L'Énigme des Invalides

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 Sujet du message : La naissance d'une légende
Message Publié : 02 Sep 2006 16:35 
Le 5 mai 1821, Napoléon expire à Sainte-Hélène, mais la nouvelle ne parvient en Europe qu'au début de juillet. L'émotion est considérable, même en Angleterre où la mort de "Bony", à en croire Pasquier, a été ressentie encore plus profondément à Londres qu'à Paris.
Survenue dans des conditions exceptionnelles, si loin de la patrie, sur ce rocher hostile perdu au milieu de l'océan, cette mort enflamme les imaginations et ravive le bonapartisme. Chateaubriand a cette formule célèbre : "vivant, il a manqué le monde; mort, il le possède !"
En partant pour l'exil, Napoléon laissa derrière lui de tels souvenirs qu'au lieu de les effacer ou de les estomper, le recul du temps accrut leur relief et leur donna des proportions surhumaines. Peu à peu, autour de son nom, se crée et continuera à se créer une légende, un culte, presque une religion.
En vain la Restauration l'ignore-t-elle ou cherche-t-elle à jeter sur lui le voile de l'oubli. Oubliant l'oppression, les guerres et leur cortège de souffrances et de désastres, le peuple, d'un mouvement spontané, s'abandonne à l'envoûtement; Napoléon devient le héros d'une merveilleuse histoire, contée dans chaque chaumière et embellie de veillée en veillée.
En en faisaint un martyr, écrira Chateaubriand, les Anglais "lui rendirent plus brillante pour la postérité la couronne qu'ils croyaient lui avoir ravie".
Si du vivant de Napoléon, alors qu'il régnait, pamphlets et libelles s'étaient accumulés contre lui, à sa mort, c'est une efflorescence de manifestations à sa louange.
L'idole est taillée, tout devient matière à entretenir son culte.
Dans les boutiques, ce ne sont que tabatières, bonbonnières à double fond à son effigie, mouchoirs brodés de violettes, boîtes en forme du célèbre bicorne, manche de canne dessinant le profil impérial, statuettes le représentant avec sa redingote.
L'image joue aussi son rôle et les lithographies de Charlet pénètrent dans les demeures pour voisiner avec celles du Christ ou de la Vierge.
Les humbles en font un dieu, les jeunes éprouvent la nostalgie d'une épopée qui offrait un aliment à leur enthousiasme; Alfred de Musset allait traduire cet état d'âme dans une page célèbre des "Confessions d'un enfant du siècle" : "Ils voyaient se retirer d'eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras."
Et le Lucien Leuwen de Stendhal constatait : "Je respecte Washington, mais il m'ennuie, tandis que le jeune général Bonaparte, vainqueur au pont d'Arcole, me transporte bien autrement que les plus belles pages d'Homère et du Tasse."

(à suivre)


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Message Publié : 02 Sep 2006 18:41 
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Vivement la suite ! :ange:


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Message Publié : 02 Sep 2006 20:09 
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Franchement , moi ça me rase ! :yeuxroulants:

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Message Publié : 03 Sep 2006 1:48 
Dans ce cas, zappez donc François !
Je n'hésite pas à le faire quand certains de vos sujets ont le même effet sur moi. :diablotin:


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Message Publié : 03 Sep 2006 16:50 
Un tel jaillissement d'hommages irrite le Pouvoir contre les faiseurs de légende, "cette histoire insaisissable qui n'est écrite nulle part, qui se renouvelle et se transforme dans la bouche de chaque narrateur" (Edgar Quinet).
Il est difficile de lutter contre une légende ! Et celle-ci, répandue par les soldats de l'Empire et par tous ceux qui sont restés fdèles à la mémoire de leur héros, ainsi que le bonapartisme naissant, issu de la lutte contre la Restauration, doivent un apport décisif à l'Empereur lui-même qui, à Sainte-Hélène, s'adresse à la postérité et grave sur son île un testament pour les Français. Brisée dans l'espace, son ambition prépare sa revanche dans le temps. Le conquérant frappe l'imagination populaire en vue d'ultimes victoires : son apothéose posthume et la revanche de son fils. Il transforme en légende l'épopée du passé et façonne l'avenir en rêves démesurés : "Nouveau Prométhée, je me suis cloué à un roc et un vautour me ronge. Oui, j'avais absorbé le feu du Ciel pour en doter la France; le feu est remonté à sa source et me voilà !"
Sa volonté de puissance survit à sa chute et, désormais impuissant à construire le présent, il prépare l'avenir. Dépouillé du pouvoir et privé de liberté, l'Empereur vaincu se sert des seuls moyens d'action qui lui restent : la parole et la plume. Pour fixer son histoire et celle de son fils, il trace sa propre image posthume et, connaissant les Français de 1815, leur impatience du despotisme, leur dégoût de la guerre, leur désir d'apaisement, il leur offre des récits qui nourriront sa légende et des principes qui créeront la doctrine bonapartiste.
Le Mémorial en sera l'aboutissement, le comte de Las Cases l'instrument et, de ces pages, comme l'écrira Carlo Bronne, "le monde verra se lever un personnage nouveau, le Napoléon de la postérité".

(à suivre)


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Message Publié : 04 Sep 2006 17:42 
Le but de l'Empereur en dictant ses souvenirs à Las Cases est double : d'une part, émouvoir l'opinion par le récit des ses souffrances, des mesquineries, des humiliations dont il est l'objet à Sainte-Hélène; c'est la partie consacrée à "l'Homme souffrant", le dossier de l'accusation.
D'autre part, dresser le bilan de quinze années de règne et dégager les idées-forces pour l'avenir de la France et de son fils.
Le "Héros dans ses chaînes" est une évocation frappante dont se nourrira la légende.
André Fugier, dans son introduction à l'édition du Mémorial remarque qu'en dépeignant ainsi la captivité napoléonienne dans un détail et avec une force incomparablement supérieure à tous les autres documents parus à l'époque, le Mémorial fait entrer l'Empereur dans la communauté de ceux qui ont souffert dans les camps de prisonniers.
Les vieux grognards, tous ceux qui, au hasard des guerres, avaient été faits prisionnniers pourront ainsi, en connaissance de cause, partager les souffrances de leur ancien souverain et s'en sentiront eux-mêmes glorifiés.
Devant l'adversité, raconte Las Cases, l'Empereur témoigne d'une force d'âme peu commune, supportant héroïquement ses épreuves, et, s'en étonnant lui-même, il dit qu'elle glissent sur lui comme du plomb sur du marbre et que "leur poids avait pu comprimer le ressort mais n'avait pu le briser"; il reconnaît que c'est là le véritable triomphe de la raison et de l'âme. Personnage de légende, Napoléon se décrit comme un surhomme : "Je crois que la Nature m'avait calculé pour les grands revers; ils m'ont trouvé une âme de marbre, la foudre n'a pu mordre dessus, elle a dû glisser."
Si Napoléon sait parfois se hausser jusqu'au niveau du héros, il sait aussi, pour toucher les coeurs, s'identifier à celui d'un homme tout simple, d'un fils, d'un époux, d'un père.
Au Napoléon souffrant succède ensuite le "Napoléon devant l'Histoire"; en constituant son plaidoyer, il construit sa légende et en appelle au jugement de l'Histoire; celle qui est, selon F. Sieburg, sa vraie patrie, et en qui il espère trouver le seul repos qui lui soit convenable : le sommeil dans la pierre des monuments élevés à sa gloire".

(à suivre)


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Message Publié : 04 Sep 2006 23:17 
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:2: :prie:


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Message Publié : 05 Sep 2006 16:08 
Au Mémorial vont bientôt s'ajouter les premières oeuvres objectives ou sympathiques consacrées à l'Empereur et à son oeuvre : le "Napoléon" d'Arnault; "l'Histoire de Napoléon et de la Grande Armée en 1812" du comte de Ségur; puis, "l'Histoire du Consulat et de l'Empire" de Thibaudeau.
A ces oeuvres historiques va s'adjoindre toute une littérature en prose et en vers; Casimir Delavigne écrit ses premiers poèmes dont on imagine mal aujourd'hui le retentissement; Belmontet commence sa carrière; Méry et Barthélemy lancent leurs couplets satiriques - le second sera condamnné en 1829 à trois mois d'emprisonnement et mille francs d'amende pour avoir célébré, dans "Le Fils de l'Homme", le Roi de Rome prisonnier de l'Autriche.
Béranger, qui avait compris que le gloire de la France et celle de Napoléon étaient unies et ne formaient qu'une seule cause, fait imprimer son premier recueil de chansons chez Didot en 1821 dont 11.000 exemplaires sont vendus en une semaine; il est aussitôt l'objet de poursuites judiciaires pour "outrages à la morale publique"; c'est le poème intitulé "Le Vieux Drapeau" qui a irrité le pouvoir :

De mes vieux compagnons de gloire
Je viens de me voir entouré;
Nos souvenirs m'ont énivré,
Le vin m'a rendu la mémoire,
Fier de mes exploits et des leurs,
J'ai mon drapeau dans ma chaumière,
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Las d'errer avec la victoire,
Des lois il deviendra l'appui,
Chaque soldat fut, grâce à lui,
Citoyen aux bords de la Loire.
Seul il peut voiler nos malheurs;
Déployons-le sur la frontière.
Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Mais il est là près de mes armes;
Un instant osons l'entrevoir.
Viens, mon drapeau ! Viens, mon espoir !
C'est à toi d'essuyer mes larmes.
D'un guerrier qui verse des pleurs
Le ciel entendra la prière.
Oui, je secoûrai la poussière
Qui ternit tes nobles couleurs.

Le procès de Béranger qu'exploitait adroitement le culte napoléonien est un véritable événement qui attirera à l'audience une foule considérable. Trois mois de prison et cinq cents francs d'amende, telle est la condamnation. Interné à la prison de Sainte-Pélagie, Béranger y reçoit de nombreux bonapartistes et sa popularité ne fait que s'accroître; désormais, ses chansons lues et chantées partout deviennent une arme de guerre pour l'opposition; Maxime du Camp raconte que le fils du général Decaen ayant à un dîner de famille chanté "Le Vieux Caporal", ses oncles avaient repris en choeur le refrain et qu'on l'avait forcé à s'agenouiller : "A genoux, petit, c'est un chant sacré !"

(à suivre)


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Message Publié : 06 Sep 2006 14:56 
Après les journées de Juillet qui marquèrent la fin du règne de Charles X et l'avènement de Louis-Philippe, alors que personne ne songeait sérieusement à offrir la couronne au fils de l'Empereur dont l'existence semble comme ignorée, le sentiment napoléonien, contenu par les Bourbons, explose et se répand partout.
"Qui se fût promené dans Paris en regardant aux vitrines des marchands de gravures et de statuettes, en feuilletant les brochures, en écoutant les chansons populaires ou les harangues de carrefour, eût pu supposer que la révolution de 1830 venait de restaurer la dynastie impériale !"
Le prince d'Orléans tient à se concilier tous ceux qui ne cessaient de rêver au petit chapeau et à la redingote grise; il ne les craint pas.
"La grande ombre de Napoléon, a écrit Pierre de la Gorce, qui s'est projetée sur toute la Restauration, continue à hanter les imaginations; de là une force singulière pour qui s'abritera sous cette prestigieuse mémoire."
Il est certain que l'opinion bonapartiste bénéficie des souvenirs qui parlaient profondément aux entrailles du peuple, car celui-ci aime à se souvenir de ce qui flatte son orgueil. Aussi assiste-t-on, sous la monarchie de Juillet, au complet épanouissement de la légende.
Un des premiers gestes de Louis-Philippe, en accédant au pouvoir, est de prêter serment sur le drapeau tricolore, "emblème vivant de la gloire impériale, tout autant que de la gloire républicaine".
Un général expliquera plus tard que s'il avait servi la révolution de Juillet avec un dévouement particulier, c'est qu'elle ramenait "ce drapeau tricolore avec ses couleurs fascinantes pour un officier qui les avait si souvent suivies à la victoire".
Sa réapparition provoque le réveil du sentiment napoléonien et les vétérans éprouvent un bonheur immense à saluer ce drapeau auquel il ne manque que l'aigle.
Les calendriers, les almanachs, les romances, les complaintes, les images d'Epinal, tout ce qui se lit, se voit, se chante, illustre et porte aux nues le héros impérial. Quantité de bibelots et d'objets de toute nature ornent les vitrines et Louis-Philippe laisse faire, persuadé que ce renouvellement de la légende est sans gravité.

(à suivre)


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Message Publié : 07 Sep 2006 19:03 
La jeunesse, romantique et passionnée par ces souvenirs historiques, est séduite par ces images populaires.
La littérature, grande et petite, bonne et moins bonne, cherche son inspiration dans les souvenirs napoléoniens et trouve dans l'épopée des thèmes épiques que certains exploitent avec bonheur.
En 1833, Balzac reprend dans "Le Médecin de campagne" le thème du Napoléon du peuple; la seconde édition se vendit en huit jours !
Stendhal, Alfred de Musset sacrifient au culte du Grand Homme.
A son tour, le théâtre s'empare de la légende, et en l'espace de dix ans, on jouera quatre-vingt-dix-sept pièces à la gloire de Napoléon.
Les artistes fixent à jamais l'image de l'Empereur et le masque mortuaire de Napoléon rapporté de Sainte-Hélène par le docteur Antommarchi et gravé par Calametta, se trouve, encadré, chez tous les anciens officiers.
Toute cette imagerie flatte le sentiment populaire et entretient les rêves; la légende, inlassablement, poursuit son chemin dans les esprits et dans les coeurs.
Ceux-là même qui redoutaient Napoléon croient qu'il est sans risque d'exalter sa mémoire : "Le général et le consul Bonaparte, écrit un républican de Lyon, ont trop fait pour la France pour que la France ne pardonne pas à l'Empereur."

(à suivre)


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