Un des premiers gestes de Louis-Philippe, en accédant au pouvoir, est de prêter serment sur le drapeau tricolore, "emblème vivant de la gloire impériale, tout autant que de la gloire républicaine", ce drapeau qui avait fait condamner Béranger à trois mois de prison, "ce divin drapeau qui flotte partout", écrivait Edgar Quinet au retour d'un voyage en Allemagne.
Un général expliquera plus tard que s'il avait servi la révolution de Juillet avec un dévouement particulier, c'est qu'elle ramenait "ce drapeau tricolore avec ses couleurs fascinantes pour un officier qui les avait si souvent suivies à la victoire".
La réapparition de ce drapeau, c'est le signal du réveil du sentiment napoléonien qui, assoupi pendant les dernières années de la Restauration, retrouve toute sa vigueur au cours des journées de Juillet; pour les vétérans de la Grande Armée, quel bonheur de saluer le drapeau auquel il ne manque que l'aigle !
La littérature, grande et petite, bonne et moins bonne, cherche son inspiration dans les souvenirs napoléoniens et trouve dans l'épopée des thèmes épiques que certains exploitent avec bonheur.
A son tour, le théâtre s'empare de la légende, et en l'espace de dix ans, on jouera pas moins de quatre-vingt-dix-sept pièces à la gloire de Napoléon.
A l'Ambigu, Benjamin Constant fait dire par l'acteur Talma à Mme de Staël :
... Vous n'auriez aucun travers
Si vous n'aviez gardé rancune
Au grand héros qu'admire l'univers.
Toute cette littérature, toute cette imagerie flattent le sentiment populaire et entretiennent les rêves; la légende, inlassablement, poursuit son chemin dans les esprits et dans les coeurs. Ceux-là même qui redoutaient Napoléon croient qu'il est sans risque d'exalter sa mémoire : "le général et le consul Bonaparte, écrit un républicain de Lyon, ont trop fait pour la France pour que la France ne pardonne pas à l'Empereur."
On lit dans une brochure : "Napoléon est descendu dans la tombe, mais le bonapartisme n'est pas mort; il s'est fait républicain."
Il existe un ensemble de croyances, de souvenirs, de traditions et d'espoirs, une mystique de caractère napoléonien, mais non pas un parti bonapartiste. On l'a vu, personne, ou presque, ne songe au malheureux duc de Reichstadt.
Ainsi, peut-on s'expliquer que Louis-Philippe veuille étayer d'évocations impériales un trône fragile; notant tous ces signes, il forme le dessein, non de combattre la légende, écrira Pierre de la Gorce, "mais de s'approprier le nom de Napoléon; et pour ainsi dire d'en capter les rayons glorieux".
Le roi rend au vainqueur d'Austerlitz de multiples et solennels hommages. Il décide de rétablir la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme.
Le 28 juillet 1833, date commémorative de la Glorieuse Journée, la nouvelle statue est inaugurée par Thiers, en présence du roi qui donne le signal des acclamations au moment où le voile, qui recouvrait le sommet de la colonne, glisse à terre; levant son chapeau empanaché, le roi s'écrie : "Vive Napoléon !"
(A suivre)
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