Au sud de la Loire

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Au sud de la Loire

Message par BRH » Lundi 28 Avril 2025 10:26:19

[b]Journal des opérations de guerre par les Lt LUCAS et HERVE

Chapitre 5: Installation défensive dans la Somme

27 Mai

Concurremment avec I'attaque du 1er bataillon du 4lème R.I sur Assevillers, le 22ème R. M. V. E. devait reprendre Villers-Carbonnel et Pont de Brie; son attaque n'a pas non plus réussi. L'ennemi est maintenant suffisamment en force, bien muni d'armes automatiques, fortement installé et appuyé par son artillerie. Le morceau est trop fort pour notre division étendue sur un front de 18 kilomètres, sans renforts d'artillerie, sans chars, sans aviation, et devant progresser sur un terrain plat et dénudé qui favorise singulièrement la défensive. Si i'idée de toute progression ne semble pas encore abandonnée, elle est du moins remise, et nous recevons l'ordre de nous installer défensivement sur place. Chaque unité n'a d'ailleurs pas attendu cet ordre pour commencer les travaux de campagne.

Dès le 28 mai I'ordre sera donné de « tenir sur place ».


Depuis le 23 mai, la 19ème division avait cependant accompli une marche d'approche de 38 kilomètres, reprenant près de vingt villages et repoussant les éléments ennemis qui ne forment plus qu'une étroite poche au sud de la Somme. Tout cela réalisé par ses propres moyens. Si les 25 et 26 mai elle avait eu à sa disposition un certain nombre de chars et d avions, la division aurait atteint sans aucun doute la Somme et aurait même pu poursuivre au-delà. Mais, sans que les
combattants aient pu le savoir, dès le 25 mai le but de cette offensive :

tendre la main à l'armée du Nord, qui pendant ce temps progressait vers le sud, n'était plus possible, car les trois divisions anglaises formant l'avant-garde de cette armée s'étaient soudain repliées sans ordre vers Calais, augmentant ainsi l'étendue de la brèche de plus de 25 kilomètres. Les éléments allemands, profitant de cette circonstance, s'étaient rapidement engouffrés dans cette brèche, renforcés à chaque instant par des unités nouvelles amenées en camions, car l'ennemi avait conscience du péril auquel il échappait ainsi. La liaison entre I'armée Frère et I'armée Blanchard aurait en effet permis d'encercler et de découper de leur base tous les éléments motorisés allemands gui s'étaient précipités vers Boulogne et Abbeville.

Le 27 mai I'organisation défensive des villages s'intensifie donc dans le sous-secteur Estrées-Deniécourt, Soyécourt, Vermandovillers. Elle devait se poursuivre jusgu'au 5 juin. Avec le repos relatif, les forces reviennent aux hommes et chacun, conscient de la dangereuse position du régiment, harcelé par des tirs d'artillerie incessants et par des attaques locales, travaille le sol avec acharnement. En peu de jours les résultats sont remarquables et nous ne regretterons pas notre peine, car c'est à ces trous étroits et profonds que beaucoup doivent actuellement la vie. Les transmissions fonctionnent maintenant entre Estrées et les batteries. Nos artilleurs commencent de remarquables tirs à vue. Ils
ne sont pas avares de leurs munitions et les quelque cent obus que reçoit journellement chacun de nos villages ne sont que la cinquième partie de ce que nous envoyons sur les rassemblements, les travaux et les colonnes repérés de l'observatoire d Estrées-Deniécourt. Un tir de barrage déclenché
pendant la nuit devant Belloy nous a démontré que nous sommes maintenant soutenus par notre artillerie divisionnaire.

28 Mai

Les travaux continuent. Ce qui se fait le plus sentir c'est I'absence de sommeil. La journée est à peu près calme dans notre sous-secteur. Cependant, visite de plusieurs avions ennemis volant en rase-mottes et sur lesquels crachent toutes les armes automatiques. Tirs d'artillerie ennemie, à cadence irrégulière, sur Estrées, Fay, Soyécourt et Vermandovillers. Notre artillerie continue ses tirs à vue. Nos villages commencent à se démolir.

Cependant, le 2ème bataillon, détaché pour tenir la rive de la Somme sur le flanc Est de la division, subira aujourd'hui une forte attaque locale et le 28 mai marque singulièrement dans les annales de la 7ème Cie. Celle-ci, avec une section de mitrailleuses, deux canons de 25 et les mortiers de 81 de la C. À. B. 2, tient le village de Saint-Christ-Briost et le Pont de Saint-Christ ,depuis le 25 Mai. Ce point d'appui est placé sous le commandement du capitaine Dupuis. La Somme coule à cet endroit dans une vallée relativement encaissée, orientée sud-nord : son lit, assez étroit, est double par celui d'un canal. En arrière des deux rives, le plateau domine la vallée, nettement plus haut du côté allemand.
Le village de Saint-Christ se trouve au fond de la vallée. Un point d'appui au pont et dans le centre du village; un point d'appui au nord, nettement en dehors du village (section Mignard) ; un point
d'appui au sud (section Chabanel). Le P. C. est près de la rue centrale. Les mortiers de 81 sont dans la cour du P. C.

Vers 9 heures, des éléments allemands ayant franchi la Somme et venant du Pont-de-Brie attaquent le point d'appui nord, aidés par des tirs de minen partant de la rive Est de la Somme. Malgré leurs efforts
ces éléments sont arrêtés, et vers 11 h 30 le feu s éteint et tout disparaît. Le calme semble revenu. Cependant, vers 15 heures des rafales d'armes automatiques et un violent tir de harcèlement par minen et 105 s'abattent sur le village, un peu au hasard semble-t-il. Les observateurs ayant décelé un nid de mitrailleuses, le capitaine Dupuis fait peu après, exécuter sur cet objectif un tir de mortiers. La réplique est immédiate et une dégelée de gros minen s'écrase en réponse sur le P. C., blessant
gravement à une jambe le capitaine Dupuis. Le lieutenant Bonnefis, commandant la 7ème compagnie, qui s'élançait pour le secourir, a les deux jambes broyées, et le sous-lieutenant Lemée reçoit un éclat à la tête. Ce coup malheureux a les conséquences les plus graves, car il prive de ses chefs le point d'appui de Saint-Christ au début d'une forte attaque allemande.

En effet, un terrible bombardement s'abat peu après sur Saint-Christ, faisant sauter les toitures. Des bombes incendiaires atteignent les maisons qui bordent le pont et qui commencent à flamber. En même temps, franchissant le canal sur des planches posées sur des péniches à moitié coulées, les fantassins allemands attaquent le village. Les rafales de nos fusils-mitrailleurs causent de sérieux ravages dans leurs rangs et arrêtent leur progression. Le combat continue. A 17 heures, la lutte fait rage, les balles sifflent de tous côtés et les obus soulèvent partout poussière et fumée. Le sous-lieutenant Mignard est venu prendre le commandement de la compagnie. On résiste. Soudain, vers
18 heures, de nouveaux obus incendiaires viennent mettre le feu aux maisons occupées par la section qui défend le pont. Cette fois il est impossible d'arrêter I'incendie. Les hommes doivent, la rage au coeur, quitter leurs abris, et les Allemands en profitent pour passer rapidement la Somme et le canal. Ils ont pris pied sur notre rive; la lutte devient dure lorsque soudain surgit une nouvelle difficulté. L'ennemi a repris ses attaques sur le point d'appui nord; il l'a en partie encerclé et la section qui le défend est décimée. N'ayant plus son chef, le sous-lieutenant Mignard, elle se replie en désordre sur le village.

Mignard envoie I'ordre au sous-lieutenant Chabanel, qui défend les lisières Sud, non attaquées, d'aller s'établir face au nord-ouest, Mais le désordre est à son comble. Les obus éclatent sans arrêt. Les balles sifflent de tous côtés. La situation devient intenable. Les hommes, en voyant la section Chabanel se diriger au pas de course vers les lisières ouest du village, croient à un repli et la suivent en faisant le coup de feu. Les Allemands sont d'ailleurs entrés dans le village par le nord-ouest et la rue principale est enfilée des deux côtés par les balles. Pour sauver les restes de son unité, le sous-lieutenant Mignard doit donner I'ordre de repli. Le médecin Zaracovitch refuse de suivre et reste avec
ses blessés. Le lieutenant Bonnefis vient d'ailleurs d'expirer avec le plus grand courage. Alors, groupant une quarantaine d'hommes qui luttent encore, les sous-lieutenants Mignard, Chabanel et Cocault se replient non sans peine et atteignent Marchelepot. La 7ème compagnie a perdu ce
jour-là 3 officiers et 71 hommes et sous-officiers.

29 Mai

On ne pouvait rester sur cet échec. Dès la nuit, la 6ème compagnie reçoit l'ordre de reprendre Saint-Christ. Heureusement cinq chars d'assaut peuvent être mis à sa disposition. Elle s'ébranle à 4 heures.
Accueillie par le feu nourri des armes automatiques ennemies, elle bondit en avant, entraînée par le chef de bataillon Pourcin, qui, peu après, est blessé au bras, D'un seul élan elle reprend le village. Surpris, les Allemands repassent en hâte la Somme. Saint-Christ est de nouveau entre nos mains. Nos camarades sont vengés. Le chef de bataillon, qui avait refusé de se faire évacuer avant la reprise du village, passe alors le commandement du 2ème bataillon au capitaine Thouron.

Durant ce temps, I'ennemi se renforce toujours sur le front de notre régiment. Dompierre-Becquincourt et sa sucrerie sont le siège d'une grande animation. Par de petites infiltrations, vers 10 heures, l'ennemi
s'efforce de venir jusqu'à Fay et Estrées. Mais nos armes d'infanterie et notre artillerie font merveille. Les remarquables concentrations de feu de cette dernière et son activité incessante empêchent I'ennemi de parvenir à ses fins en causant le plus grand désordre dans ses arrières.

Pendant les journées des 28 et 29 mai, I'aviation allemande ne fut pas inactive; par groupes de trois ou cinq ses appareils nous survolent à tous moments, mitraillant parfois, sans aucun résultat d'ailleurs, car
nos hommes étaient parfaitement terrés, Le 28 mai, vers 14 h 30, les feux conjugués des 1er et 3ème bataillons touchèrent gravement un bombardier ennemi qui poussait I'imprudence à les survoler en rase-mottes : il s'abattit en flammes à quelques kilomètres de là.

A la tombée de la nuit, cinq chars R. 40, mis à la disposition du régiment pour quelques heures, vont faire dans les parages de Fay une démonstration plus bruyante qu'utile... Les nuits jusqu'ici ont été à peu près calmes; seules les lueurs des incendies brillent sous la voûte étoilée; parfois une fusée verte montant droit dans le ciel déclenche le tir de barrage, mais rapidement le grondement s apaise; quelques fusées éclairantes illuminent encore le ciel, puis c'est à nouveau le silence.

30 Mai

A 3 h 50 retentit le crépitement rapide et régulier de notre F. M., puis le tac tac tac plus lent de nos mitrailleuses auquel se joignent les rafales des mitraillettes allemandes. Cela dure, disparaît, puis reprend, semblant venir de la direction de Fay, puis tout rentre dans le calme,
Chaque nuit, ainsi, venant de quelque part dans le secteur de la division se déclenche le tir des armes automatiques. Mais cette fois cela reprend, s'amplifie, et voici la fusée verte, basse sur l'horizon. Un coup de téléphone (car malgré les pires difficultés nos transmissions fonctionnent) annonce une attaque sur Fay. Brutalement, rageusement, s'abattent tout à coup les rafales de nos 75 qui exécutent le tir de barrage demandé. Durant 10 minutes, c'est un roulement infernal qui couvre tout autre bruit. Puis tout s'apaise, quelques coups de feu isolés, c'est fini. L'aube naît bientôt, le jour se lève et une nouvelle journée d'un temps magnifique commence.

Le village de Fay, tenu par la 11ème compagnie du 3ème bataillon, a été attaqué à deux reprises cette nuit. Mais la vigilance des défenseurs n'a pas été prise en défaut. Les groupes ennemis purent à peine atteindre les lisières du village, cloués au sol par les tirs repérés de nos fusils mitrailleurs et de nos mitrailleuses aidées par les mitrailleuses d'appui d'Estrées et également par nos 75. La plus forte tentative ennemie, au point du jour, a été repoussée comme les autres. On se perd en conjonctures
sur le but de cette attaque. L'ennemi a-t-il voulu s'emparer de Fay, qui entre en pointe dans son dispositif, ou bien a-t-il voulu seulement se rendre compte des raisons pour lesquelles nos chars
avaient fait tant de bruit hier soir, ou bien, enfin, sonder les réactions de notre plan de feux ?

Dans la journée arrivent du P. C. D. I. les ordres nécessaires pour regrouper le régiment. En effet, par suite, de l'arrivée d'une nouvelle division, la 29ème D.I, le 2ème bataillon du 41ème R.I va pouvoir regagner le régiment. La 29ème D.I. s'intercale entre la19ème D. I. et la 3ème D.I.L. et va border les rives de la Somme, de Saint-Christ à Ham. Par suite du nouveau dispositif de la D. I., le 3ème bataillon du 41ème R.I abandonne Estrées-Deniécourt, qui sera occupé par le 117ème R. l. Le 3ème bataillon du 41ème R.I s'installera à Soyécourt. Le 1er bataillon du 41ème R. quittera Soyécourt pour aller occuper Foucaucourt, jusqu'à présent tenu par le 31ème R. T. A. de la 7ème D. I. N. A. (division d'Infanterie nord-africaine). Le 2ème bataillon du 41ème R.I, quittant les rives de la Somme, viendra occuper Herleville, actuellement défendu par le 31ème R. T. A. (régiment de Tirailleurs algériens) de la 7ème D. I. N, A. Ce nouveau dispositif devra être pris par échelons entre le 30 mai et le 2 juin. Les ordres sont donnés en conséquence par le colonel. Dans la nuit du 30 mai au 31 mai, le 1er bataillon
du 41ème R.I va occuper Foucaucourt, laissant une section dans Soyécourt.
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, le 3ème bataillon du 41ème R.I, moins la 9ème compagnie occupant Fay, qui reste, malgré la difficulté de ses liaisons, dans le sous-secteur du régiment, se portera à Soyécourt.
Enfin le 2ème bataillon du 41ème R.I, procédant par étapes, viendra occuper Herleviile dans la nuit du 1 au 2 juin.

En exécution de ces ordres, divers contacts sont pris avec le 31ème R. T. A., qu'il faut relever; ils permettent de constater la nervosité des tirailleurs qui, à tout bout de champ, tirent en tous sens pour
se donner du courage: le jour quand les obus tombent, la nuit quand ils entendent le moindre bruit. Le calme de nos Bretons qui deviennent aguerris ressort d'autant plus à ce contact.

31 Mai

À la fin de la nuit, le 1er bataillon du 41 a relevé à Foucaucourt le 3ème bataillon du 31ème R. T. A. Malgré toutes les précautions prises on déplore un tué et un blessé, non par I'action de I'ennemi, mais par le fait des tirailleurs.

Journée assez calme. De I'observatoire d'Estrées, nos artilleurs règlent à merveille de beaux cartons. Les Allemands se camouflent vraiment mal et leurs convois de troupes sont terriblement tentants
pour nos canons. La supériorité de notre artillerie est vraiment très nette. L'artillerie allemande semble arroser au hasard les villages et leurs abords, causant seulement l'écroulement de maisons et des pertes légères.

Vers 19 heures, dans un ciel toujours bleu, les avions allemands qui, pour la première fois, ne s'étaient pas montrés de la journée, passent au nombre de six. Ils survolent à pleins gaz et à basse altitude nos
villages. Fatale imprudence, L'effet moral est inverse de celui escompté par l'ennemi; nos tireurs au F. M. et à la mitrailleuse ne laissent pas échapper de telles cibles; le tir crépite de tous côtés. L'un de ces avions, après avoir survolé Estrées, laisse échapper une fumée noire, s'élève brusquement, puis s'abat en flammes après avoir lâché un homme en parachute que le vent pousse vers les lignes allemandes. Victoire ! C'est le troisième avion abattu par le régiment en quelques jours.

Dès le début de la nuit, à partir de 22 heures, le 3ème bataillon, par compagnies échelonnées, quitte Estrées qu'il occupait depuis le 24 mai pour se porter à Soyécourt. Le 1er bataillon du 117ème R. I. le remplace. La relève est terminée à minuit 30 sans incidents.

Pendant ce temps, le 2ème bataillon, relevé par la 29ème D. I., s'est regroupé à Licourt et s'apprête à faire étape pour Vermandovillers et Herleville.

1er Juin

La nuit, bien commencée. va t-elle se terminer sans incidents? Depuis quelques jours, en effet, I'ennemi tâte les villages avancés du secteur de notre division, lançant des coups de main plus ou moins forts, au lever du jour: ainsi à Fay et à Berny.

Soudain, à 3 h 15 retentit un bruit intense de fusillade. Une fusée verte monte dans le ciel, et bientôt se déclenche le tir de barrage de 75. C'est à nouveau Fay qui est attagué. A Soyécourt, le 3ème bataillon
est en état d'alerte, ainsi que le 1er bataillon du 117ème qui occupe maintenant Estrées. Aucun renseignement. L'E. R. 17 a pu confirmer la demande de barrage, car le téléphone est coupé. Tout rentre enfin dans le calme et, au petit jour, une patrouille est envoyée aux renseignements.
Les premières nouvelles ne sont pas bonnes. Fay a subi une violente attaque gui a été repoussée, mais le lieutenant Payen et toute sa section sont portés manquants. Le chef de bataillon Jan, commandant le 3ème bataillon du 41ème R.I, se rend personnellement à Fay, et bientôt parvient la
nouvelle du glorieux fait d'armes que la 9ème compagnie a inscrit à I'actif du régiment.

Le village de Fay, situé à 2 kilomètres au nord de la route Amiens-Péronne, au débouché .d'un ravin venant de Dompierre-Becquincourt, forme une pointe dans le dispositif ennemi. C'est par conséquent un point important à conquérir pour celui-ci, car il interdit les débouchés ennemis sur Estrées et sur Foucaucourt. Depuis le 30 mai au soir, la 9ème compagnie a relevé la 11ème compagnie. Elle est commandée par le capitaine Dunand et renforcée d'une section de mitrailleuses de la C. A. B. 3. Les abords du village ont été assez fortement installés, tant par la 11ème ,compagnie que par la 9ème, qui craignait avec raison de nouveaux coups de main.

Vers 22 heures, le sous-officier de garde d'une section a été mis en éveil par une agitation anormale dans le troupeau des nombreuses vaches errantes aux abords du village. Le capitaine Dunand, alerté, a redoublé de surveillance et renforcé la garde. Soudain, vers 3 heures, le sous-officier de garde à la barricade nord-ouest du village ayant entendu parler allemand alerte la garnison, et lorsque, à 3 h 15, un fort groupe d'Allemands se rue sur cette barricade, tout le monde est à son poste, prêt au feu. Malheureusement, le fusil-mitrailleur défendant cette barricade s'enraye après quelques rafales et les Allemands, appuyés par trois puissants lance-flammes, se lancent à I'assaut, jetant leurs grenades
à manches et leurs fumigènes dans toutes les directions. Les lance-flammes mettent le feu à la barricade et à une maison contiguë près de laquelle sont calcinés le cheval et la voiturette du mortier de 60.
Emportés par leur élan, les Allemands, bousculant les restes de la section du lieutenant Payen, qui défendait la barricade, arrivèrent jusqu'au centre du village, mais là ils tombent brutalement sous le leu des fusils-mitrailleurs du lieutenant Mauduit dont les V. B. appuient I'action; ils refluent alors vers le nord, en désordre, et un groupe d'une vingtaine d'entre eux s'engouffre dans la cour de la ferme servant de P. C. Ils sont alors reçus par le feu de la section de mitrailleuses commandée
par le sous-lieutenant Vaillant qui, ayant rapidement déplacé une pièce, fait un véritable carnage. Le jour commence à se lever. La maison en flammes éclaire la scène. Les fumigènes allumés par les Allemands dégagent une âcre fumée mélangée à celle des nombreuses cartouches brûlées. L'ennemi qui s'efforce alors de se replier vers Assevillers est à nouveau pris à partie par les mitrailleuses et les F. M. du point d'appui tenu par la section de I'adjudant Le Denmat qui battent le glacis au débouché nord de Fay. Le tir de barrage de nos artilleurs achève la besogne. Il est 6 heures. Le capitaine Dunand lance alors en avant la section du sous-lieutenant Mauduit qui fait quelques prisonniers dans les jardins, puis, appuyée par la section Le Denmat, réoccupe la partie nord-ouest, du village, faisant encore des prisonniers, Seuls quelques Allemands réussissent à franchir le barrage de feu et à regagner Assevillers. Pendant ce temps la section du lieutenant Payen, bousculée par l'ennemi et coupée du village, s'est regroupée entre Fay et Assevillers. Empêchée de regagner Fay par suite des tirs de barrage, elle atteint Estrées, d'où elle rejoint sa compagnie.

L'attaque ennemie avait été menée par environ 150 hommes amenés le soir même de Péronne à Assevillers en camions. L'ennemi laissa entre nos mains 29 prisonniers et 16 cadavres, dont un officier. Une cinquantaine de cadavres gisaient dans la plaine. En outre, 36 fusils, 2 mitrailleuses légères, 3 mitrailleuses lourdes, 2 lance-flammes, 50 grenades et tout un lot d'équipements et de munitions, sans oublier des bobines de fil téléphonique, tombent entre nos mains.

La 9ème compagnie a perdu 1 sous-officier et 5 hommes tués, 7 sous-officiers et 8 hommes blessés. C'est, pour notre régiment, un brillant succès.

Le matin, vers 10 heures, le 2ème bataillon du 41ème R.I venant de Licourt arrive à Vermandovillers où il stationne pendant la journée, préparant la relève du 2ème bataillon du 31ème R. T. A. à Herleville, qui doit avoir lieu dans la nuit. Le 2ème bataillon était séparé du reste du régiment depuis le 23 mai au soir.

Journée calme; temps splendide. Contingent habituel d'obus sur les villages, accueilli avec le flegme des vieilles troupes. Visite quotidienne de plusieurs groupes d'avions, ennemis bien entendu, car les avions français ou alliés demeurent invisibles.

2 Juin

Durant la nuit, le 2ème bataillon a gagné Herleville. La relève s'est effectuée sans incident. Le regroupement du régiment est ainsi terminé, et le nouveau dispositif est en place..Les divers éléments du 41ème R.I sont ainsi disposés. Au nord, en pointe, à 2 kilomètres de la route nationale Péronne-Amiens, une compagnie du 3ème bataillon occupe le village de Fay.

A sa gauche, à 3 kilomètres au sud-ouest, le 1er bataillon défend Foucaucourt, à cheval sur la route nationale Amiens-Saint-Quentin. A 4 kilomètres au sud de Fay, le 3ème bataillon occupe Soyécourt. En outre, entre Soyécourt et Fay, un point d'appui intermédiaire été établi dans le bois du Satyre, sur la route nationale. Il est tenu par une section de la 11ème compagnie, avec le groupe de mortiers de 81. En arrière de Foucaucourt, et à 2 kilomètres au sud-ouest, le 2ème bataillon est établi dans
Herlevilie.

En arrière de Soyécourt et à deux kilomètres se tient, à Vermandovillers, le P. C. R. I., avec la 7ème compagnie du 2ème bataillon.

Enfin la C. H. R. est à Lihons, à 4 kilomètres au sud de Vermandovillers, avec le G. R. D. I.

L'artillerie appuyée par le régiment est ainsi disposée: À Vermandovillers, un groupe de 155 du 210ème R. A. L.; au Bois-Etoilé (1 kilomètre ouest de Vermandovillers), un groupe de 75 du 10ème R. A. D. et un groupe de renforcement du 304ème R. A. P. Chacun des villages, sauf celui de Fay, possède des canons anti-chars, soit des canons de 25 organiques des bataillons, soit de la C. R. E., soit de la C. D. A. C. ; soit des canons de 47 de deux B. D. A. C., venues en renforcement, et
deux pièces de 75 anti-chars.

Enfin, à Vermandovillers se trouve un groupe de canons de 25 anti-aériens et à Soyécourt la section de mitrailleuses anti-aériennes de 20 mm, appartenant au 1er bataillon.

Le régiment est encadré, à droite (Est) par Ie 117ème R. I., qui occupe Belloy-en-Santerre, au nord de la route Amiens-Saint-Quentin, Estrées et Berny-en-Santerre, Deniécourt, Arblaincourt et Pressoir, où
se trouve le P. C. 117. Le 117ème est lui-même prolongé à sa droite par le 22ème R. M. V. E., 3ème régiment de la division, qui occupe Fresnes-Mazancourt, Misery, Marchelepot ; ce régiment a, à sa droite la 29ème D. l. puis la Somme, dont la boucle remonte vers le sud jusqu'à Ham et dont l'autre rive est occupée par les Allemands.

Le P. C. de l'Infanterie divisionnaire (P. C. I. D.) est à Chaulnes et le P. C. de la division (P.C.D. I.) à Rouvroy.

Le régiment est encadré à gauche (Ouest) par le 31ème R. T. A. faisant, partie de la 7ème D. I. N. A., qui occupe Chuignolles, le Bois Sainte-Marie, Proyart et Framerville. La gauche de la 7ème D. I N. A. borde à nouveau la Somme, dont le cours, après la boucle de Péronne, sud-nord,descend vers l'ouest.

C'est dans ce dispositif et sur ces lieux que le régiment subira l'offensive allemande du 5 juin. Il est intéressant de décrire le cadre dans lequel devaient se dérouler ces opérations: la plaine de la Somme,
paysage de Beauce, avec quelques lentes et faibles dénivellations de terrain. A L'Est, un terrain plat, désespérément plat, jusqu'à la Somme qui coule sud-nord, à 8 kilomètres de la. Au nord-est, même aspect si ce n'est que, près de Villers-Carbonnel, un léger bombement de terrain masque la ville de Péronne que l'on voit cependant de certains clochers, et qui est à 12 kilomètres. Au nord, Assevillers occupe la crête d'un léger repli du sol. Puis, à quelques kilomètres au nord s'étend Dompierre-
Becquincourt, sur le bord du plateau dominant la rive sud de la Somme. Dompierre, centre important ennemi, journellement bombardé par nos artilleurs qui essaient en particulier d'abattre la cheminée de la sucrerie, observatoire excellent pour l'ennemi. Plus en arrière, à une dizaine de kilomètres, on voit les lignes de hauteurs bordant la rive nord de la Somme, bons observatoires lointains pour I'ennemi. Au nord-ouest, vues limitées par le bois Sainte-Marie et les hauteurs dominant un ravineau qui se dirige vers la Somme. Au sud-ouest, au sud et au sud-est, à perte de vue, la plaine ondulée ... Pas de haies, pas de talus, pas de fossés : rien qui nous rappelle un coin quelconque de notre Bretagne, mais l immensité plate où courent les routes parmi les champs et les champs, sens un arbre, sans un buisson. Çà et là cependant quelques petits boqueteaux et des bois isolés. Un de ces bois, le bois du
Satyre, longeant les lisières ouest de Fay, s'étend jusqu'aux abords de Soyécourt et constitue un couloir d'infiltration dangereux. Un autre, le Bois-Etoilé, s'étend entre Herleville et Vermandovillers. Enfin, entre Vermandovillers et Chaulnes, Ie bois de Chaulnes, très étroit. Quelques boqueteaux aux lisières nord d'Herleville, un autre boqueteau à la sortie sud de Vermandovillers. Ces bois, seuls abris pour nos batteries d'artillerie, furent naturellement très vite repérés par I'ennemi. Dans cette plaine monotone, où les champs ne sont même pas entourés de barbelés, s'étendent çà et là des villages aux maisonnettes encore neuves. Cette région fut déjà en effet le théâtre de violents combats, et tout y
fut détruit par les bombardements en 1914-1918. Une partie seulement des villages a été reconstruite, aussi pas de rues, mais, en général, des maisons éparses, souvent éloignées les unes des autres, parfois groupées en petits paquets, et occupant cependant toute la surperficie de I'ancien village, trop grande pour le nombre actuel des maisons. Toutes les constructions sont en briques, généralement sans étage. En résumé, cette plaine est facile à défendre contre I'infanterie ennemie, si ce n'est
quelques couloirs d'infiltration, mais elle constitue aussi un terrain idéal pour l'évolution des chars d'assaut. Les villages eux-mêmes séparés les uns des autres par plusieurs kilomètres sont difficiles à défendre parce que formés de maisons éparses et trop fragiles. On regrette les villages
et les bourgs aux maisons accolées, construites en pierre de taille, munies de caves solides et encerclées de jardins aux murs épais...

La T. S. F. nous a appris, que les restes de l'armée de Belgique ont fini de s'embarquer à Dunkerque, L'armée de Blanchard lutte encore. On nous a annoncé I'attaque d'une division blindée anglaise gui aurait repris Abbeville et très légèrement progressé vers le nord, mais, tous renseignements pris, si cette attaque a eu lieu, c'est à l'aide d'une division blindée française formée de tous les chars échappés de Belgique; elle n'a d'ailleurs pas eu de suite. Il y a déjà plusieurs jours que les derniers
éléments de I'armée anglaise du nord ont regagné leur île. Nous espérons bien les voir débarquer au Havre ou à Dieppe. Et tous ceux qui ont occupé la Bretagne cet hiver, que font-ils ? Aucun avion allié
dans le ciel; toujours et uniquement les croix allemandes. La situation est inquiétante, mais, fort heureusement, on n'a guère le temps d'y songer.

Il faut s'attendre d'un jour à I'autre à une grande attaque allemande. Toutes les forces disponibles vont bientôt déferler vers le sud, sur nous. On nous transmet l'ordre du jour du général Weygand : « Tenez !
C'est le sort de la France gui est en jeu. Si nous pouvons tenir un mois, c'est la victoire probable ! » Le moral est excellent. Qui de nous songe à autre chose qu'à « tenir » ? Le général de division nous a envoyé l'ordre suivant : « ]e réitère I'ordre déjà donné. Quelle que soit la violence des attaques et des bombardements auxquels peuvent être soumises les unités, aucun repli ne doit être ordonné ni toléré. On doit résister sur place jusqu'au dernier homme en faisant subir à I'ennemi le maximum de pertes. Le sort de la bataille actuelle en dépend. »

Les travaux continuent avec activité. Il faut appliquer l'ordre reçu du corps d'armée: S'enfermer dans les villages solidement barricadés, pour les défendre jusqu'au bout et attendre que les contre-attaques
prévues à cet effet viennent nous dégager. » Selon ces directives nous achevons de barricader solidement les routes, de créneler les maisons, de réunir les espaces vides entre les constructions par des tranchées profondes, munies d'emplacements de tir, et de creuser des boyaux de communication entre les points principaux. La parole est au pic et à la pioche. Le Génie pose de nuit des mines anti-chars aux endroits dangereux, entre Fay et Faucaucourt et aux issues des villages. C'est dimanche, paraît-il, mais c'est le gros travail comme en Sarre, cet hiver, on ne sait plus quel jour on vit.

Dans la soirée, nous apprenons que le général Toussaint, commandant notre notre 19ème D. I., vient d'être nommé à la tête de I'artillerie d'un corps d'armée ; il est remplacé par le général Lenclud.

Nos observateurs, des positions périlleuses, qu'iIs tiennent dans les clochers et les toitures, signaient de nombreux travaux ennemis devant Assevillers et Dompierre-Becquincourt. Des tirs d'artillerie bien centrés y mettent quelque agitation. Comme presque tous les jours des avions nous survolent et mitraillent un coin ou l'autre du secteur. sans autre résultat que de s'attirer les répliques nourries de nos armes automatiques. Le contingent habituel d'obus ne trouble guère notre activité.

3 juin

Dans la nuit, à 3 h 30,le téléphone carillonne : le 3ème bataillon signale que de Fay on entend des bruits de moteurs. On craint une attaque avec engins blindés. Tout le monde est alerté aux postes de
combat. Le temps passe et le renseignement n'est pas confirmé. Fausse alerte. Peut-être était-ce une colonne de camions ?

Durant la matinée, des patrouilles ennemies viennent tâter nos villages avancés : quelques rafales d'armes automatiques et de bons tirs de mortiers de 60 les mettent à la raison. Les transmissions sont sur les dents. Depuis huit jours les équipes posent ou réparent du fil sans arrêt. Les vaches errantes sont les pires ennemies de nos téléphonistes dont elles arrachent les fils chaque fois qu'elles les trouvent à leur portée; ce que les vaches laissent en état, les obus ennemis le volatilisent.

La ligne téléphonique de Fay n'a jamais pu fonctionner plus de quelques heures sans interruption. Les piles de radio doivent être ménagées pour le jour où les relations téIéphoniques seront toutes rompues.

Le temps splendide se maintient. Vers 13 heures une centaine d'avions ennemis nous survolent. Immense quadrilatère; formations impeccables; altitude moyenne. Ils se dirigent vers le sud et repassent en sens inverse vers 15 heures. Nous apprendrons qu'ils ont été bombarder Paris.

Les travaux continuent à plein rendement. Chacun en sent I'importance et s'y donne avec coeur. Des mines anti-chars sont posées devant Herleville, Vermandovillers, Soyécourt et, cette nuit, toutes les routes seront barrées par ces champs de mines. On recouvre de paille les abords des barricades, ce qui camoufle les mines. Des récipients d'essence sont amenés à proximité de sorte que la paille sera facilement enflammée si les chars ennemis s'en approchent. Des bouteilles de bière remplies d'essence sont distribuées partout dans les tranchées. Lancées sur les chars avec une mèche enflammée dans le goulot, elles feront du beau travail. Les chenillettes montent sans arrêt du barbelé, des piquets et des munitions aux villages avancés. L'ennemi semble s'inquiéter de ces travaux. L'avion d'observation qui nous survole tous les jours sans arrêt depuis le 22 mai s'agite désespérément. Malgré sa faible vitesse et sa silhouette démodée, cet avion n'est justiciable que de nos mitrailleuses
spéciales de 20 millimètres. Les autres armes automatiques sont impuissantes et nous avons la certitude qu'il est blindé. Il a dû rapporter aujourd'hui une moisson de renseignements, car à peine nous a-t-il quittés, en fin d'après-midi, que I'artillerie ennemie se met en action, La dose quotidienne est nettement dépassée, et les artilleurs du 210ème, au sud de Vermandovillers, reçoivent de fortes rafales. Mais personne n'est oublié, et dans chaque village du 41ème R.I, s'abattent les salves de 105,
Tout s'arrête avec la nuit qui tombe. Beaucoup de bruit; les dégâts sont faibles; les pertes minimes.

Le chef de bataillon Herrmann, commandant le 1er bataillon du 41ème R.I est nommé à la tête du 22ème R. M. V. E. et rejoint immédiatement son poste. Il est remplacé par le capitaine Giovannini, du 117ème R. I.

A 16 heures, le 31ème R. T. A. signale des bruits de chars dans la région de Chuignes, Le renseignement est confirmé peu après par des observateurs qui ont aperçu des chars sur le coude de la route de Chuignes à Dompierre, et l'artillerie coloniale qui soutient le régiment voisin tire à pleins tubes. Nos postes avancés sont alertés, mais rien n'est signalé dans notre sous-secteur. Les éléments avancés du 31ème R. T. A. au bois Sainte-Marie signalent eux aussi des chars dans I'après-midi. Ces indices d'une attaque prochaine nous conseillent une extrême vigilance.

4 Juin (1 jour avant l attaque allemande)

Au cours de la nuit, nombreux tirs d'armes automatiques, Les Allemands ont lancé toute la nuit des fusées éclairantes. Tirs d'artillerie violents dans le lointain. Cependant la nouvelle journée commence sans encombre. Soleil, ciel bleu. Dès 7 heures, tranquille, l'avion d'observation ennemi tourne en l'air, surveillant nos mouvements.

Aux P. C., la journée est remplie de nombreuses visites. Nous apprenons en effet que nous allons être relevés par une division franc'comtoise, la 47ème D,I., qui viendrait s'intercaler entre la 7ème D. I. N. A. et la 19ème D. I. Notre régiment passerait de l'aile gauche; à l'aile droite de la division. II irait occuper Saint-Christ, Epenancourt et Belhencourt. Ce changement n'est pas accueilli avec une grande satisfaction, car nous avons fait de nos villages de solides points de défense, et nous trouvons
amer, au moment où une sérieuse attaque ennemie se prépare et parait prochaine, d'avoir tout à recommencer dans de nouveaux villages et sur un terrain inconnu. Cependant I'idée que des renforts arrivent ne nous déplaît pas, car 18 kilomètres de front pour une division c'est quelque peu supérieur à ce qu'enseignent les manuels de chez Lavauzelle, surtout lorsque I'ennemi se présente à vous de face et de flanc.
Nous sommes loin du coude à coude de 14-18 Les officiers qui doivent nous relever reconnaissent le terrain, le matin et l'après-midi.

Pour assurer les liaisons entre les points d'appui et remplacer les lignes téléphoniques incessamment coupées, les liaisons radio sont établies.
Fay, en particulier, est doté d'un E. R. 17 supplémentaire, Après quelques rafales d'obus espacées, un calme absolu règne depuis 17 heures, Douce et tranquille soirée, les rayons du soleil couchant
dorent la plaine qui en devient presque belle. On songe au repos, à des nuits de sommeil, les nerfs se détendent ; on respire enfin. Dans le calme de la nuit étoilée, les petits postes veillent . . .

Chapitre 6 : l'attaque allemande 1er jour

5 Juin 1940

1h30. Un formidable tir de barrage de notre artillerie se déclenche soudain dans le secteur centre et est de la division, mais iI s'éteint rapidement. Renseignements pris, ce tir a été provoqué par plusieurs fusées vertes aperçues par les artilleurs dans la direction de Belloy et de Fresnes-Mazancourt. Aucun village cependant n'a lancé de fusées. Ce sont les Allemands qui ont essayé de nous tromper. Déjà, cet hiver, dans la Sarre, ils avaient usé du même stratagème. Depuis 1 heure, d'ailleurs, les guetteurs signalent une recrudescence de fusées ennemies de toutes couleurs : un vrai feu d'artifice où la couleur orange domine.

3 heures. La nuit étoilée s'écoule dans le plus grand calme, troublée par instants par les bruits habituels d'un secteur de combat : coups de feu isoles, courtes rafales d'armes automatiques, obus isolés éclatant quelque part. Somme toute, nuit sans incidents.


3 h 30. Brusquement retentit un grondement effroyable, un vacarme d'enfer, qui, loin de s'arrêter, s'amplifie de minute en minute. Nul doute, les officiers qui ont déjà fait l'autre guerre le disent : « C'est
l'attaque » Un formidable bombardement s'est abattu sur tout le secteur de la division. Dans le rougeoiement des éclatements, dans la fumée et la poussière, les fusées vertes s'élèvent, de Fay, de Foucaucourt, d'Estrées, de Belloy, de Berny, de Fresnes-Mazancourt, de partout, et notre
artillerie, à pleins tubes, 75 et 155, entre dans la danse. A l'avalanche d'obus dont les éclatements nous environnent de toutes parts s'ajoute le sifflement des salves françaises ou ennemies, qui pour d'autres destinations, passent au-dessus de nos têtes. La nuit semble se briser, le ciel semble éclater, le corps se rapetisse, le cerveau devient vide : une seule pensée y résonne. C'est l'attaque allemande, celle que nous attendions, mais qui devient une réalité. La volonté se concentre sur la tâche à accomplir et chacun, calmement, attend ou agit, suivant son rôle.


Au P. C. du régiment le téléphone sonne sans arrêt. De Foucaucourt, le 1er bataillon annonce qu'il est soumis à un violent bombardement et qu'il reçoit des obus incendiaires. Mêmes nouvelles de Soyécourt, de Fay, du point d'appui du bois du Satyre. Le P. C. du 117 confirme que tous ses villages sont bombardés et que ses points d'appui de première ligne ne répondent plus au téléphone. Le P. C. de Ia division nous informe que le bombardement s'étend sur tout le front de la D. I.


Les minutes s'écoulent dans un fracas infernal. Belloy, Berny, Estrées flambent comme des torches dans la nuit. Mêmes lueurs d'incendies au-dessus de Fresnes-Mazancourt, de Fay, de Foucaucourt,


4 heures. Le jour se lève. Dans la plaine, au milieu de la fumée et
de la poussière, les vagues de chars ennemis s'avancent. Des observatoires, on les voit, contournant et dépassant Estrées, Berny, Fresnes-Mazancourt, atteignant déjà Ablaincourt et Pertain, au milieu des
champs verts et bien au-delà de la portée de nos armes. Il y en a partout, mais surtout dans la partie Est de la division, où l'on en compte à cette heure plus de trois cents. Ils avancent toujours plus au Sud, contournant à distance les villages qu'ils semblent éviter, circulant dans cette plaine plate, sèche, sans haies, sans talus, sans arbres. Et soudain, dans un vrombissement formidable, des vagues d'avions s'abattent sur nous. Les bombes tombent en sifflant, soulevant de grandes colonnes
noirâtres; tout tremble. Les avions descendent en piqué sur leurs objectifs et le bruit des bombes s'ajoute à celui de l'artillerie qui n'a pas cessé son feu. Sur tout cela gronde le ronflement des moteurs. On ne peut que subir. 250 avions environ sont dénombrés, et sans arrêt ils survolent le secteur de la division, semant sur des objectifs soigneusement repérés leurs engins de mort. Parmi ces avions on note un pourcentage important d'avions à train d'atterrissage fixe. Même, au-dessus de Fressoir, un monoplan « style 1928 >>, aux jambes longues comme des pattes d'araignée, balance ses bombes par-dessus la carlingue. L'ennemi a tout utilisé, même ses vieux << zincs >>. Qui l'en empêcherait ? Certes pas nos avions, ni ceux des Anglais, toujours invisibles.


5 heures. Le téléphone est partout coupé. Des 15 lignes qui aboutissaient au Centre du P. C. R. I., une seule fonctionne encore, celle de l'observatoire, mais la radio marche à plein rendement et les liaisons
avec les divers points d'appui restent possibles. La dernière communication téléphonique est venue du P. C. du 117ème R. I. où le colonel Cordonnier annonce qu'il est toujours sans liaison avec ses points
d'appuis qui, écrasés par l'artillerie et l'aviation, semblent submergés. Il ajoute : << Quoi qu'il arrive, je tiendrai jusqu'au bout. >> Et il tiendra parole.


6 heures. Les chars ennemis continuent à progresser. Ils ont largement dépassé l'aile droite du régiment et se dirigent vers le sud.

Derrière eux on voit des colonnes d'infanterie allemande qui cherchent à déborder Estrées, Berny, Fresnes-Mazancourt. Le 22ème R. M. V. E. va-t-il tenir ? Remplaçant depuis le 1er mai dans notre division d'active bretonne, le 71ème R. I. de Saint-Brieuc, il est en effet composé d'hommes de
races différentes non aguerris, mais à défaut de cohésion ses hommes montrent un courage remarquable et il tient. Le 117ème subit vaillamment cette avalanche de fer et de feu. Estrées-Deniécourt, Pressoir et Ablaincourt tiennent toujours. Belloy et Berny semblent submergés par
les masses ennemies, mais résistent encore.

7 heures. Une seconde vague de chars descend vers le sud. Il y en a plus de 200. Ils avancent rapidement dans la plaine. Certains encerclent les villages qui résistent. Derrière marchent des colonnes de camions pleins de troupes, qui passent hors de portée de nos armes (4 à 6 kilo-
mètres vers l'Est). Seuls quelques avions nous survolent. Les artilleurs du 210ème R. A. L. ont été durement bombardés par l'aviation, mais courageusement, ils reprennent leurs tirs à forte cadence pour protéger le front de notre régiment. Car le 41ème tient magnifiquement.

Foucaucourt, que défend le 1er bataillon, a subi un violent bombardement par obus explosifs et incendiaires de 3 h 30 à 5 h 30, mais lorsque l'infanterie ennemie a voulu déboucher au nord du village elle a été rapidement stoppée par nos tirs d'armes automatiques et par le tir d'arrêt de nos 75 qui lui ont causé des pertes sensibles. A plusieurs reprises les Allemands ont tenté de progresser, mais les éléments les plus rapprochés ne sont pas arrivés à plus de 400 mètres et, dès 6 h 30,
leur avance était complètement bloquée. Cependant, à l'ouest de Foucaucourt, débordant ce village, de fortes colonnes ennemies s'avancent vers le Sud tandis qu'on voit les troupes débarquer des camions près de Dompierre-Becquincourt pour aller renforcer les colonnes qui attaquent Estrées.

Fay a également subi un intense bombardement par 105 et 150 depuis 3 h 30. L'ennemi a voulu tout de suite réduire ce village placé en pointe. Ce saillant le gêne, et dès 3 h 40 des éléments ennemis profitent des bois qui s'étendent, depuis le Nord jusqu'aux lisières Ouest du village. Ils sont massés là, à quelques centaines de mètres de Fay.

A 4 heures se déclenche une violente attaque, accompagnée de tirs nourris de mitrailleuses et de minen. La 1ère compagnie résiste avec un brillant courage. 150 hommes pour défendre ce village, c'est peu, mais les défenseurs se multiplient. Les Allemands subissent de lourdes pertes, mais de nouveaux hommes surgissent toujours du bois pour franchir les quelques centaines de mètres qui séparent le bois du village, et vers 4 h 30, un petit nombre d'entre eux parviennent aux vergers à I'Ouest de Fay. Là s'arrêtent leurs succès et, malgré leurs efforts, ils ne peuvent progresser plus loin.

P. A. intermédiaire du bois de Satyre. Pendant ce temps la section de l'adjudant-chef Lebreton, qui occupait dans le bois du Satyre, au Sud-ouest de Fay, un point d'appui situé à cheval sur la route d'Amiens à Saint-Quentin, n'était pas restée inactive. Placée à cet endroit par le colonel du 41ème, à la demande du général Toussaint, elle a pour mission d'interdire le passage de la route nationale et d'arrêter les éléments ennemis qui voudraient profiter de l'abri des bois pour déborder Fay
par l'Ouest et atteindre ainsi l'intérieur de notre dispositif. La section Lebreton est bombardée dès 3 h 30 par obus et par avions, sans résultats grâce à sa dispersion et à son camouflage dans les bois. Vers
4 heures, des éléments ennemis atteignent Ia route nationale dans le bois du Satyre. Tandis qu'une partie de la colonne allemande gui progresse par le bois du Satyre s'attaque à Fay, l'autre partie continue vers le Sud en suivant la lisière ouest du bois. C'est alors qu'elle tombe sur le groupe Le Goff, de la section Lebreton, qui prend d'enfilade la route nationale en direction d'Amiens, puis, sur le 3ème groupe placé plus en arrière. Arrêté par des tirs efficaces, l'ennemi essaie de réduire la résistance et lance une vive attaque sur les douze hommes du groupe du sergent Le Goff. Mais celui-ci se défend avec un courage admirable et repousse tous les assauts successifs de l'ennemi qui, finalement,
renonce à le réduire, Pendant ce temps, des éléments allemands, laissant les leurs aux prises avec le groupe Le Goff, poussent vers le Sud et atteignent vers 5 heures la lisière sud du bois du Satyre, à
1500 mètres Nord-Est de Soyécourt, qui est tenu par les trois autres sections de la 11ème compagnie et par la 9ème compagnie. Ils essaient aussitôt de déboucher en direction de ce village, mais ils sont accueillis par des feux nourris d'armes automatiques et par des tirs de mortiers de 81 auxquels se joignent les mitrailleuses de 20 mm, Ces tirs sont si efficaces qu'après quelques essais infructueux l'ennemi n'insiste pas et disparaît dans le bois, abandonnant ses morts dans la plaine.

Herleville. Ce n'est qu'à 5 heures que le bombardement s'abat soudain sur Herleville, violent, brutal. Il ne précède que de peu de temps l'avance des colonnes ennemies qui progressent entre Foucaucourt et le bois Sainte-Marie, profitant de ce couloir d'infiltration. Les premiers obus de ce bombardement ont un effet malheureux: Ia même salve atteint le lieutenant Prigent, officier-adjoint, qui est tué sur le coup, le capitaine Thouron, commandant le 2ème bataillon, et le lieutenant Ravoux, commandant la C. A, B, 2., qui sont blessés tous deux gravement. Ces pertes, dans un bataillon qui ne compte plus que 11 officiers sur 21, se feront fortement sentir par la suite. Courageux à l'extrême, le capitaine Thouron, après s'être fait panser, reprend le commandement de son bataillon, malgré la douleur de son bras déchiqueté. Il ne sera évacué qu'à Ia fin de l'après-midi. A 5 h 30, les colonnes ennemies débouchent
sur la plaine, entre Herleville et Soyécourt, en masses serrées, inconscientes du péril qui les menace. Les fantassins marchent debout, l'arme à la main. On voit même parmi eux, sur la route, une voiture hippomobile, des bicyclettes, quelques motocyclettes. Ils progressent, certaines unités vers le village, d'autres vers la trouée entre Herleville et le Bois-Etoilé qui barre la plaine à 2 kilomètres Ouest de Vermandovillers et à 3 kilomètres Sud-Est d'Herleville. Dans ce bois se tient une batterie du 10ème R. A, D., protégée par une section de la 7ème compagnie. En arrière du bois, près de la route Vermandovillers-Herleville, une batterie de 75 du 304ème R. A. P. est en position. Le 2ème bataillon et les artilleurs laissent approcher l'ennemi à quelques centaines de mètres. Fusils, F. M., mitrailleuses et canons chargés à obus à mitraille sont braqués sur les colonnes qui avancent toujours. Soudain le feu se déclenche, violent, infernal. Subissant des pertes considérables, les unités ennemies, surprises, tourbillonnent sur place, puis se terrent, et la lutte commence.

Ainsi, à 7 heures du matin, la situation dans le sous-secteur du régiment est la suivante: les éléments ennemis qui attaquaient Foucaucourt ont été nettement arrêtés devant ce village, sans possibilite de
progresser. Une colonne ennemie, qui avait débordé Foucaucourt par l'est, profitant de l'abri des bois que l'on rencontre depuis les abords de Assevillers jusqu'aux abords de Soyécourt, a atteint et violemment attaqué le flanc Ouest de Fay, mais elle a été repoussée, à l'exception de quelques éléments isolés qui occupent les vergers au Nord-Ouest de ce village. Des é1éments de cette même colonne progressant vers le sud par la lisière Ouest du bois du Satyre ont été pris à partie par le feu
de Ia section Lebreton qu'elles ne peuvent pas réduire. Enfin le reste de cette colonne ennemie, assez diminuée, a continué sa marche vers le Sud, mais elle n'a pu déboucher du bois, arrêtée par le feu violent du 3ème bataillon qui tient Soyécourt, et elle s'est repliée dans l'intérieur du bois. Enfin, une forte colonne, débordant Foucaucourt par l'Ouest, s'est avancée dans la plaine jusqu'à 200 mètres d'Herleville et 400 mètres du Bois-Etoile. Elle vient d'être totalement arrêtée. A la gauche du régiment le 31ème R. T. A. a abandonné le bois Sainte Marie, mais tient ferme sur toutes ses positions à hauteur de Foucaucourt. A la droite du régiment, la situation du 117ème et celle du 22ème R. M. V. E.
sont moins bonnes. L'ennemi a en effet concentré la plupart de ses moyens sur l'axe de la route Péronne-Paris. La 19ème D. I., surtout sur son aile droite et son centre, a supporté tout le poids des forces ennemies qui ont progressé en dépit d'une résistance acharnée et lui ont causé de lourdes pertes. Estrées et Deniécourt, assaillis par des colonnes d'infanterie que les combattants de Fay voient débarquer sans arrêt, appuyées par des chars, tient toujours. Plus en arrière, Pertain et Ablaincourt ne sont pas entamés, et le 117ème R. I. résiste malgré de fortes attaques. Plus loin, Belloy, Berny, Fresnes-,Mazancourt sont violemment assaillis par les l'infanterie et les chars. L'aile droite du 117ème R.I semble neutralisée. On voit partout des engins qui circulent dans les plaines, s'acharnant sur les villages malgré leurs lourdes pertes. Depuis 3h30 jusqu'à 7h00, plus de 500 chars ont été lancés dans le secteur de la Division et leurs éléments avancés ont déjà dépassé Chaulnes, à 10 km à l'intérieur notre dispositif.

Et la bataille continue.

L'artillerie qui avait un peu ralenti ses tirs, s'acharne à présents sur les village qui résistent. Partout les maisons construites en briques légères s'effondrent. A Foucaucourt, l'ennemi arrêté dans la plaine par les tirs intenses et précis par artilleurs et nos mitrailleuses semble avoir compris l'inutilité de nos efforts. Par contre, ont voit ses renforts continuer à descendre de Dompierre vers Estrées, ou le 117ème RI se défend avec acharnement. Ils passent malheureusement hors de portée de nos armes. A l'Ouest, quelques faibles éléments débordent assez loin Foucaucourt et se dirigent vers Herleville. Vers 10h00, 4 engins blindés venant d'Estrées s'approchent de la barricade Est de Foucaucourt, à une bonne portée de canon de 25. Nos obus les encadrent; ils ralentissent leur marche. L'un d'entre eux à cependant continué lorsque, à proximité de la barricade, il saute sur une de nos mines anti-chars. Devant ce sort fâcheux, les trois autres engins s'enfuient à plein gaz.

A Fay, ou le bombardements fait rage, le Capitaine Dorange, commandant la 10ème Compagnie, est tué peu après 7h00 par un éclat d'obus. Le Lieutenant Le Moal prend le commandement de la Compagnie. L'ennemi s'efforce par des tirs d'artillerie et de minen, de nous causer de fortes pertes. Puis il continue sa pression par l'Ouest, mais malgré ses violentes attaques, il ne peut toujours progresser. A 9h30, le Lieutenant Bernard est grièvement blessé. A 10h30, le groupe de mitrailleurs qui défend l'Est de Fay prend à partie un groupe de motocyclistes sur la route d'Assevillers à Estrées, et le disperse en lui causant plusieurs tués. A 12h00, l'ennemi est toujours arrêté à 200 m à l'Ouest du village. Des éléments isolés occupent les vergers du Nord Ouest et ne peuvent progresser. Les munitions, malheureusement s'épuisent rapidement.

Dan le bois du Satyre, les Allemands reprennent leurs attaques sur le point d'appui intermédiaire de l'Adjudant Chef Lebreton. Répartis dans les bois, les groupes de combats ne peuvent que difficilement se porter assistance et chacun doit compter surtout sur lui-même. Le groupe Le Goff, le plus en pointe est à nouveau assailli vers 10h00 par des forces importantes qui neutralisent les autres groupes. C'est un combat farouche. Pendant près de 2h00, ce groupe de 12 hommes tiendra tête à des forces 10fois supérieures. Il luttera jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière cartouche. Mais le Sergent Le Goff est tué.

Tous ses hommes sont successivement tués ou blessés et l'ennemi peut enfin, vers 12 heures, reporter toutes ses forces sur le reste de la section. Mais la aussi il rencontre la même résistance et dès le début de l'après-midi il doit relâcher sa pression, puis arrêter ses attaques sans avoir pu entamer aucun des autres groupes. C'est qu'en outre la situation commence à devenir mauvaise pour lui dans la plaine, à l'Ouest du bois du Satyre. Les forces ennemies arrêtées vers 7 heures dans la plaine devant Herleville et le Bois Etoilé se sont aussitôt efforcées de progresser par bonds avec l'appui de nombreuses mitraillettes et mitrailleuses. Devant Herleville, malgré leurs efforts, elles n'obtiennent aucun résultat : nos armes automatiques arrêtent tous leurs mouvements, leur causant des pertes sensibles. Malheureusement il n'en est pas de même entre Herleville et le Bois-Etoilé. En effet, profitant des replis du terrain, certains éléments ennemis avancent peu à peu dans la plaine sur les 3 kilomètres qui séparent Herleville du Bois Etoilé. Ils atteignent et débordent la lisière Nord de ce bois. Sans doute les 75 tirant à balles, débouchés à zéro, causent des pertes effroyables parmi les fantassins ennemis qui s'efforcent d'atteindre de face le bois, mais malgré ce tir violent, courageusement, méprisant leurs pertes, les troupes ennemies avancent quand même. Nous manquons en effet pour arrêter cette progression sur un front de 3 kilomètres d'un barrage de feux suffisant. Les 3 FM de la section de la 7ème compagnie, les mitrailleuses Saint-Etienne et les
fusils mitrailleurs 1915 des artilleurs (armes datant de l'autre guerre) se révèlent bien faibles pour un front pareil. Les artilleurs du 10ème R. A. D. combattent avec acharnement, le fusil à Ia main, comme
de vrais fantassins. Mais l'ennemi avance toujours, homme par homme. Les obus à mitraille dont les résultats sont formidables commencent à toucher à leur fin et il faut les alterner avec des obus explosifs qui ne conviennent guère pour tirer quelques centaines de mètres. Et l'ennemi progresse toujours vers le Bois Etoilé et dans la plaine vers le Sud.

10 heures. La situation devient de plus en plus critique. L'ennemi a dépassé le Bois Etoilé et ses mitraillettes prennent d'enfilade la batterie du 304ème R. A. P., obligeant les servants à quitter leurs pièces. La situation est grave, il faut agir. Déjà, à plusieurs reprises, les artilleurs ont demandé au colonel du 41ème qu'on leur porte secours. Mais où trouver des renforts ? Tous les villages sont attaqués ou menacés de l'être d'un moment à l'autre. Aucun élément ne peut être distrait de leurs
faibles garnisons. C'est alors que le colonel tente une action d'audace, Il donne l'ordre à l'adjudant Tardiveau de prendre deux chenillettes, de les armer d'un F.M. chacune et de tenter de dégager les artilleurs,
Sans doute les chenillettes sont des engins de ravitaillement, sans armes, avec un faible blindage, et non des engins de combat, mais il faut tout essayer. L'adjudant Tardiveau part aussitôt et sans hésiter,
se trance sur la route de Vermandovillers à Herleville, puis dans la plaine pour dégager d'abord les artilleurs du 304ème. Ceux-ci se défendent au mousqueton contre les éléments ennemis qui, se rapprochant peu à peu, on atteint et même dépassé la route d'Herleville à Vermandovillers, à 400 mètres au Sud du Bois Etoilé.

Sans hésiter, agissant avec ses chenillettes comme avec des chars, méprisant les balles qui frappent
les parois de ses engins, l'adjudant Tardiveau parcourt la plaine, mitraillant avec ses deux F.M. tout élément qui résiste. Blancs de poussière, abrutis par 6 heures de lutte, affolés par ce qu'ils pensent être des chars français, démoralisés, les Allemands se rendent par petits groupes et, vers 13 heures, une colonne d'une centaine de prisonniers, convoyée par des artilleurs, arrive au P. C. R. I. Vers 13h30, par son action énergique et décisive, l'adjudant Tardiveau a dégagé toute la plaine entre le Bois Etoilé et la route d'Herleville à Vermandovilers et les artilleurs du 304ème reprennent leurs tirs devant Fay et Foucaucourt.

Mais, pendant ce temps, la situation a empiré aux lisières Nord du Bois Etoilé. En effet, malgré la résistance désespérée des artilleurs et de la section de la 7ème compagnie, les Allemands ont pris pied dans la partie Nord du bois où la situation devient intenable. Les balles sifflent de tous
côtés ; un aspirant d'artillerie vient d'être tué le mousqueton à la main ; nos pertes sont nombreuses. Emporté par son succès, l'adjudant Tardiveau déborde le Bois Etoilé par l'Ouest et se lance dans la plaine. L'apparition de ses deux engins produit le même effet de surprise et de démoralisation sur l'ennemi qui, décimé par le tir à bout portant de nos canons et par les rafales de nos armes automatiques, se bat depuis le lever du jour et se trouve littéralement à bout. Ses cadavres jonchent
la plaine. Ses éléments se rendent par petits groupes. En quelques heures le Bois Etoilé est dégagé et les débris des colonnes allemandes sont dirigés à pied ou dans des bennes de chenillettes sur Vermandovillers. 4 officiers, dont un chef de bataillon, et 3 lieutenants, 180 hommes, tel est le bilan de cette audacieuse tentative qui a réussi admirablement grâce au courage de l'adjudant Tardiveau et de ses chenillettes.

A la fin de l'après midi le reste des éléments ennemis qui avait tenté en vain de s'approcher d'Herleville se replia peu à peu. Ainsi, grâce à l`excellente défense du 2ème bataillon, à la résistance farouche des artilleurs et des fantassins du Bois Etoilé, grâce enfin au coup d'audace des chenillettes, la tentative ennemie de pénétrer dans le dispositif du régiment et de le disloquer avait complètement avorté. Le chef de bataillon allemand, interrogé à Vermandoviltlers, pouvait dire : << ]e ne savais pas
jusqu'à maintenant ce que c'était que l'enfer, je le sais maintenant >>.

Puis, montrant la colonne de prisonniers : << Voilà ce qui reste de mon
bataillon, le reste est là. Et il désignait de la main la plaine ou gisaient des centaines de cadavres.

Pendant ses heures ou nos unités réduisaient à néant les efforts allemands pour disloquer l'intérieur de notre défense à Herleville et au Bois Etoilé, le combat continuait sur tout le front du régiment. Le
P. C. R. I restait en liaison par T. S. F. avec tous les éléments du 41ème qui, partout, résistaient brillamment.

A Foucaucourt, l'ennemi arrêté depuis le début de la matinée à 400 mètres au Nord du village a peu à peu cessé ses inutiles tentatives de progression, mais il a arrosé le village d'un important contingent
d'obus de 105 et de 150. Soudain, au début de l'après-midi, un peloton d'une quarantaine de cavaliers débouche des bois à 800 mètres au Nord de Foucaucourt et s'élance dans la plaine. Accueilli par le feu des mitrailleuses, il se scinde en deux parties : un petit groupe vers l'Est, un groupe plus important vers l'Ouest. Aucun de ces cavaliers n'atteint le village. Décimés, ils se replient rapidement. Seuls une dizaine de chevaux sans cavaliers arrivent jusqu'à Foucaucourt où ils sont capturés.

Vers 15 heures un canon est tracté, dans la plaine à 3 kilomètres Nord-Est de Foucaucourt. En quelques minutes il est mis en batterie et ouvre le feu. Au bout de quelques salves, le clocher de l'église s'écroule et la pièce se retire. L'opération a duré à peine dix minutes. Vers la fin de
I'après midi l'ennemi tâte Ia face Sud du village à l'aide de quelques autos-mitrailleuses, chars, et de 2 chenillettes françaises. Reçus à coups de canon de 75 et de 25 ces engins blindes sont obligés de se replier sans avoir pu atteindre les lisières du village. Cinq d'entre eux restent sur le terrain, marquant l'échec total de cette tentative. Le soir tombe, laissant Foucaucourt intact.

A Fay, depuis le début de l'après midi, le bombardement fait rage de plus belle. Obus et minen font écrouler les maisons, nous causant des pertes sensibles. Mais l'ennemi, durement arrêté, depuis le matin, ne renouvelle plus ses attaques. Il se borne à accompagner la chute des obus de tirs continus d'armes automatiques. Vers 14 heures, une de nos mitrailleuses est portée au-dessus du cimetière, au Sud-Est de Fay, et prend de flanc les fantassins ennemis qui débarquent de camion aux lisières Nord d'Estrées, leur causant des pertes. Sa mission accomplie, cette pièce reprend sa place rapidement, dans le dispositif, et quand, une demi-heure plus tard, un groupe d'ennemis débouche sur la croupe
du cimetière pour rechercher la même pièce, il est reçu par un feu nourri qui le fait se replier aussitôt, Le soir tombe. La magnifique défense des fantassins de la 10ème compagnie, aidés par leurs camarades de la section du génie, a permis d'arrêter l'ennemi. Mais les pertes ont été lourdes, aussi le lieutenant Le Moal, craignant une attaque de nuit, fait replier ses sections vers le centre, pour mieux grouper sa compagnie et lui éviter d'être disloquée.

Dans le Bois du Satyre, l'ennemi, à bout de forces, a relâché sa pression sur la section Lebreton depuis le début de l'après midi. Vers 15 heures, le capitaine Fauchon, commandant la 11ème compagnie, sort de Soyécourt avec un groupe de combat et rejoint l'adjudant chef Lebreton
en chassant quelques ennemis qui circulaient dans le bois. Il s'efforce ensuite de parvenir à l'emplacement du groupe Le Goff pour ramener les blessés, mais l'ennemi déclenche un feu violent et il ne peut l'atteindre.

Il revient alors à Soyécourt, ramenant une mitrailleuse légère et 4 prisonniers, dont un infirmier. Renforcée par un groupe de combat d'une autre section, la section Lebreton tiendra sans son point d'appui jusqu'à la nuit. Elle se repliera alors par ordre sur Soyécourt.

Lihons, où se trouve la C. H. R. du 419, est défendu par le G. R. D. de notre division. Le 5 juin ce village a subi un bombardement d'artillerie ; le clocher a été touché ; les maisons flambent. Quelques patrouilles d'infanterie ennemie sont venues tâter les abords du village et le G. R. D. a fait quelques prisonniers.

De Vermandovillers on a vu depuis le matin les masses ennemies foncer vers le Sud. Les chars ont succédé aux chars, l'infanterie à l'infanterie. Tout le secteur occupé par le 117ème R. I. est maintenant
occupé par les Allemands, et sur les routes leurs colonnes défilent sans arrêt. Dans l'après midi l'observatoire a signalé un contingent de 300 prisonniers français remontant vers le Nord. Trois autos-mitraillleuses ennemies, qui s'étaient approchées du P. C., s'enfuient, saluées par les obus d'un 47 anti-chars qui a d'ailleurs tiré trop tôt. Vers 17 heures, des coups de feu ont encore éclaté dans Ablaincourt.

Chaulnes, qu'occupe le C. I. D. et l'état-major de l'I. D., semble tenir toujours. Par contre, Méharicourt et Maucourt, occupés par la D. I., ont été atteints par les chars ennemis à la fin de l'après-midi.

20 heures, la nuit tombe. Des bruits de moteurs d'avions déclenchent un furieux tir de barrage de la D. C. A. allemande, qui est déjà installée loin au Sud-Est de nos positions. Où sont donc arrivés
maintenant les éléments avancés ennemis ?. Aux postes de combat chacun veille, les yeux et les oreilles tendus.


Chapitre 6 : l'attaque allemande 2ème jour

6 Juin 1940

La nuit s'est passée dans le calme. Quelques rafales d'armes automatiques, coups de feu isolés ou obus égarés ont seuls troublé le silence. Sur les routes, utilisant la trouée faite la veille à notre droite, les colonnes allemandes << bourrent > vers le Sud à grand renfort de camions. On les entend passer sans arrêt dans la nuit noire, sur les grandes routes de Péronne à Paris et sur les petites routes parallèles.

Profitant de l'obscurité, nos chenillettes de la C. H. R et de la C. R. E. sont allées porter les munitions de réserve du régiment à Foucaucourt, à Herleville et à Soyécourt. Les réserves du régiment sont maintenant épuisées, et bien que la division ait promis d'envoyer 200.000 cartouches et 2000 obus, rien n'est encore parvenu jusqu'à nous. L'infanterie peut encore tenir quelque temps, l'artillerie, elle, est
presque à bout de munitions.


Fay est le seul village que l'on n'ait pu ravitailler. Grâce à la liaison T. S. F. par code spécial on sait que le village tient toujours. Au P. C. du 3ème bataillon, dont dépend la 10ème compagnie, comme au P C.R. I. on ne peut avoir aucun autre détail sur ce qui s'y passe. La situation y est des plus inquiétantes, bien que la 10ème compagnie, complètement coupée du reste du régiment, résiste avec le plus grand acharnement.

Dans la nuit du 5 au 6, les Allemands qui tiennent toute la portion du bois du Satyre qui s'étend au Nord de la route Amiens Saint-Quentin ont occupé le bois en entier à la suite du repli de la section Lebreton sur Soyécourt. Ils tiennent également Estrées-Deniécourt. Fay est donc complètement encerclé. La nuit y est pourtant calme. La situation de la 10ème compagnie y est des plus graves. Le poste de secours regorge de blessés. Le médecin auxiliaire Renault, le caporal infirmier Lécrivain
se multiplient avec un sang-froid et un courage dignes du plus grand éloge ; les infirmiers et les brancardiers sont admirables, L'un d'eux, Duval, sous le feu ennemi, s'est couché sur le brancard du lieutenant Bernard blessé pour le protéger. Le ravitaillement n'est pas monté depuis deux jours, les hommes n'ont plus rien à manger ni à boire, et ils doivent refroidir le canon des mitrailleuses avec de l'urine.

Soudain, au petit jour, la fusillade reprend dans Fay. Profitant du regroupement de la 10ème compagnie sur la partie centrale du village, les Allemands se sont infiltrés durant la nuit dans des maisons inoccupées et la bataille recommence. Les tirs sont nourris. Une mitraillette placée
dans le clocher s'efforce d'atteindre tout ce qu'elle voit, mais un tir bien ajusté de nos mitrailleuses la déloge. Malgré tous leurs efforts, les Allemands ne peuvent progresser ni occuper la moindre maison tenue par nos hommes. Alors le bombardement recommence. Les minen et les 77 s'acharnent sur les maisons et nous font de nombreux blessés. Mais les héroïques défenseurs de Fay restent à leurs pièces. L'ennemi en sera pour ses frais. II ne gagnera pas un pouce de terrain.

Pendant ce temps les colonnes allemandes ont repris leurs attaques sur Foucaucourt. Après un violent bombardement vers 5 heures, au cours duquel de nombreux obus incendiaires ont mis le feu à plusieurs maisons, elles s'avancent par le Nord, l'Est et l'Ouest. Notre artillerie alertée exécute des tirs de barrage, assez nourris en dépit du manque d'obus, et bien ajustés. Nos armes automatiques se montrent intraitables. Comme la veille, l'ennemi est cloué au sol entre 400 et 600 mètres des lisières du village et ne peut plus progresser. A l'Ouest il ne peut pas non plus déboucher des boqueteaux. A l'Est, s'il réussit à atteindre le carrefour de la route Amiens Saint-Quentin et de la route de Soyécourt, nos armes automatiques lui causent des pertes telles qu'il doit se replier légèrement en arrière. L'attaque est, encore une fois, manquée. Aussi, vers 7 heures, le bombardement reprend-il avec une
nouvelle intensité. Notre artillerie, faute de munitions, ne répond plus que faiblement. L'ennemi tente à nouveau de progresser. Toujours arrêté au Nord et à l'Ouest, il atteint à nouveau à l'Est le carrefour de la route de Soyécourt et cette fois s'y maintient malgré notre violente réaction. Puis, débordant peu à peu ce carrefour vers le Sud-Est, il profite de quelques buissons et replis légers du terrain pour s'approcher des premières maisons isolées de Foucaucourt. Le feu des armes automatiques fait rage. Malgré tout l'ennemi a atteint quelques maisons derrière le groupe qui défend la route de Saint-Quentin. Les servants de la pièce de 25 anti-chars sont tués et l'ennemi occupe leur abri. Le groupe du sergent Bethuel, complètement encerclé, se bat splendidement. Il arrête toujours l'ennemi. Cependant, vers 11 heures, réduit à 4 hommes, ayant épuisé complètement ses munitions, les derniers survivants doivent se réfugier dans la cave d'une des maisons qu'ils défendent. Là, s'arrêtent cependant les résultats obtenus par l'ennemi. Malgré tous ses efforts, il ne peut déboucher de ces quelques maisons
isolées.

L'ennemi arrêté à Fay et à Foucaucourt n'inquiète pas le reste de nos villages. Le 2ème bataillon ayant nettoyé la plaine de quelques isolés qui y tenaient encore ne subit plus aucune attaque. Soyécourt, protégé par Fay et par Foucaucourt, ne voit aucun ennemi. Par contre un bombardement violent, cause l'écroulement d'un certain nombre de maisons. Vers 9 heures, une pièce tirant de la direction d'Ablaincourt abat le clocher. Un motocycliste allemand montant une splendide machine anglaise vient par erreur sur la barricade tenue par la 9ème compagnie. Il réussit à s'enfuir, abandonnant machine et courrier. Le motocycliste du 3ème bataillon, heureux d'avoir troqué sa vieille Terrot contre cette machine neuve, file à Vermandovillers porter les documents recueillis. A son retour du P. C. R. I., à la sortie Nord de Vermandovillers, il saute sur une de nos mines.

De Verrnandovillers, on peut voir depuis le matin les camions ennemis parcourir les routes en petites colonnes. Nul essai d'attaque de l'infanterie ennemie, bien que notre flanc soit complètement découvert. Elle défile par Estrées, Deniécourt, Pressoir et Ablaincourt et paraît ignorer complèternent notre présence. Vers 9 heures, un side-car débouche d'Alblaincourt. Il s'approche rapidement de Vermandovillers, sur la route blanche. Hésitation, Ne serait-ce pas un Français? Trois douzaines d'yeux le regardent approcher avec curiosité. A 500 mètres, à la jumelle, le doute est levé : c'est un Allemand. De tous côtés le feu crépite. Le side-car s'arrête et ses occupants s'enfuient à toutes jambes.
Quelques hommes s'élancent dans la plaine et ramènent triomphalement l'engin. Vers 11 heures on signale quelques chars au Sud-Est de Vermandovillers, près du bois de Chaulnes, mais ce sont des chars allemands.

A midi, la situation est la suivante : le sous-secteur du 41ème R. I. est intégralement intact. Seul le village avancé de Fay et quelques maisons isolées de Foucaucourt sont en partie aux mains des Allemands. Nos garnisons tiennent partout solidement. Le 31ème R. T. A., auquel le 41ème s'appuie à gauche, n'a pas été non plus entamé. Les efforts de l'ennemi ont d'ailleurs été bien plus faibles de ce côté. Par contre, le reste du secteur de la division entre le 41ème et Marchelepot est entièrement aux
mains de l'ennemi. L'avance extrême de son infanterie, vers le Sud, semble avoir atteint Lihons-Chaulnes-Puzeaux et Nesle, soit une poche de 10 kilomètres de large environ et de 14 à 16 kilomètres de profondeur.

De nouvelles vagues de chars se sont lancées dans cette poche depuis le début de la matinée et le point d'appui de Marchelepot, complètement isolé et encerclé depuis la veille à 6 heures du matin, évalue à 7 ou 800 engins cette nouvelle masse de chars. A 15 heures Marchelepot, où des éléments du 22ème R. M. V. E., sous le commandement du commandant Hermann, ancien commandant de notre 1er bataillon, ont tenu héroiquement durant 29 heures, s'écroule à son tour et les chars ennemis
poursuivent leur avance vers le Sud. A 8 heures, une contre attaque de chars français a débouché à 10 kilomètres au Sud de Roye. Sa mission était de repousser les engins blindes ennemis qui s'infiltraient au Sud de la voie ferrée de Chaulnes à Nesle. Attaqués peu après leur départ par de nombreux avions allemands, plus de 40 de nos chars sont rapidement mis hors de combat par les bombes. Le reste est dispersé et ne pourra à nouveau être rassemblé que le soir. La contre-attaque annoncée est donc totalement manquée. Aucune division d'Infanterie n'est d'ailleurs disponible pour appuyer l'action de ces chars. Il ne peut donc être question de réduire la poche, ni de front ni de flanc. Il faut seulement tenter d'enrayer son élargissement. Peu à peu cependant les chars allemands s'inflltrent en plus grand nombre vers le Sud et le Sud-Ouest et, dès le début de l'après-midi, rendent la situation inquiétante.
Le 41ème ignore ces faits. Il attend la contre-attaque promise. Il tient toujours fermement ses positions.

Toute l'après-midi le village de Fay subit de nombreuses attaques de l'infanterie ennemie. Toutes sont repoussées, Mais le bombardement qui fait rage démolit les unes après les autres les maisons occupées par nos hommes. Ensevelis sous les ruines des maisons, abrutis par le bombardement incessant, tirant avec rage contre l'infanterie allemande qui s'efforce sans cesse de progresser, sans rien à boire, la gorge desséchée par la poudre et Ia poussière, sous un soleil torride, sans nourriture
depuis 48 heures (7 hommes restant d'un groupe de mitrailleuses n'avaient à se partager qu'une boîte de sardines) les hommes de la 10ème tiennent toujours. Ils ont vu dans Ia matinée plus de 400 chars allemands traverser Estrées et descendre vers le Sud. Ils ignorent tout du reste du régiment. Les munitions commencent à manquer. La soif s'ajoute aux souffrances des blessés au poste de secours effondré en partie par le bombardement. La 10ème compagnie a reçu pour mission de tenir coûte que coûte. Elle tient. La nuit tombe. Les voltigeurs ont abandonné les ruines intenables des maisons et occupent des tranchées. Les blessés affluent sans arrêt au poste de secours. Le village de Fay n'est
pas encore tombé aux mains de l'ennemi.

A Foucaucourt les Allemands n'ont pas plus de succès. Les attaques par l'Ouest et le Nord ne se sont pas renouvelées dans l'après-midi à la suite des échecs répétés de la veille et de la matinée. Les éléments ennemis qui ont atteint les maisons isolées au Sud-Est et à l'Est du village n'ont pu en déboucher et doivent se contenter de ce faible résultat.

Sans doute les violents bombardements par obus explosifs et incendiaires ont-ils détruit une partie
des maisons, sans doute les pertes sont-elles sensibles, mais celles de l'ennemi sont infiniment supérieures, et cependant il n'a acquis aucun résultat appréciable. A la nuit, confiant dans
sa défense, le 1er bataillon attend toujours de pied ferme les nouvelles attaques de l'ennemi.

À Lihons, où se trouve la C. H. R., le bombardement a repris dès l'aube, et vers 14 heures les chars et l'infanterie ennemie débouchent du Sud-Est et du Nord-Est, mais toutes ces attaques sont repoussées par les cavaliers du G. R. D., aidés par nos fantassins.

Herleville et Soyécourt, protégés par la résistance de Foucaucourt et de Fay, n'ont subi aucune attaque durant l'après-midi. Soyécourt a été cependant l'objet de violents bombardements d'artillerie. Vermandovillers, où se tient le P. C. R. I., est soumis aussi à de continuels bombardements venant du Nord et du Nord-Est. A 14 heures, sur Ia même route que le matin, un side-car sort à nouveau d'Ablaincourt et s'approche rapidement. On le laisse approcher. A 300 mètres de la barricade il s'arrête et l'un de ses occupants photographie le village. Comme il s'apprête à tourner, nos armes interviennent, Quelques hommes se précipitent et ramènent le side-car et deux sous-officiers de S. S. grièvement blessés, hommes d'élite qui devaient mourir quelques heures plus tard avec un splendide courage. Mais la situation semble s'aggraver. Une douzaine d'engins blindés venant du Sud s'approchent de Vermandovillers. A 1000 mètres ils s'arrêtent, puis repartent. Cinq d'entre eux restent seulement en surveillance. Des colonnes de camions puis d'artillerie tractée arrivent alors de Pressoir et se déplacent en lisière Nord du bois de Chaulnes où l'artillerie allemande va se mettre en position pour tirer vers le Sud. Des fantassins ennemis s'avancent alors par bonds sur Vermandovillers. Ils s'arrêtent à 1000 mètres derrière un repli de terrain. Les artilleurs du 10ème, alertés, se déclarent impuissants à bombarder cette concentration. Il ne leur reste en effet que 7 pièces de 75 et très peu de munitions. Déplacer les pièces amènerait une réaction immédiate de l'aviation ennemie et l'anéantissement de nos derniers moyens d'artillerie. Vers 16 heures une batterie ennemie installée
à Ablaincourt, à 2 kilomètres, tire à vue directe sur Vermandovillers. Le tir est précis. A la première rafale une partie du clocher s'écroule. Le tir s'acharne sur l'église, puis il se porte sur un grand bâtiment de ferme qui flambe. Les dégâts s'accumulent de tous côtés. Venant du Nord, de l'Est, puis du Sud-Est, les obus atteignent les maisons les unes après les autres, amoncelant les ruines. La confiance des défenseurs et Ieur volonté de tenir jusqu'au bout restent intactes. Cependant, lorsque, avec le soir qui tombe, le calme revient, qui soulage et détend les nerfs après tant d'heures de tension nerveuse et physique, la situation paraît, à la réflexion, des plus aventurées.

Sans doute par sa volonté tenace et son courage.de tous les instants le 41ème a-t-il gardé intact le terrain qu'il a pour mission de défendre jusqu'au bout. Mais depuis deux jours les colonnes ennemies se succèdent sans interruption, descendant vers le Sud dans la poche creusée dans l'aile droite de la division et nous ne savons rien du point extrême atteint par leur avance. Les munitions commencent à s'épuiser, et si le régiment doit encore faire face à une journée de combat il en sera totalement démuni.

Notre artillerie, quelques pièces qui ont pu échapper aux bombes des avions et aux bombardements
incessants, est à bout de munitions. Depuis la fin de l'après-midi la liaison par T. S. F. est à nouveau coupée avec le P. C. D. I., et l'on ne sait qu'en penser. La contre-attaque promise, cette contre-attaque qui, si elle s'était réalisée victorieuse, aurait permis au 41ème de remporter un gros succès (si on considère en effet les pertes énormes que nous avons infligées à l'ennemi) a dû manquer son effet et s'avère maintenant impossible. Et dans la nuit étoilée, c'est sans arrêt le roulement sourd des colonnes de camions qui foncent toujours vers le Sud. A tous moments les autos allument leurs phares. Elles font même usage de leurs klaxons. Des moteurs d'avions ronronnent. De tous côtés des projecteurs s'allument : au Nord, à l'Est, loin vers le Sud, et la D. C. A. claque de tous côtés. Jusqu'où donc:
l'ennemi a-t-il poussé pour qu'à plusieurs kilomètres au Sud de Verrnandovillers il déploie de pareilles défenses anti-aériennes ?

C'est qu'en effet, nous le saurons plus tard, les masses ennemies ont progressé à nouveau dans l'après-midi. Ses chars ont franchi la ligne de chemin de fer, à l'Est de Chaulnes. Poussant vers le Sud, ils ont dépassé vers 16 heures Méharicourt et Maucourt. Notre P. C. D. L a dû évacuer Rouvroy, Fouquescourt et même Bouchoir et le Quesnoy.

Il en est de même dans le secteur de la 29ème D. I., à droite, tandis que d'autres engins se dirigeant vers I'Ouest atteignent Rosières-en-Santerre, Caix et les arrières de la 7ème D.l. N. A. Heureusement la défense de divers éléments disparates dans certains villages de l'arrière, la belle tenue de la 29ème D. L, la présence de la 4ème.D.I, division de renfort qui, installée sur I'Avre, dans la région de Roye, a poussé des éléments avancés dans les villages au Nord de cette rivière, ont considérablement
ralenti l'avance de l'infanterie allemande. A la nuit cependant la poche a atteint 18 à 20 kilomètres de profondeur et si, à hauteur du 41ème R. I. elle n'a guère que 8 à 10 kilomètres de large, elle va en s'élargissant vers le Sud jusqu'à atteindre près de 25 kilomètres, coupant complètement les arrières du 41ème et menaçant dangereusement ceux de la 7ème D. l. N. A. Nul renfort ne permettant de remédier à cette situation, il faut, ou bien abandonner les éléments qui tiennent encore, ou bien
essayer de les sauver par un repli immédiat pour les utiliser à nouveau sur la ligne de défense de l'Avre.

Profitant du calme de la nuit, les diverses unités du régiment prennent contact avec le P. C. R. I. La liaison par T. S. F., qui depuis deux jours marche sans désemparer, a grandement aidé à assurer la
résistance, mais l'obligation du Code chiffré permet difficilement de faire le point et ce fait rend nécessaire l'envoi d'agents de liaison. De Soyécourt, d'Herleville, même de Foucaucourt, ils arrivent sans difficultés bien que les éléments ennemis circulent au Sud et au Sud-Ouest de ce village. Par contre, Fay reste implacablement isolé. A trois reprises des volontaires essaient de franchir les éléments ennemis qui encerclent le village : l'un d'eux est tué, les deux autres reviennent sans avoir pu y réussir, Passant son indicatif à intervalles réguliers, la 10ème compagnie fait savoir qu'elle tient toujours, mais nul ne connaît sa situation exacte. Profitant de la nuit, la petite garnison de Fay, bien réduite à la suite des durs combats livrés pendant deux journées, répartit les rares et dernières munitions qui restent, fortifie à nouveau les tranchées et les débris de maisons, se partage les tous derniers vivres, tandis qu'en rampant les infirmiers, conduits par l'intrépide caporal Lécrivain.
atteignent le seul puits du village qui est aux mains de l'ennemi et en ramènent de l'eau pour étancher la soif ardente des blessés et laver leurs plaies.

Chapitre 6: l'attaque allemande - 3ème jour

7 Juin 1940

1h30 Brusquement surgit dans la cave servant de P. C. R. I. à Vermandovillers le lieutenant de Vailly, officier de l'état-major de la division. Comment a-t-il pu venir jusque-là ? Que vient-il faire ? Parti
à 20 heures du P. C. D. I., il a marché à travers champs, accompagné par le sergent Fontaine, agent de liaison du 41ème auprès de la division. Ils ont rampé pour éviter les colonnes ennemies et ont traversé à la faveur de la nuit 15 kilomètres de terrain occupé par les Allemands. Il tend au colonel Loichot un ordre écrit venant du 1er corps d'armée. C'est l'ordre de repli immédiat derrière I'Avre. Une vive discussion s'élève alors. Le colonel déclare ne pouvoir exécuter cet ordre. Comment, en
effet, avec des hommes épuisés par les combats, et pour la plupart au contact immédiat de l'ennemi qui surveille tous nos mouvements, se replier à 30 kilomètres en arrière de nos positions après avoir traversé, en parti de jour, un terrain occupé par l'ennemi sur une profondeur de 15 kilomètres ? Au premier abord, cela semble en effet impossible, mais l'ordre est là, formel, et le lieutenant de Vallly déclare que s'il est venu dans de pareilles conditions c'est que cet ordre était considéré comme très important. La division savait parfaitement que si cet ordre avait été passé par T. S. F. au R. I. il n'aurait pas été exécuté. C'est qu'en effet les instructions du général Weygand, du général commandant le 1er corps d'armée et celui du général commandant la 19ème D. I. sont formels : << Vous devez tenir sur place sans esprit de recul », et le 41ème a déjà prouvé qu'il avait compris et intégralement exécuté cet ordre.

Aucune idée de repli n'est encore venue à l'esprit de quiconque. Abandonner un terrain que l'on a conquis par ses efforts et ses combats, abandonner un terrain que, depuis 48 heures, on défend et conserve victorieusement, malgré les violentes attaques et les bombardements incessants, abandonner le résultat de tant d'efforts, le prix de tant de morts et de souffrances, cela semble dur. Mais le lieutenant de Vailly le répète, il ne peut plus être question de nous dégager, les moyens
nécessaires n existent pas, au contraire, 1er corps d'armée a besoin de récupérer toutes les unités qui subsistent encore pour défendre sa 2ème position, en exécution des ordres de la VIl ème Armée.

Il faut faire vite. Malheureusement, l'ordre de repli parti à 19 heures du corps d'armée n'a pu nous parvenir qu'à 1h30, et le jour va venir dès 4 heures. II faudra donc effectuer la plus grande partie du trajet en plein jour. Déjà depuis plusieurs heures le G. R. D. I. et la C. H. R., qui occupaient Lihons, se sont repliés vers Rosières et Caix.

Déjà depuis minuit Ia 7ème D. I. N, A. a commercé son repli vers le Sud. Déjà, depuis 23h30 les pièces restantes de l'artillerie d'appui du 41ème sont parties. Le colonel, la rage au coeur, rédige son ordre de repli :
<< Tous les éléments du 41ème R. I. décrocheront dans les meilleures conditions possibles et se porteront par bataillons sur Davenescourt par l'itinéraire Vauvillers, Caix, Beaufort, Davenescourt. » L'ordre est transmis aussitôt par motocycliste à Herleville et Soyécourt, et le lieutenant Lucas est envoyé à Foucaucourt pour exposer au capitaine Giovannini la nécessité de ce repli. Partout l'arrivée de cet ordre soulève des protestations, mais il est écrit, formel. . . Trois chenillettes montent
de Vermandovillers à Foucaucourt pour ramener les canons de 25 et les mitrailleuses. Quant à Fay, sans communications possibles avec le reste du R. I., on lui passe par T. S. F. en clair : « Rejoignez Jan immédiatement. » Mais cet ordre ne dut jamais être reçu.

L'aube paraît déjà. Le matériel au complet est replié et chargé en ordre et en silence, Que de difficultés en perspective: les avions qui vont repérer nos colonnes, les éléments ennemis qu'il faudra traverser, les blindés qui vont tomber sur nos unités marchant en rase campagne. . .

La garnison de Vermandovillers part bientôt dans l'ordre suivant: en tête motos et side-cars avec leurs fusils mitrailleurs, 2 chenillettes avec des F. M., les autos de liaison, puis la B. D. A. C. (batterie divisionnaire antichars) à traction hippo, une section du génie, la compagnie de commandement. Enfin, fermant la marche, Ia 7ème compagnie.

Le départ a eu lieu à 3 heures. La colonne passe à Lihons, où l'a précédée le sous-lieutenant Bertrand, parti en éclaireur en moto. Le village que la C. H. R. et le G. R. D ont déjà quitté depuis plusieurs heures a été durement touché. Puis la colonne arrive au gros bourg de Rosières-en-Santerre sans avoir rencontré de difficultés. Le jour s'est levé.

Rosières offre une vision inoubliable : la plupart des maisons ont été rasées ou soufflées par un terrible bombardement; ce n'est partout que décombres, ruines, incendies, entonnoirs formidables. Sur une barricade, deux autos-mitrailleuses allemandes gisent, renversées. Au centre du village, la colonne s'est arrêtée : la route est entièrement coupée par de larges entonnoirs. On revient sur ses pas. Un officier, rentrant dans une cour, a aperçu une auto-mitrailleuse. Deux soldats ont aperçu près de là des Allemands endormis sous un hangar et ne les ont pas réveillés. La ville est rapidement contournée. A la sortie on rencontre de longs convois de notre artillerie. Caix est atteint entre 4 h30 et 5 heures. Le canon commence à gronder vers l'Est. Le lieutenant Lucas part en avant à Davenescourt chercher un point de ralliement pour le régiment. Il y trouve le capitaine Soula, de la D. I., qui apprend avec
joie le décrochage du 41ème. Mais le danger est loin d'être écarté. II fait maintenant grand jour. Une trentaine d'avions passent et bombardent violemment Montdidier, à quelques kilomètres de là. Les Allemands, venant de Roye, longent l'Àvre qu'ils n'ont pu encore franchir et s'approchent rapidement de Davenescourt. Il faut que tous les éléments qui sont encore au Nord de cette rivière accélèrent l'allure et la passent au plus vite. Vers 7 heures, la garnison de Vermandovillers, ayant couvert ses 35 kilomètres, franchit le pont et s'abrite à deux kilomètres de Davenescourt, dans les bois, au Sud de la rivière.

Le 2ème bataillon a quitté Herleville vers 3h15. Il a décroché sans difficultés, aucun de ses éléments n'étant plus au contact immédiat de l'ennemi. Par la route directe, il atteint Rosières qu'il franchit rapidement par le Nord, quelques instants après le passage de la 7ème compagnie.

Sur la route maintenant ensoleillée, il chemine péniblement. mélangé aux troupes de Ia 7ème D. I. N. A. Vers 8 heures, le 2ème bataillon en entier franchit I'Avre et rejoint les éléments du 41ème à couvert dans les bois, tandis que continuent de descendre, pêle-mêle les tirailleurs de la 7ème D. I. N. À. et les convois d'artillerie des 10ème et 210ème. A deux autres reprises de fortes escadrilles ennemies survolent Davenescourt et vont déverser leurs bombes sur Montdidier.

Le 3ème bataillon devait avoir plus de difficultés. Lorsque à 2h30 il reçoit l'ordre de repli, la 10ème compagnie qui défend Fay est toujours complètement encerclée et isolée. A 23 heures, le 6 juin, Fay passait toujours par E. R. 17 ses indicatifs. La 9ème compagnie rassemble sans peine et en silence ses éléments à la sortie Sud du village de Soyécourt, laissant un mince rideau d'éclaireurs. Par contre, le capitaine Fauchon rend compte que sa compagnie, la 11ème, est au contact rapproché avec
l'ennemi débouchant du bois du Satyre et qu'il aura quelque peine à décrocher. A 3h15, tout est prêt.

On attend toujours la 11ème compagnie. Le commandant Jan fait partir la 9ème compagnie avec une S M., la section de commandement et le train hippomobile, et renouvelle au capitaine Fauchon l'ordre écrit de se replier immédiatement, mais celui-ci craint, en agissant ainsi, d'attirer les éléments ennemis vers le reste du 3ème bataillon en marche et lait savoir qu'ii décrochera dès qu'il le pourra sans risque, vraisemblablement d'ici une demi-heure ou trois quarts d'heure. Pendant ce temps la colonne marche rapidement dans le jour naissant, traverse Vermandovillers, puis, évitant Lihons, se dirige vers
Herleville en traversant la plaine jonchée de cadavres allemands et de matériel, restes des combats du 5 juin. Le commandant Jan suit sa colonne à bicyclette, avec sa liaison. A plusieurs reprises, mais en vain, il attend Ia 11ème compagnie. Entre Herleville et Rosières, dans le ciel clair, l'avion de reconnaissance habituel nous survole. Au loin, vers Chauhes, à travers champs, on voit évoluer deux autos-mitrailleuses allemandes. En traversant Rosières, des hommes en quête de « pinard »
entrent dans un bistrot encore debout et tombent sur des Allemands qui dorment sur la paille. Dans une autre maison, même spectacle, même surprise. Même surprise encore chez des canonniers du
1er R. À. D. Tous se sont retirés sans bruit, on le devine. . . Le 3ème batailion traverse Rosières en ruines et pousse rapidement vers Caix, tandis que le commandant Jan attend toujours à l'entrée Nord du village l'arrivée de la 11ème compagnie. Un cycliste est envoyé au-devant d'elle, mais soudain des coups de feu éclatent à l'Est et au Nord-Est de Rosières. Les balles commencent à siffler. Le commandant Jan doit rejoindre son unité qui, avançant rapidement, atteint Davenescourt vers 8h45.

Le 1er bataillon alerté vers 2h15 réussit à décrocher ses unités rapidement et sans bruit. Seuls 4 hommes du groupe Béthuel, enfermés dans leur cave ne pourront décrocher et seront pris par les Allemands vers 11 heures. Au poste de secours on doit laisser de très nombreux blessés avec un infirmier et des brancardiers, car il n'existe aucun moyen de les transporter. L'ordre de repli a surpris tout le monde. Après l'excellent résultat des combats des deux jours précédents tous se croient
vainqueurs et aucun, même parmi les officiers, ne sait que, débordé à sa droite depuis 48 heures, le régiment est coupé de ses arrières depuis 24 heures. On en conclut que quelque chose d'anormal s'est passé, mais le moral reste bon. Le bataillon quitte Foucaucourt à partir de 3h45, en formations largement échelonnées dans l'ordre 1er 2ème et 3ème compagnie. Les 4 canons de 25 et les munitions sont emmenés par les chenillettes de Ia C. R. E., envoyées de Vermandovillers pour remédier aux attelages absents. L'itinéraire fixé par le capitaine Giovannini est Lihons, Rosières, Caix et Davenescourt. Le bataillon, en une longue et mince colonne, s'avance à travers champs vers Lihons. Il fait déjà jour. Un avion d'observation survole la colonne. En passant près d'une ferme isolée, des hommes y trouvent un soldat allemand qu'ils font prisonnier.

Lihons est atteint sans encombre. Le bataillon est étendu sur 2 kilomètres environ, La 1ère compagnie est en tête, dans l'ordre suivant : 1ère section, groupe de commandement, 3ème section, 4ème section. Elle devance de plusieurs centaines de mètres les premiers éléments de la 3ème compagnie, si bien qu'au moment où Ia tête de la 1ère compagnie se présente aux premières maisons de Rosières, la 3ème compagnie en est presque à 1 kilomètre et la 2ème compagnie à 1800 mètres, marchant en petites colonnes de chaque côté de Ia route de Lihons à Rosières.

Vers 7h15 la 1ère section de la 1ème compagnie atteint Ia barricade qui ferme l'entrée de Rosières; elle la franchit. Soudain une vive fusillade se déclenche, venant des lisières de Rosières et en direction du Nord-Est. C'est cette fusillade qu'entendait le commandant Jan lorsqu'il attendait l'arrivée de la 11ème compagnie au Nord de Rosières, Le tir est nourri et les balles sifflent de tous côtés. Le groupe de commandement franchit cependant rapidement les barricades, suivi immédiatement par la 2ème section, et s'engouffre dans Rosières, puis, traversant le village au pas de course, en se défilant, les deux sections se rassemblent à la sortie Ouest et se dirigent vers Caix. Durant ce temps, Ia 3ème et la 4ème section marquent quelques secondes d'hésitation, puis, après une rapide entente de leurs chefs, elles se dirigent vers le Sud pour contourner Rosières en suivant la voie ferrée bordée d'une petite route sur laquelle passe au grand galop une colonne du 10 R. A. D. La 3ème compagnie, qui suivait
à 800 mètres la 1ère compagnie, s'arête brusquement lorsque se déclenchent les tirs, puis les hommes vont s'abriter derrière les murs d'une usine en ruines, proche de la route, tandis, que les éléments de la 2ème compagnie se plaquent sur place ou s'éparpillent à droite et à gauche. Aux tirs d'armes automatiques se sont jointes les salves d'obus et de minen dont la première a fait 8 tués et blesses. On aperçoit alors, se dirigeant vers Rosières, à 1500 mètres, une colonne de camions et d'engins blindés ennemis qui viennent de Méharicourt. Alertés par le bruit du combat, les Allemands qui dormaient dans Rosières viennent renforcer cette colonne. Sur les ordres du capitaine Giovannini, les 3ème et 2ème compagnies se replient sur un bois situé à 2 kilomètres plus à l'Est sur la route de Lihons. Les compagnies s'y reconstituent et regagnent Lihons dont le capitaine Giovannini organise rapidement la défense.

Pendant ce temps, les 1ère et 2ème sections et le groupe de commandement, avec le lieutenant de Saint-Sever, commandant la 1ère compagnie, qui avaient franchi Rosières sans encombre, continuent vers Caix. En arrivant près du village, à un coude de la route, la petite colonne tombe brusquement sur 5 ou 6 autos-mitrailleuses et chars allemands qui ouvrent le feu. La 1ère section, avec le lieutenant Primel, qui avait déjà franchi la route, se dirige vers le Sud, mais le groupe de commandement
et la 2ème section, empéchés de progresser et menacés par les engins blindés qui s'approchent, se réfugient dans le village de Caix, tout proche. Celui-ci est occupé par des groupes d'infanterie allemande, et une dizaine d'hommes, avec le lieutenant de Saint-Sever, s'y camouflent dans une maison. Après 20 minutes d'attente et voyant que le village est rempli d'Allemands, le lieutenant de Saint-Sever demande des volontaires pour tenter de sortir de cette maison et de continuer le repli au
Sud-Ouest. La plupart des hommes sont à bout de forces. Accompagné par sergent-chef Rochard, le caporal-chef Orrières et le soldat Roussel, le lieutenant de Saint-Sever parvient à quitter la maison sans être vu. Révolvers au poing, ils renversent quelques Allemands en sortant du village et se lancent dans la campagne qui comporte heureusement quelques buissons et boqueteaux. Le petit groupe a fait quelques kilomètres lorsqu'en sortant d'un champ il se voit cerné par 19 Allemands qui le mettent en joue; à 300 mètres, une dizaine d'Allemands leur barrent encore la route. Le lieutenant de Saint-Sever veut tenter une percée révolver au poing, puis se rend aux objurgations de ceux qui l'accompagnent, et ils sont tous faits prisonniers.

Laissant le groupe de commandement et la 2ème section se réfugier dans Caix, la 1ère section est rapidement entrainée vers le Sud par le sous-lieutenant Primel, Elle compte encore une vingtaine d'hommes qui parcourent ainsi plusieurs kilomètres, mais en arrivant à Beaufort, elle est soudain cernée et mise hors de combat par un fort parti d'infanterie allemande accompagnée de plusieurs chars. Le sous-lieutenant Primel est aussitôt emmené en camionnette vers le Nord. Les hommes de
sa section ont tous été ensevelis à Beaufort-en-Santerre.

Pendant que la 1ère, 2ème et 3ème sections, ainsi que le groupe de commandement, franchissaient la barricade el traversaient Rosières sous la fusillade, les 3ème et 4ème sections se portaient vers le Sud, accompagnées par les balles et les mjnen qui cherchaient surtout la colonne d'artilleurs du 10ème s'enfuyant au grand galop, l'adjudant Rochard et le sergent Morazin emmenèrent en petites colonnes des éléments de ces deux sections, tandis que le sergent-chef Lévitré, qui commande la 4ème section, reste avec un groupe de combat pour protéger le repli et fait mettre en batterie son F. M. sur un chemin de terre à 200 mètres au Sud de Rosières.

La fusillade continue, mais on ne voit aucun ennemi, et lorsque, 20 minutes après, les coups de feu s'espacent, le petit groupe décroche par bonds vers le Sud-Ouest, récupérant au passage guelques hommes restés en arrière. II parvient près de Caix qu'il cherche à contourner par un ravin, mais en sortant d'un champ de blé il tombe brusquement sur une centaine d'Allemands qui, l'ayant vu venir, l'enserrent dans le fond et sur les deux pentes. Les Allemands ripostent aux rafales de son F. M, dont le tireur est blessé ainsi que quelques-uns des nôtres. Il ne reste plus aucun espoir, et la petite colonne est emmenée prisonnière à Caix, qui est rempli d'Allemands. Quelques instants après, ce groupe,
joint à quelques autres hommes de la 1ère compagnie, part à pied vers le Nord. Apercevant sur le bord de la route les cadavres de trois de leurs camarades, le sergent-chef Lévitré met ses hommes au pas cadencé et fait exécuter un << tête-gauche » si impeccable que les Allemands, impressionnés, permettent aux nôtres d'enterrer sur le champ nos camarades, La plupart des hommes restants des 3ème et 4ème sections, au nombre d'une trentaine, purent échapper à l'emprise ennemie, mais ayant pris une mauvaise direction ils ne retrouvèrent pas le régiment. Seuls une dizaine d'entre eux, guidés par le sergent Morazin, purent, après maintes péripéties, rejoindre le 41ème quelques jours après l'Armistice.
La 11ème compagnie du 3ème bataillon ne put décrocher de Soyécourt qu'à 4h30, une heure après Ia section de commandement du bataillon. Peut-être le capitaine Fauchon, qui commandait la 11ème compagnie, aurait-il pu la mettre en route plus tôt, mais, consciencieux jusqu'au scrupule, il voulut assurer sa mission de protection au maximum, Il est certain que grâce à son action les éléments ennemis qui cherchaient le contact en débouchant du bois du Satyre furent arrêtés et qu'ils ne se doutèrent pas du repli de nos éléments, ce qui évita à ces derniers d'être encerclés par derrière, en rase campagne. La 11ème compagnie se rassemble donc dans le plus grand ordre après ravoir réuni dans une maison toutes les munitions qu'il est impossible d'emporter et y avoir mis le feu, Empruntant des chemins de terre, évitant les villages, la 11ème compagnie arrive sans encombre jusqu'à Vauvillers. Pour décharger les hommes déjà fatigués, le capitaine Fauchon a fait mettre les F. M. sur
les voitures, convaincu que nul danger n'est plus à craindre. Vers 7h30, la compagnie débouche de Vauvillers et se dirige vers Caix, mais on aperçoit des voitures grises sur une route, à 800 mètres de là,
puis, en débouchant près de la ligne de chemin de fer Chaulnes - Amiens, à 2 kilomètres au Nord de Caix, la compagnie est soudain accueillie par un feu nourri de mitraillettes et de mitrailleuses, déjà en position. Les hommes, surpris, tourbillonnent; ils n'ont que leurs fusils pour répondre. Soudain débouchent quelques autos-mitrailleuses qui tirent des rafales sur les hommes qui se terrent. Les morts et les blessés sont nombreux.

Toute défense est impossible dans cette plaine. D'ailleurs un détachement motocycliste ennemi vient de surgir pour fermer toute retraite. La 11ème compagnie doit se rendre, la rage au coeur, sans avoir pu combattre, au moment où, confiante, elle croyait avoir échappé aux colonnes ennemies.

Dans Fay. toujours encerclé, la 10ème compagnie tient toujours. Après une nuit calme, le bombardement reprend dès le lever du jour. Les 105 tombent à cadence régulière tandis que des canons antichars tirent à vue directe sur les dernières maisons qui sont encore debout, Tenant
la partie centrale et Sud du village, la petite garnison, dans les rangs de laquelle le lieutenant Le Moal a vu se creuser bien des vides, résiste magnifiquement. Tout ennemi qui se montre est impitoyablement soumis à ses tirs, Cependant, imperceptiblement, progressant de ruine en ruine, les fantassins allemands, toujours renouvelés, se rapprochent, et leur tir se fait plus meurtrier. La situation est très inquiétante, car les munitions de F. M. sont réduites à quelques chargeurs soigneusement tenus en réserve, les munitions du canon de 25 à 5 ou 6 obus. Seules les mitrailleuses ont encore de quoi tenir plusieurs heures. Au rationnement intense a succédé la disette totale de vivres et, chose plus grave
encore, depuis le début de la matinée le P. C. R. I. ne répond plus aux appels de la T. S. F.

C'est alors que vers 10h45 un officier allemand porteur d'un drapeau blanc s'avance et demande en français la reddition du village. II déclare que les Allemands ont complètement disloqué depuis trois jours l'armée française, que leurs éléments avancés approchent de Paris et il ajoute que Fay est actuellement encerclé par deux bataillons de mitrailleurs, par de l'infanterie et de l'artillerie, que si les Français ne se sont pas rendus dès l'après-midi ils tireront sur eux avec de l'artillerie de gros calibre.

Le lieutenant Le Moal réunit les chefs de section. Il fait le point de la situation : la compagnie a perdu plus de la moitié de son effectif. 48 blessés sont entassés dans la cave servant de poste de secours, soumis à tous les bombardements, et, malgré le dévouement du médecin Renault et de ses infirmiers, il n'y a plus rien pour les soigner, rien même pour soulager leurs souffrances. Aucun ravitaillement n'est
parvenu à Fay depuis la nuit du 4 au 5. Depuis deux jours et demi les vivres font totalement défaut et il est impossible de se procurer de l'eau, même pour les blessés. Il n'y a plus de munitions que pour les mitrailleuses et malgré tous les efforts tentés la liaison n'a pu être rétablie avec le P. C. du 3ème bataillon. La liaison par T. S. F., bornée à l'échange des indicatifs, n'existe même plus et autorise toutes les suppositions sur le sort du régiment. Depuis plus de 48 heures les colonnes de camions ennemis défilent sans arrêt vers Estrées et plus loin. La canonnade s'est tue partout, sauf sur le village de Fay, qui est maintenant pour la moitié aux mains de l'ennemi. Aucune maison n'est debout; aucun abri sérieux contre l'artillerie, surtout de gros calibre. On ne dispose d'aucune grenade pour la lutte rapprochée. . . peut-on encore espérer qu'une contre-attaque viendra dégager le village ? La réponse générale est que la reddition s'impose. Les hommes, épuisés, ne tiendront pas une nuit de plus.
D'ailleurs une seule attaque violente suffirait à épuiser les dernières munitions.

Le lieutenant Le Moal ayant pris sa décision, personne ne veut informer l'ennemi de la reddition. Vers 12 heures cependant le sergent Forlani remplit cette pénible mission. Une demi-heure après, ce qui
reste de I'héroïque compagnie, à peine cinquante hommes, se réunit sur la route après avoir détruit le canon de 25 et les armes automatiques. Sac au dos, porteurs de toutes leurs munitions restantes, l'arme sur l'épaule, en colonne par quatre, la 10ème compagnie sort du village. Elle est accueillie avec dignité par les Allemands et un officier la félicite pour son courage, manifestant son étonnement de ne pas voir surgir d'autres troupes derrière cette colonne. Lorsqu'il lui est répondu que c'est là tout ce qui reste de 150 hommes qui défendaient Fay, cet officier déclare qu'il croyait ce village défendu par un bataillon d'infanterie avec 5 canons antichars et que les forces concentrées pour anéantir et enlever le village avaient été accumulées en conséquence.

Ainsi finit le village de Fay dont la courageuse défense apporte un nouveau titre de gloire au 41ème d'Infanterie.

À midi, alors que le 2ème bataillon en entier, la 9ème compagnie, une section de la C. A. B. 3 et la section de commandement du 3ème bataillon, ainsi que la compagnie de commandement, sont groupés dans les bois de Davenescourt, sur la rive Sud de l'Avre, la 11ème compagnie est tombée
aux mains de l'ennemi près de Caix, ainsi que deux sections de la 1ère compagnie; la 10ème compagnie vient d'être faite prisonnière à Fay et le 1er bataillon, réduit aux 2ème et 3ème compagnies et à trois sections de la C. A. B. 1., est encerclé dans Lihons, ayant perdu toute liaison avec le reste du régiment. Dès que, vers 9 heures, les restes de son bataillon ont atteint Lihons, le capitaine Giovannini a organisé la défense du village, pensant bien que l'ennemi alerté ne sera pas long à l'attaquer.

Effectivement, à partir de 10 heures, les obus commencent à s'abattre sur Lihons. Vers 12 heures, deux autos-mitrailleuses s'avancent. Elles sont reçues à coups de canons de 25 et de mitrailleuses.

Elles font demi-tour, mais l'une d'elles capote dans un fossé. Peu après, l'attaque allemande se déclenche. Les obus s'abattent nombreux sur le village, venant de la direction de Rosières, puis l'infanterie se montre, reçue par les tirs nourris de nos armes automatiques et les derniers obus de
nos mortiers. Sa progression est vite arrêtée, elle n'insiste pas. Les Allemands connaissent en effet la situation désespérée des défenseurs de Lihons qui n'ont à espérer de secours de personne et qui, tôt ou tard, devront se rendre à bout de forces, de vivres et de munitions. Mais le capitaine Giovannini ne veut pas se résoudre à cette extrémité. Il a jugé la situation; il sait qu'il ne doit compter que sur lui-même et qu'il faut agir avant l'arrivée de renforts ennemis. Il rassemble donc les officiers qui lui restent et leur donne ordre de diviser les 250 survivants de son bataillon er trois colonnes qui, chacune isolément et pour soi, s'efforceront de rejoindre l'armée française. Aussitôt les mitrailleuses et canons
de 25 sont mis hors d'usage. Entre 15h30 et 16 heures les trois groupes quittent le village dans des directions différentes. Accompagné du lieutenant Péan, le capitaine Giovannini part vers le Sud-Est avec 80 hommes de la 2ème compagnie. Près de Chaulnes ils seront encerclés et pris. Le lieutenant Goudineau, avec la moitié de la 3ème compagnie, part vers le Sud en direction de Maucourt et Chilly. Sa colonne est bientôt repérée et encerclée par l'ennemi qui occupe ce village depuis déjà 24 heures.

Enfin, sous les ordres du sergent-chef Morin, le reste de la 3ème compagnie se dirige vers le Sud-Ouest en direction de Méharicourt, mais à peu de distance de Lihons elle tombe sur des autos-mitrailleuses et elle est aussi capturée. Enfin restent à Rosières une cinquantaine de blessés, dont le sous-lieutenant Agnès. Le médecin-lieutenant Dupuis est resté avec eux. L'ennemi occupe Lihons et s'empare des blessés vers 17 heures. Ainsi tous les éléments du 1er bataillon, successivement, sont-
ils tombés aux mains de l'ennemi. Quelques isolés furent encore capturés le soir-même, d'autres, le 8 au matin.

Ainsi, après avoir, en grande partie de jour, traversé une zone de terrain occupée par les éléments légers de l'ennemi, le 41ème bien réduit, est à nouveau réuni. Par une chance inouïe, la compagnie de commandement, le 2ème bataillon et une partie du 3ème bataillon ont traversé Rosières-en-Santerre, occupé depuis la veille au soir par des fantassins ennemis heureusement abrutis de fatigue et profondément endormis. Il n'en a pas été de même du 1er bataillon et de la 11ème compagnie. Il est
vraisemblable que la présence de ces unités a ralenti la marche de l'ennemi et l'a empéchê de s'approcher plus tôt de Davenescourt, ce qui a permis aux restes du 41ème R. I. et à la plus grande partie de la 7ème D. I. N. A. de franchir à temps la coupure de I'Avre.

Il était temps, d'ailleurs. L'ennemi poussait ses colonnes motorisées de plus en plus vers le Sud-Ouest, et à 12h10 trois autos-mitrailleuses allemandes se présentèrent dans la partie de Davenescourt située sur la rive Nord de l'Àvre et furent reçues par le 31ème R. T. A., dont un bataillon tenait la tête de pont, et elles s'éloignèrent rapidement.
Camouflés dans les bois, les hommes du 41ème, abrutis de fatigue, se reposent et se restaurent grâce aux boules de pain et au « singe » trouvés en route. Mais les événements se précipitent. A tous moments des avions survolent le bois, la canonnade qui gronde vers le Nord-Est se rapproche. Vers 13 heures les balles commencent à siffler dans la partie Ouest du bois. Le colonel, parti au P. C. D. I. à 10h30, n'est pas encore revenu, Les compagnies du 31ème R. T. A, passent et repassent sans arrêt dans un chassé-croisé inconcevable. Vers 13h30 une auto-mitrailleuse allemande qui a franchi l'Avre on ne sait où ni comment parcourt la plaine et miytaille ce qu'elle trouve aux abords Sud de Davenescourt. Nous apprenons que le colonel est bloqué dans une ferme par les tirs de cette auto-mitrailleuse. A 13h45,Ie lieutenant Loysel, officier de renseignements du régiment qui a été jusqu'au P. C. D. I. à la recherche du colonel et des ordres, revient, apportant l'ordre de repli immédiat au Sud de Montdidier par Becquigny, Etelfay, Faverolles, Piennes, Ribécourt. Des ordres ultérieurs préciseront la conduite à suivre. La 7ème D. I. N. A. défend l'Avre; la 19ème D. I. passe en réserve.

A 14 heures le 41ème s'ébranle et, sortant des bois, s'avance sur le plateau en longues files héIas trop compactes. Hommes et voitures se voient comme le nez sur la figure au milieu de l'immense plaine rase. II fait une chaleur torride. Tous sont épuisés, mais marchent sans poses.

Le canon tonne sans arrêt à quelques kilomètres au Nord-Est. Les avions commencent à survoler la colonne. Quelques-uns la mitraillent, mais sans résultats. Le 41ème avance toujours. II évite Montdidier qui est soumis depuis le matin à un bombardement intensif. Voici justement des avions qui reviennent y déverser des bombes. A tous moments nous assistons à l'éclatement formidable des bombes à retardement qui projettent jusqu'à 30O mètres de hauteur une colonne noirâtre parsemée de débris de maisons. Vers 18h30, le 41ème atteint Rubescourt et Domfront, harassé, car on marche presque sans arrêt depuis 3 heures et depuis longtemps nos nuits sont exemptes de sommeil.

Mais il n'est pas au bout de ses peines. De nouveaux ordres arrivent, et après un ravitaillement sommaire il faut encore repartir, Les Allemands pénétrant en coin dans la 10ème armée, à notre gauche, l'ont crevée au centre, et la situation est de nouveau mauvaise. A 20 heures la colonne a repris la route. Le canon retentit à nouveau, proche. A Ferrières les civils commencent à évacuer, et dans la nuit qui tombe nos groupes se mélangent aux leurs. Leurs lourds chariots qui encombrent Ia route ralentissent notre marche. Triste spectacle. Dans la nuit noire le régiment marche toujours. Chacun rassemble ses forces et tend sa volonté pour suivre son unité. Les kilomètres s'ajoutent aux kilomètres.

A l'Ouest les fusées blanches s'élèvent sans arrêt, marquant l'avance ennemie, parallèle à la nôtre. Mais actuellement nul ne veut s'en inquiéter. Une seule volonté: tenir jusqu'à Ia fin de cette étape harassante de plus de 50 kilomètres.

Enfin, vers 1h30, après 23 heures de marche, le 41ème s'installe aux points qui lui ont été assignés: P.C. R. I., C. D. T., C. D. A. C. et B. D. A. C. à Quinquempoix; la section de mitrailleuses de 20 mm du 1er bataillon et la section Le Moal de la 9ème compagnie du 3ème bataillon à Ansauvillers, le 2ème bataillon à Sains et le 3ème bataillon à Gannes.

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Chapitre 7: Repli derrière l'Oise -

8 Juin 1940

Tous les hommes sont tombés, harassés, dans les granges ou même sur le bord des routes. Une partie des habitants était encore là lors de notre arrivée, mais tous s'en vont dans la nuit. Nous nous croyons tous en sécurité. Et puis la fatigue est tellement grande. . . Il n'y aura pas grande surveillance cette nuit là au 41ème.

Le soleil s'est levé à nouveau dans un ciel sans nuages, Matinée splendide. Des avions sillonnent le ciel. Dans nos villages situés sur de petites routes, tout semble calme. On entend bien gronder le canon, mais cela semble loin. Quelle détente après ces jours de combat. Plus d'obus à tomber. Non, le calme, le calme. . . Nous attendons les ordres.


Nous ne savons pas grand chose sur la 7ème D. I N. A. que nous avons laissée la veille sur I'Avre et qui doit nous couvrir. On parle de bataille à Roye, et en effet, à la lin de la matinée, le bruit du canon s'amplifie et semble se rapprocher. A plusieurs reprises des groupes d'avions nous survolent, mais nous sommes bien camouflés.

Vers 14h30, grande agitation à Quinguempoix. Le bruit court que des éléments ennemis seraient proches. En effet, des colonnes d artillerie viennent de passer, venant de la route nationale Amiens-Paris. Les artilleurs ont aperçu plusieurs autos-mitrailleuses allemandes, mais nous restons sceptiques devant ces gens affolés et nous les envoyons se faire pendre ailleurs. 15h30. Des voitures hippomobiles du train qui viennent de passer il y a 20 minutes vers la route nationale reviennent
au galop et leurs conducteurs disent aussi avoir aperçu des engins blindés allemands se dirigeant vers Saint-Just-en-Chaussée. Certains affirment même avoir vu des motocyclistes, mais ils ne sont pas d'accord sur le nombre des engins qui varierait entre 7 et 100. Aussitôt les motocyclistes du régiment partent avertir les différents éléments du 41ème de se tenir en éveil et de renforcer au maximum la défense antichars.

A 16 heures, les éléments du régiment qui occupent Ansauvillers, non loin de la route nationale, signalent avoir aperçu quelques autos-mitrailleuses circulant au loin. A 16h30 parvient un ordre de le division prescrivant au régiment de se porter le soir même légèrement en arrière pour tenir ure position défensive intermédiaire à Erquinvillers et Lieuvillers.

P. C. R. I à la ferme de la Folie, au Sud-Est de Saint-Just, Un bouchon solide sera installé sur la route nationale Amiens-Paris, au carrefour de la route de Valescourt (1 kilomètre au Sud de Saint-Just-en-Chaussée). Le départ aura lieu à 20 heures. Itinéraire: Brunvillers, Ravenel, Angivillers. Les bataillons envoient aussitôt des reconnaissances. A 17 heures, le lieutenant Magnan quitte le P. C. R. I.
avec trois officiers pour reconnaître la ferme de la Folie et l'emplacement prévu pour le bouchon. A 17h10, une auto-mitrailleuse est signalée embusquée dans un bois entre Ansauvillers et Quinquempoix.

Depuis 16 heures environ des éléments en désordre se replient venant du nord et du Nord-Est. A 17h30, le sous-lieutenant Simonneaux, commandant le point d'appui d'Ansauvillers, fait savoir qu'il est attaqué par plusieurs autos-mitrailleuses et chars légers. Les soldats en désordre continuent à passer.

Un petit groupe d'artilleurs interrogé déclare tenir depuis 7 heures du matin sous les bombes, les balles et les obus, et ne plus pouvoir résister (fort accent du Midi) , même l'infanterie doit se replier, alors. . . 18 heures. Cette fois ce sont des troupes en ordre qui passent, se dirigent vers le Sud. Nous apprenons que la 47ème D. I qui se battait sur l'Avre depuis la veille a perdu Roye et s'est repliée sur une ligne Montdidier-Lassigny. Mais les troupes qui se replient, venant du Nord-Ouest, n'appartiennent pas à cette division.

Nous apprendrons plus tard qu'elles appartenaient à la 10ème Armée qui défendait Amiens.

18h15. Le capitaine Dunand et le sous-lieutenant Vaillant du 3ème bataillon arrivent au P. C. R. I. et font savoir que, se portant en reconnaissance sur Saint-Just-en-Chaussée, ils ont trouvé la ville occupée par les Allemands. Abandonnant leur auto, ils ont pu s'esquivé à travers champs, profitant de l'occupation que donnait à l'ennemi la capture d'une longue colonne hippomobile. Nous apprendrons plus tard que quelques batteries restant du 10ème R. A. D., notre artillerie divisionnaire, ont dû se
frayer un passage à coups de canon dans Saint-Just-en-Chaussée, à la fin de l'après-midi, pour aller occuper leurs positions.

18h30. Le sous-lieutenant Simonneaux, qui commande les éléments d'Ansauvillers, composés de la section de mitrailleuses de 20 mm et de la section de l'adjudant Le Moal de la 9ème compagnie, fait savoir que l'attaque commence à devenir sérieuse. Plusieurs engins blindés ont attaqué le village, mais les défenseurs font merveille; déjà les mitrailleuses de 20 mm ont détruit deux chars légers et les hommes de la section Le Moal se multiplient.

A 20 heures le 41ème R. I. se met en marche pour aller occuper ses nouvelles positions. Chaque bataillon part isolément suivant l'itinéraire fixé: compagnies régimentaires, 2ème bataillon, les sections restantes et le P. C. du 3ème bataillon. Le sous-lieutenant Simonneaux pourra rejoindre plus tard avec quelques hommes, mais ses pièces et les trois quarts de son effectif sont restés à Ansauvillers, tués ou blessés. Sa défense héroïque permet au régiment et à beaucoup d'autres éléments de se retirer sans difficultés. Quatre engins blindés ennemis détruits et deux autres immobilisés, tel a été le résultat obtenu en quelques heures.

Le régiment entrainant avec lui une colonne d'artillerie qui tournoyait, affolée, rejoint à la sortie de Maignelay la route descendant vers le Sud, vers Ravenel. Il y trouve une cohue indescriptible, un enchevêtrement d'infanterie, d'artillerie légère et lourde, de cavalerie, des voitures, des autos, des camions et des canons de tous calibres, des motos, des cyclistes, des civils en charrette, à pied, poussant des brouettes, des voitures d'enfants, même des tracteurs agricoles. Une pagaille inouie, invraisemblable. Et tout ce flot fondu en plusieurs colonnes dans la nuit, la poussière et au milieu d'embouteillages continuels. Les fantassins s'intègrent dans cette masse d'hommes, de chevaux et de véhicules de toutes sortes, marche pénible, toujours menacés d'être écrasés, isolés ou coupés du gros de l'unité. Et dans la nuit, à droite, vers le Sud, les fusées blanches jalonnent, vers la grande route
voisine, l'avance allemande.

Partis en avant pour reconnaitre les positions à occuper, le commandant Pigeon et le lieutenant Lucas arrivent aux abords de Lieuvillers, Plusieurs maisons flambent, éclairant la nuit devenue fort sombre.

Plus loin Erquinvillers, autre village que doit occuper le 41ème, flamboie aussi des lueurs de l'incendie. Le lieutenant Austruy, officier mécanicien du régiment, a été reçu à Lieuvillers par des coups de feu;
le village est manifestement occupé par l'ennemi. Revenus à Angivillers, le commandant Pigeon et le lieutenant Lucas trouvent par miracle un officier de l'état-major du corps d'Armée, porteur de nouveaux
ordres pour la 19ème D. I. et en particulier pour le 41ème R. I. qu'il recherchait dans la nuit. Ces ordres sont courts et nets. L'ennemi occupe Clermont depuis 19 heures. Ordre est donné à tous les éléments de la 19ème D. I. comme à tous ceux du corps d'Armée de se replier aussi vite que possible en direction du Sud-Est pour atteindre l'Oise qu'ils franchiront à Pont-Sainte-Maxence. Tous les éléments qui n'auront pas franchi la rivière le 9 juin à 16 heures seront considérés comme perdus, car il n'est pas prévu que la résistance puisse être prolongée au-delà de ce délai. La 7ème D. I. N. A. aura une mission retardatrice.
Pénible nouvelle, L'ennemi est donc depuis quelques heures déjà à 15 kilomètres au Sud d'Angivillers. Il va falloir demander un nouvel effort à des hommes harassés de fatigue et abrutis par le manque de
sommeil. Plus de 35 kilomètres vont s'ajouter aux 15 kilomètres déjà faits depuis Gannes, Sains ou Quinquempoix, 50 kilomètres à ajouter aux 60 kilomètres de la veille. Et pourtant il le faut. Après avoir échappé providentiellement à l'encerclement dans la Somme, il faut atteindre l'Oise, C'est une nécessité vitale. Et, dans la nuit, nous transmettons les nouveaux ordres aux éléments du corps d'armée, qui arrivent, emmêlés, venant de Ravenel, Plus tard nous apprendrons que l'ennemi qui
nous déborde à gauche venait de la région d'Amiens où la poussée allemande avait scindé en deux la 10ème Armée, celle-ci descendant vers le Sud-Est venait couper le chemin de repli de notre corps d'armée qui se dirigeait vers le Sud-Ouest tout en contenant l'avance allemande sur son propre front.

9 Juin 1940

Véhicules et colonnes a pied passent sans arrêt. Vers 1h30 des éléments de la 7ème D.I N.A. arrivent et aussitôt prennent position pour couvrir l'Ouest et le Nord du village d'Angivillers. Les diverses unités
du 41ème R. I. prises dans cet immense enchevêtrement d'hommes atteignent ce village à de longs intervalles. A 2h45, les restes du 3ème bataillon arrivent enfin, suivant de loin les compagnies régimentaires passées vers 22 heures et le 2ème bataillon vers 00h30. Tous sont dirigés par le même itinéraire : Pronleroy, Cernoy, Fouilleuse, Epineuse, Sacy-le-Grand, Tourteaucourt et Pont-Sainte-Maxence. Tous, malgré la fatigue, ont continué avec courage cette marche harassante au milieu
des colonnes de camions et des véhicules hippomobiles qu'il faut à chaque moment éviter, Sans arrêt, de 22 heures à 3 heures du matin, les officiers de l'état-major aiguillent dans la nouvelle direction et informent de la nécessité de franchir au plus vite l'Oise les éléments de quatre divisions différentes appartenant au 1er C. À. ou à la 10ème Armée qui passent à Angivillers dans une cohue indescriptible.

La marche, lente et pénible jusqu'à Pronleroy, par suite de l'encombrement, devient plus aisée et plus rapide ensuite grâce aux petites routes empruntées. Et c'est dans un ordre aussi parfait que possible
dans les conditions présentes que les éléments du 41ème R. I. passent à Sacy-le-Grand, à 10 kilomètres de Pont-Sainte-Maxence, entre 7 et 9 heures. C'est une retraite, et non une débâcle: ne voit-on pas, encadrés par une de nos sections, défiler plusieurs des prisonniers allemands du Bois du Satyre que l'on n'avait pu faire conduire au P. C. D. I. et qui trainent leurs bottes sur la route poudreuse ? La matinée, d'abord brumeuse, est devenue splendide. Le ciel est d'un bleu éclatant et on s'attend avec appréhension à voir arriver les escadrilles ennemies, Mais rien dans le ciel, et chacun se hâte pour franchir l'Oise. Cette absence d'avions ennemis semble invraisemblable, mais c'est un fait. Il faut en profiter et passer le pont au plus vite.


Pont-Sainte-Maxence. Rive Nord de l'Oise. Partout des traces de bombardements aériens; maisons et usines éventrées, mais le pont est intact et, affluant par trois routes différentes, les colonnes françaises y défilent de front. Malgré le nombre considérable des troupes et convois, l'embouteillage est faible et le passage se fait en ordre et sans difficultés sur trois lignes; une colonne auto, une colonne hippo et une colonne à pied. L'attente n'est pas trop longue. Chacun a compris le péril qui le menace et obéit aux consignes.

A 12h30 le 3ème bataillon, dernier élément du 41ème R. I., avait franchi le pont. Seuls restaient encore en arrière quelques trainards, ceux qui, à bout de forces, n'avaient pu suivre durant cette longue étape s'ajoutant à d'autres et à tant de fatigues. A 15h30, dans un vrombissement de moteurs, les avions allemands surviennent ; ils passent, lâchent leurs bombes et le pont s'écroule dans la rivière. Nous apprendrons plus tard que tous les avions de chasse du secteur 70, a-t-on dit, avaient eu pour
mission de se sacrifier pour maintenir les avions ennemis à distance des ponts de Creil et de Sainte-Maxence aussi longternps que possible.

La chaleur est forte, le soleil brûle. Après ua pareil effort physique, soutenus jusque là par leur volonté et leurs nerfs, les hommes s'effondrent dans la forêt de Halatte, sur la route de Sainte-Maxence à Creil.

Il faut reprendre des forces avant d'atteindre, à 10 kilomètres encore de Pont Sainte-Maxence, Mont-la-Ville, lieu de regroupement du régiment. On peut enfin prendre le temps de manger les dernières
boites de conserves restantes; piètre ravitaillement. Mais c'est ainsi.

Depuis trois jours nous avons été nourris surtout de kilomètres. Peu à peu, cependant, les unités atteignent Verneuil. Les habitants sont tous là et ne semblent pas réaliser ce qui leur arrive. Ils hésitent à croire que l'ennemi est tout proche et que, cette nuit, demain au plus tard, il sera sur la rive Nord de l'Oise, à quelques centaines de mètres.

La nuit tombe. On a retrouvé la C. H. R. et on tape fortement dans les réserves de conserves et les boules de pain, Des retardataires ont rejoint en traversant l'Oise à cheval sur les débris du pont. Chacun se détend, couché dans le bois. On se sent en sécurité. L'Oise nous protège, et derrière l'Oise, des divisions fraîches doivent être prêtes à recevoir l'ennemi. On parle de repos, de refonte du régiment et de la division, quelque part, à des centaines de kilomètres d'ici: certains auraient même entendu dire qu'il était question de Coëtquidan, C'est que le 41ème R. I. est réduit au tiers de son effectif : un millier d'hommes à peine. Outre les tués et blessés des combats des 19 mai au 7 juin, tout
le 1er bataillon et deux compagnies du 3ème bataillon sont restées dans la Somme; une section de mitrailleurs et une section de voltigeurs sont restées presque entières à Ansauvillers. Enfin, une centaine d'hommes égarés durant le repli n'ont pas rejoint. Quant à la division, elle serait encore plus réduite. Un régiment, le 22ème R. M. V. E., a disparu en entier sur la Somme. Le 117ème serait, parait-il, réduit à deux ou trois cents hommes, et si une partie du 10ème d'Artillerie a pu se replier avec
quelques pièces, le 210ème serait presque disparu et aucun canon de 155 n'aurait pu franchir l'Oise.

Il fait nuit, Le canon commence à gronder vers Creil. Les avions ennemis nous survolent sans arrêt depuis 18 heures. À deux reprises on entend le sourd éclatement des bombes sur la ville de Creil. à
1500 mètres de nous. Le bruit court que la partie Nord de cette ville, sur l'autre rive de l'Oise, serait occupée par les Allemands depuis 19 heures. Mais tous s'endorment, abrutis de fatigue. Nulle inquiétude ne vient troubler notre sommeil. L'Oise n'est-elle pas là, telle une barrière, bordée de troupes fraîches ?

Vers 23 heures un lourd convoi traverse la forêt. Ce sont les compagnies de ponts lourds du Génie qui doivent lancer leurs ponts sur l'Oise pour s'efforcer de faire franchir la rivière aux éléments que la
rupture des ponts a laissés sur l'autre rive. Un pont de bateaux sera bien lancé pendant la nuit et permettra à certains éléments de se replier, mais, dès le matin, il faudra le faire sauter à coups de canon pour éviter qu'il ne tombe aux mains de l'ennemi. et des milliers d'hommes ne pourront franchir I'Oise.



Chap 8 : Combat sur l'Oise -

10 juin 1940

Minuit 30. Réveil. Un officier de la division est là qui apporte l'ordre de s'embarquer au petit jour en camions pour aller défendre les passages de l'Oise, à l'Ouest de Chantilly. Adieu, veau, vache, cochon,
couvée! Adieu repos si désiré et si mérité! Et les interrogations fusent! Alors, il n'y a pas de troupes fraîches pour défendre l'Oise ? Il n'y a pas de positions organisées ? Ce sont les troupes qui marchent et combattent sans arrêt depuis près d'un mois et qui, par miracle, ont pu traverser les lignes ennemies en perdant les deux tiers de leur effectif et de leur matériel, ce sont elles qui doivent encore combattre ? Oui, mais que font les autres ? Il n'y a donc plus de troupes en France ? Non, il n'y a personne. Ce sont en effet les mêmes, ceux qui ont tenu sur la brèche depuis trois semaines, qui vont défendre l'Oise comme ils défendaient la Somme, avec cette différence qu'ils sont terriblement réduits en nombre, qu'ils sont abrutis de fatigue, qu'il n'y a presque plus d'artillerie, et qu'aucune position n'a été sérieusement préparée. C'est donc vrai. Les larmes viennent aux yeux. Jusqu'ici, dans l'ardeur des
combats, dans l'action, on espérait, on croyait vaincre. Maintenant on comprend que c'est fini, que la victoire est impossible. Nos peines, nos fatigues n'ont servi à rien, et c'est inutilement que tant de nos camarades se sont sacrifiés. La France est perdue. Certains envisagent déjà l'Armistice comme ta solution la meilleure. Que c'est dur!

Le régiment s'embarque entre 4h30 et 5h3O dans des autobus de la T. C. R. P. qui, au fur et à mesure de l'embarquement de chaque unité, filent à pleins gaz pour éviter les avions qui depuis le début du
jour ronronnent dans le ciel. Senlis, durement touché par les bombardements. Chantilly et son château. Le débarquement s'effectue dans la forêt de Chantilly, aux abords de Lys-Chantilly. La 19ème D. I. a en effet pour mission de tenir les passages de l'Oise du Sud de Boran, abbaye de Royaumont, jusqu'à Saint-Maximin. Placée à la jonction de deux corps d'Armée, elle a le périlleux honneur de défendre une boucle de la rivière, ce qui, comme dans la Somme, l'oblige à se défendre de face et de flanc et lui fait courir le risque d'être coupée par derrière si l'Oise était franchie dans la région d'Asnières-Viarmes. Or la 19ème D. I. ne compte plus comme effectifs que les restes de fantassins du 41ème R. I., des
cavaliers du G. R. D. et des artilleurs du 10ème R. A. D. et 210 R. A. L. avec quelques pièces. Ces éléments sont ainsi disposés : à l'Ouest le 2ème bataillon du 41ème a pour mission d'interdire le passage dans la région du pont de Boran. Au Nord le 3ème bataillon du 41ème a pour mission d'interdire le passage du pont de Précy-sur-Oise, ,avec à sa droite, les cavaliers du G. R. D. 2l chargés de défendre le passage dans la région du pont de Saint-Leu-d'Esserent. L'artillerie prend position dans le bois de Bonnet derrière les marais, au Sud de Lys-Chantilly. La 19ème D. I est renforcée par une compagnie du 257ème R. I., régiment du Midi dont doux sections sont installées au pont de Précy et deux autres sections au pont de Boran. Une batterie de 75, récupérée, vient étoffer l'artillerie divisionnaire.


Le 3ème bataillon s'installe sur ses positions dans l'après-midi. Il ne comprend plus d'ailleurs que trois sections de la 9ème compagnie, la 4ème (section Le Moal) étant restée à Ansauvillers, la 10ème compagnie avait été laissée encerclée à Fay et la 11ème compagnie à Soyécourt. La section
Payen s'installe face à l'Ouest, moulin de Précy, la section Le Denmat avec le P. C. Bataillon dans la ferme de Précy, face au pont, et la section Mauduit à Toutevoie, en liaison avec les cavaliers qui occupent le camp Romain.

L'ennemi n'est encore signalé nulle part sur l'autre rive, et de nombreuses reconnaissances y sont envoyées, tant pour reconnaitre les lieux que pour remplir différentes autres missions : défoncer les vastes réservoirs d'essence de Précy, récupérer des vivres dans un train de l'Intendance stationné en gare de Precy afin de suppléer au ravitaillement normal, inconnu depuis déjà longtemps. Il est curieux de constater que c'est à Précy-sur-Oise que débarquait le 20 mai le 3ème bataillon : que de chemin parcouru depuis!

La fin de l'après-midi se passe dans le calme, A 22 heures, le 2ème bataillon, dont le commandant Pigeon, chef d'état-major du R. I., vient de prendre le commandement, s'installe sur les positions reconnues dans l'après-midi: la 7ème compagnie à la plage de Boran, la 6ème compagnie au
Pont, la 5ème compagnie au Nord, en liaison avec le 3ème bataillon. Le P. C. R. I. est installé à Lys-Chantilly, au carrefour des routes Précy-Viarmes et Boran-La-Morlaye. La journée s'est écoulée sans difficultés, mais il est à prévoir que la situation deviendra vite critique dès que l'ennemi se présentera et cherchera à franchir l'Oise, ce qui ne tardera sûrement pas. En effet, 800 hommes pour défendre 10 kilomètres de rivière, c'est peu. Et 800 hommes fourbus, à bout de forces, avec peu de munitions, appuyés par une artillerie réduite et disparate, avec des liaisons téléphoniques presque inexistantes, c'est vraiment inquiétant.

D'autant que l'ennemi va occuper les rives dominantes de l'Oise, Mais les ordres du général de division sont formels : il faut tenir, le sort de Paris en dépend. Comme nous avons tenu sur la Somme nous tiendrons sur l'Oise, avec des moyens infiniment plus réduits.



11 Juin 1940

Au réveil, un brouillard noir, bas et lourd, recouvre la vallée. Vers 8 heures il s'épaissit singulièrement, semble glisser lentement, par vagues. . . On parle de gaz ? Mais on saura plus tard que c'étaient les
grands réservoirs des raffineries d'essence de Rouen qui brûlaient et dont la fumée noire avait été poussée jusqu'à nous par le vent. Vers 11 heures tout se dissipe et le ciel redevient bleu, éternellement.

Vers 10 heures des éléments allemands sont signalés au Sud-Ouest
de Creil et à 11h15 nous recevons l'ordre de faire sauter les ponts de l'Oise. Celui de Boran s'écroule d'abord, puis, à 11h50, c'est le pont suspendu de Précy qui s'abime dans l'Oise avec fracas. Son explosion met le feu aux nappes d'essence qui s'écoulaient des réservoirs détruits la veille et durant une heure la surface de l'eau sera couverte de grandes flammes rouges.
N'ayant plus de nouvelles de la section du 257ème R. I. installée en tête de pont sur l'autre rive, à Précy, pour signaler l'approche de l'ennemi avant de se replier en barques, le commandant Jan envoie l'adjudant-chef Le Denmat avec une patrouille de 6 hommes de l'autre côté de la rivière, à 13 heures.


Elle est de retour vers 14 heures. II ramène 6 prisonniers allemands, dont un sous-officier, ce sont des cavaliers qu'il a astucieusement surpris dans une ferme, et le gros regret des nôtres est d'avoir dû laisser de l'autre côté de l'eau, faute de moyens de transport, leurs jolis chevaux. Par contre, aucune trace de la section du 257ème R. I. qu'on soupçonne fort de s'être volatilisée sans crier gare. Le lieutenant commandant la compagnie du 257ème n'est pas fier de ses Méridionaux qui, bien que 40, se sont éclipsés sans tirer un coup de fusil alors que 6 hommes du 41ème trouvent moyen, en une heure,
de ramener 6 prisonniers. Gloire aux Bretons!

Vers 14h30 le 2ème bataillon signale des éléments ennemis sur les hauteurs bordant l'Oise. Soudain, vers 15h15, un violent bombardement de minen et de 105 s'abat sur Boran plage et les abords du pont.

Cela tombe dru, puis le tir s'allonge jusqu'aux lisières Ouest du bois de Lys et des élémenls ennemis tentent de franchir l'Oise sur de petits bateaux de caoutchouc, mais nos tirs nourris de fusil et d'armes automatiques les repoussent, Tentative manquée. Cependant l'ennemi a profité de cet essai pour repérer avec précision nos emplacements de mitrailleuses et de fusils-mitrailleurs qui ne sont pas assez enterrés faute de temps et de moyens, et cela d'autant plus que ces armes se trouvent
sur des pentes gazonnées dominées par les hauteurs de l'autre rive ou se masse l'ennemi.

Vers 17 heures, les tirs d'artillerie qui avaient fortement diminué reprennent avec une grande violence. Chacun de nos emplacements d'armes est soigneusement arrosé de minen. Cela dure près d'une demi-heure à forte cadence. Puis, soudain, de nombreux éléments ennemis tentent le passage. Ils sont repoussés presque partout, sauf à Boran-plage où le bombardement a rendu inutilisable plus de la moitié des armes automatiques. Notre faible artillerie, sans observatoires, sans liaisons téléphoniques, tire quelque peu au hasard sur les sorties de Boran et sur la route de Boran à Précy. A 17h45 l'ennemi a pris pied sur la rive gauche de la rivière et lancé en avant ses éléments légers armés de nombreuses mitraillettes et appuyés par des tirs nourris d'artillerie, la confusion est à son comble. Une trentaine de permissionnaires du 2ème bataillon qui, après avoir erré depuis le 12 mai, venaient de retrouver (par quel hasard) le régiment et avaient été dirigés vers 17 heures sur leur unité, accueillis sans armes par le violent tir d'artillerie, se sont repliés en désordre sur Lys-Chantilly, surpris de ce premier contact avec les réalités de la guerre. Des groupes isolés d'ennemis s'avancent dans la partie Sud du bois de Lys.

Le P. C. R. I. augmente rapidement ses moyens de défense, Les barricades sont renforcées. Un canon de 25 du 2ème bataillon qui s'est replié sur le P. C. vient s'ajouter aux deux canons de la C. R. E. déjà en batterie. Les maisons et les jardins de la partie Est du P. C. sont aménagés rapidement. Vers
18h15 des rafales de mitraillettes sifflent dans les rues. On s'attend, d'un moment à l'autre, à voir déboucher l'ennemi des bois qui enserrent les quelques maisons du carrefour.

Le colonel fait brûler le drapeau. . ,

Mais les heures passent. A part quelques rafales de mitraillettes, rien ne bouge. Deux patrouilles sont envoyées, l'une en direction de l'abbaye de Royaumont, et ne signale rien, l'autre, en parcourant le bois de Lys, en dilection de Boran-plage, reçoit des coups de feu.

Vers 21 heures, le lieutenant Lucas reprend la liaison avec le 2ème bataillon. La situation, bien que confuse, ne semble pas très bonne. La 5ème compagnie, au Nord, se dit submergée par l'ennemi; la 6ème, au centre, résiste encore avec peine; la 7ème compagnie, au Sud, c'est repliée dans le
Bois des Lys où elle résiste. Mais le brutal bombardement si précis n'a pas causé que des pertes; il a aussi atteint le moral des hommes dont l'état de fatigue est extrême. Une section de la 7ème compagnie qui était chargée de la garde du P. C. R. I. est envoyée en renfort.

Avec la nuit, tout se calme. Quelques rafales sifflent encore entre les arbres. La dispersion de tous les éléments du bataillon dans les bois assez touffus permet difficilement de se rendre compte de la situation. A 23 heures, le colonel donne l'ordre au 2ème bataillon de se replier sur la route de Précy-sur-Oise à Viarmes. Pendant cette fin de journée, le 3ème bataillon n'avait eu à subir aucune action de la part de l'ennemi.


Chapitre 9: Le repli de l'Oise vers la Marne -

12 Juin 1940

A 1 heure, le 2ème bataillon est installé sur ses nouvelles positions, face à l'Ouest. Le décrochage s'est fait sans grandes difficultés, et une fois le regroupement terminé, on s'aperçoit que les pertes sont moins fortes qu'on ne l'avait craint. L'ennemi ne semble pas vouloir exploiter cette nuit son avantage, mais il est indispensable de le repousser au plus tôt de l'autre côté de l'Oise, En effet, cette percée menace dangereusement les arrières du 3ème bataillon et du G. R. D. qui bordent l'Oise, face au
Nord

Dès 3h30, cinq chars d'assaut et un peloton de cavaliers portés sont mis à la disposition du régiment. A 3h45, le 2ème bataillon repart en avant, appuyé par ce nouveau renfort, Surpris, les Allemands n'offrent
que quelques résistances isolées. En peu de temps l'ennemi est rejeté dans l'Oise et le 2ème bataillon s'installe aux lisières Ouest du bois du Lys, Il semble qu'inquiet de la résistance qu'on lui a opposée, l'ennemi ne s'est pas trouvé assez en force pour se maintenir sur la rive gauche, ce qui expliquerait le manque d'énergie qu'il a montré pour conserver une position, qu'il avait mis tant d'acharnement à conquérir. Cependant quelques isolés parcourent encore les bois et le commandant Pigeon est blessé vers 6h30, par une rafale de mitraillettes, alors qu'il allait en auto prendre la liaison avec le 3ème bataillon. Le lieutenant Le Guiner, l'officier le plus ancien du 2ème bataillon, en prend le commandement.


Matinée assez calme. Notre artillerie tire sans arrêt, mais d'une façon un peu désordonnée; une batterie arrose même la section du lieutenant Payen, sans dommages heureusement, car ses hommes sont bien enterrés.

Au début de l'après-midi, le 3ème bataillon signale des éléments ennemis sur l'autre rive de l'Oise; des coups de feu s'échangent de part et d'autre sans grands résultats. A 17 heures débarque au P. C. R. I. un bataillon du 107ème R. I. qui, ayant perdu contact avec son régiment, a été récupéré par notre division. Il reçoit l'ordre d'occuper la rive de l'Oise dans l'intervalle entre le 2ème et le 3ème bataillon, ce qui permettra ainsi une défense un peu plus étoffée. Le régiment commence à devenir un peu disparate, puisque maintenant il compte en plus de ses unités propres trois sections de la
4ème compagnie du 257ème, un bataillon du 107ème R. I., une section du 34ème cycliste et même deux marins chargés de servir une pièce de 47 de marine montée sur plate-forme fixe en ciment et incorporée, parait-il, dans la * Défense de Paris*.

Vers 18 heures, bombardement par minen des maisons proches du Pont de Précy. A 18h15, la situation devient mauvaise. La division nous apprend en effet que l'ennemi a franchi l'Oise en amont de Creil et qu'il se trouve dans la forêt de Halatte. Il faut envisager un repli probable pour la nuit.

A 18h25 le G. R. D. nous signale que, vivement pressé par l'ennemi et menacé de débordement par sa droite, par suite du repli des éléments de la division voisine occupant Saint-Maximin, il a dû se
replier lui même sur la Nonette et à Gouvieux. Le 3ème bataillon et surtout la section de Toutevoie et celle de Précy sont en mauvaise posture.

Cependant le moral est bon. Le soir descend. On s'attend à une rude attaque pour le lendemain, attaque par le Nord et par l'Ouest. On tiendra, mais vraiment la position était meilleure dans la Somme, et puis on avait réussi à maintenir intacts nos points d'appui malgré deux jours d'attaque, tandis que maintenant. . .

20h10. Un ordre arrive de la division: repli à partir.de 21 heures.

Mission : atteindre la région de Noisy-le-Grand-Noisiel pour défendre les passages de la Marne.

Itinéraire : Viarmes, Belloy, le Mesnil-Aubry, Gonesse, le Bourget, Bondy, Rosny, Neuilly-sur-Marne: encore 56 kilomètres! Une batterie d'artillerie tirera sans interruption jusqu'à 24 heures pour couvrir le repli et faire illusion. L'ordre de repli est aussitôt transmis aux divers éléments avec l'ordre de marche
suivant : 4ème compagnie du 257ème, 2ème bataillon, compagnie de Commandement, 107ème R. I., 3ème bataillon du 41èmeR. I.

Ainsi il faut encore se replier, parce que l'ennemi est passé. . . autre part.

Peu après nous apprîmes que l'ennemi avait occupé la partie Nord de Chantilly, atteint Gouvieux, et que des autos-mitrailleuses avaient même poussé jusqu'à la Morlaye, à 5 kilomètres au Sud du 3ème bataillon.

Pour la troisième fois en cinq jours le régiment est très sérieusement menacé d'encerclement.

Le décrochage se fait à l'heure dite, sans difficultés, contrairement à ce qu'on craignait. La batterie laissée en arrière-garde tire à pleins tubes et fait du bruit pour quatre. La division coloniale qui devait nous relever un jour prochain et qui était depuis la veille à Viarmes et à Luzarches couvre notre marche et s'installe derrière le marais de Goye et le ruisseau de Royaumont. La marche est longue et pénible.

Depuis trois semaines, nourris au hasard du ravitaillement trouvé sur place, privés de sommeil, les hommes et leurs cadres sont profondément harassés. Et l'on va encore couvrir 56 kilomètres durant cette nuit.

Viarmes, Près de Saint-Martin-du-Tertre des batteries de 75 tirent sans arrêt et les obus allemands qui les cherchent ne tombent pas loin de la route, jusqu'à Belloy, pas d'embouteillage, bien que deux divisions empruntent le même itinéraire. Par contre la petite route de Belloy à Mareuil est encombrée.

Fort heureusement c'est peu après la grande route nationale jusqu'à Ecouen. De Villiers-le-Bel on aperçoit Saint-Denis et Paris dans le jour qui se lève. Çà et là des grosses fumées, résultat des bombardements des jours précédents.



Chapitre 10: Le repli de la Marne à la Seine -


13 Juin 1940

La division nous fait prévenir que des camions seront à la disposition du régiment entre Ecouen et Gonesse, mais ce n'est pas sans peine qu'après de longues recherches on les découvre alignés dans une petite rue d'Arnouville, tous les conducteurs endormis: eux aussi manquent de sommeil. Le régiment sera chargé en trois échelons à Gonesse: compagnie de Commandement, 2ème bataillon, 3ème bataillon. Embarquement rapide: les voitures hippomobiles, les mitrailleuses, les mortiers, les canons de 25 et de 47 continuent directement sur Neuilly-sur-Marne. Nous traversons le Bourget, Les grands bâtiments de l'aérogare ne sont plus que des carcasses noircies. Nous laissons à droite la porte Saint-Denis et Paris que nous ne comptions pas revoir dans de pareilles conditions.

Nous traversons Bobigny, où les habitants distribuent boissons, nourriture et cigarettes aux tirailleurs de la 7ème D. I. N. A. Voici Bondy, Noisy-le-Sec, Rosny, Neuilly, Plaisance. Quelle foule dans les rues!
Quelle agitation I Nous sommes abasourdis par ce mouvement de civils, de femmes et d'enfants habillés d'une façon qui nous étonne, tant nous en avons perdu I'habitude.


Au P. C. D. I. l'ordre suivant est donné : Le 41ème occupera Noisy-le-Grand et le plateau de la Grenouillière, le G. R. D. occupant Gournay, le bataillon du 107ème R. I. et la compagnie du 257ème R. I. s'établissant sur les bords de la Marne, de Gournay à Neuilly-sur-Marne. Le pont sur la Marne entre Noisy-le-Grand et Neuilly est tenu par une compagnie d'un régiment régional. Les habitants du lotissement de la Grenouillère, voyant les officiers rechercher des zones de stationnement pour les diverses unités, offrent, qui un lit, qui une chambre, pour loger les soldats. Ils se figurent que le régiment vient au repos et le soir même les Allemands seront peut-être sur la Marne, Que d'illusions !

Mensonges des journaux, fausses nouvelles de la T. S. F.

A quoi bon leur exposer la terrible réalité ?

Le 2ème bataillon débarque à 10 heures à Neuilly-sur-Marne. A 15 heures il rejoindra Noisy-le-Grand où il s'établira en cantonnement d'alerte. Le 3ème bataillon débarque à Noisy-le-Grand à midi et s'installe à 13 heures à la Grenouillère. Il fait une chaleur torride. Tout le monde est à bout.

Abrutissement total. Bientôt ceux que l'excès de fatigue n'empêche pas de dormir tombent dans un sommeil de mort. Et cependant, dans Noisy, les civils s'agitent, en proie au plus grand affolement, chargeant leurs véhicules: autos, voitures d'enfants, chariots de tous gabarits au milieu de la confusion générale.

Ce qui reste d'artillerie s'est mis en batterie sur le plateau de la Grenouillère. La mission du régiment est bien confuse et les liaisons font complètement défaut, tant avec les artilleurs qu'avec le P. C. D. I.

Bientôt le bruit court que Paris a été déclaré ville ouverte et qu'on n'aura pas à défendre le passage de la Marne. Il paraîtrait que les Allemands sont à Rouen. Il parraît même qu'ils auraient franchi la
basse Seine, ce qui nous semble invraisemblable. Nos unités sont bien réduites. Dans cette marche de l'Oise à la Marne de petits groupes de traînards se sont égarés dans la banlieue et sont rentrés dans Paris.

On saura plus tard que les gardes mobiles les ont désarmés et rassemblés avec beaucoup d'autres dans des camps qu'ils se sont empressés de quitter. C'est ce qu'on appelle défendre la France I

19 heures. On tâche d'avoir des ordres au milieu de toute cette confusion, mais l'état-major de la division est déjà parti sur Corbeil. Il nous a laissé heureusement des instructions : le régiment se repliera derrière la Seine, près de Corbeil. Des camions seront à sa disposition entre 20 et 21 heures.

P. C. D. I. à Mennecy, à 6 kilomètres Sud-Ouest de Corbeil.

21h30. Pas de camions. La nuit tombe. L'ennemi serait proche, parait-il, et la compagnie du régiment régional chargée de garder le pont de la Marne s'inquiète en apprenant notre départ. Le train hippomobile est parti à 21 heures, mais les mitrailleuses sont restées avec les hommes; il est imprudent de s'en séparer. On pense les charger sur les camions.

23 heures. Toujours pas de camions. Les recherches effectuées de toutes parts pour les trouver sont restées infructueuses. Il faut, une fois de plus, envisager le repli à pied. Le colonel envoie des officiers
voir ce qui se passe le long de la Marne et reconnaître l'itinéraire.

23h15. Des fusées blanches s'élèvent à plusieurs reprises sur la rive Nord de la Marne, devant Gournay. Nous les connaissons, ces fusées qui jalonnent notre marche depuis la Somme, marquant l'avance extrême des éléments ennemis. On apprend que la D. I. chargée de l'arrière-garde est en train de franchir la Marne, L'ennemi la suit. On dit que les Allemands sont entrés à Paris. On assure aussi qu'ils sont à Meaux. Notre situation, sans liaisons, sans moyens de transports, devient inquiétante.

Nous risquons d'être coupés par les colonnes ennemies ayant traversé Paris, et cela sans pouvoir nous défendre efficacement. Il nous faut aller occuper sans retard la place qui nous est assignée dans le dispositif prévu derrière la Seine. Un conseil de guerre a lieu au P. C. R. I. dans une salle, à la lueur de bougies, l'électricité était coupée. Les hommes seront-ils capables de faire en 24 heures les 60 kilomètres qu'il faudrait parcourir ? On en doute quand on voit leur état de fatigue. Cela fera trois nuits de suite de marche sans sommeil, Mais il faut tout tenter, même l'impossible, pour ne pas se laisser encercler, et rapidement la décision est prise: départ immédiat. Première étape jusgu'à Rouvres, dans la commune de Draveil, 40 kilomètres à l'abri de la Seine et de l'Yerres, avec la forêt de Senart comme couverts. De là on cherchera des moyens de transport pour atteindre Corbeil. Le 2ème bataillon transportera ses mitrailleuses à l'aide d'une voiture hippomobile « récupérée » avec son cheval dans Noisy. Le 3ème bataillon camouflera les siennes: elles seront récupérées par une camionnette du bataillon avant la fin de la journée. L'ordre de départ est aussitôt donné. Itinéraire : Chennevières, Ormesson, Boissy-Saint-Léger, Brunoy, Rouvres. Il est minuit 30. Nous apprenons que l'ennemi est depuis 20 heures à Lagny et depuis 23 heures à Gagny, sur l'autre rive de la Marne.

14 Juin 1940

Nous quittons Noisy devant le dernier régiment d'arrière-garde.

Plus tard on nous dira que les camions prévus étaient arrives à 1h30, ayant été retardés par l'embouteillage.

Marche horriblement pénible par suite de la fatigue et du manque de sommeil. On ne tient plus que par les nerfs et on marche par habitude. A chaque pause horaire, les hommes tombent pêle-mêle, endormis sur la route. Il faut les secouer énergiquement pour les réveiller et les remettre en route : certains n'en peuvent plus et restent là. Le capitaine Dunand, commandant la 9ème compagnie énergique s'il en fut, dort en marchant et ouvre, avec de grands gestes, d'imaginaires barrières sur la route goudronnée, pour faire passer sa compagnie. Les heures s'ajoutent aux heures, les kilomètres aux kilomètres. Le jour vient, Le régiment marche toujours. Enfin, vers 10 heures, on atteint le château des Bergeries, à Rouvres, où l'on s'installe dans le parc et dans les communs.

Dès le petit jour, le colonel, son chef d'état-major et lieutenant adjoint était partis en auto à la recherche du P. C. D. I. Il faut à tout prix obtenir des moyens de transport pour le parcours de Rouvres à Corbeil.

Malgré l'heure matinale la route de Paris à Fontainebleau est déjà encombrée de files ininterrompues de véhicules de toutes sortes et d'une nuée de piétons. C'est l'exode de Paris et de sa banlieue qui commence. Il laisse au passage des motocyclistes pour aiguiller le régiment sur le château des Bergeries. Sur la route de Paris à Corbeil, la cohue est inimaginable. C'est l'embouteillage total au bout
de quelques kilomètres et ce n'est qu'avec des prodiges d'adresse que le chauffeur parvient à sortir de cet enchevêtrement et, par un chemin de terre à peine tracé, puis des petites routes, à gagné Ormoy et Mennecy, où se trouve la division.

Les heures passent. La colonne de camions du train, promise a dû rester embouteillée quelque part. Il faut agir. Les camionnettes de la C. H. R. sont déchargées de leur contenu et la colonne, guidée par
le lieutenant Lucas, se rend au château des Bergeries. Ce sont ces camionnettes auxquelles se joindront bientôt celles du Génie et de la C. H. R. de Ia division, même la camionnette popote que le général a fait lui même décharger, qui, grâce à trois voyages effectués entre 11 heures et 20 heures, ramèneront à Ormoy, à 4 kilomètres au Sud-Ouest de Corbeil, les éléments du régiment stationnés à Rouvres. Long et pénible trajet pour les conducteurs qui, 9 heures durant, sans arrêt, se débattirent au milieu de la cohue emplissant et débordant même de la toute. Le spectacle de la route de Corbeil était inouï. Sur trois, quatre, cinq rangs, un amoncellement indescriptible d'autos, de camionnettes, camions de tous genres, depuis les bennes à ordures ménagère jusqu'aux voitures de pompiers, en passant par les camions de livraison de la Samaritaine, de la Belle jardinière, de Potin. . . Au milieu de tout cela, bousculées, des voitures hippomobiles de toutes tailles: la voiture légère du Petit-Gervais ou les grosses voitures de livraison de lait de Hauser et de Maggi, les voitures du Louvre et des charbons
Bernot, des chariots et des charrettes de cultivateurs de la grande banlieue ou de plus loin, tout cela chargé à craquer de gens et de paquets.

Et puis des bicyclettes innombrables. Et cette foule compacte à pied, portant des valises, poussant des voitures d'enfant, des charrettes à bras, même des chariots de gare, sans oublier les brouettes.

Familles nombreuses, couples isolés, messieurs en chapeau mou et col blanc; gars de Saint-Denis à casquette à jonc et foulard de soie avec leurs gonzesses en robe de soie plissée et manteau court de fausse fourrure.

Là-dedans, quelques convois militaires, mais surtout, isolés ou en famille, les officiers et soldats (!) du ministère de l'Armement ou du ministère de la Guerre, guerriers d'opérette fuyant en famille. Nos hommes passeront près d'eux, fiers et méprisants, conscient de leur valeur personnelle, des efforts accomplis et de la volonté de combattre encore coûte que coûte où et comme on le commandera. Le 41ème R. I. ne se replie qu'en ordre et sur ordre; il a toutes ses armes et ses munitions; le dégradant spectacle de l'exode ne le touchera pas. Pour remonter cette cohue la colonne de camions doit s'ouvrir la route mètre par mètre par la persuasion ou la menace.

Au dernier tour, qui devait ramener le 3ème bataillon, il faut presser l'embarquement, le pont de Champrosay sur la Seine, miné durant l'après-midi, étant prêt à sauter. Les Allemands approchent encore. A quelques kilomètres les réservoirs d'essence d'Orly brûlent. Sur la route de Villeneuve-Saint-Georges à Champrosay, maintenant déserte, les camionnettes filent bon train. Des motocyclistes allemands ont été signalés à Villeneuve-Saint-Georges. Le convoi passe au ralenti le pont suspendu que fait sauter quelques minutes plus tard le Génie, qui avait attendu notre retour pour effectuer cette opération, et à 20 heures, tout le régiment est rassemblé à Ormoy.

Cette fois c'est certain, Paris est déclaré ville ouverte et la Seine ne sera pas défendue si ce n'est par des arrière-gardes. Le bataillon récupéré du 107ème R. I., le G. R. D. et la compagnie du 257ème R. I.
bordent la Seine. Pour une fois le 41ème est en réserve. Vers 22h30 arrive l'ordre de repli derrière la Loire. Le 2ème bataillon embarquera à partir de minuit 30 en chemin de fer à Ballancourt, à 8 kilomètres au sud d'Ormoy; débarquement à la Ferté-Saint-Aubin, a 21 kilomètres au Sud d'Orléans.

Le reste du régiment restera en réserve pour garder les ponts de la Seine et embarquera à Ballancourt le lendemain vers 9 heures.

Nuit calme. Quelques coups de feu isolés sur les rives de la Seine.
Chapitre 11: Le repli de la Seine à la Loire -

15 Juin 1940

Comme prévu, le 2ème bataillon s'est embarqué en chemin de fer dans la nuit, à Ballancourt, et vers 1 heure les convois hippos et autos de la C. H. R. et du 2ème bataillon sont partis par la route pour accomplir le long trajet jusqu'à la Ferté-Saint-Aubin.

A 8 heures, la compagnie de Cdt et les restes du 3ème bataillon quittent à leur tour Ormoy pour Ballancourt. Le canon tonne vers l'Est. Sur la route, toujours la cohue des réfugiés à pied ou en charrettes; les autos sont déjà loin.


A Ballancourt, pas de train. Cependant toute la 11ème division doit s'y embarquer. Le chef de gare vient de se mettre en civil et prend sa bicyclette pour s'en aller. On touche là du doigt la défaillance des autorités. Il faut pousser jusqu'à la Ferté-Allais et la colonne, un peu plus fatiguée, regagne la grand route pour accomplir sept kilomètres supplémentaires.

A la Ferté-Allais, c'est l'embouteillage. Deux régiments de la 47ème division et des éléments divers se pressent déjà dans la gare pour s'embarquer. Heureusement le capitaine Soula, chef du 3ème bureau de notre division, a fait un coup de maitre. Il a réuni en une seule rame une vingtaine de wagons de tous genres qui dormaient sur les voies de garage (et dans lesquels il a eu l'astuce de comprendre un wagon de pain ) à l'aide d'une dizaine d'hommes du Génie. Mais il manque encore le principal: la locomotive ! Tout le personnel de la gare s'est déjà « replié ». Mais il y a encore de braves gens et des gens braves.

Deux employés de chemins de fer, l'un en retraite, l'autre en congé de maladie, ont pris en main la gare et s'efforcent pour le mieux. L'un d'eux téléphone à deux amis de Pithiviers et, ô miracle, une demi-heure après arrive une locomotive.

Le canon tonne de plus en plus fort sur les rives de la Seine. Au fur et à mesure de leur arrivée, les unités sont embarquées, qui dans des wagons ouverts, qui sur des wagons plats. Les boules de pain récupérées, jointes à des caisses de boîtes de conserves trouvées à point sous le hall de la gare, assurent le ravitaillement. A 13h45 le train s'ébranle, prenant place dans des convois qui se succèdent tous les 100 mètres, et que l'aviation ennemie n'inquiète heureusement pas.

Il n'a pu être question d'embarquer les chevaux et les voitures, aussi les équipages de la C. D. T., du 3ème bataillon, de la C. R. E. et les canons de 47 de la B. D. A. C. forment-ils un convoi qui doit se rendre par la route à la Ferté-Saint-Aubin. Si la colonne hippo de la C. H. R. et des bataillons partie dans Ia nuit put arriver à destination, il n'en fut pas de même de cette deuxième colonne qui, sous les ordres de l'adjudant chef Bernard, ne quitta la Ferté-Allais qu'à 14 heures.

Par suite de l'encombrement intense des routes, elle ne put franchir les ponts de la Loire et fut prise par les Allemands entre Pithiviers et Orléans. Quiconque a accompli ce trajet de Corbeil au Sud de la Loire dans les journées des 15 et 16 juin se rappellera toujours avec tristesse cet exode de la population qui encombrait les routes, sourde à toute discipline, et qui Iut la cause de ce que les canons, les mitrailleuses et les munirions de nombreux régiments n'ayant pu franchir la Loire. Ces unités furent privées des moyens nécessaires pour arrêter l'ennemi et ne purent se reformer ni se réorganiser pour reprendre la lutte.

Vers 19 heures, le 2ème bataillon débarque à la Ferté-Saint-Aubin après un voyage sans histoire.

Cependant à Orléans, le chef de train avait voulu emmener le convoi vers Tours, et ce n'est qu'après une intervention énergique du lieutenant Le Guiner qu'il fut dirigé vers sa vraie destination. Le chef de train avait évoqué comme raison que les ponts de la Loire étant bombardés, il serait dangereux d'y passer. Le 2ème bataillon s'installe dans des baraquements à la sortie Sud de la Ferté-Saint-Aubin.

16 Juin 1940

Pas de nouvelles du 3ème bataillon. Le chef de gare de la Ferté-Saint-Aubin nous apprend qu'un grave accident de chemin de fer s'est produit dans la nuit au sud d'Orléans et que les voies sont encombrées;
tout trafic est arrêté. Le chef du 3ème Bureau du corps d'Armée nous renseigne sur la situation : Le 24 mai notre division devait rejoindre la tête de l'armée Blanchard, entre Péronne et Arras, mais la défection des trois divisions anglaises, formant l'avant-garde de cette armée, avait rendu impossible cette opération. Le repli de l'Oise et de la Seine était dû au recul de la 6ème Armée, à notre droite.


Sur la route d'Orléans passent, en masses compactes, piétons, voitures hippomobiles et autos. Très peu de militaires, la Ferté fourmille. Un train de vivres est mis au pillage par les civils et il nous faut employer la force pour conserver le wagon de pain attribué au régiment.



A 11h15, une quinzaine d'avions apparaissent, venant du Nord à moyenne altitude. Ils descendent en piqué sur la Ferté. Ce sont des Italiens. Eclatement des bombes qui tombent en sifflant; poussière et
fumée dans le ciel bleu. Ils reviennent et à nouveau, par chapelets de quatre ou de six, une centaine de bombes s'abattent sur l'axe de la route Orléans-Vierzon et de la route Orléans-Pithiviers. Les civils,
affolés, s'enfuient au hasard dans la campagne. Les hommes du régiment sont pâles, mais calmes; ils en ont vu d'autres et s'efforcent de rassurer ces femmes tremblantes qui ne savent plus ce qu'elles font.

Les dégâts sont importants. Environ 200 tués ou blessés graves, dont trois quarts de civils. Un autobus de la T. C. R. P. plein de femmes et d'enfants a été coupé en deux dans la longueur et on voit partout
des maisons effondrées.

A 15 heures, le 3ème bataillon et la C. D. T. font prévenir qu'ils ont débarqué à Cerdon, à 40 kilomètres à l'Est de la Ferté-Saint-Aubin.

Mitraillé par des avions au Sud de Gien, leur train est passé sans dommages au pont de Sully entre deux bombardements et, par suite de l'encombrement des voies, il a dû s'arrêter à la gare de Cerdon à
13 heures. L'ordre arrive alors de la division de regrouper le régiment dans la région du carrefour des routes la Ferté-Romorantin et Vouzon-Yvoy-le-Marron, à 4 kilomètres au Nord de Chaumont-sur-Tharonne, où se trouve le P. C. D. I. En exécution de cet ordre, le 3ème bataillon et la C. D. T, font mouvement en deux étapes par Isdes, Souvigny et Vouzon, et le 2ème bataillon se porte à 17 heures vers ce carrefour. Des avions mitraillent les colonnes en marche, mais sans aucun résultat.

A 20 heures, le régiment est installé comme suit : P. C. R. I. et C. H. R. au château du Mousseau, encore occupé par des éléments de chars, sans matériel; 2ème bataillon au château de Montevran; le 3ème bataillon, qui a été mitraillé par des avions entre Cerdon et Isdes, est arrêté à Souvigny; enfin, deux sections de la 5ème compagnie, deux sections du 107ème R. I. et trois autos-canons sont établies défensivement à l'entrée Nord de la Ferté-Saint-Aubin.

17 Juin 1940

La matinée s'écoule dans le plus grand calme, ce qui n'est pas arrivé depuis longtemps, Le 2ème bataillon se repose dans les bois de Montevran. Les éléments chargés de la défense de l'entrée Nord de la Ferté-Saint-Aubin travaillent avec coeur à creuser des éléments de tranchées. Sur la route les colonnes de civils continuent à déferler sans arrêt, en masses pressées. Dans la Ferté-Saint-Aubin, abandonné par la plupart de ses habitants depuis la veille, c'est partout le pillage.

Après le train de ravitaillement stationné en gare, les épiceries ont été prises d'assaut. Une épicière a été assommée vers la fin de l'après-midi d'hier, et ce matin, maintenant que les habitants sont partis, la
foule des réfugiés casse et pille tout comme une horde dévastatrice.


Quel coup de maître pour Hitler d'avoir jeté cette population sur les routes ! Et quelle honte pour la France. C'est cet exode qui a rendu impossible toute défense sur la Loire en bloquant sur les routes les
convois militaires.

A 11 heures, la C. H. R. reçoit l'ordre de se porter au château de Grand-Vaullier, à 4 kilomètres au Sud, près de Chaumont. A 11h30 arrive le 3ème bataillon qui avait quitté Souvigny à 5 heures et s'installe
dans le parc du château du Mousseau, dont les habitants viennent de déguerpir.

A midi la T. S. F. nous apprend que des plénipotentiaires sont partis demander l'Armistice, Chacun sent avec tristesse que c'est la seule solution possible et l'on regrette que cet acte n'ait pas été
accompli plus tôt.

Dans l'après-midi le convoi hippomobile de la C. H. R. et des 2ème et 3ème bataillons rejoint le Mousseau. Parti d'Ormoy le 15 juin vers 2 heures du matin, mitraillé en route, retardé par les civils, il a pu cependant atteindre Ia Loire et la franchir, au pont de Jargeau, entre deux bombardements. Les hommes rapportent les visions horribles dont ils ont été les témoins: hommes, femmes et enfants massacrés par les bombes et la mitraille, spécialement au passage de la Loire.

A 22 heures, les deux sections de la 5ème compagnie qui stationnent au château de Montevran et reçoivent l'ordre de se porter à la Ferté-Saint-Aubin où elles remplaceront les deux sections du 107ème R. I. qui rejoignent leur régiment, Le bouchon de la Ferté-Saint-Aubin sera ainsi assuré par toute la 5ème compagnie, sous les ordres du sous-lieutenant Guilloton. On rassemble ce qui reste comme munitions de F. M. pou ravitailler ces éléments, et la 5ème compagnie, qui a perdu une partie
de ses armes automatiques détruites par l'artillerie ennemie dans les comtats de l'Oise, en est pourvue à nouveau aux dépens des autres compagnies du bataillon.


Chapitre 12: Le repli de la Loire au Cher - 18 Juin 1940
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02-B - Journal des opérations de guerre par les Lt LUCAS et HERVE
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Chapitre 12: Le repli de la Loire au Cher - 18 Juin 1940

18 Juin 1940

A 1h30, réveil. La division vient de donner l'ordre de faire mouvement. Le régiment s'installera défensivement à 12 kilomètres plus au Sud au carrefour des routes Orléans-Romorantin et Beaugency-Romorantin. Départ à 2h40. Ordre : 2ème bataillon, C. D. T., 3ème bataillon.

Il pleut légèrement, pour la première lois depuis longtemps, mais cela cesse rapidement. Itinéraire: Chaumont-sur-Tharonne, la Ferté-Beau-harnais. Vers 6 heures un gros trimoteur allemand survole la colonne à très basse altitude: affolement des civils, calme absolus des hommes.

A 8 heures, le régiment est installé comme suit : 2ème bataillon au carrefour de Grand-Villiers; P. C. R. I. . P. S. et C. D. T. à la ferme d'Avignon, à 1 kilomètre plus au Sud sur la route de Romorantin; à
3 kilomètres Sud-Est d'Avignon, sur la petite route de Marcilly-en-Gault, le 3ème bataillon tient le carrefour de Saint-Viatre; à 3 kilomètres au Sud d'Avignon, sur la route de Romorantin, la C. H. R. est camouflée dans le bois qui longe la route. Le P. C. D. L est à Millancay; le G. R. D. à Marcilly-en-Gault, la 4ème compagnie du 257ème R. L à Neung-sur-Beuvron. Enfin, à 27 kilomètres au Nord, la 5ème compagnie est toujours installée à la Ferté-Saint-Aubin avec ses trois autos-canons. Les quelques pièces d'artillerie qui restent sont mises en batterie dans la région de Marcheval, à 4 kilomètres Sud-Ouest d'Avignon.

C'est la pleine Sologne, terrain plat parsemé d'étangs et de bois. Vers midi 30 on signale au P. C. R. I. qu'une colonne motorisée allemande aurait franchi la Loire. A 15h25 un compte rendu du sous-lieutenant Guilloton, daté de 15 heures, signale que l'ennemi semble approcher de la Ferté-Saint-Aubin et que le G. R. C. A. qui était en avant de lui se replie.

A 15h30, ordre de la division de replier la 5ème compagnie, vraiment trop aventurée, seule, à 27 kilomètres du régiment. Des camionnettes de la C. H. R. sont envoyées pour la ramener par l'itinéraire
Neung, Yvoy, afin d'éviter la grande route. A 15h35, le colonel part en auto au P.C.D. I. chercher des ordres. A16h45. ordre de la division de préparer le repli du régiment pour le début de Ia nuit: le
41ème va occuper la région de Chabris, à 12 kilomètres Sud-Ouest de Romorantin, sur la rive Sud du Cher. L'heure de départ sera fixée ultérieurement. Les unités sont alertées. A 18h25, contre-ordre de la division. Jusqu'à nouvel ordre, tenir sur place. Le 3ème bataillon se portera à la Ferté-Beauharnais. Le 41ème régiment d'infanterie se compose alors du 2ème bataillon à deux compagnies qui ne possèdent plus que quelques fusils-mitrailleurs ayant chacun quelques chargeurs, du 3ème bataillon à une compagnie de trois sections, de la C. D. T., spécialistes sans armes automatiques, et de quelques mitrailleuses. Les canons anti-chars sont restés bloqués au Nord de la Loire par les convois civils.

A 19h15, sans nouvelles du colonel parti en auto pour la Ferté-Saint-Aubin à 16h30, par l'itinéraire Neung-Yvoy, sans nouvelles de la 5ème compagnie ni des camionnettes envoyées pour la ramener, le
lieutenant Lucas, officier-adjoint du colonel, rend compte de la situation au commandant Jan.

Le colonel et la 5ème compagnie sont sans doute prisonniers. Les éléments ennemis sont peut-être proches. Le commandant Jan envoie le lieutenant Lucas rendre compte au P. C. D. I. de cette situation et de la faible force défensive du régiment. A 19h25 le lieutenant Lucas fait prévenir le 2ème bataillon de se tenir sur ses gardes et se rend à Millançay. Le général Lenclud, informé, donne l'ordre de tenir sur place malgré tout, mais un civil est introduit qui apprend au général qu'une colonne motorisée allemande était à 19h15 à Neung-sur-Beuvron, où la compagnie du 257ème s'était rendue sans combattre. Puis le lieutenant Blanchet, du 10ème d'artillerie, officier de liaison du régiment auprès du 41ème, arrive en side-car et rend compte qu'une colonne motorisée allemande a dépassé le Grand-Villiers et c'est présentée à 19h50 au carrefour d'Avignon. Elle doit être en marche sur Millançay.

Le général donne les ordres suivants : le lieutenant Lucas s'efforcera de regrouper les éléments restants du 41ème R. I. et leur donnera l'ordre de se porter sur Marcilly-en-Gault où se trouve le G. R.D.

Ces éléments se replieront à la nuit, derrière le Cher, dans la région de Chabris, en ralentissant l'avance de l'ennemi s'il y a lieu. Le lieutenant Blanchet s'efforcera de replier derrière le Cher les éléments restants d'artillerie. Trois autos-mitrailleuses lourdes sont affectées à la défense de l'entrée Nord de Millançay.

Durant ce temps l'ennemi, comme on devait le savoir plus tard, arrivait en deux fortes colonnes motorisées de la région de Beaugency-Orléans, où il avait franchi la Loire dans le secteur du corps d'Armée voisin.

Après un violent bombardement, il encercle vers 16 heures la 5ème compagnie à la Ferté-Saint-Aubin.

Puis les troupes allemandes envoient un plénipotentiaire avec drapeau blanc qui informe le sous-lieuterant Guilloton qu'il est encerclé, que d'autre part l'Armistice étant signé il n'y a plus aucune raison de se battre. Entourée d'auto-mitrailleuses et de chars, dans un terrain n'offrant aucune défense naturelle, sachant l'Armistice demandé depuis la veille, la 5ème compagnie dépose les armes.

Et la colonne allemande descend vers le Sud. Rencontrant la tête de cette colonne, l'auto du colonel, qui se rendait seul vers la Ferté-Saint-Aubin, s'arrête à la vue des drapeaux blancs que l'on agite. Et
le colonel est aussitôt entouré et avisé que l'Armistice est signé et qu'il est prisonnier.

Les colonnes motorisées allemandes venant à la fois de Neung-sur-Beuvron et de la ferté-Beauharnais arrivent vers 19h40 au Grand-Villiers, où se trouve le 2ème bataillon. Un F. M. garde chaque route.

Sur l'une d'entre elles arrivent deux motocyclistes avec un drapeau blanc, qui font signe de ne pas tirer.

L'un d'eux, un officier, dit alors que l'Armistice est signé; il montre que ses armes ne sont pas chargées
et demande à parler au commandant du secteur. Le lieutenant Le Guinner arrive, écoute les explications et, convaincu de ce que la guerre est finie, donne l'ordre de déposer les armes. Alors la colonne motorisée allemande se présente et défile sous les yeux des soldats français.

Quelques coups de feu lurent cependant tirés, vraisemblablement sur l'autre route.

A 19h50, la section de pionniers de la C. D. T. s'était portée de part et d'autre de la route de Romorantin au carrefour d'Avignon, mais déjà des autos-mitrailleuses prennent d'enfilade cette route dépourvue d'abris. Des motocyclistes sont sur eux et les hommes n'ayant que leurs fusils pour lutter contre les autos-mitrailleuses et les chars qui les enserrent de tous côtés sont obliges de se rendre, la mort dans l'âme.

Et la colonne motorisée allemande reprend sa marche, sur la route nationale, vers Romorantin. Elle devait défiler pendant 35 minutes à 50 kilomètres à l'heure. Puis elle fut suivie d'une seconde colonne
20 minutes après: motocyclistes, chars, autos-mitrailleuses, infanterie sur camions spéciaux, autos-canons, pièces d'artillerie sur pneus remorquées par camions, . . . plusieurs milliers d'hommes, et quel matériel!

Evitant de peu les colonnes motorisées ennemies, le lieutenant Lucas rejoint le 3ème bataillon vers 20h10. Celui-ci vient d'apprendre l'encerclement et la capture du 2ème bataillon. L'ennemi se dirigeant vers le Sud l'a déjà.dépassé, mais les colonnes allemandes suivent uniquement la route nationale et le 3ème bataillon qui occupe la petite route de Marcilly et les bois qui la bordent a échappé à ses vues.

Suivant les ordres de la division, le commandant Jan rassemble les restes de son bataillon (trois sections de la 9ème compagnie, une section de la C. A. B. 3, la section de commandement auxquels se sont joints une partie de la C. D. T. et la compagnie de Pionniers du 117ème R. I. qui, stationnée
non loin du carrefour, ont pu se déferler aux vues de l'ennemi. Il donne l'ordre suivant: Le commandant Jan prend le commandement des éléments restants du 41ème R. I. Ceux-ci se porteront immédiatement sur Marcilly-en-Gault. A la nuit, ils se porteront au Sud du Cher, dans la région de Chabris, par l'itinéraire Loreux, Villeherviers, Villefranche, la Chapelle-Mont-Martin.

A 20h30 le 3ème bataillon du 41ème décroche et se replie en ordre sur Marcilly-en-Gault, ou, à 23 heures, viendra le rejoindre le capitaine Levreux, commandant la C. D. T., avec une dizaine d'hommes qui, camouflés dans les bâtiments de la ferme d'Avignon, ont pu échapper à l'ennemi. Sur ordre du commandant Jan, le lieutenant Lucas repart à Millançay rendre compte au P. C, D. I. Mais les colonnes allemandes encerclent le village que l'état-major de la division a quitté au dernier moment. Deux chars français flambent dans le soir qui tombe, les balles sifflent dans les rues et le lieutenant Lucas se replie sur Loreux, où il pense retrouver le régiment.

A Marcilly-en-Gault, le commandant Jan et le commandant du G. R. D., d'accord, décident, pour éviter les éléments ennemis qui, selon toute vraisemblance, ont atteint Romorantin, de modifier l'itinéraire et, obliquant vers le Sud-Est, de franchir le Cher au pont de Mennetou. Un motocycliste part à Millançay informer la division de ce changement d'itinéraire. Vers minuit les restes du 41ème R. I. se remettent en marche.
[/b]
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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BRH
 
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Re: Au sud de la Loire

Message par BRH » Lundi 28 Avril 2025 10:29:51

19 Juin 1940

Marche pénible. Les hommes sont vraiment à bout et ont peine à suivre la colonne sur la route poussiéreuse qu'éclaire le disque brillant de la lune. A Selles-Saint-Denis, par suite des nouvelles recueillies, le commandant Jan décide d'obliquer encore plus au Sud-Est et de passer le Cher au pont de Châtres. Ce pont est enfin franchi vers 8 heures. Les hommes, épuisés par ces 35 kilomètres, s'écroulent à l'abri des couverts, pour prendre quelques heures de repos.

Pendant ce temps, le lieutenant Lucas, qui a attendu en vain toute la nuit le passage du régiment à Loreux, puis à Villeherviers, enfin à Villefranche, retrouve à 7 heures le motocycliste du G. R. D. qui n'a
pu remettre le compte rendu de changement d'itinéraire. Le P. C. D. I. a en effet quitté Millançay, occupé par les Allemands. Il gagne alors Châbris, où vient d'arriver le convoi hippo du 3ème bataillon qui a franchi le pont de Villefranche à minuit 30, puis le château de Campaix indiqué comme P. C. D. I. et ou un motocycliste lui apprend le repli de la division à 40 kilomètres de Châbris au Sud de l'Indre. Le convoi hippo du 3ème bataillon du 41ème, dont les équipages marchent sans arrêt depuis la Somme, continue sa route vers Buzançais qu'il ne pourra jamais atteindre, les chevaux, à bout de forces, s'abattant sur la route pour ne plus se relever. A Buzançais, le lieutenant Lucas retrouve le convoi auto du régiment et rend compte de la situation au général Lenclud ,qui, pendant plusieurs jours, redoutera d'avoir définitivement perdu les restes de son infanterie. Il n'en était rien, heureusement.


Le commandant Jan, qui, du pont de Châtres, ne peut reprendre la Iiaison avec le P. C. D. I., met les restes de son bataillon, déjà si durement éprouvé, à la disposition de la 87ème D. I. N. À. (9ème zouaves, 17ème et 18ème R. T. A.) près de laquelle il se trouve, et il reçoit immédiatement la mission de défendre le pont de Châtres et le pont de la Prée, à 2 kilomètres plus au Sud. Par une lourde chaleur le régiment occupe ses positions. Les armes automatiques sont en place, protégeant le repli de
la 87ème D. I N. A. qui, devant nos fantassins, défile vers l'arrière. Le ravitaillement fait totalement défaut. La journée s'achève sans incident.


Par sgidplan

20 Juin 1940

A 2h30, tandis que sous les ordres du cmmandant Jan les restes de la 9ème compagnie, de la C. A. B. 3 et de la C. D. T. tiennent toujours le pont de Châtres. La C. H. R., auto du régiment, par l'itinéraire Vendoeuvres, Migné, Ciron, fait mouvement vers le Sud avec la
19ème D. I. pour atteindre le bois de Belabre, sur la rive Sud de la Creuse.

A Châtres, le soleil brille et la chaleur revient. Des avions allemands passent à plusieurs reprises et à basse altitude. Tout est calme, cependant. Les régiments qui se replient continuent à passer, en ordre: 26ème R. I. de Nancy, 8ème R. A. D. . . L'ordre de relève arrive. Des éléments du 107ème R. I. viennent relever nos fantassins à 15 heures. La 87ème D. I. N. A., à laquelle est attaché notre sort, se replie déjà vers le Sud, utilisant des camions. Les restes du 41ème se rassemblent pour faire, une fois de plus, la route à
pied. Soudain, un violent tir d'artillerie s'abat sur les bois où il est camouflé et qu'il évacue rapidement en direction du hameau des Belliards. Comme jadis en Sarre, les 105 ennemis éclatent dans les branches des arbres et leur fumée noire obscurcit le ciel bleu. Le 107ème a des morts. On entend hurler les blessés; chez nous le lieutenant Georges,
l'adjudant-chef Saillard, le sergent chef Gueguiniat sont atteints. L'adjudant-médecin Bignotti, calmement, les soigne et les lait évacuer.


Les restes du régiment sont regroupés et s'installent aux Belliards, face au Nord, prêts à agir encore s'il le faut. Le bombardement brutal auquel notre artillerie absente n'a pas répondu a été cependant une rude épreuve pour nos nerfs.

A 20 heures enfin, obéissant aux ordres reçus, le 41ème qui vient de voir défiler, en ordre, des éléments du 141ème et d'un bataillon de Chasseurs, se replie vers le Sud, à pied toujours, par Anjouin et Orville, jusqu'à Aize (25 kilomètres) où le 9ème zouaves lui a promis des camions.

Mais lorsqu'en pleine nuit nous atteignons Aize, les camions se sont évanouis. Plus loin, toujours plus loin. Et l'on repart, toujours à pied.


21 Juin 1940

La marche est interminable, comme un cauchemar.

A 5 heures le régiment atteint Rouvres-les-Bois. Les hommes s'écroulent à terre et s'endorment.


Pendant ce temps, la 19ème D. I., qui ne compte plus de troupes combattantes et a été placée en réserve de corps d'Armée, a atteint Gouex, sur les bords de la Vienne, par la Trimouille, Montmorillon et Lussac-le-Château.

Mais il faut repartir, les colonnes ennemies ne doivent pas être loin. Avec une grande énergie, à 8 heures, le commandant Jan remet en marche le régiment. Trois heures de repos et de sommeil n'ont fait que durcir les muscles et on sent plus lourdement que jamais la fatigue.

A 4 kilomètres de Rouvres, enfin, deux camions envoyés par le 9ème zouaves, chargent quatre-vingts hommes, les plus fatigués,. . . et les autres continuent. Au carrefour de la Verrerie une colonne de cars
attend, et son chef commence à faire embarquer les hommes, mais un général survient et les fait descendre, Ces cars sont destinés à une brillante unité méridionale, le 344ème R. I., qui doit aller fort loin vers son pays et dont les hommes, pour voyager plus confortablement, ont déposé sur la route, avant le carrefour, en morceaux, leurs armes et leurs équipements. . . Sans commentaires.

Le 41ème marche toujours. De 11h30 à 14 heures, il fait halte à Moulins-sur-Cêphons, où, grâce à un boulanger, il trouve un peu de ravitaillement. Puis les deux camions-navettes reviennent et embarquent à nouveau quatre-vingts hommes. Seuls restent les " durs ", et ils repartent. . . Saint-martin-de-Lamps, Saint-Pierre-de-Lamps, Sougé. . . Enfin, vers 16 heures, les deux camions sauveurs prennent leur dernier chargement. Un détachement cycliste est formé. Les dernières voiturettes de mitrailleuses partent sous les ordres du sergent-chef Lincot; elles se joindront le 23 au soir aux restes de la C. D. A. C. et continuant sans répit une marche harassante; la petite colonne ayant ses chevaux épuisés, les pneus de ses voiturettes hors d'usage, atteindra le 24 au soir Grand-Madieu. Rejointe alors par l'ennemi, elle devra laisser dans un bois ses chevaux à bout de forces, après plusieurs centaines de kilomètres parcourus, et les hommes en armes continueront le repli et retrouveront le régiment après l'armistice.

Par Argy, Varonne et Buzançais, les restes du 41ème R. I. atteignent Vendoeuvres, puis la Cabasserie, où un officier de la 19ème D. I. heureusement retrouvée leur prépare un transport en camions.

22 Juin 1940

A 1h30, la 19ème D. I. fait mouvement pour se rendre à Grand- Madieu et Beaulieu-sur-Sonnette, par Confolens et Champagne-Mouton. A la même heure, les restes du 41ème sont embarqués dans des camions Fiat. Au jour, ils prennent la route. Saint-Gaultier, la Trimouille, Montmorillon, Confolens et Grand-Madieu, et débarquent à 9 heures à Beaulieu-sur-Sonnette. Tout ce qui reste du 41ème R. L est à nouveau réuni sous les ordres du général Lenclud qui le retrouve avec grand plaisir. On peut enfin se laver, manger et dormir. Les nouvelles les plus diverses courent sur la situation: Lyon serait occupé, l'armistice serait signé avec l'Allemagne, mais n'entrerait en vigueur qu'à la signature de l'Italie. De tout cela rien n'est sûr, sinon que les Allemands avancent toujours et que les troupes françaises, impuissantes à former un front continu, toujours menacées par les colonnes ennemies qui « bourrent » sans arrêt, doivent toujours se replier plus au sud.

23 Juin 1940

A 7h15 parvient l'ordre de repli. A 8 heures le régiment s'embarque dans les camions du P. A. D.

Douceur de la marche sur roues. Il pleut à torrents; il y a bien longtemps qu'on n'avait vu de la pluie. A 13h 30 la colonne s'arrête à Nontron. La ville est saturée de troupes et de réfugiés civils. On débarque et se rassemble en attendant les ordres qui arrivent à 14h30: le 41ème installera des postes de police sur les routes et contrôlera la circulation. Les convois et troupes en ordre passeront. Tous les débandés, quelque soit leu! grade, qu'ils soient à pied, à cheval, à bicyclette ou en voiture, seront arrêtés. Le 41ème d'active devient Légion de Garde Mobile.


Quelques heures après, les postes sont en place. Les éléments du 41ème R. I., conscients de la force de leur discipline, "cueillent" sans ménagements tous ces individuels, les rassemblent et les escortent jusqu'aux locaux qui ont été réquisitionnés et d'où, regroupés, ils seront reconduits à leurs unités.

L'ordre va renaître. Des personnalités, qui remplacent le maire impuissant, demandent le secours du régiment pour organiser le ravitaillement de la ville qui n'a plus que pour 48 heures de vivres. Chacun s'affaire et les postes de police travaillent à plein rendement. A la tombée de la nuit, plusieurs centaines d'hommes occupent déjà les locaux préparés. On a même arrêté un officier supérieur, en auto, sans troupe, Ses explications étant obscures, malgré ses protestations on l'a envoyé se justifier à la division I Et toute la nuit le travail continue.

24 Juin 1940

Dans la nuit une division tchèque s'est embarquée à la gare de Nontron: les voitures qu'elle laisse sont récupérées, sur ordre de la division, par le régiment: trente-deux camionnettes Citroën neuves, deux Simca 8, deux Simca 5 et le plein d'essence est fait aux réservoirs de la gare, malgré les hauts cris du chef de gare. La motorisation est accomplie avec dix mois de retard.

Le 41ème remplit à merveille son rôle nouveau de gendarme et d'administrateur municipal. Les unités stationnées à Nontron s'en vont ou s'apprêtent à quitter la ville. On prépare le recensement des militaires isolés qui y traînent et les postes de police aux issues de la ville, avec la nouvelle journée qui commence, ont retrouvé une clientèle accrue.


C'est près d'un millier d'hommes qui sont maintenant récupérés. Tout s'organise. C'est la dictature de Nontron qui commence, et ça va barder !

Hélas ! non, car à 9h30 arrive de la division l'ordre de faire mouvement à midi 30. L'ennemi continue son avance rapide. On bat le rappel des chauffeurs, et à l'heure prescrite, le 41ème régiment d'Infanterie motorisée s'ébranle et direction de Cahors. Cette fois, c'est le grand tourisme: Saint-Pardoux-la-Rivière, Thiviers, Excideuil et son vieux château fort, Saint-Agnan et le magnifique château des ducs d'Uzès, Terrasson sur les bords de la Vézère, puis, après une montée vertigineuse, les hauts-plateaux sauvages jusqu'à la vallée de la Dordogne, Souillac, et enfin Cahors. Le régiment atteint finalement Larroque des Arcs, sur les bords du Lot, à 5 kilomètres à l'Est de,Cahors. Il pleut.

Cantonnement de fortune dans les camionnettes ou sous de vagues abris. Mais que nous importe. Le renseignement qu'on nous a crié au passage de Souillac est exact: l'Armistice est signé.


A 24 heures. la guerre est finie.

APRES :


Larroque des Arcs, pittoresque mais pauvre village sur les bords du Lot, est encombré par un dépôt d'isolés, Plusieurs centaines d'hommes de toutes armes y sont rassemblés avec quelques officiers.

Au milieu d'eux, le régiment prend conscience de sa cohésion et de sa force, et pourtant, qu en reste-t-il ? Au 25 juin, jour de l'Armistice, l'effectif du 41èmeR. I. est le suivant: 17 officiers, 63 sous-officiers, 446 hommes de troupe.

Le 26 juin, devant le général Lenclud, en deux compagnies commandées par le capitaine Dunand et le lieutenant Hervé, les restes du régiment défilent dans un ordre impeccable. Six de nos chenillettes revenues.de la Somme par leurs propres moyens participent au défilé.


Parmi les isolés plusieurs ont les larmes aux yeux. En termes sobres et bien sentis le général Lenclud félicite le régiment de sa belle tenue au feu, de sa cohésion et de son courage pendant la retraite, et il termine en invitant tous ceux qui l'écoutent à prendre modèle, dans la dure période qui commence, sur notre régiment breton qu'il est fier d'avoir sous ses ordres.

Le 27 juin, au cours d'une prise d'armes, le commandant Jan remet à quelques-uns d'entre nous la croix de guerre.

Le 29 juin, au cours d'une prise d'armes de la VIIème Armée, à Pompadour, le général Weygand remet au capitaine Dunand la Légion d'honneur et à I'adjudant Tardiveau la médaille militaire. Dans une
allocution impressionnante, le général Weygand félicite la VIIème Armée dont le front n'a jamais été enfoncé, qui a toujours résisté suivant les ordres reçus et qui est parvenue à l'Armistice avec une cohésion unique dans toute l'Armée. Il déclare avoir invité le gouvernement à demander l'Armistice dès le 12 juin et déplore le calvaire infligé à l'Armée par son refus.

Le 30 juin, le régiment fait mouvement vers le Nord, en camionnettes. Il restera cinq jours dans des nouveaux cantonnements, à 20 kilomètres au Nord-Ouest de Brive. P. C. R. I. et C. D. T. au château de la Perche, C. H. R. à Chabrignac, 9ème compagnie à Juillac.

Le 6 juillet, il fait à nouveau mouvement vers le Nord et s'installe à 18h30 à Saint-Priest-Ligoure, à 27 kilomètres au Sud de Limoges. Il y restera jusqu'au 6 août, date de sa dissolution. La démobilisation, puis la répartition des démobilisés d'après leurs destinations ne laissent subsister à Saint-Priest-Ligoure qu'environ 200 hommes du régiment. Ce n'est que le 19 septembre 1940, après un dernier défilé, que les restes du régiment quittent le petit bourg où ils ont été parfaitement accueillis, accompagnés par cinq de leurs officiers non encore démobilisés. Ils rentrent enfin le 22 septembre en Bretagne qu'ils ont quittée un an et trois semaines auparavant.

Reconnaissant la brillante conduite du 41ème R. I., le gouvernement du maréchal Pétain a reconstitué le régiment au mois d'octobre 1940.

Le nouveau 41ème R. I. tient garnison à Brive. C'est, avec le 65ème de Nantes, le seul régiment breton d'infanterie qui subsiste à l'heure actuelle.

La citation suivante à l'ordre de l'Armée a été décernée au 41ème R. I. le 29 juin 1940, sous la signature du général Weygand (ordre n° 78 C.): « Superbe régiment dont la fermeté et l'abnégation peuvent être citées en exemple. Les 5 et 6 juin 1940, submergé dans ses points d'appui par des éléments blindés, soumis à des bombardements d'aviation et d'artillerie d'une extrême violence, le 41ème R. I., sous les ordres du lieutenant-colonel Loichot, a tenu magnifiquement, fait de nombreux
prisonniers et ne s'est replié en combattant que sur l'ordre du commandement, accomplissant avec succès un mouvement de repli particulièrement difficile. »

Le 41ème R. I. fait l'objet d'une nouvelle proposition de citation pour sa belle conduite pendant la suite de la campagne.

Alors qu'il se trouvait prisonnier en France, le lieutenant-colonel Loichot a reçu la visite d'un officier supérieur allemand qui a tenu à lui exprimer personnellement son admiration pour la tenue particulièrement courageuse au feu du 41ème R. I. dans la Somme.

Les Anciens du 41ème R. I. gardent fidèlement le souvenir de tous leurs camarades tués, blessés ou prisonniers, et rendent hommage à tous ceux qui, par leur brillante conduite, ont ajouté une nouvelle page de gloire à l'histoire de leur régiment.


Le 1er août 1941,
Lieutenant LUCAS, Lieutenant HERVÉ.


EDITIONS DE MONTSOURIS, 1, rue Gazan, Paris (XIVè)






Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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