Napoléon et la liberté, voilà un thème qui me paraît fort intéressant, essentiel même, surtout quand on veut considérer l'héritage napoléonien actuellement.
Pour aborder tout de suite un point de détail, on ne peut nier que sous son règne la censure et la propagande n'aient été fort actives, que ce soit dans la politique elle-même mais aussi dans les arts. On connaît évidemment les cas de Chateaubriand et de madame de Staël. Cependant, les dangers étaient grands, les réunions politiques et autres complots dans une France politiquement encore instables étant à redouter, à considérer sérieusement. A mon avis, la censure est une affaire de circonstance, quant à la propagande (ne serait-ce que les bulletins de la grande armée), elle tient à la survie même d'un régime qui s'est tout de même forgé voire légitimé sur la gloire militaire - voir l'imperium miliaire des Romains par exemple. N'a-t-on pas vu les comploteurs prêts à agir en France dès que Napoléon se trouvait - ou était supposé être - en difficulté militairement ?
Prenons un point de vue plus général. Le mot de liberté est toujours, pris tout seul et comme concept, un leurre très dangereux, on le voit aujourd'hui, la liberté toute seule étant soeur du nihilisme. Non, au contraire, la liberté s'exprime dans une société qui a du sens. Or quelle était cette société alors que Napoléon prit le pouvoir ? Une société tiraillée entre la Révolution et la contre-Révolution et menacée de l'extérieur dans son indépendance. Comme à Rome on pouvait légitimer un dictateur en période de crise, Napoléon a joué le rôle du sauveur, à l'intérieur comme à l'extérieur. Il a fallu le pouvoir d'un seul pour restaurer l'ordre et restructurer la nation française autour de valeurs qui fixeraient le cours de la Révolution, sans plus faire de cette dernière une force nécessairement destructrice et dangereuse, implosive.
Mais le problème est celui-ci : pourquoi s'être fait sacrer empereur, et ne pas avoir favorisé une république modérée ? Pour plusieurs raisons à mon avis. L'époque veut que la France est inexpérimentée démocratiquement, et la Révolution dans sa nature incontrôlée fait encore songer au spectre de la Terreur. La monarchie, par contre, est plus stable et aurait le mérite d'être mieux perçue de l'étranger. Je vois dans l'Empire une sauvegarde des valeurs de la Révolution, ainsi qu'un régime qui synthétise les expériences républicaine et monarchique. Un homme gouverne, de façon autoritaire, et, supposément, en despote éclairé, et le mérite républicain est introduit. Evidemment, l'éducation inexistante du peuple rend aberrante l'idée de suffrage universel, il fallait d'abord l'éduquer, et comme le dit BRH, il était vierge ou presque d'une expérience qui ne pouvait alors lui manquer, surtout du côté des masses peu éclairées.
Au niveau de l'héritage maintenant, Napoléon personnifie, même dans ce contexte précis, la tension entre la liberté et la raison qui est au coeur du processus intellectuel politique français, de sa trajectoire profonde et signifiante (quoique occultée aujourd'hui à dessein) depuis les Lumières. A mon sens, il est l'homme qui a voulu réaliser la vraie république, celle de la virtus, au sens presque romain, celle de l'élitisme méritocratique. C'est, en un sens, le règne autoritaire de la Raison pour le Bien du peuple. Reste que le grand homme n'a pas eu le temps d'achever ce qu'il avait sans doute en tête, parce qu'une société n'évolue pas aussi vite qu'on le voudrait, parce que l'éducation de tout un peuple prend du temps, de même que l'évolution de ses mentalités, et aussi à cause des défaites militaires qu'on a évoqué précédemment. Mais peut-on reprocher à un homme qui a sincèrement oeuvré pour la France, avec la limite de ses moyens et de son génie, de l'avoir mutilée ? Je ne le crois pas.
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