L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 28 Déc 2006 17:36 
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Joker a écrit :
Excessive prudence et fatalités de la campagne de 1815

S'il faut en croire le capitaine Hippolyte de Mauduit, une excessive prudence dans le chef de certains décideurs de l'armée fut particulièrement funeste lors de la campagne de Belgique et l'épisode qu'il relate ci-après aurait peut-être rendu impossible la bataille de Waterloo.

"Appelé au commandement du 4ème régiment de lanciers, le colonel Bro, appréciant toute la gravité de la prochaine campagne, n'avait voulu composer ses escadrons de guerre que d'hommes solides et vigoureux, sous tous les rapports, et montés sur ses meilleurs chevaux. Il préféra la qualité au nombre, et avait parfaitement raison. Il laissa le reste au dépôt.
Il savait donc ce qu'il pouvait entreprendre avec ses trois cent soixante-dix lanciers.
Dans la nuit du 17 au 18 juin, le colonel Bro fut détaché sur la route de Nivelles à Waterloo, à sa sortie du défilé de Genappe.
Son général de brigade l'autorisa à se loger comme il le pourrait pourvu qu'il ne s'écartât pas de la route de Nivelles.
Il arriva fort tard, et par un temps affreux, à une ferme qu'il trouva déjà occupée par le 1er régiment de chasseurs à cheval, commandé par le colonel Simonneau.
En bons camarades, le 1er de chasseurs partagea son cantonnement avec le 4e de lanciers. Mais le colonel Bro, qui se trouvait séparé de sa division, et ne sachant pas trop quelle direction elle pouvait avoir prise, avait donné des ordres pour qu'avant la pointe du jour son régiment fût à cheval, et sans sonnerie aucune, afin de ne changer en rien les ordres donnés au 1er de chasseurs.
Etant très rapproché de l'ennemi, le colonel Bro dut marcher avec une extrême circonspection. Il envoya d'abord en reconnaissance un de ses adjudants-sous-officiers. Il faisait nuit close. L'adjudant en profita pour avancer à pas de loup, et bientôt il perçut quelques feux de bivouacs qui s'éteignaient, et ne tarda pas à entendre des hennissements, quelques bruits d'attirails et même des voix d'hommes. Il vint aussitôt en informer son colonel. Celui-ci accourut et reconnut un parc d'artillerie qui ne paraissait protégé que par une grand'garde.
Revenant à son régiment avec l'intention de charger et d'enlever ou de détruire, au moins, ce parc ennemi avant l'arrivée de forces supérieures, il ordonna immédiatement ses dispositions pour cette attaque de nuit.
Non loin de là, se touvait un escadron du 1er de lanciers, commandé par le chef d'escadron Hulot. Le colonel Bro lui fit part de son projet hardi et lui proposa de lui servir de réserve avec son escadron, et, au besoin, de point de ralliement. Brave et entreprenant lui aussi, le commandant Hulot accepta et fit à l'instant rouler les manteaux en sautoir pour être prêt à la charge.
C'est alors que par une VERITABLE FATALITE, arriva le général ***(1) qui ne crut pas devoir assumer la responsabilité d'un pareil coup de main et s'opposa à son exécution...
Ce parc était le GRAND PARC DE RESERVE de l'armée anglaise, et n'avait pour garde qu'un simple bataillon d'infanterie dans lequel cette charge nocturne et inopinée eût certainement jeté la plus affreuse confusion.
N'était-il pas écrit que nous n'aurions aucun incident favorable, tandis que tout tournerait contre nous pendant cette malheureuse campagne ?
Si la fatalité qui nous poursuivait n'eût pas amené là ce trop prudent général, le 4e de lanciers gagnait peut-être, par son patriotisme et son courage, la bataille de Waterloo en la rendant impossible sur le point arrêté par Wellington !..."

(1) Mauduit ayant rédigé son ouvrage en 1847, de nombreux acteurs de la bataille étaient alors encore vivants et il évite donc de citer nommément le général incriminé.


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Message Publié : 28 Déc 2006 20:29 
On se trouve ici devant l'exemple-type qui tend à démontrer qu'une petite cause peut avoir de graves conséquences.
Dans son livre, Mauduit évoque à plusieurs reprises la fatalité, une incompréhensible circonspection, un attentisme teinté d'irrésolution, une mauvaise transmission des ordres et une application approximative de ceux-ci.
Cependant, entre les lignes, on comprend qu'il fait aussi allusion à la mollesse des officiers supérieurs, à leur manque d'enthousiasme et d'initiative et pour certains à une fidélité plus que chancelante envers l'Empereur. La trahison n'est jamais bien loin...
Napoléon n'est d'ailleurs pas épargné non plus et Mauduit stigmatise plusieurs de ses manquements qui eurent pour effet d'entraîner les désastres que l'on sait.

Il s'agit indubitablement d'un ouvrage majeur truffé de notes historiques et d'anecdotes souvent inédites.
Bien que le style soit parfois emphatique et que le patriotisme de l'auteur soit patent, on se trouve devant une analyse très poussée et particulièrement objective de cette dernière campagne impériale. :aime:


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Message Publié : 28 Déc 2006 21:26 
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Où avez-vous trouvé cet ouvrage, Joker ?

Il y a pourtant un point qui me turlupine: la route de Nivelles est sur la gauche de l'Armée, tandis que Bro de Commères sera engagé à droite et chargera les Ecossais gris de Lord Ponsonby le 18 juin...


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Message Publié : 28 Déc 2006 22:34 
J'ai reçu ce livre via les éditions Le Livre Chez Vous.
Il est paru dans la Collection mémoires d'Empire.
En voici les références complètes : "Waterloo - La fin d'un Empire" par le capitaine de Mauduit (32 euros).

L'épisode auquel j'ai fait mention et qui voit l'intervention du colonel Bro se situe dans la nuit du 17 au 18 juin, soit la veille de la bataille et donc avant que les troupes ne gagnent leurs emplacements de combat.
Voici ce que j'ai retrouvé à propos de la charge de Bro et de ses lanciers contre les dragons écossais.

(...)
"L'Empereur, du point où il était ayant remarqué cet échec, et les désordres qui s'en suivaient, se porta au galop près de la Belle-Alliance, et ordonna au général Milhaud d'arrêter cette charge en lançant immédiatement contre elle une brigade de ses cuirassiers. Cette mission fut confiée aux 7e et 12e régiments, commandés par le général Travers.
Mais déjà, les divisions Subervie et Jacquinot s'étaient, par un mouvement aussi habilement exécuté qu'audacieux, portés sur la ligne de retraite des dragons anglais et les chargèrent avec une telle impétuosité qu'elles mirent le désordre dans leurs escadrons.
Une quarantaine de lanciers du 4e régiment furent tués ou mis hors de combat dans ce choc. Le colonel Bro reçut, pour sa part, un coup de sabre tellement violent sur le bras droit, que peu s'en fallut qu'il ne fût détaché de l'épaule et tombât sur le champ de bataille.
Trois officiers furent également blessés et un quatrième fut pris.
Les autres régiments éprouvèrent aussi des pertes dans ce combat à l'arme blanche."

****************************************************************

A propos de fatalités, Mauduit en recense pas moins de onze qui, selon lui, sont à l'origine de la défaite de Waterloo.
Les voici en vrac :

1. Le jeudi 15 juin, le général Vandamme n'exécute pas à temps son ordre de mouvement et n'arrive qu'à trois heures de l'après-midi à Charleroi, lorsqu'il eût dû y être entré en vainqueur, dès dix heures du matin, si la fatalité n'eût pas voulu que l'officier d'état-major chargé de lui apporter cet ordre se fût cassé la jambe en route.

2. Lors de la bataille de Ligny, l'ordre de l'Empereur à Ney de "manoeuvrer de telle manière à envelopper la droite de l'ennemi et de tomber à bras raccourcis sur ses derrières" transmis à 3 heures un quart ne parvint au maréchal qu'à six heures du soir et ceci lorsque son exécution était devenue impossible ! Et il n'y avait cependant que deux lieues et demie de Ligny aux Quatre-Bras !

3. Un faux avis annonçant l'arrivée d'un corps ennemi de trente mille hommes, infanterie, cavalerie et artillerie sur l'extrême gauche de l'armée contraint la division Girard à abandonner le village de La Haye dont elle s'était emparée au prix de lourdes pertes.
Cette fausse nouvelle retarda l'attaque générale d'une heure et préserva en partie l'armée prussienne d'une destruction complète.

4. Au moment de l'attaque générale, arrivée à portée de canon de l'ennemi, la tête de colonne s'arrêta sans que la cause en fut connue.
Plus tard, on sut que l'Empereur avait suspendu la marche vers la victoire pour attendre le retour de l'officier qu'il avait expédié à toute bride avec mission de reconnaître les troupes que le général Vandamme persistait à croire ennemies. Ce funeste temps d'arrêt fit croire à Blücher que Napoléon renonçait à son attaque générale et fit perdre une heure de plus à l'armée.

5. A dix heures du soir, la cavalerie reçoit l'ordre de cesser la poursuite de l'ennemi en déroute et le combat qui n'avait plus lieu qu'au hasard et dans l'obscurité, ce qui sauve l'armée prussienne de la destruction totale et permet à Blücher d'échapper à la capture alors qu'il avait été renversé sous son cheval. Un pareil trophée tombé entre les mains des Français aurait ranimé les esprits défaillants et rallié autour de Napoléon tous ceux qui avaient déjà commencé à s'en éloigner ou qui en avaient l'intention.

6. Le 17, à neuf heures du matin, un corps prussien est reconnu à Gembloux sans provoquer de réaction de la part de l'Empereur.
Le quatrième corps d'infanterie qui était resté en position à Ligny et qui n'en partit que vers trois heures après-midi n'est pas mis en mouvement pour marcher avec les huit régiments de dragons du général Exelmans afin d'attaquer ce corps prussien. Or, on sait l'importance qu'il y a à poursuivre sans relâche une armée battue, encore épouvantée de sa défaite. Napoléon sacrifia à ces principes de haute stratégie et s'en trouva mal, tandis que Blücher sut en faire l'application aux dépens de l'armée française le lendemain.

7. Dix-huit heures sont laissées à l'armée prussienne pour opérer son ralliement !
De plus, l'incompréhensible circonspection du maréchal Ney aux Quatre-Bras fait perdre un temps précieux à toute l'armée. Alors qu'il avait sous la main au-delà de quarante mille hommes, il reste les bras croisés et laisse le temps à Wellington de renforcer progressivement sa position.

8. L'incurie de l'état-major général est directement pointée du doigt.
Si au lieu de chercher à attaquer la position anglaise par des colonnes successives, manoeuvre dangereuse en raison des difficultés du terrain, le prince de la Moskowa se fût élancé d'abord sur la Haye-Sainte pour s'en faire un point d'appui d'où il serait ensuite monté à l'assaut de la position britannique, le sort de la bataille eût pu être changé.

9. L'incurie qui a présidé à l'attaque du poste avancé de Goumont est une des causes du désastre.
Le comte Reille n'a pas exécuté l'ordre du combat qui lui prescrivait "d'avancer à mesure pour garder la hauteur du comte d'Erlon".
Il fit tout le contraire, subit de lourdes pertes et ne se trouva dès lors plus en mesure d'appuyer la principale attaque sur le centre.

10. Alors qu'il avait ordonné à Milhaud de détacher une brigade de ses cuirassiers pour l'envoyer à Ney, l'Empereur n'arrête pas à temps le mouvement intempestif du comte et laisse ainsi charger le corps tout entier, ainsi que les lanciers et les chasseurs à cheval de la garde qui se trouvaient en ligne derrière lui. Il s'en suit des charges aussi vaines qu'inopportunes dont le résultat est le sacrifice inutile de la cavalerie qui ne put plus s'opposer par après à l'arrivée des Prussiens sur le champ de bataille.

11. Lors de l'attaque de la Garde, la première colonne est forcée de battre en retraite afin d'attendre l'arrivée de la seconde colonne qu'un déplorable incurie avait laissé trop en arrière.
Ce mouvement rétrograde entraîne un mouvement de panique dans l'armée tout entière qui débouche sur une déroute générale.


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