On m'a demandé d'expliquer sur le BBC la récente formation de gouvernement en Belgique. Pas facile. Mais comme "Belgiciste" j'ai essayé pour faire le point.
Baron Percy a écrit :Eté 1950.
Le retour du Roi provoque des émeutes à Bruxelles.
C'est bien la personne du Roi qui est mise en question et non la monarchie.
Un million de grévistes paralysent la Wallonie.
Le pays est littéralement coupé en deux.
En cause : l'attitude du Roi pendant l'Occupation.
Un referendum populaire donne pourtant 57,68 % de voix favorables au retour, mais on relève de graves déséquilibres régionaux : la Flandre est très majoritairement pour, la Wallonie est majoritairement contre. A Bruxelles, le NON l'a emporté de peu.
L'insurrection s'aggrave et les transports publics sont immobilisés.
C'est le Premier ministre de l'époque, Jean Duvieusart (catholique) qui a favorisé le retour du Roi et ce, malgré l'opposition catégorique des socialistes et de leur leader charismatique Paul-Henri Spaak.
Nicolas Monami, grand résistant, déporté et torturé par la Gestapo se pose alors en médiateur. Il est reçu au Palais par le secrétaire du Roi qui lui déclare que la question royale est résolue.
Mais comment en est-on arrivé là ?
La question royale qui divisa la Belgique à la fin de la Seconde Guerre mondiale est une tragédie en 3 actes.
Acte 1 : Le 10 mai 1940, l'armée allemande viole la neutralité de la Belgique; l'armée belge résiste tant bien que mal le long de la Lys mais recule, ce qui provoque l'exode massif des populations.
Face à la débâcle imminente, plusieurs ministres fuient à Londres.
Le 25 mai, le Roi reçoit Spaak et Pierlot à son QG du château de Wijnendael et leur communique sa décision de capituler.
Les ministres sont anéantis, car cette décision unilatérale est contraire aux accords internationaux qui lient la Belgique à ses alliés français et anglais. Ils refusent d'adhérer à ce qu'ils qualifient de trahison et choisissent d'entrer en résistance.
Dès ce moment, la rupture entre le Roi et ses ministres est consommée.
Le souverain considère que ses obligations envers les alliés cessent à partir du moment où la quasi totalité du territoire est occupé par l'armée d'invasion.
La capitulation sans condition en rase campagne ouvre la voie de Dunkerke aux divisions allemandes.
Dans son discours, Paul Reynaud critique ouvertement l'attitude du Roi et fustige le peuple belge.
Hubert Pierlot choisit alors de se désolidariser du souverain car il rappelle que tout acte royal doit être approuvé par ses ministres. En décidant de capituler sans leur accord, il estime que le Roi a trahi son serment constitutionnel.
Il rappelle également qu'à la veille de la guerre, le général Van Overstraeten, chef d'état-major et conseiller du Roi, avait fait déployer les 2/3 de l'armée belge non face à l'Allemagne, mais face à la France.
La préférence pour l'autre camp était donc nettement marquée.
Les Parlementaires votent dans la foulée l'impossibilité pour le Roi de régner.
Le fossé se creuse donc un peu plus entre le souverain et le gouvernement, dont les ministres s'exilent à Londres pour poursuivre la résistance.
Acte 2 : Le Roi est relégué dans son palais de Laeken. Il y fomente des projets d'ordre nouveau à la sauce belge.
Un projet de régime royal autoritaire lui est soumis. Il prévoit entre autre la suppression des partis politiques et des syndicats, des mesures en faveur de la protection de la race.
Leopold III rencontre alors Adolf Hitler à Berchtesgaden. Il plaide pour une amélioration du sort des prisonniers de guerre, mais cette visite va constituer ultérieurement une pièce à charge accablante.
Le 7 décembre 1941, alors que les Japonais viennent d'attaquer les USA à Pearl-Harbor, la Belgique apprend le remariage du Roi avec une roturière, Liliane Baels, dont le père est proche des milieux nazis.
Alors que les Belges vénèrent encore la mémoire de la Reine Astrid tragiquement disparue en 1935, le mythe du veuf inconsolé vole en éclat.
Beaucoup se demandent aussi pourquoi le Roi n'intervient pas politiquement contre l'oppression allemande comme l'y invitent ses ministres depuis Londres.
L'oppression contre les Juifs entre dans sa phase industrielle, mais l'opinion du Roi à leur égard est négative. Il obtient cependant que les Juifs de nationalité belge soient préservés, mais ils représentent à peine 6 % du total de ceux qui vivent sur le sol national.
Le souverain semble également se désintéresser du sort des prisonniers de guerre, préférant convoler en justes noces avec sa dulcinée.
Le 3 septembre 1944, Bruxelles est libérée.
Mais il faudra attendre huit longs mois avant le retour des premiers déportés.
La Belgique étant privée de souverain, le prince Charles, frère cadet de Léopold, est désigné en tant que Régent. Il ne s'est pas compromis comme son aîné et est considéré comme l'homme des Alliés.
Leopold III ne le lui pardonnera jamais.
Face à son intransigeance, la guerre civile menace dans le pays.
Un drame survient lors d'une manifestation à Grâce-Berleur près de Liège : la gendarmerie tire dans la foule et fait 4 morts.
Tous attendent alors un geste d'apaisement du souverain.
Acte 3 : Au printemps 1945, un détachement US du général Patton libère la famille royale retenue prisonnière à Salzbourg en Autriche.
Mais le gouvernement socialiste d'Achille Van Acker s'oppose au retour du roi sur le sol national.
Seul un vote des chambres réunies pourrait mettre fin à l'impossibilité pour lui de régner.
En Flandre, un mysticisme et une idolâtrie qui confinent au culte de la personnalité se fait jour en faveur du Roi. Les nationalistes et les nostalgiques du 3ème Reich qui voient en lui un homme fort s'identifient à celui qui partage leur sort.
Le mouvement léopoldiste se dote également d'une aile paramilitaire dont la cible est les communistes.
Julien Lahaut, président du PC, pousse l'aile gauche de la Wallonie à exiger l'abdication du Roi.
La droite revient à son projet de consultation populaire, mais le PS s'y oppose par la voix de Spaak.
La fracture de la Belgique s'installe durablement et ne cessera jamais.
En juin 1950, les élections donnent la majorité absolue aux catholiques. Les Léopoldistes triomphent. C'est la fin de la Régence !
Mais la mobilisation sur le terrain s'intensifie.
La Wallonie menace de proclamer son indépendance et une marche sur Bruxelles est décidée pour le 1er août.
Léopold III déclare refuser l'abdication, "dut-il y avoir 200 ou 300 morts".
Il n'a toujours pas pardonné à ses ministres de l'avoir désavoué en mai 1940.
Le médiateur Nicolas Monami présente un accord au Roi qui s'articule sur deux lignes de force :
- la transmission des pouvoirs royaux au prince héritier
- A sa majorité civile, Baudouin montera sur le trône, les 3 partis traditionnls s'engageant à favoriser la réconciliation nationale.
La nuit du 31 juillet au 1er août est la plus longue du règne.
A l'aube, le Roi se résout à abdiquer en faveur de son fils.
Le 11 août, le Parlement vote l'attribution des pouvoirs constitutionnels au prince Baudouin.
Le 13, désavoué par ses électeurs, le gouvernement Duvieusart démissionne.
Il est remplacé par le gouvernement léopoldiste de Pirenne.
Léopold III règne dans l'ombre de son fils; c'est une véritable "diarchie" (monarchie à deux têtes) qui s'installe pendant dix longues années.
La violence de la crise a pénétré en profondeur l'inconscient de la poulation belge et a modelé un nouveau visage du pays.
Une culture du compromis est née en même temps que l'émergence d'une nouvelle droite extrême qui paradoxalement vise à la disparition de la monarchie.
Le processus du fédéralisme a été enclenché en 1970 et se poursuit encore actuellement.
Quant à la question royale, elle agite toujours le pays...
pour l'histoire de Pierlot, Spaak et le séjour en France de Vichy avant de partir pour Londres
j'ai lu autour de la nomination de de Vleeschauwer, que le texte du gouvernement était une perle de rédaction, parce que ça octroyait le mandat exactement sur messure de ce qu'on désirait. Je n'ai pas trouvé le texte exact,
Vous êtes une source inépuisable.
Retour vers Décolonisation et Guerre Froide (1946-1991)
Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité(s)