Cette information exacte, issue de mon article sur Léon Blum face à l'Allemagne http://www.delpla.org/article.php3?id_article=50, appelle quelques précisions si on entend en faire la base d'une démonstration, voire, s'agissant de Michel, d'une religion.
Je mets donc ici en débat des extraits de l'article que Churchill publie le 13 mars 1936, soit une semaine après la remilitarisation par Hitler de la zone rhénane, en violation des traités de Versailles et de Locarno.
Ces derniers autorisaient l'armée française à aller immédiatement au-devant des intrus, tout en requérant le concours des armées anglaise et italienne, qui n'auraient pu se dérober. C'est de ne l'avoir pas fait immédiatement que la France est, en début d'article et pour solde de tout compte, félicitée... avant d'être fortement incitée à ne pas en rester là :
Il y a rarement eu une crise où l’Espoir et le Péril se soient présentés aussi clairement et aussi simultanément sur la scène du monde. Lorsque Herr Hitler répudia le traité de Locarno samedi dernier et fit entrer ses troupes en Rhénanie, il mit par là la Société des Nations en face de son épreuve suprême, comme aussi de sa plus splendide chance. Si la Société des Nations survit à cette épreuve, il n’y a aucune raison pour que l’horrible, morne et impitoyable courant qui nous entraîne vers la guerre en 1937 ou 1938, et l’entassement préparatoire dans chaque pays d’armements énormes, ne soient pas arrêtés d’une façon décisive.
Churchill félicite certes la France de n’avoir pas réagi par les armes « comme l’aurait fait la génération précédente » et d’avoir porté le différend devant la SDN. Voilà qui sonne peu différemment du discours officiel anglais. Mais ce qui tranche du tout au tout avec lui, c’est l’exigence que ce recours à la SDN donne satisfaction à la France, dont l’auteur affirme qu’elle a tout à fait raison de craindre pour sa sécurité. Ce n’est pas Baldwin, ni Eden, qui alertent la planète sur l’immense danger d’un usage dilatoire de la Société et pronostiquent sa mort certaine au cas où elle ne ferait pas promptement repasser le Rhin aux aigles nazies. Ils parlent et agissent comme si la condition nécessaire et suffisante du sauvetage de la paix était au contraire la résignation de la France.
La suite montre que Churchill ne se fait pas la moindre illusion sur Hitler. Loin de se méprendre sur son humanité ou sa moralité, il compte uniquement sur la peur que créerait un rapport de forces :
(…) si les forces de la Société des Nations sont quatre ou cinq fois supérieures à celles dont l’agresseur peut actuellement disposer, les chances d’une solution pacifique et amicale sont fort grandes. C’est pour cela que chaque nation, grande ou petite, a son rôle à jouer, en accord avec le Pacte de la Société.
On voit que la SDN dont il s’agit n’est pas la coquille vide dont l’histoire a gardé le souvenir. Elle est censée, conformément à ses statuts, apprécier s’il y a agression et, dans le cas d’une réponse affirmative –qui pour l’auteur ne fait aucun doute- mettre en demeure les pays membres de fournir des armées punitives. L’évaluation de leur quantité potentielle est éloquente : « quatre ou cinq fois » la force allemande, cela implique l’enrôlement de toutes les grandes puissances alors membres de la SDN : Grande-Bretagne, France et URSS ; l’Italie, qui s’en est exclue quelques mois plus tôt pour faire main basse sur l’Ethiopie, est mise en demeure de revoir sa position ou, à tout le moins, de ne pas soutenir l’Allemagne.
L’éloge conditionnel de ce pays et de son Führer qui fait suite à ces menaces n’est donc qu’une pilule destinée à adoucir l’amertume d’une éventuelle reculade :
Mais il est une nation parmi toutes les autres, à qui échoit, si elle le veut, l’occasion de rendre au monde un noble service. Herr Hitler et la grande Allemagne inconsolée qu’il dirige ont la chance actuellement de pouvoir se placer au tout premier rang de la civilisation. Par une fière et volontaire soumission, non pas à une seule puissance ni à un groupe de puissances, mais au caractère sacré des traités et à l’autorité de la loi générale, par un retrait immédiat des troupes de Rhénanie, ils peuvent ouvrir à l’humanité entière une ère nouvelle et créer les conditions dans lesquelles le génie germanique atteindrait à la gloire la plus haute.
Le paragraphe suivant, et dernier, rappelle à la Grande-Bretagne son obligation, découlant du traité de Locarno, d’entrer en guerre aux côtés de la France si celle-ci le lui demande.
Aucun doute : celui qui écrit ce texte est éminemment conscient de l’agressivité allemande et prêt à mettre entre parenthèses toute autre considération, notamment à l’égard de l’URSS et du communisme, pour traiter en priorité cette question, avec la dernière énergie.
Et puisque Michel a confondu deux expressions qui pourtant n'ont pas du tout le même sens, "comme un roc" et "infaillible", j'espère lui faire mieux mesurer leur différence, en général et dans mon propos, en précisant que bien évidemment Churchill est en tort, du fait d'une trop grande crédulité devant une ruse nazie, lorsqu'il parle du
courant qui nous entraîne vers la guerre en 1937 ou 1938 .
Il ne réalise pas du tout que la guerre résultera, non d'un courant uniforme, mais d'un savant dosage de provocations et d'apparents reculs. En ce sens, oui, Churchill donne encore dans la facilité, en s'imaginant que l'agressivité allemande va aider, de plus en plus et sans à-coups, sa pédagogie.
Cependant, si on veut à toute force poser un jugement moral, le mérite n'est que plus grand d'avoir surmonté l'effondrement de cette illusion.