A vous, Braves et fidèles Grognards, je souhaite le bonsoir, après cette petite trève de Pâques ...
C'est avec grand plaisir que je vais reprendre cette route impériale, avec d'autant plus d'ardeur que notre Cher Duc semble bien m'avoir promis la Croix, si j'arrive jusqu'à Paris !
Souvenez-vous ... Nous étions restés à Grenoble, en compagnie de l'Empereur et de ces Soldats ralliés à Lui, fiers et heureux d'évoquer la provenance de leurs cocardes tricolores, au moment même où Il passait la revue ...
Aussitôt après, les régiments de la garnison de Grenoble reprirent la route en direction de Lyon.
Il y avait là le 4è de Hussards et le 7è de Ligne, formant colonne, sous le commandement de Cambronne.
Nul doute que tout autre que Napoélon aurait hésité à placer en avant garde des Soldats qui, la veille, venaient de changer de drapeau ...
Mais l'Empereur connaissait trop bien l'esprit de l'Armée pour s'en défier ...
Par ailleurs, mettre en avant ces Soldats nouvellement ralliés à Lui, ne pouvait qu'exacerber leur enthousiasme, renforcer leur détermination et affermir leur dévouement.
Pour le côté moral de la chose, il valait mieux qu'apparaissent en premier ces hommes, qui étaient sensés prendre la route pour combattre l'Homme à côté de qui, désormais ils marchaient ; en effet, ces derniers étaient la preuve vivante du succès de Napoléon ...
Cheminant sur la route de Lyon, l'Empereur et sa Garde furent constamment escortés par une foule de paysans, qui suivaient ainsi la colonne jusqu'au village suivant, où ils étaient remplacés par un nouveau flot de population !
Mas voyons ce qui se tramait du côté royaliste ...
Le Comte d'Artois, déjà arrivé à Lyon, avait nourri l'espoir que les canons de Grenoble auraient eu raison de "
l'usurpateur" ...
En tout état de cause, il était bien déterminé à l'arrêter sur la rive gauche du Rhône...
Le problème était que Grenoble avait ouvert ses portes, et que les 30.000 hommes qui, d'après les ordres de Soult, devaient se concentrer sur Lyon, n'y étaient toujours pas arrivés ...
Le Comte d'Artois persista néanmoins à choisir la résistance, et fit poser une barricade au début du pont de la Guillotière.
Un pont qu'il aurait aimé faire sauter, mais dut y renoncer, moins par manque de poudre, que par crainte de la colère du peuple, dont la sourde hostilité n'échappait plus à personne maintenant, et qui saurait user de sa force pour marquer sa désapprobation, comme il nous l'avait déjà montré précédemment, dans la bonne ville de Grenoble ...
Le 8 Mars, la garde nationale et les troupes prenant les armes pour une revue, le Comte d'Artois leur dit :
"- Mes amis, il me faut seulement mille hommes, et je réponds de la ville".
Il passa devant l'Infanterie, à qui, le matin même il avait fait distribuer un écu ...
Un certain nombre de volontaires s'inscrivirent sur le registre ...
Quelques rares vivats se firent entendre dans les rangs, sonnant faux dans le morne silence observé aussi bien parmi les troupes, que dans la foule ...
Le lendemain, le Comte d'Artois ayant fait afficher une proclamation à l'armée, et une autre aux "braves Lyonnais de la garde nationale", il fut rejoint par le duc d'Orléans ...
Ce dernier vit de suite que toute chance de défendre Lyon était perdue.
"- Cette affaire-ci, dit-il, ne saurait être longue. Il me semble qu'il ne reste d'autre chose à faire que de tâcher d'emmener les troupes et de vous replier."
Mais le Comte d'Artois se récria .. Quelle impression produirait en France, l'abandon de la seconde ville du royaume ! ...
Quoiqu'il en soit, et avant de prendre une quelconque décision, il voulut attendre Macdonald, qui arriva vers neuf heures du soir.
On délibéra jusqu'à minuit, pour s'entendre dire que les chefs de Corps ne répondant pas de faire tirer leurs hommes, il ne restait plus qu'à évacuer Lyon ...
Toutefois, plus audacieux, Macdonald proposa de tenter une dernière fois de "ramener les troupes au devoir", après les avoir passées en revue, dès le lendemain matin ...
Pendant cette délibération, des conciliabules se tenaient dans les casernes, ainsi que dans les cabarets de faubourgs ...
Le lendemain 10 Mars, les Voltigeurs, donnés comme gardes d'honneur au duc d'Orléans, avaient jetés leurs cocardes blanches dans la boue, et le poste refusa de prendre les armes, lorsque le prince apparut ...
Un petit moment avant la revue prévue à 6 heures, le général Brayer vint avertir Macdonald que les troupes refusaient d'être passées en revue par le Comte d'Artois ...
Alors, Macdonald se proposa de commencer à passer la revue seul, et d'y appeler ensuite le prince, dès qu'il jugerait le moment opportun ...
Le plan ayant été accepté, le Maréchal se rendit Place Bellecour ...
Aussitôt, les Soldats le saluèrent aux cris de nombreux "Vive le Maréchal!" ... immédiatement suivis d'un silence glacial .... lorsqu'il commença son allocution royaliste ...
C'est alors qu'il envoya chercher le Comte d'Artois par un aide de camp ...
Après être passé devant le front des régiments, et observé les visages sombres, menaçants et muets, le prince s'évertua durant plusieurs minutes pour ne récolter qu'un timide "
Vive le roi" , de la bouche d'un sapeur de Dragons ...
Le Comte d'Artois sombra alors dans une colère rouge, tout en donnant l'ordre de renvoyer les troupes sans les faire défiler !
La bonne aubaine ! C'est tout juste ce que désiraient ces braves Soldats ...!
La préoccupation du peuple était également toute à l'Empereur, et c'est massé le long du Rhône qu'il L'attendait, Lui que l'on disait maintenant tout proche de la Guillotière ...
Et, de toute cette foule, pas un cri ne s'éleva pour saluer le frère du roi de France ...
Macdonald le rejoignant à l'Evêché, lui conseilla alors de partir sur-le-champ ...
Le duc d'Orléans avait quitté la ville deux heures auparavant.
Il croisa en route le général Simmer se rendant à Lyon avec le 72è de Ligne.
Or, au vu des circonstances, il jugea préférable de faire rétrograder ce régiment sur Roanne, pour l'interrompre dans sa marche vers Lyon...
Mais le général Simmer répondit à cet ordre que ses hommes étant fatigués, il avait l'intention de les cantonner dans le prochain village.
Ayant compris au ton et à l'expression du visage de Simmer, quelles étaient ses véritables intentions, le prince n'insista pas ...
Toutefois, Macdonald était coriace, et poursuivait encore l'espoir de pouvoir défendre Lyon ...
Il avait bien compris que ses Soldats ne tireraient pas les premiers, mais il se disait qu'ils risposteraient bien si l'on tirait sur eux ...
Il suffisait qu'une vingtaine d'hommes, qui, par dévouement au roi, ou dénaturés par l'appât d'argent, acceptent de se vêtir en gardes nationaux et à ouvrir les hostilités ...
Ainsi formula-t-il sa demande au Maire, le Comte de Farges ...
Celui-ci, pourtant royaliste fervent, répondit, à la grande stupéfaction du Maréchal, que dans tout Lyon, il ne se trouvereait pas un seul homme prêt à cela !...
Alors, plus que jamais déterminé, Macdonald finit par se rendre sur les quais du Rhône, occupés par les troupes, résolu qu'il était, de faire prendre des fusils aux officiers de son Etat-Major, et à tirer lui-même le premier ! ...
Mais, alors qu'il arrivait près du pont de la Guillotière, vers deux heures, un grand tumulte se fît entendre ...

.....
C'était les Hussards de Napoléon qui débouchaient du faubourg, précédés d'une foule considérable de paysans, agitant de grands bâtons, au sommet desquels ils avaient accrochés des mouchoirs !
Et tous criaient d'enthousiasme .... :
VIVE L'EMPEREUUUUUUUUUUUR ! VIVE LA LIBERTE !!Le pont était obstrué par une colonne d'Infanterie ...
Afin de s'approcher plus près de la barricade, Macdonald descendit de cheval, mais à peine avait-il fait quelques pas, que la barricade fut broyée par les Hussards, aidés des Soldats de la garnison ...
Et les deux troupes de fraterniser, en poussant toujours de prodigieux cris de :
"VIVE L'EMPEREUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUR !"Cette fois, notre homme capitula, et sautant rapidement en selle, il prit la fuite au grand galop, poursuivi durant presque trois lieues, par des Hussards fort désireux de le ramener près de Napoléon ! ...
Le Grand Homme n'était pas très loin ; aussi, la population comme la troupe, espérant à tout moment Le voir apparaître, demeura sur les quais jusqu'à la nuit ...
Et .... vers neuf heures, ce soir-là, des acclamations s'élevèrent dans l'obscurité, et provenant des faubourgs, gagnant les ponts et jusqu'à la rive droite du Rhône, annonçant, enfin, à toute la ville de Lyon, l'arrivée tant attendue de l'Empereur !
Un témoin raconta que, pour arriver jusqu'aux appartements de l'Evêché, que le frère du roi avait quitté le matin même, Napoléon "dût passer sur la foule" ! ...
Après avoir accompagné l'Empereur à l'Evêché, le peuple s'éparpilla dans toute la ville, l'illuminant de torches, et chantant
La Marseillaise.
L'Empereur va maintenant veiller sur votre sommeil ... Bonne nuit !
