Joker a écrit :
Excessive prudence et fatalités de la campagne de 1815
S'il faut en croire le capitaine Hippolyte de Mauduit, une excessive prudence dans le chef de certains décideurs de l'armée fut particulièrement funeste lors de la campagne de Belgique et l'épisode qu'il relate ci-après aurait peut-être rendu impossible la bataille de Waterloo.
"Appelé au commandement du 4ème régiment de lanciers, le colonel Bro, appréciant toute la gravité de la prochaine campagne, n'avait voulu composer ses escadrons de guerre que d'hommes solides et vigoureux, sous tous les rapports, et montés sur ses meilleurs chevaux. Il préféra la qualité au nombre, et avait parfaitement raison. Il laissa le reste au dépôt.
Il savait donc ce qu'il pouvait entreprendre avec ses trois cent soixante-dix lanciers.
Dans la nuit du 17 au 18 juin, le colonel Bro fut détaché sur la route de Nivelles à Waterloo, à sa sortie du défilé de Genappe.
Son général de brigade l'autorisa à se loger comme il le pourrait pourvu qu'il ne s'écartât pas de la route de Nivelles.
Il arriva fort tard, et par un temps affreux, à une ferme qu'il trouva déjà occupée par le 1er régiment de chasseurs à cheval, commandé par le colonel Simonneau.
En bons camarades, le 1er de chasseurs partagea son cantonnement avec le 4e de lanciers. Mais le colonel Bro, qui se trouvait séparé de sa division, et ne sachant pas trop quelle direction elle pouvait avoir prise, avait donné des ordres pour qu'avant la pointe du jour son régiment fût à cheval, et sans sonnerie aucune, afin de ne changer en rien les ordres donnés au 1er de chasseurs.
Etant très rapproché de l'ennemi, le colonel Bro dut marcher avec une extrême circonspection. Il envoya d'abord en reconnaissance un de ses adjudants-sous-officiers. Il faisait nuit close. L'adjudant en profita pour avancer à pas de loup, et bientôt il perçut quelques feux de bivouacs qui s'éteignaient, et ne tarda pas à entendre des hennissements, quelques bruits d'attirails et même des voix d'hommes. Il vint aussitôt en informer son colonel. Celui-ci accourut et reconnut un parc d'artillerie qui ne paraissait protégé que par une grand'garde.
Revenant à son régiment avec l'intention de charger et d'enlever ou de détruire, au moins, ce parc ennemi avant l'arrivée de forces supérieures, il ordonna immédiatement ses dispositions pour cette attaque de nuit.
Non loin de là, se touvait un escadron du 1er de lanciers, commandé par le chef d'escadron Hulot. Le colonel Bro lui fit part de son projet hardi et lui proposa de lui servir de réserve avec son escadron, et, au besoin, de point de ralliement. Brave et entreprenant lui aussi, le commandant Hulot accepta et fit à l'instant rouler les manteaux en sautoir pour être prêt à la charge.
C'est alors que par une VERITABLE FATALITE, arriva le général ***(1) qui ne crut pas devoir assumer la responsabilité d'un pareil coup de main et s'opposa à son exécution...
Ce parc était le GRAND PARC DE RESERVE de l'armée anglaise, et n'avait pour garde qu'un simple bataillon d'infanterie dans lequel cette charge nocturne et inopinée eût certainement jeté la plus affreuse confusion.
N'était-il pas écrit que nous n'aurions aucun incident favorable, tandis que tout tournerait contre nous pendant cette malheureuse campagne ?
Si la fatalité qui nous poursuivait n'eût pas amené là ce trop prudent général, le 4e de lanciers gagnait peut-être, par son patriotisme et son courage, la bataille de Waterloo en la rendant impossible sur le point arrêté par Wellington !..."
(1) Mauduit ayant rédigé son ouvrage en 1847, de nombreux acteurs de la bataille étaient alors encore vivants et il évite donc de citer nommément le général incriminé.