L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 03 Nov 2005 22:40 
Laissons maintenant la parole au prince de Joinville qui est descendu à terre et a visité les lieux où vécut l'Empereur : "La campagne, Plantation House, la vallée du Tombeau, le tombeau lui-même avec ses saules légendaires, Longwood la prison, tout est également lugubre et bien fait pour tuer à petit feu le grand génie qu'on y avait relégué."
Les ordres du gouvernement anglais étaient formels, et sont exécutés par les autorités locales avec la meilleure volonté. L'exhumation du corps, resté en majeure partie intact, se fait dans un silence émouvant et les cérémonies qui président à la translation des restes de l'Empereur sont empreintes d'une imposante solennité que relate le prince de Joinville dans ses Souvenirs :

"L'émotion commence à gagner tout le monde lorsqu'on vit le cercueil descendre lentement de la montagne au bruit du canon, escorté par l'infanterie anglaise, les armes renversées, la musique jouant, avec accompagnement de roulement de lourds tambours, cette belle marche funèbre que les Anglais appellent : The dead march in Soul..."

Puis le cercueil est descendu dans la chaloupe de La Belle Poule qui se dirige vers le navire.

"Le moment était très beau. A un magnifique coucher de soleil succédait un crépuscule d'un calme profond. Les autorités et les troupes anglaises se tenaient immobiles, rangées sur la plage, tandis que les canons de nos vaisseaux faisaient le salut royal."

La chaloupe à l'arrière de laquelles se tient le prince, entouré de ses officiers et des gabiers en blanc, le crêpe au bras, s'avance majestueusement : "C'était très émouvant et il planait sur toute la scène un grand sentiment national."
Aussitôt le pavillon impérial, confectionné par les dames de Jamestown qui avaient tenu à rendre ce dernier hommage à Napoléon, est amené au grand mât de La Belle Poule qui, elle, redresse ses vergues et déploie ses pavois. "Notre deuil, écrivait au président du Conseil le comte de Rohan-Chabot, avait cessé avec l'exil de Napoléon, et la division française se parait de tous ses ornements de fête pour recevoir le cercueil impérial sous le drapeau de la France."
Un fois à bord, le sarcophage d'ébène recouvert d'un poêle de velours est installé dans une chapelle ardente; le lendemain matin, 16 octobre, la messe des morts est célébrée sur le pont par l'abbé Coquereau, et après deux jours consacrés aux formalités officielles avec les autorités anglaises, le samedi 18 à 8 heures du matin, La Belle Poule, suivie de La Favorite et de L'Oreste, reprend la mer, saluée par les batteries côtières : instant solennel qui marquait la fin de l'exil et le pardon du proscrit, le retour triomphal dans la Patrie, effaçant ainsi pour toujours l'humiliation de 1815.
"De loin, écrivait Henri Heine, s'avance vers nous, à pas mesurés et de plus en plus menaçants, le corps du géant de Sainte-Hélène."


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Message Publié : 03 Nov 2005 22:59 
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Inscription : 14 Déc 2002 16:30
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Oui... Sans doute ! Dommage que tout ceci n'ait été qu'une comédie !


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Message Publié : 04 Nov 2005 0:39 
"Comediante, tragediante", la citation a fait recette, même à titre posthume... :bah:


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Message Publié : 05 Nov 2005 4:28 
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Inscription : 27 Août 2004 12:01
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:salut: Si je me souviens bien, Joinville n'assista pas à l'éxhumation proprement dite n'est-ce pas?
Bien à vous.
:2:


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Message Publié : 05 Nov 2005 16:45 
C'est parfaitement exact !
Le prince de Joinville, prétextant que les formalités d'exhumation relevaient de la seule responsabilité anglaise, avait en effet décidé de demeurer à son bord et désigné pour le remplacer Philippe de Rohan-Chabot.


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Message Publié : 05 Nov 2005 17:00 
Mais tandis que le navire funèbre cingle vers l'Europe, portant dans ses flancs son précieux dépôt, un grave événement se produit en France.
Le 6 août, le prince Louis-Napoléon tente pour la seconde fois un coup d'Etat en débarquant à Boulogne, tentative qui d'ailleurs se solde par un échec, l'arrestation du prince et son incarcération au fort de Ham.
C'est fâcheux pour les bonapartistes, mais ils ne se laissent pas décourager et, oubliant pour un temps la téméraire équipée du neveu, ne pensent qu'au retour de la dépouille de l'oncle dont ils veulent faire un triomphe.
Chaque jour l'opinion devient plus nerveuse, des brochures exaltent le souvenir de Napoléon, des complaintes se chantent un peu partout, des pétitions, des projets de réception de plus en plus grandioses, tous les honneurs que l'on souhaite réserver à la mémoire de l'Empereur occupent inlassablement les esprits à tel point que l'entourage du roi en prend ombrage. Il faut prendre des mesures pour restreindre les initiatives privées ou collectives et donner des ordres très stricts aux municipalités des communes qui se trouvent sur le parcours du retour.
C'est le 29 novembre au soir que La Belle Poule paraît à l'horizon de Cherbourg pavoisé de drapeaux tricolores, voilés de crêpe. Le 30 au matin, le navire entre dans le port, battant pavillon impérial.
"Si à Sainte-Hélène, comme le note Joinville, tout avait été chevaleresque et digne, en France cela prit un caractère de spectacle."
Les Cherbourgeois sont massés sur les jetées pour ovationner La Belle Poule, et dans les rues comme dans les cafés, on chante sur l'air de La Marseillaise des couplets écrits par des poètes locaux, et des chants dédiés à la Grande Armée.
Pendant six jours, la foule évaluée à plusieurs dizaines de milliers de personnes (l'abbé Coquereau dira 100.000) est admise à défiler devant le catafalque, et le maire de Cherbourg distribue plus de 30.000 permissions individuelles.
Le 8 décembre, après un discours du maire, le cercueil est porté à bord du "Normandie" qui, accompagné d'une flotille, gagne Le Havre, dont les habitants, très nombreux, attendent sur les quais la dépouille de l'Empereur.


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Message Publié : 06 Nov 2005 22:41 
Après de nouvelles cérémonies, la flotille remonte la Seine jusqu'aux abords de Rouen. Là, "La Dorade" reçoit les cendres de l'Empereur et c'est à ce petit bateau qu'échoit l'honneur de les transporter jusqu'à Paris. Sur l'ordre du directeur des Beaux-Arts, M. Cavé, qui avait cru bien faire, ce bateau-catafalque était décoré d'une manière ridicule et son pont disparaissait sous une accumuluation d'oripeaux et de dorures.
Le prince de Joinville intervint avec autorité : "Je donnai l'ordre de détruire ce chef-d'oeuvre de mauvais goût, de donner au bateau une couche de peinture noire et de raser tout l'avant pour y placer le cercueil seul, bien en vue, recouvert d'un drap mortuaire de velours violet. Les matelots seront en armes et le canon, tiré à l'arrière, annoncera le bateau portant la dépouille mortelle de l'Empereur".
A la tête du mât, on amena le pavillon impérial et on plaça un crucifix à la tête du cercueil.
Tout le long du parcours, de Rouen à Paris, tous les ponts sont pavoisés; dans un certain désordre se pressent, pêle-mêle, la garde nationale en armes, les autorités ceinturées de tricolore, le clergé, la population, les ouvriers en habits de fête, des groupes d'enfants qui inclinent des drapeaux; les acclamations, les scènes d'attendrissement sont autant de témoignages rendus à la mémoire de Napoléon. La duchesse de Dino, qui ne voyait dans ce retour qu'une parade ridicule, doit cependant reconnaître que "c'est quelque chose de curieux de voir les populations s'agenouiller, entourer le clergé qui bénit cette dépouille, vouloir partout pour leur héros les bénédictions de l'Eglise" et elle ajoutait : "Après tout, Napoléon deux fois en quarante ans aura rendu le même service aux Français; il les aura réconciliés avec la religion."
En réalité, les Français voulaient surtout avoir une dernière vision de leur Empereur et apercevoir le cercueil qui contenait sa dépouille.
A Meulan, le maire offre sa démission parce que "La Dorade" était passée sur le territoire de sa commune sans ralentir; à Saint-Germain, la foule est considérable; à Rueil, les fenêtres sont garnies de femmes en deuil.
Dans la nuit glaciale du 14 décembre, "La Dorade" parvient à Courbevoie, près du pont de Neuilly. La veille, le duc d'Aumale était monté à bord à l'escale de Poissy. Malgré le froid très vif, une foule nombreuse a envahi les quais, les ponts, pour attendre l'arrivée du bateau. On voit alors, à la nuit tombante, arriver un groupe de vétérans de la Grande Armée, dans leurs vieux uniformes, qui s'installent près de la rive du fleuve, allument des feux, bivouaquent, enroulés dans leurs manteaux comme au temps d'Austerlitz ou de Wagram; le plus naturellement du monde, ils veillent sur leur Empereur.
Le 15 au matin, quand le cortège se formera, ils refuseront de céder le pas aux autorités : "Ceux qui ont organisé le défilé ont oublié que l'Empereur marchait toujours au milieu de sa Garde", répliquera l'un d'eux, et le bataillon des vieux grognards réparti en autant de pelotons de vingt-cinq hommes que la Garde comptait de régiments, se reformera dans le calme et la discipline.


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Message Publié : 08 Nov 2005 0:00 
Paris, en effervescence, prépare fièvreusement le retour des Cendres.
On s'arrache à prix d'or un balcon, une fenêtre, un oeil-de-boeuf dans le toit sur tout le parcours du pont de Neuilly aux Invalides, en passant par les Champs-Elysées; tout le long du chemin, ce ne sont que chantiers de décoration, échafaudages, amoncellement de matériaux : colonnes, pilastres, mâts pavoisés, bannières, oriflammes, trophées, statues en plâtre, aigles dorés s'alignent en rangs serrés le long des avenues et des estrades destinées à contenir des dizaines de milliers de spectateurs. Si cette décoration n'est pas toujours du meilleur goût, elle témoigne cependant du désir qu'avaient les autorités de "bien faire les choses" et de donner satisfaction aux Parisiens assoiffés d'honneurs pour leur Empereur.
Le 15 décembre, à 5 heures du matin, le canon des Invalides annaonce le retour des Cendres. La foule qui stationne le long des trottoirs est immense.
"Le peuple français, écrira Jean Bourguignon, avait conscience de la grande journée historique qu'il allait vivre. Il voulait saluer de toute sa ferveur la rentrée triomphale à Paris de celui qui avait résumé lui-même sa virile histoire dans cette formule lapidaire : "J'ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites et reculé les limites de la gloire."


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Message Publié : 08 Nov 2005 23:14 
Enfin, dans un bourdonnement de cloches, le cortège s'ébranle. Précédé d'un nombre imposant de troupes appartenant à toutes les armes, de délégations des écoles militaires, le char funèbre monumental et lourdement décoré de guirlandes, de statues et de cariatides symbolisant les victoires et portant dans son soubassement le cercueil trop lourd pour surmonter le char, tiré par 16 chevaux disposés en quadriges, carapaçonnés de drap d'or et empanachés de plumes blanches, ce char s'avance majestueusement entre les cordons de la garde nationale et une véritable muraille humaine qui ondule sur elle-même tandis que des grappes de gamins s'accrochent aux arbres...
En voyant ce char, Victor Hugo s'écriera : "Une immense rumeur enveloppe cette apparition. On dirait que ce char porte après lui l'acclamation de toute la ville comme une torche traîne sa fumée !"
Le canon tonne, le bourdon de Notre-Dame égrène ses notes sourdes, les vivas fusent.
La prédiction de Napoléon à Sainte-Hélène se réalisait :
"Vous entendrez, disait-il à ses compagnons d'exil, encore une fois dans Paris crier : Vive l'Empereur !"


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Message Publié : 10 Nov 2005 0:25 
Enfin le cortège arrive aux Invalides où l'attend Louis-Philippe, entouré des membres du gouvernement et de la famille royale.
Le prince de Joinville salue du sabre en disant : "Sire, je vous présente le corps de l'empereur Napoléon que j'ai ramené en France conformément à vos ordres."
"Je le reçois au nom de la France", répond le roi à voix haute.
Tous les assistants debout, tête nue, tournent vers le cercueil chargé de gloire leurs regards bouleversés et certains pleurent.
Louis-Philippe, s'adressant au général Bertrand, le prie de placer sur le cercueil l'épée d'Austerlitz, puis demande au général Gourgaud d'y déposer le chapeau de l'Empereur. Alors commence le service funèbre.
Jusqu'au 24 décembre, la foule fut admise à défiler devant le cercueil impérial. On évalua son nombre à plusieurs centaines de milliers de personnes, malgré le froid et la fatigue d'une longue attente. Tous étaient recueillis, émus et murmuraient : "Napoléon ! L'Empereur !"
Un témoin raconta qu'il avait entendu un homme dire à un jeune garçon :
"Tu m'as souvent demandé ce que c'est qu'un demi-dieu : regarde, c'est l'Empereur."
Chateaubriand écrira dans ses Mémoires d'outre-tombe : "L'astre éclipsé à Sainte-Hélène a reparu à la grande joie des peuples. L'univers a revu Napoléon. Napoléon n'a point revu l'univers."
Il n'y avait eu ni troubles, ni émeutes, comme le craignait le gouvernement.
Louis-Philippe avait été exaucé et Guizot pouvait dire au baron Mounier, à Londres : "Nous voilà, mon cher ami, hors du second défilé. Napoléon et un million de Français se sont trouvés en contact sous le feu d'une presse conjurée et il n'en est pas sorti une étincelle."
Dans un climat d'apothéose mêlée à l'histoire, la légende avait triomphé.
Quelques années plus tard, elle prendrait un nouveau souffle et porterait un nouvel empereur sur le trône de l'Ancien.

FIN.


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