Vous êtes têtu et teigneux comme un légitimiste, François !
Je n'entends certes pas vous convaincre, mais simplement vous faire réfléchir.
Voici donc qui devrait vous intéresser :
Lorsque la crise éclate, Talleyrand veut en sortir non seulement indemne, mais retrempé. Ses liens avec l'ancienne émigration, les "fuites" de documents vers l'Angleterre, son attitude équivoque au moment de la crise de Marengo le rendent suspect.
On sait qu'à cette époque le nom d'Enghien circulait avec celui du duc d'Orléans comme un candidat possible au trône de France. Parmi les amis du ministre, il en est plus d'un, bien placés au Sénat ou au Conseil d'Etat, qui penchent secrètement pour Moreau. Tous ces nouveaux possédants préféreraient au fond un régime moins absolu et plus sage que la dictature personnelle qui se prépare.
Dans cette perspective et si l'on va plus loin, peut-être le ministre se rallie-t-il au maître dans l'espoir de l'adoucir après lui avoir donné la satisfaction de la vengeance d'Etat, en l'orientant vers les formes futures d'un régime aussi raisonnable que possible ?
D'un autre côté, Talleyrand n'a pas toujours été le modéré que l'on croit. Lorsque l'intérêt le commande, il n'hésite pas à se ranger du côté des violents. Il a ainsi justifié la journée du 10 Août. Il est l'homme de deux coups d'Etat (Fructidor et Brumaire). En 1797, il a froidement envisagé de se débarasser du prétendant en le faisant capturer. Il a ensuite essayé de l'acheter.
Les mots qu'il utilise pour préparer l'enlèvement du duc d'Enghien, puis pour le justifier sont les mêmes que ceux qu'il emploiera pour condamner avec véhémence le débarquement de Napoléon sur les côtes de France en mars 1815.
Ainsi, au baron d'Edelsheim, il parle, le 11 mars 1804, des "brigands vomis en France par le gouvernement anglais" et "d'un crime qui, par sa nature, met hors du droit des gens, tous ceux qui manifestement y ont pris part".
Après l'exécution, il écrit à Champagny, son représentant à Vienne : "Le duc d'Enghien a prostitué le courage qu'il avait montré dans quelques occasions, au danger de suivre de plus près et de seconder l'accomplissement du crime (contre Bonaparte), et à l'espérance d'en recueillir les fruits."
A Hédouville enfin, le 17 mai 1804, il traite le gouvernement russe, qui vient de protester contre l'exécution du duc, par le mépris et critique "cette affectation de porter le deuil d'un homme coupable, tombé sous le glaive des lois pour avoir tramé des assassinats sous l'influence de l'Angleterre."
Edifiant, non ?
