L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 10 Mai 2011 22:22 
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J'ai oublié de donner la légende de l'image, j'avais oublié qu'elle ne se trouvait pas sur la même image :
Image
rouge : Position donnée par tous les historiens d'après le 3e récit de Napoléon
orange : Position d'après le bulletin de la bataille, et les témoins oculaires
jaune : Position vers 16 heures en soutien de la droite du 1er corps.

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J'appelle un chat un chat, ... (Boileau, Satires, I)


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Message Publié : 11 Mai 2011 10:00 
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Je maintiens mon accord avec Bernard Coppens sur la position du 6ème corps. Sur ce point, c'est un mauvais procès qu'on lui a fait...

"J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon." Boileau.

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 02 Juil 2011 22:58 
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Et maintenant, la Belle-Alliance remet tout en question ! :diablotin:

http://knol.google.com/k/michel-damiens ... u7z8vuo/4#

Michel Damiens confirme Coppens avec des nuances :

http://knol.google.com/k/michel-damiens ... u7z8vuo/3#

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Message Publié : 03 Juil 2011 0:36 
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Inscription : 21 Déc 2004 18:23
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Bruno Roy-Henry a écrit :
Et maintenant, la Belle-Alliance remet tout en question ! :diablotin: (diablotin)
http://knol.google.com/k/michel-damiens ... u7z8vuo/4#


Mais non, Monsieur Damiens raisonne à l'envers. Il omet de reprendre les arguments que j'ai donnés, et qui sont bien plus forts que son hypothèse. Les textes sont là, qui montrent qu'il y a eu erreur de lecture de carte. Son raisonnement est simpliste : il devait y avoir une enseigne, donc Napoléon l'a vue, donc Napoléon savait où il était.
Mais rien ne prouve qu'il y avait une enseigne le 17 juin, ni qu'elle était bien visible. Et quand bien même il y en avait une, rien ne prouve que Napoléon y ait prêté attention. Par contre, le bulletin de la bataille, le discours de Drouot et le premier récit de Gourgaud montrent qu'il y a eu erreur de lecture de carte.
Ceci dit, chacun croit ce qu'il veut. Mais pour moi, l'histoire se fait d'abord à partir des documents, et en premier lieu des documents écrits. Si l'on refuse d'en tenir compte, on peut arriver à prouver n'importe quoi.
Si l'on suivait Monsieur Damiens, on en arriverait à croire que les hommes ont toujours un comportement très rationnel, et que leur attention n'est jamais distraite par rien. Je ne partage pas ce point de vue. Dans la situation où se trouvait Napoléon le 17 juin au soir à la hauteur de la Belle-Alliance, il n'était certainement pas au mieux de sa forme, et son attention était mobilisée par ce qui se passait devant lui. En outre, le temps était exécrable.
Ali et Gourgaud disent tous deux que la nuit approchait, et Drouot que le temps était affreux. Pluie, vent et pénombre (et quelques boulets de canon), voilà des conditions idéales pour observer les alentours. Comment peut-on dès lors affirmer que Napoléon était parfaitement fixé sur l'identité du lieu ? J'avoue que je suis sidéré par cette affirmation... que les textes écrits par Napoléon viennent démentir.
Napoléon (quoiqu'en pensent certains) était un être humain, et comme tel, il ne voyait que ce qu'il voulait bien voir.
Monsieur Damiens nous fait voir dans son texte que lui aussi ne voit que ce qu'il veut bien voir :

Citer :
Or nous lisons dans Houssaye :
« Vers six heures et demie (du soir, le 17 juin), Napoléon atteignit avec la tête de colonne les hauteurs de la Belle Alliance… La nuit approchait, et presque toute l’infanterie se trouvait encore très en arrière. L’empereur fit cesser le feu. Pendant la canonnade, il était resté près de la Belle Alliance, exposé aux boulets que le capitaine Mercer, qui l’avait reconnu, dirigeait sur l’état-major…[73] »
Donc, à 18 h 30, le 17 juin, en plein jour, Napoléon est passé devant la Belle Alliance. Il y a peut-être même stationné. Même s’il pleuvait, il est impossible qu’il n’ait pas aperçu les enseignes de la Belle Alliance. Dès lors, dès le 17 au soir, il était parfaitement fixé sur l’identité exacte du lieu et il n’a pas pu le confondre avec la Haye-Sainte ni avec Rossomme. A moins d’admettre que l’empereur ne savait pas lire du tout…

Houssaye écrit : "la nuit approchait", ce qui, pour M. Damiens devient "en plein jour" !...
Quand on refuse de tenir compte des documents écrits...

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Message Publié : 03 Juil 2011 1:26 
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Infernet sur un autre forum où je ne puis plus m'exprimer a écrit :
En effet, si de la Belle-Alliance, on aperçoit ces hauteurs, il est évident qu'une partie des arguments de M. Coppens s'écroule... Moi, je croyais que cette partie était acquise. En somme, il ne faut jurer de rien.

Il ne faut jurer de rien, en effet. Mais dans ce cas-ci, rien ne s'écroulerait. C'est le déroulement de la bataille, le fait que les Prussiens aient pu faire irruption sur le champ de bataille sans rencontrer la moindre opposition qui me convainc que Napoléon n'a pas vu les Prussiens à Chapelle Saint-Lambert. D'ailleurs, Napoléon lui-même écrit : "le temps était assez brumeux" ; or, même un amiral ne peut voir quoi que ce soit à huit kilomètres à travers la brume. Donc, quand bien même on verrait Chapelle Saint-Lambert du champ de bataille par temps clair (mais depuis dix ans que j'essaie, je n'y suis jamais arrivé), il n'en reste pas moins certain (à mes yeux en tout cas) que Napoléon n'a pas vu arriver le corps de Bülow de si loin.

:VE2: :salut: :VE: :diablotin:

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Message Publié : 03 Juil 2011 12:56 
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En effet. Rien ne dit que Napoléon ait bien vu l'enseigne de la Belle-Alliance. Mais, le reste de l'état-major ? C'est gros à avaler...

Autre hypothèse, très plausible. MM. les Anglais ont emmené avec eux ladite enseigne. Pratique courante au XXème siècle (rappelons-nous nos "poilus" de 40, mettant à bas les signaux routiers pour égarer les panzers)... Et qui pouvait l'être au XIXème...

M. DAMIENS place le 6ème corps à droite de la route de Bruxelles, mais pas derrière Plancenoit.

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Napoléon.


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Message Publié : 04 Juil 2011 18:56 
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Michel Damiens a écrit :
Domon et Subervie

Sans entrer dans le détail d’une discussion que nous tenons ailleurs et sans déterminer comment, on peut sans trop de risque affirmer que l’état-major français sait que les Prussiens sont en route vers le champ de bataille de Mont-Saint-Jean aux alentours de 13.00 hrs. Mais on est persuadé que ceux-ci sont talonnés par Grouchy. Il est toutefois décidé de parer à toute éventualité et l’on ordonne aux divisions de cavalerie de Domon et de Subervie de se diriger vers la droite, d’occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonnes de Grouchy dès qu’elles apparaîtraient.

Après la bataille de Ligny, le 6e corps de Lobau, qui, organiquement, n’avait pas de cavalerie, se vit attacher la 3e division du lieutenant général baron Domon, composée de trois régiments de chasseurs à cheval (4e, 9e et 12e) et d’une batterie d’artillerie (4e compagnie du 2e régiment d’artillerie à cheval). Jusque-là, cette division faisait partie du 3e corps d’armée du général Vandamme. Lors de la bataille de Ligny, la division du général Domon avait été impliquée dans le courant de la soirée ; c’est elle, notamment, qui mit en déroute deux brigades de cavalerie prussiennes alors qu’elles se retiraient du village de Saint-Amand. Le 17 juin, c’est cette division qui se trouvait en tête de la poursuite menée par Napoléon contre l’arrière-garde de Wellington en pleine retraite. Les chasseurs grimpèrent même la pente de Mont-Saint-Jean, provoquant ainsi le tir de l’artillerie britannique, révélant ainsi la position sur laquelle Wellington comptait se déployer. Cette courte action éteinte, les chasseurs à cheval campèrent sur place. C’est donc tout naturellement que dès l’aube du 18, on retrouve la division Domon, à peu de distance derrière la Belle-Alliance, selon toute apparence à droite de la route de Charleroi, en réserve du centre du dispositif français [16].

La 5e division de cavalerie, conduite par le général de division baron Subervie, est donnée par plusieurs auteurs comme faisant partie du 1er corps de Drouet d’Erlon. L’ordre de bataille est pourtant formel : cette division appartenait à la réserve de cavalerie, initialement commandée par le maréchal Grouchy et fut, elle aussi attachée au 6e corps après la bataille de Ligny. Cette confusion est très certainement due au fait que le 1er régiment de lanciers, appartenant à la 5e division, était commandé par le colonel Jacquinot, frère du général Jacquinot qui, lui, commandait la 1e division de cavalerie, appartenant au 1er corps et qui, dès le début du déploiement avait été postée en flanc-garde à la droite du dispositif français. La 5e division comprenait 2 régiments de lanciers (1er et 2e) et 1 régiment de chasseurs à cheval (11e). Elle participa, le 17, aux combats de Genappe et c’est au court de cet épisode que le colonel baron Sourd fut très sévèrement blessé. Le baron Larrey lui amputa le bras et, à peine pansé, le colonel rejoignit son unité. La légende veut qu’il ait, à ce moment, refusé le grade de général pour pouvoir continuer à commander son régiment. Se non è vero…Comme la division Domon, la division Subervie participa à la poursuite de Wellington et c’est donc pour les mêmes raisons que nous la retrouvons le matin du 18, derrière elle, à droite de la chaussée.

Napoléon, dans ses Mémoires, nous donne avec précision la position de ces deux divisions :

« La troisième colonne (du 6e corps), celle de sa cavalerie légère, commandée par le général de division Daumont, suivie par celle du général Subervie, se plaça en colonne serrée par escadron, la gauche appuyée à la chaussée de Charleroi, vis-à-vis son infanterie, dont elle n’était séparée que par cette chaussée ; son artillerie légère était sur son flanc droit.[17] »
Il ne fait pas de doute que ces deux divisions de cavalerie furent portées à la droite du dispositif français. Mais ce qui n’apparaît pas comme certain du tout, c’est quand et à la suite à quoi…

La tradition a fait dire à la plupart des auteurs que Napoléon donna ces ordres, suite à l’apparition des Prussiens à Chapelle-Saint-Robert. Il l’aurait donc fait vers 13.30 hrs. C’est ce qui transparaît dans le Bulletin du 20 juin :

« Le 6e corps, avec la cavalerie du général d'Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée [sic] à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre du général prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.[18] »
Gourgaud ne diverge guère :

« Cependant, comme ce corps [prussien] ne paraissait plus éloigné que de deux petites lieues du champ de bataille, il devint nécessaire de lui opposer des forces. Le maréchal Grouchy pouvait tarder plus ou moins à passer la Dyle, ou pouvait même en être empêché par des événements inattendus. Le lieutenant général Domont fut envoyé avec sa cavalerie légère et la division du corps de cavalerie de Pajol [19], ce qui devait faire près de trois mille chevaux, à la rencontre de l’avant-garde de Bulow ; il avait l’ordre d’occuper tous les débouchés, d’empêcher les hussards ennemis de se jeter sur nos flancs, et d’envoyer des coureurs à la rencontre du maréchal Grouchy.[20] »
Le lecteur notera que Gourgaud évalue la distance entre le champ de bataille et le corps de Bülow à deux lieues, soit huit kilomètres.

Napoléon, après avoir expliqué que, de là où il était, il était impossible de distinguer si le corps qui arrivait à Chapelle-Saint-Lambert était prussien ou français, dicte :

« Dans cette incertitude, sans plus délibérer, il [Napoléon] fit appeler le lieutenant général Daumont, et lui ordonna de se porter avec sa division de cavalerie légère et celle du général Subervie pour éclairer sa droite, communiquer promptement avec les troupes qui arrivaient sur Saint-Lambert, opérer la réunion si elles appartenaient au maréchal Grouchy, les contenir si elles étaient ennemies.[21] »
Quelques lignes plus loin, Napoléon insiste :

« Ces trois mille hommes de cavalerie n’eurent qu’à faire un à droite par quatre pour être hors des lignes de l’armée ; ils se portèrent rapidement et sans confusion à trois mille toises, et s’y rangèrent en bataille, en potence sur toute la droite de l’armée.[22] »
Trois mille toises ! Soit environ 6 000 mètres ! Cela nous conduirait au-delà du village de Lasne… Si Napoléon a effectivement envoyé 3 000 cavaliers au-delà de Lasne, alors qu’il a déjà pu observer l’arrivée des Prussiens à Saint-Lambert, cela revenait à les envoyer à la mort. Houssaye y va donc de sa petite note :

« Napoléon dit que la cavalerie se porta à 3.000 toises (soit 5.580 mètres). Ella aurait donc poussé jusqu’à Lasne. C’est inexact, car le gros de ces divisions ne dépassa pas la lisière sud-est du bois de Paris (Cf. le rapport de Bülow cité par von Ollech, 192, et Damitz, II, 257-260.) Seule une patrouille de Marbot vint, comme on l’a vu, au-delà du bois de Paris, mais ce fut vers midi, et elle n’y resta pas longtemps.[23] »
C’est bien honnête de mettre en cause les affirmations de Napoléon – et Houssaye aurait certainement dû le faire plus souvent – mais si c’est pour les remplacer par des assertions tout aussi hasardeuses, cela ne nous avance guère. Tout d’abord, les rapports prussiens ne disent pas qu’aucune de ces divisions de cavalerie ne se porta au-delà de la lisière sud-est du bois de Paris, mais bien au-delà de sa lisière sud-ouest. C’est une sacrée nuance… Quant à la patrouille de Marbot, elle fut détachée de la division Jacquinot vers 11 heures sur ordre exprès de l’empereur, transmis une première fois par Labédoyère. Elle n’a donc rien à voir avec la mission confiée à Domon et Subervie. Mélanger les deux revient à semer un peu plus la confusion dans une situation qui est déjà claire comme du jus de chique…

Nous savons qu’à la nouvelle de l’apparition des Prussiens, Napoléon envoie le général Bernard sur place pour se rendre compte de la situation. C’est donc vers 13.00 hrs ou peu après que le général Bernard s’en alla mener son enquête. Si l’on suit le récit de Aerts, Domon et Subervie reçurent ordre de prendre position à droite, en même temps ou immédiatement après que le général Bernard est parti :

« Toutes les lunettes de l’état-major furent dirigées sur ce point ; vingt avis différents furent donnés. L’aide de camp Bernard fut détaché vers Saint-Lambert avec quelques cavaliers, puis les généraux Domon et Subervie reçurent l’ordre de se diriger sur la droite, d’occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonne de Grouchy dès qu’elles apparaîtraient.[24] »
Voilà qui suit la dictée Gourgaud de très près quand elle dit : « Il (Domon) avait l’ordre d’occuper tous les débouchés, d’empêcher les hussards ennemis de se jeter sur nos flancs, et d’envoyer des coureurs à la rencontre du maréchal Grouchy. » ! A la nuance près que Gourgaud semble reconnaître que la présence des têtes de colonne de Grouchy était une certitude, alors qu’Aerts, au contraire, semble vouloir dire qu’il fallait encore les trouver par le moyen de coureurs… Le lecteur trouvera peut-être que nous ergotons sur les termes, mais la chose en vaut certainement la peine : dans la petite différence qui existe entre les écrits de ces auteurs réside la pensée de l’empereur : soit, il a, à ce moment, la certitude de voir arriver Grouchy ; soit, il en doute et veut en avoir le cœur net.

Les dictées de Sainte-Hélène sont, à ce propos, loin d’être un fatras d’incohérences. Qu’essaie de nous faire croire Napoléon ? Qu’il avait tout analysé, tout organisé et tout prévu… Dans ce but, il n’hésite pas à mentir. En l’occurrence, il va jusqu’à inventer de toutes pièces une correspondance envoyée à Grouchy dans la nuit du 17 au 18, lui demandant de venir le rejoindre à Mont-Saint-Jean et, sinon, au moins de lui envoyer 7 000 hommes. Comme si 7 000 hommes eussent pu changer la face des choses !… Nous savons que cette dépêche est une invention pure. Dans tous les textes dictés à Sainte-Hélène, aussi bien à Gourgaud qu’à Bertrand ou à Las Cases, à propos de Waterloo, on entend le même lamento : mes ordres si pertinents ont été mal exécutés, mes subordonnés n’ont rien compris, etc. Mais surtout, l’empereur, lorsqu’il aborde les moments délicats de cette campagne, botte systématiquement en touche et accuse « la fatalité »[25]. Ainsi donc, si, dans le récit des événements du 18 juin aux environs de 13.00 hrs, Napoléon ne se disait pas absolument certain de pouvoir attendre Grouchy en toute confiance, il nierait, par le fait même, qu’il a tout prévu. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit de cacher que, dès le soir du 16 juin, Napoléon a perdu la bataille de Waterloo et la campagne de Belgique en se persuadant que les troupes de Blücher avaient subi une défaite décisive et définitive à Ligny et qu’elles refluaient en toute hâte vers leurs bases d’opérations à Liège et au-delà. Aucune analyse, aussi fouillée soit-elle, ne pourra sans doute jamais nous dire quand l’empereur, confronté aux faits, revint de cette illusion. Mais quand il le fit, il continua imperturbablement à faire croire qu’il ne cessait pas d’avoir raison. A cet égard, le récit donné par von Löben-Sels du retour du général Bernard est très significatif :

« Le général Bernard se hâta de revenir près de l’empereur, qu’il trouva ayant mis pied à terre et se promenant seul, les mains derrière le dos, devant sa suite. Le général ôtant son chapeau se promena près de l’empereur qui, l’ayant aperçu, lui demanda à voix basse : – « Quelles nouvelles, général ? ? – De mauvaises, Sire. – Ce sont les Prussiens, n’est-ce pas ? – Oui, Sire, je les ai reconnus. – Je m’en doutais. Hé bien, messieurs, continua Napoléon, en se tournant vers sa suite, ça va bien, voilà Grouchy qui nous arrive ! »
« Je m’en doutais ! », s’exclame l’empereur. Depuis quand ?

Le 6e corps
La tradition veut que Napoléon ait envoyé ses ordres à Lobau entre 13.30 hrs et 14.00 hrs.

Jacques Logie écrit :

« Vers treize heures, alors que l’Empereur entouré de son état-major se trouvait à Rossomme, Soult fit remarquer à Napoléon qu’il apercevait à l’est, sur les hauteurs de Saint-Lambert, ce qui lui paraissait être des troupes… Pour s’en assurer, Napoléon fit appeler le général Domon et lui ordonna d’éclairer la droite de l’armée avec sa division de cavalerie légère et celle de Subervie… Napoléon fit expédier sur le champ au maréchal [Grouchy] la lettre interceptée[26]… L’Empereur ordonna à Lobau de se porter à l’est avec son IVe corps [sic] pour soutenir la cavalerie légère de Domon et de « …se choisir une bonne position intermédiaire, où il pût avec 10 000 hommes en arrêter 30 000 si cela devenait nécessaire.[27] » Puis il envoya à Ney l’ordre de lancer le corps de d’Erlon à l’attaque. Il était près de quatorze heures.[28] »
Voilà résumés en peu de mots, tous les lieux communs concernant cet épisode de la bataille.

Dès la réception de ses ordres, Lobau aurait envoyé son chef d’état-major, le général Durrieu, l’adjoint de celui-ci, le général Janin, et le général Jacquinot qui commandait la cavalerie du 1er corps, afin de reconnaître le terrain. Lobau aurait attendu le rapport de ces officiers avant de mettre son corps en route. Winand Aerts dit qu’il lui semble que le 6ème corps ne s’est pas mis en marche « avant 3 ou 4 heures[29] ». Cela nous semble très pessimiste. Adkin, de son côté, pense que « le 6ème corps de Lobau avait pris place dans une forte position sur la hauteur à cheval sur la route de Plancenoit. Il arriva vers 14.30 hrs.[30] » Cela nous semble, au contraire, exagérément optimiste. Houssaye, dans une note, fait remarquer : « Sur l’exécution de ce mouvement, les deux relations de Sainte-Hélène ne concordent pas. Dans l’une, il est dit que Lobau changea de position peu après la cavalerie de Domon. Dans l’autre, on lit que Lobau alla seulement reconnaître alors sa future position de bataille et qu’il ne s’y établit que vers quatre heures et demie. En cette circonstance, comme en tant d’autres durant cette campagne, les ordres de l’empereur ne furent-ils point ponctuellement exécutés ? [31]»

Il semble bien – ce qui serait pardonnable – qu’Houssaye, comme tous les auteurs après lui – ce qui le serait moins – ait mal compris ce qui s’est réellement passé et que dans le souci de faire concorder les sources, ils aient fait un étrange amalgame entre les différents mouvements du 6e corps…

La confusion vient dans doute du Bulletin de l’Armée du 20 juin 1815 qui explique :

« Le 6e corps, avec la cavalerie du général d’Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre du général prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.[32] »
Dans sa première version, publiée en 1818, Gourgaud écrit :

« Le sixième corps (comte de Lobau) se forma en colonne serrée sur la droite de la chaussée de Charleroi : il se trouvait ainsi en réserve derrière la gauche du premier corps, et en potence derrière le centre de la première ligne.[33] »


Il semble donc confirmer la version du Bulletin mais avec la nuance – de taille – qu’il ne dit pas que le 6e corps a pris cette position « pour s’opposer à un corps prussien ».
Au contraire donc, il écrit bien que Lobau était en réserve « derrière la gauche » du 1er corps alors que c’est à droite que l’on observe les Prussiens. Dans la deuxième version de la dictée de Sainte-Hélène (1820), on trouve :

« La deuxième colonne, commandée par le général comte de Lobau, se porta à cinquante toises derrière la deuxième ligne du 2e corps ; elle resta en colonne serrée par division, occupant une centaine de toises de profondeur, le long et sur la gauche de la chaussée de Charleroi, avec une distance de dix toises entre les deux colonnes de division, son artillerie sur le flanc gauche.[34] »
Apparemment, ces versions, dont Napoléon est chaque fois à l’origine, sont contradictoires. Tondeur écrit :

« Ce déplacement n’est pas dû au hasard, ni à des trous de mémoire de la part de Napoléon. Un premier récit rédigé par le général Gourgaud, à chaud, confirme la version du bulletin (à droite) ainsi que les récits de deux officiers d’état-major du 6e corps (Janin et Combes-Brassard), celui du général Durutte, et d’autres.[35] »
Il semble pourtant que ces récits ne se contredisent pas autant que Tondeur, etc. le disent. En réalité, ils décrivent deux états différents à deux heures différentes du 6e corps. Étrangement, Tondeur ne semble pas s’en être aperçu. C’est pourtant lui qui nous donne la solution en citant le récit du sergent-major Marcq, du 107e de ligne :

« Sur les dix heures du matin, le régiment sortit de son campement pour se diriger sur Waterloo, où la bataille était déjà animée, les régiments qui faisaient partie de notre corps (6e d’observation) se sont réunis et ils ont marché en Colonne jusqu’aux environs de la Bataille, on nous fit tenir dans cette position jusqu’à trois heures de relevée, et ayant été exposé un grand longtemps par les boulets de canon qui venaient tomber dans nos rangs, on nous fit marcher en colonne serrée jusqu’au milieu du champ de bataille ; marchant pour arriver à cet endroit, plusieurs hommes furent tués dans les rangs, et étant arrivés, on nous fit mettre en carré par Régiment en raison de ce que la cavalerie Anglaise était près de nous qui se battait avec des cuirassiers français, elle est venue plusieurs fois pour foncer nos carrés ; mais elle n’a remporté aucun succès, les boulets et la mitraille tombaient dans nos carrés, nous étions là avec ordre de ne pas tirer un coup de fusil et ayant la baïonnette croisée, beaucoup d’hommes furent tués dans cette position.[36] »
Ce témoignage est précieux : il confirme plusieurs points ; tout d’abord, que l’on ne mit le 6e corps en marche que vers 10.00 hrs. Malgré la maladresse de la rédaction, il faut comprendre qu’il arriva à sa première position opérationnelle alors que la bataille était déjà bien engagée, soit, obligatoirement, après 11.30 hrs [37]. D’après le sergent-major, son régiment se trouvait dans un endroit que l’artillerie anglaise pouvait atteindre et y resta jusqu’à 15.00 hrs. Mais il ne semble pas que les boulets britanniques aient fait de grands dégâts. On peut en déduire que le 6e corps se trouvait donc dans l’espace situé entre la portée maximale efficace d’une pièce de 9 livres et sa portée maximale. Or nous savons que la portée maximale d’un canon de 9 est de 1 700 mètres et sa portée efficace de 850 mètres. Le 6e corps était donc, au plus loin, à 1 700 mètres de la ligne anglo-alliée, soit exactement à l’emplacement actuel du monument de l’Aigle blessé. A très peu de chose près, c’est l’emplacement indiqué sur le plan donné par Adkin [38]. Ceci dit, on nous opposera le plan de Craan, que chacun s’accorde à trouver très exact. On y voit le 6e corps en pleins champs à droite de la route à hauteur du virage situé à mi-chemin entre Rossomme et Maison-du-Roi. Et Craan qui représente les déplacements des divers corps au cours de la journée à l’aide de fines flèches – ce qui rend parfois la carte un peu confuse – montre le 6e corps se déplaçant de cette position de départ immédiatement vers Plancenoit. Manifestement, Craan qui nous montre exactement l’emplacement d’où partit Lobau à 10.00 hrs, « saute » un épisode, celui conté par Marcq : le 6e corps marchant à partir de 10.00 hrs vers le champ de bataille et stationnant à hauteur de l’Aigle blessé. Or, ce dernier fait paraît difficilement contestable.

Maintenant, on peut toujours s’amuser à se demander si le corps de Lobau était à gauche ou à droite de la route. Gourgaud nous dit « Derrière la gauche du 1er corps » et donc, à droite de la route. Napoléon dicte : « Derrière le 2e corps », donc à gauche de la route. Houssaye dit : « A gauche » (p. 321). Bernard le montre à gauche (p. 216-217) ; Logie, sans doute manière de ménager la chèvre et le chou, dit « A cheval (sur la route) » (p. 91). Devos dit « Juste à gauche » (p. 103). Adkin le montre à gauche ; Desoil le montre à gauche (croquis n° 9). Lachouque le montre à gauche (p. 126-127).

Ainsi, la plupart des auteurs, suivant la dernière version de Napoléon, le situent à gauche, quoique Gourgaud commence par le situer à droite. En réalité, cette discussion revient à couper les cheveux en quatre… Finalement, que le 6e corps ait, à l’origine, été à droite ou à gauche de la chaussée n’a aucune espèce d’importance. Nous allons immédiatement voir pourquoi.

Revenons au récit du sergent-major Marcq. Après être resté « un grand longtemps » en arrière le long – et sans doute à gauche – de la chaussée, le régiment du sergent-major, reçut en même temps que tout le corps de Lobau l’ordre de « marcher en colonne serrée jusqu’au milieu du champ de bataille ». Qu’entend exactement Marcq par-là ? C’est ici le moment de faire appel aux souvenirs du général Durutte qui se trouvait à l’extrême droite du 1er corps (d’Erlon) : « Le corps commandé par le général Lobau vint se placer derrière la division Durutte après la charge des dragons anglais.[39] » Or, il ne fait de mystère pour personne que la cavalerie lourde britannique chargea entre 14.30 hrs et 15.00 hrs. Le témoignage de Marcq se trouve donc tout à fait confirmé : on fit marcher le 6e corps vers la droite française et on le forma en carrés afin de parer aux possibles charges britanniques. Par ailleurs, nous savons que les charges de la cavalerie britannique emportèrent tout sur leur passage et atteignirent la grande batterie où, semble-t-il, elle mit une trentaine de canons hors d’usage [40]. De même, nous savons que, voyant les quatre divisions du 1er corps reculer précipitamment – la division Durutte un peu moins vite que les autres – et la grande batterie menacée, Napoléon ordonna aux lanciers de Jacquinot et aux cuirassiers de Farine de contre-attaquer, ce qu’ils firent avec succès. Il n’est donc pas du tout invraisemblable que, en même temps qu’il donnait ces ordres, il n’ait commandé à Lobau de se porter à cet endroit très menacé. Dès lors, le deuxième mouvement de Lobau, lorsqu’il se porte derrière Durutte, n’a strictement rien à voir avec l’arrivée des Prussiens, au contraire de ce qu’affirment tous les auteurs à la notable exception de Mauduit qui raconte que Lobau eut la douloureuse surprise de voir détruire sa batterie de 12 qui avait été détachée dans la grande batterie. Voilà qui nous donnerait avec précision l’emplacement que vint occuper le 6e corps vers 15.00 hrs. La batterie de réserve du 6e corps était la 4e compagnie du 8e d’artillerie à pied. Cette compagnie prit position, selon toute apparence, exactement au milieu de la grande batterie, soit à 400 mètres à droite de la route à hauteur de la borne kilométrique 21. Le 6e corps se trouvait donc vraisemblablement à la cote 130, au nord du chemin qui va de la Belle-Alliance à Papelotte. Il faut en effet tenir compte du déploiement en profondeur du train d’artillerie sur près de 500 mètres.

Pourquoi nos auteurs n’envisagent-ils pas cette position ? Mais, tout simplement, parce qu’ils sont tous bloqués dans l’idée que cette position est exactement celle qu’occupaient les pièces de la grande batterie et que, donc, il aurait été impossible d’y déployer un corps d’armée. Nous savons, nous, qu’en réalité cette grande batterie se trouvait 500 mètres plus au nord, à hauteur de la borne kilométrique 21 [41]. De telle sorte que Mauduit ne se trompe guère quand il dit que « placée trop en avant, cette batterie se trouva en l’air, pour nous servir d’une expression technique, et fut détruite sans qu’il fût possible de la secourir à temps, car l’infanterie, placée en arrière, ne pouvait faire feu sur ces dragons [britanniques] sans s’exposer à tuer nos propres canonniers.[42] » Napoléon ne dit pas autre chose quand, à Sainte-Hélène, il confie à Gourgaud : « Ney m’a fait bien du mal avec son attaque partielle de la Haie-Sainte et en faisant changer de position à l’artillerie que vous aviez placée ; elle protégeait bien ses troupes, au lieu qu’en marchant en avant, elle pouvait être chargée, ce qui eut lieu en effet.[43] »

Et le sergent-major Marcq ne ment pas : les artilleurs britanniques n’ont pas dû épargner les munitions sur cette cible idéalement placée à portée de ses shrapnels, sinon de ses boulets [44]… Accessoirement, le témoignage de Marcq nous montre aussi que les escadrons britanniques ont mené leurs charges bien plus loin qu’on ne l’admet généralement.

Ceci dit, à ce moment-là, il n’est toujours pas question des Prussiens… C’est donc bien pour venir au secours de la grande batterie que le 6e corps a reçu l’ordre de se porter en arrière de l’aile droite.

Résumons-nous à ce stade. Vers 10.00 hrs, le corps de Lobau qui avait bivouaqué entre Maison-du-Roi et Rossomme, reçut l’ordre de marcher et vint se placer le long de la route, à hauteur de l’Aigle blessé. Vers 15.00 hrs, il se porta à droite afin de soutenir le 1er corps et de protéger la grande batterie, menacée par les charges de la cavalerie lourde britannique. A 16.00 hrs, il se trouvait donc formé en carrés, au nord du chemin de la Belle-Alliance à Papelotte, à environ 500 mètres à droite de la route.

Reste à déterminer quand, comment et pourquoi le 6e corps fut finalement déployé « en potence » par rapport à la ligne française formée par le 1er corps pour s’opposer à l’irruption des Prussiens.

Napoléon dit, en dictant ses Mémoires :

« Peu après, le général Daumont envoya dire que quelques coureurs bien montés qui le précédaient, avaient rencontré des patrouilles ennemies dans la direction de Saint-Lambert ; qu’on pouvait tenir pour sûr que les troupes que l’on y voyait, étaient ennemies ; qu’il avait envoyé dans plusieurs directions des patrouilles d’élite pour communiquer avec le maréchal Grouchy et lui porter des avis et des ordres.[45] »

Napoléon montre ici le bout de l’oreille. Quels avis, quels ordres a-t-il chargé Domon de transmettre à Grouchy ? Le registre du major général est muet à ce propos.

L’empereur continue sa dictée et, imperturbablement, intoxique son lecteur :

« L’empereur fit ordonner immédiatement au comte de Lobau de traverser la chaussée de Charleroi, par un changement de direction à droite par division, et de se porter pour soutenir la cavalerie légère du côté de Saint-Lambert ; de choisir une bonne position intermédiaire, où il put, avec dix mille hommes, en arrêter trente mille, si cela devenait nécessaire : d’attaquer vivement les Prussiens, aussitôt qu’il entendrait les premiers coups de canon des troupes que le maréchal Grouchy avait détachées derrière eux. Ces dispositions furent exécutées sur-le-champ. Il était de la plus haute importance que le mouvement du comte de Lobau se fît sans retard.[46] »
Quelques paragraphes plus loin, Napoléon poursuit :

« Il était midi… Du côté de l’extrême droite les troupes du général Bülow étaient encore stationnaires ; elles paraissaient se former et attendre que leur artillerie eût passé le défilé…
« Dès deux heures après-midi, le général Daumont avait fait prévenir que le général Bülow débouchait sur trois colonnes, et que les chasseurs français tiraillaient tout en se retirant devant l’ennemi qui lui paraissaient très nombreux ; il l’évaluait à plus de quarante mille hommes ; il disait de plus que ses coureurs, bien montés, avaient fait plusieurs lieues dans diverses directions, n’avaient rapporté aucune nouvelle du maréchal Grouchy ; qu’il ne fallait donc pas compter sur lui. »
Gourgaud, qui écrit pourtant sous la dictée de l’empereur, – mais deux ans plus tôt – semble infiniment plus proche de la vérité :

« Il était quatre heures et demie, le feu le plus vif régnait de tous côtés, en cet instant le général Domont fit prévenir sa Majesté que le corps de Bülow, qu’il observait, se mettait en mouvement, et qu’une division de huit à dix mille Prussiens débouchait des bois de Flechimont ; qu’on n’avait aucune nouvelle du maréchal Grouchy ; que les reconnaissances qu’il avait envoyées dans les directions par où il devait venir n’avaient pas rencontré un seul de ses coureurs. »
Est-ce à ce moment que Napoléon ordonne à Lobau de faire front à droite ? Il ne semble pas. Gourgaud continue en effet :

« Le corps du comte du comte de Lobau se porta en trois colonnes dans les positions qu’il avait reconnues. Par ce mouvement, ce corps se trouvait avoir fait un changement de front, et était placé en potence sur l’extrémité de notre droite… A quatre heures et demie, le corps de Lobau, sept mille hommes, se porte contre les prussiens, ce qui réduit à soixante mille hommes les troupes opposées à l’armée Anglo-Hollandaise…[47] »
Là-dedans, pas question d’une intervention de l’état-major impérial. Lobau semble donc avoir agi de sa propre initiative.

Ainsi Napoléon, manifestement, trompe son monde. Il croit pouvoir faire croire 1°- que, dès midi, les Prussiens ont été observés et, même, qu’ils ont déjà occupé le bois de Paris mais qu’ils attendent leur artillerie toujours occupée à franchir les défilés ; 2° - que, dès qu’il a observé les Prussiens à Saint-Lambert, il ordonna « immédiatement » à Lobau de « traverser la chaussée », alors que nous savons de manière certaine que ce mouvement est destiné à soutenir le 1er corps et la grande batterie menacés par la charge de la cavalerie lourde britannique et que, donc, ce mouvement ne peut avoir eu lieu, au plus tôt, que vers 15.00 hrs ; 3° - que les Prussiens ont commencé à déboucher vers 14.00 hrs.

Nous pourrions faire ici appel aux souvenirs du colonel Janin qui était sous-chef d’état-major du 6e corps :

« Le 6e corps se porte en avant pour aller soutenir l’attaque du centre : à peine est-il arrivé sur la crête du ravin qui sépare les deux armées [48] que son chef d’état-major, le général Durieu, qui l’avait devancé, revint blessé et annonce que les tirailleurs ennemis s’étendent sur notre flanc droit : le comte de Lobau s’avance avec le général Jacquinot et moi pour les reconnaître, et bientôt, nous voyons déboucher deux colonnes d’environ dix mille hommes chacune : c’était le corps prussien de Bülow. La destination du 6e corps se trouva changée par cet incident : il ne s’agissait plus de continuer l’attaque contre les Anglais, mais bien de repousser celle des Prussiens : en un mot par la force des choses nous étions réduits à la défensive la plus défavorable et dont le résultat n’était plus douteux [49] »
Voilà qui confirme ce que nous avons dit précédemment et qui prouve que le comte Lobau fut complètement surpris par l’arrivée des Prussiens sur sa droite. Il n’est donc pas question de prétendre que le 6e corps avait été placé à l’endroit où il était pour faire face à l’arrivée de Blücher. Lobau n’a, à ce moment, reçu aucun ordre de l’état-major impérial lui prescrivant de faire front à droite et il est toujours dans la position que nous avons dite en compagnie de la division de cavalerie du général Jacquinot. C’est la « force des choses » qui l’oblige à changer de front. En veut-on la preuve ? Voici ce que raconte le colonel Combes-Brassard :

« Le 6e corps, formant la réserve (j’étais chef d’état-major général de ce corps [50]), marcha pour soutenir l’attaque de la droite. Ce corps était composé entièrement d’infanterie.
« Il était trois heures et demie, un feu infernal s’étendait sur toute la ligne des deux armées. Le 6e corps achevait de se déployer en réserve sur toute la droite de l’armée, lorsque, me rendant à l’extrêmité de notre droite, je reconnus des têtes de colonnes qui débouchaient du côté de Vavres, par Ohain et Saint-Lambert.
« Ces colonnes étaient prussiennes. Leur arrivée se produisait sans que l’Empereur eût donné aucun ordre [51]. Nous étions tournés.
« Incertain encore sur la nature et les intentions de ces troupes, je m’approchai d’elles pour reconnaître leurs mouvements. Bientôt je vis que cette colonne était prussienne et manœuvrait pour se porter sur nos flancs et sur nos derrières, de manière à couper à l’armée française la retraite sur Genappe et le pont de la Dyle.
« Les Prussiens manœuvraient déjà pour se porter sur nos derrières.
« Je volai prévenir de ce mouvement. Il était temps encore, en prenant la position où l’armée avait bivouaqué avant de livrer la bataille, de prévenir les dangers de la position où nous nous trouvions. Mais il n’y avait pas un moment à perdre. Le perdre, c’était perdre l’armée. La fatalité en avait ainsi ordonné.
« L’Empereur, obstiné à vouloir enfoncer le centre de l’ennemi, ne tint aucun compte des mouvements qui se faisaient sur ses flancs.[52] »
Voilà qui confirme les témoignages de Janin, du sergent-major Marcq, de Durutte et les conclusions de Mauduit et de Gourgaud lui-même… Et qui réduit à néant les récits de Napoléon, de Thiers [53], d’Houssaye et de tous les auteurs, Logie entre autres, qui leur ont succédé.


15- Erckmann-Chatrian – Waterloo – Paris, Hachette (Reproduction de l’édition Hetzel de 1865), 1978, p. 414-415.
16- Adkin – The Waterloo Companion – Londres, Aureum Press, 2005, p. 244. Peut-être, au petit matin du 18, la 3e division de cavalerie était-elle à cheval sur la route, mais elle dut serrer à droite lorsque le 6e corps vint prendre place à gauche de la route, soit entre 11.00 hrs et 11.30 hrs.
17- Napoléon – Mémoirespour servir à l’Histoire de France, t. IX) – Paris, Librairies Bossange et Dufour, 1830, p. 129. Cité par Tondeur, Courcelle, Pattijn, Meganck – Waterloo 1815. Les Carnets de la Campagne n° 6 ; Plancenoit - Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2002, p. 60.
18- Bulletin de l’Armée, daté du 20 juin, parue dans supplément du Moniteur Universel, le 21 juin. Il est à noter que le Bulletin n’affirme pas que Napoléon a vu les Prussiens à Saint-Lambert, à Saint-Robert ou ailleurs.
19- De fait, la division Subervie appartenait organiquement au 1er corps de cavalerie de Pajol.
20- Gourgaud – La Campagne de 1815 ou relation des opérations militaires qui ont eu lieu en France et en Belgique pendant les Cent Jour – Londres, Ridgway, 1818, p. 90.
21- Napoléon – Mémoires, p. 137
22- Id., ibid.
23- Houssaye – 1815, t. II – Paris, Bartillat, 1987, p. 337, note 2.
24- Winand Aerts – Waterloo. Opérations de l’armée prussienne du Bas-Rhin, pendant la campagne de Belgique en 1815, depuis la bataille de Ligny jusqu’à l’entrée en France des troupes prussiennes – Bruxelles, Spineux, 1908, p. 231-232.
25- Voir à ce sujet l’ouvrage de Théo Fleischman – En écoutant parler Napoléon – Bruxelles, Brepols, 1959, pp. 213 à 236.
26- Ce qui est parfaitement faux. Napoléon envoya le message dont nous avons donné le texte plus haut mais certainement pas une lettre de Bülow à Wellington dont l’existence est d’ailleurs tout à fait hypothétique. En tout cas, ni Müffling, ni Wellington, ni Grouchy lui-même ne soufflent mot d’une telle dépêche. Or Bülow n’était pas assez simple pour écrire une lettre directement à Wellington, alors que Blücher est près de lui. L’eût-il fait qu’il l’aurait envoyée en double ou en triple, précisément pour éviter la perte du message s’il était pris par l’ennemi.
27- Logie cite Napoléon, Mémoires, p. 148.
28- Logie – Napoléon, laDernière bataille – Bruxelles, Racine, 1998, p. 137.
29- Aerts, p. 236.
30- Adkin, p. 384, carte n° 36, note D.
31- Houssaye, p. 337, note 3.
32- Bulletin de l’Armée, datée du 20 juin, paru dans supplément du Moniteur Universel, le 21 juin.
33- Gourgaud, p. 90.
34- Napoléon – Mémoires, pp. 137-138.
35- Coppens., html cit.
36- Cité par Tondeur, Courcelle, Pattijn, Meganck – Waterloo 1815. Les Carnets de la Campagne n° 6 ; Plancenoit - Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2002, p. 68. Malgré nos recherches, nous n’avons pu trouver l’original de ce témoignage et en vérifier les termes. Mais Tondeur et consorts sont trop scrupuleux pour ne pas donner un texte exact, nous leur ferons donc confiance. Il est pourtant malheureux que Tondeur, etc., dans leurs ouvrages si intéressants, ne soient pas plus précis dans leurs références.
37- Et, sans doute, bien plus tard… Nous savons en effet de manière certaine qu’à 11.30 hrs, au moment où tonna le premier coup de canon, le 1er corps n’avait pas fini de se déployer.
38- Adkin, carte N° 8, pp. 118-119.
39- Durutte, cité par Tondeur, etc., p. 68.
40- Devos – Les 4 jours de Waterloo – Bruxelles, Didier Hatier, 1990, p. 116.
41- Voir Grande batterie.
42- Mauduit, cité par Tondeur, etc., p. 68.
43- Gourgaud-Journal de Sainte-Hélène, cité par Fleischman, op. cit., p. 218.
44- A ceux qui s’étonneraient que les canonniers britanniques n’aient pas pris la grande batterie pour cible, précisons que cette batterie se trouvait à la limite de la portée efficace des canons de 9 et qu’ils obéissaient aux ordres stricts de Wellington qui leur avait interdit de gâcher leurs munitions à essayer la museler par des tirs trop aléatoires. Voir Grande Batterie.
45- Napoléon – Mémoires (Barrois, 1820), p. 84
46- Id., ibid.
47- Gourgaud, p. 79.
48- Lisez l’armée française et celle de Wellington.
49- Janin E.F. – Campagne de Waterloo, ou Remarques critiques et historiques que l’ouvrage du général Gourgaud - Paris, Chaumerot Jeune, 1820, p. 35. Il est à remarquer que Janin répond à Gourgaud, dont le livre paraît en 1818, et non pas à Napoléon dont la dictée n’a été publiée qu’après qu’il a lui-même écrit. Ainsi, son témoignage ne risque-t-il pas d’être « pollué ».
50- Jean-Philippe Tondeur, etc. pose une question pertinente à ce propos : qui était chef d’état-major général du 6e corps : Durrieu ou Combes-Brassard ? On a beau scruter l’ordre de bataille français, on ne trouve pas mention de ce Combes-Brassard pas plus que dans le Dictionnaire des Braves de Napoléon. Mais nous savons que le général Durrieu fut blessé alors que le 6e corps se formait en carré derrière la grande batterie. Est-il possible que Combes-Brassard ait été présent auprès de Lobau, à titre personnel, et qu’il ait repris au pied levé les fonctions de chef d’état-major à ce moment ?
51- C’est nous qui soulignons.
52- Combes-Brassard, cité par Tondeur, etc., p. 70
53- Thiers affirme que Napoléon, dès qu’il eût aperçu les Prussiens à Saint-Lambert, envoya immédiatement Lobau sur sa droite pour garantir son flanc. (pp. 201 et sq.) et, donc, fait remonter ces ordres avant l’attaque du 1er corps. Par la même occasion, il justifie longuement le fait que l’empereur n’ait pas, à ce moment, renoncé à la bataille autant pour des raisons stratégiques que politiques.

_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 20 Sep 2011 23:41 
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Inscription : 08 Août 2010 14:24
Message(s) : 60
Ti' Breton a écrit :
Je souhaiterais connaître je vous prie un document ou un site (voire un sujet sur ce forum qui m'aurait echappé) me permettant d'avoir avec exactitude les données chiffrées et nominales des troupes en présence à Waterloo, et ce de chaque côté (j'entends par là les différents corps d'armées, les commandements, les principaux maréchaux et généraux. Qui peut m'ouvrir cette porte ? Merci d'avance :4:

Bonjour,

J'espère pouvoir être utile pour mon premier message ici. Il me semble que Mauduit donne l'une des (sinon la) premières énumérations des troupes françaises lors de la campagne.
On la trouve vers la fin (PP. 476 et suivantes) du tome Ier de son ouvrage "Les derniers jours de la Grande Armée" disponible sur google books.
:salut:

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Cordiales salutations,

Henri André


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Message Publié : 28 Sep 2011 10:26 
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Inscription : 09 Nov 2005 14:28
Message(s) : 1311
On trouve ça partout, même sur Wikipédia. :salut:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Waterloo


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Message Publié : 28 Sep 2011 20:37 
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Inscription : 08 Août 2010 14:24
Message(s) : 60
Malher a écrit :
On trouve ça partout, même sur Wikipédia. :salut:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Waterloo

Les chiffres donnés pour la bataille sur cette page semblent totalement farfelus.

Au hasard un VIe corps à 10000 hommes alors qu'il ne compte que 2 (très) petites divisions dont manque un bataillon laissé à Charleroi - il ne dépasse probablement pas 6500 hommes.

Domon donné à 1200 hommes alors que sa division en compte à peine plus de 900 avant la bataille de Ligny.

Le IIe corps donné à 20000 hommes alors qu'il ne compte que les restes des trois divisions engagées aux Quatre Bras et sa cavalerie ayant fort souffert aussi.

... j'en reste là.

Pour en revenir à Mauduit, il est intéressant de voir qu'il plonge souvent dans les récits de Napoléon mais qu'il ne le suit pas du tout concernant les pertes subies notamment avant Waterloo et en particulier à Ligny où il a lui-même combattu avec la garde.

:salut:

_________________
Cordiales salutations,

Henri André


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