La signature de l’accord se matérialise par un échange de notes entre Joachim von Ribbentrop, le représentant nazi et Samuel Hoare, secrétaire d'état au Foreign Office, le 18 juin 1935. Avant le début des négociations, les Allemands avaient posé plusieurs conditions :
Les Britanniques devaient accepter le quota de 35% pour la marine allemande par rapport à la Royal Navy.
Les Allemands se réservaient le droit de construire toutes les catégories de navires et le budget de la marine allemande n’était pas négociable.
Les négociations débutèrent à Londres le 4 juin. Si les Anglais n’apprécièrent pas que les Allemands posent leurs conditions de manière sine qua non avant l’ouverture des négociations, ils acceptèrent cependant les conditions précédemment citées, ce qui ne laisse pas d'étonner !!! Quelles contreparties pouvaient donc espérer nos "alliés" d'Outre-Manche ?
Les pourparlers furent suspendus le 6 juin car l’Angleterre voulait (quand même) informer les signataires du traité de Washington de la négociation de l'accord. Le changement ministériel du 7 juin influença fortement ces négociations, dans un sens plus conciliant. Baldwin remplaça Mac Donald au poste de Premier ministre et Samuel Hoare, John Simon, au Foreign Office.
L'accord retint le taux de 35% pour la marine allemande par rapport à la marine anglaise. Ce taux devait demeurer constant quelque soit l’évolution de l’armement naval pour chaque catégorie de navires. Pour les sous-marins, le taux fut cependant de 45%. L’Allemagne ne pouvait faire des ajustements qu’avec l’accord de l’Angleterre. La Royal Navy avait un tonnage de 1 240 000 tonnes, à parité quasiment avec celle des USA. Le traité de Versailles autorisait 144 000 tonnes, alors que l’Allemagne avait désormais la possibilité d’avoir sa flotte à 420 000 tonnes, soit près du quadruple ! Aussitôt, Hitler entreprenait un vaste programme de construction navale : 2 cuirassés, 2 croiseurs, 16 destroyers et 28 U-Boote.
Qu'est-ce qui a bien pu pousser l’Angleterre à mener une telle politique ? Certes, l'appeasement était déjà à la mode: conduit depuis l'année 1930 en vue d’apaiser les tensions entre les Etats pour éviter une autre guerre mondiale. On a dit qu'elle espérait ainsi encourager d'autres accords sur la question de l’armement naval. C'était aussi un moyen de réagir au réarmement allemand après l’arrivée de Hitler au pouvoir, en l'estimant comme la meilleure solution pour limiter ce réarmement. Certes, la politique de désarmement avait été inefficace au sein de la SDN et la Conférence générale sur le désarmement s'était soldée par un échec en 1932-1933. Du point de vue anglais, cet échec était imputable à la France trop intransigeante, ce qui aurait permis à l’Allemagne de se réarmer sans limite. Cette interprétation est évidemment dépassée quand on connaît les intentions bien arrêtées d'Hitler à ce sujet, mais permet de souligner la francophobie qui existait au sein des milieux dirigeants de Londres.
Quoiqu'il en soit, l’Angleterre estima que cet accord était indispensable. Si les Anglais manifestaient toujours un idéal pacifiste avec la conclusion des accords, ils s'illusionnaient gravement sur leur capacité à limiter la course aux armements.
Pour l’Allemagne, la conclusion de cet accord avec le quota inespéré de 35% pour ses navires lui permettait d’indexer sa flotte sur celle de l’Angleterre sans plus tenir compte du traité de Versailles. Hitler avait réussi à porter un second coup audit traité. Surtout, la signature de cet accord rompait le front de Stresa d’avril 1935 (conférence entre l’Angleterre, la France et l’Italie suite à l’annonce du rétablissement du service militaire allemand du 16 mars 1935, où les anciens alliés de 1918 réaffirmaient leur attachement au traité de Locarno, leur unité par rapport à l’Allemagne tout en condamnant la violation unilatérale du traité de Versailles).
Si cette signature a permis d’officialiser et de légaliser le réarmement naval nazi grâce à l’Angleterre, c’était aussi un coup de maître d'Hitler car c'était la première fois qu'un pays vainqueur de la Première guerre mondiale considérait le traité de Versailles comme caduc. De plus, "Herr Kanzler" avait de bonnes raisons d'estimer que l’Angleterre lui laissait les mains libres en Europe centrale et orientale. Comme je le souligne toujours, Hitler était anglophile et se posait en fervent partisan du rapprochement avec l’Angleterre. Il s'était persuadé que la défaite de l’Allemagne durant la Grande Guerre s’expliquait par une lutte sur deux fronts, chose qu'il voulait à tout prix éviter en se lançant à la conquête de l'URSS.
Les réactions dans le monde furent diverses et contrastées. En Angleterre, l'accord fut perçu comme le résultat d’une longue bataille contre le réarmement allemand et le début de prochaines négociations pour maintenir la paix en Europe. Le gouvernement britannique eut le culot de déclarer que ce pacte n’était pas contraire à l’esprit du front de Stresa, en ajoutant traitreusement qu’il s'était gardé de critiquer l’accord militaire franco-russe de mai 1935. L’opinion publique fut massivement satisfaite de l’accord, sauf Churchill et Austen Chamberlain (frère aîné de Neville et signataire du pacte de Locarno) qui mettaient en garde contre la menace militaire représentée par le régime nazi. La date même de l'accord semblait un bon tour joué aux Français et beaucoup d'Anglais ironisèrent à ce sujet...
En Allemagne, comme il fallait s'y attendre, les réactions furent enthousiastes. Le New York Times publia un article le 19 juin 1935 s’intitulant « Berlin overjoyed by naval treaty ». Les nazis étaient comblés au-delà de toute mesure car le Reich était délié pour ainsi dire des obligations du traité de Versailles. Hitler songeait à établir une véritable alliance militaire avec les Anglais. Il était prêt à garantir l’empire colonial britannique, pour peu que les Anglais lui laissent les mains libres à l'Est !!!
La France dénonça et condamna l’accord jugé « moralement inadmissible et juridiquement insoutenable ». Elle critiqua la violation du front de Stresa et de la clause V du traité de Versailles. Une partie de la presse releva que cet accord avait été conclu le jour du 120ème anniversaire de la défaite de Waterloo du 18 juin 1815 !!

L’Italie dénonça également la violation du front de Stresa. Elle condamna aussi l’accord mais avec une certaine retenue, dans la mesure où -l’Allemagne étant dégagée du traité de Versailles- elle se sentait plus libre d’attaquer l’Ethiopie alors que le pacte de la SDN le lui interdisait.
L’URSS réagit très mal à la conclusion de cet accord. Elle craignait un encerclement de la part de l’Allemagne, de la Pologne et du Japon. Elle redoutait une augmentation de la marine allemande dans la mer Baltique tout en estimant que le Reich encourageait le Japon à l’attaquer.
Les USA manifestant un désintérêt certain pour l’Europe, Roosevelt était plus absorbé par le New deal qu'autre chose. De plus, l'opinion américaine était isolationniste et souhaitait simplement la paix et le désarmement.
Peu après la signature de l’accord, le cabinet anglais reprit les relations avec les hommes politiques français et italiens. La France ravala rapidement sa déception et réaffirma sa volonté de préserver l’Entente cordiale. Les accords navals de Washington et de Londres prenaient fin en 1936. L’Angleterre tenta d'organiser une nouvelle conférence mais elle échoua. La Conférence de Londres se déroula en décembre 1935. L’Allemagne n’y fut pas conviée en raison de l’opposition de la France. Le Japon quitta très vite la Conférence car il refusait le principe de la hiérarchisation des flottes. L’Italie quitta aussi la Conférence refusant de signer un traité avec des pays qui avaient condamné son invasion de l’Ethiopie. A l'issue de celle-ci, l’Italie et l’Allemagne commencèrent un rapprochement logique, du fait des erreurs de l'Angleterre.
En conclusion, il est difficile d'admettre que le but de la politique étrangère anglaise était seulement de pacifier l’Europe. Conclure d’autres accords afin de limiter le réarmement du Reich et de l’Europe était sans doute un but louable, mais ne pouvait être atteint sans une concertation étroite avec des puissances comme la France et l'Italie. On peut légitimement se demander si cette politique ne visait pas à permettre à Hitler de parvenir à son premier but, soit la réunion de tous les Allemands dans un grand Reich. L'abstention anglaise au moment de la remilitarisation de la Rhénanie, son attitude conciliante au moment de l'Anschluss et sa complicité dans l'annexion des Sudètes tendent à le démontrer. En tout cas, cet accord naval conduisit à une course aux armements, l’effet contraire à celui qui aurait été recherché. En effet, Hitler se sentant libre de piétiner le traité de Versailles, ne connut plus de bornes à son ambition. "Fraus Albionis omnia corrumptit" !!!