour l'Empereur, mais aussi pour eux-mêmes ...
-"Quelle extravagance ! s'écria Caulaincourt à Lavalette. Quoi ! Débarquer sans troupes !.... Il sera pris. Il ne fera pas deux lieues en France. Il est perdu !" ...
Quant aux Maréchaux de France, avides d'un repos glorieusement gagné, ainsi que tous les officiers pourvus de commandement, ils se montraient exaspérés ...
Car ce qu'il reprochait à leur Empereur, c'était de les mettre dans une fâcheuse alternative, de leur faire tirer des coups de fusil ou de trahir leurs nouveaux serments ...
Mais comment peut-on nourrir de tels scrupules quand un aussi Grand Homme revient vers ses Soldats pour le bonheur de son Pays ?
L'exemple du Maréchal Ney semble assez significatif, lorsqu'ayant quasiment "boudé" depuis les cinq derniers mois, le voilà qui se met à charmer les royalistes par ses propos véhéments à l'encontre de l'Empereur !...
Il se trouvait alors sur sa terre des Coudreaux, lorsqu'un ordre de Soult le fit venir à Besançon ...
Apprenant la nouvelle en passant par Paris, il s'exclame :
"- Quel malheur ! Quelle chose affreuse ! Que va-t-on faire ? Qui opposer à cet homme-là ?" ...
C'est alors que le 7 Mars, il se présenta aux Tuileries, et séduit par l'accueil que lui réserva le gros Louis, et emporté par son tempérament fougueux, le Maréchal, baisant la main du roi (

), lui dit :
"- Sire, j'espère bien venir à bout de le ramener dans une cage de fer."
Du côté de la garnison de Paris, la tendance était encore incertaine.
La plupart des soldats gardaient le silence, et restaient sourds aux vivats des royalistes comme aux insinuations des partisans de Napoléon ... Sauf le 1er de Ligne, en caserne à l'Ecole militaire, et qui avait crié dans la nuit du 8 au 9 Mars :
"VIVE L'EMPEREUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUR !"... tout en faisant voler ses paillasses jusqu'au plafond !...
A la revue du 9 Mars, quelques "vive le roi" se firent entendre, mais tous les Officiers à la demi-solde ne se cachaient guère pour manifester leur joie, s'embrassant, se serrant la main, haraguant les soldats, et parcourant la ville, le triomphe baignant leurs regards et illuminant leurs sourires ...
La majorité de la population ouvrière se trouvait dans le même état d'esprit que ces Officiers.
-"Ce qu'il y a d'incroyable, écrivait le chargé d'affaires de Russie, c'est que le peuple désire revoir Bonaparte" ...
Dans tous les faubourgs, l'attitude de ce peuple donnait le ton ...
Dans toutes les vitrines, se trouvaient en bonne place le portrait de l'Empereur et de son fils ...
Peu à peu, les rubans de lys disparaissaient des habits, et les croix de St Louis des uniformes, pour ne plus laisser paraître que la fabuleuse Légion d'Honneur ...
Enfin, le Colonel du 4è Léger déclara que, malgré ses serments, il ferai présenter les armes dès qu'il apercevrait la redingote grise ...
Avant même d'avoir eu connaissance de la présence de Napoléon à Grenoble, sept Généraux quittèrent Paris pour aller à sa rencontre ...
Tous les hommes politiques n'étaient pas enclins à condamner l'entreprise de Napoléon, et si le duc de Vicence tremblait, il n'en était pas de même pour Lavalette et Rovigo qui, tous deux se réjouissaient , pendant que la Reine Hortense, elle, pleurait de joie ...
L'on trouvait un Fouché, évidemment dépité, et un Merlin qui faisait des voeux pour le triomphe de l'Empereur.
Carnot, quant à lui, sentait palpiter son coeur de Soldat patriote à la nouvelle que les trois couleurs brillaient à Lyon.
Barras qui haïssait "l'Empereur corse" avoua son émotion en voyant s'avancer sans obstacle, devant une France stupéfaite d'admiration, le "Soldat de Toulon et de Vendémiaire", le "Général en chef des armées de la République" ...
Ainsi la Province s'était bien plus émue que Paris des prétendus projets de restitution des biens nationaux, et, depuis dix mois, elle subissait la morgue des royalistes ...
C'est très certainement la raison pour laquelle, dans les départements ne s'exprima pas ce revirement d'opinion pour la royauté, ainsi qu'elle se manifesta avec force dans la majorité de la population parisienne.
Une grande majorité du Pays était pour l'Empereur ...
