Après de nouvelles cérémonies, la flotille remonte la Seine jusqu'aux abords de Rouen. Là, "La Dorade" reçoit les cendres de l'Empereur et c'est à ce petit bateau qu'échoit l'honneur de les transporter jusqu'à Paris. Sur l'ordre du directeur des Beaux-Arts, M. Cavé, qui avait cru bien faire, ce bateau-catafalque était décoré d'une manière ridicule et son pont disparaissait sous une accumuluation d'oripeaux et de dorures.
Le prince de Joinville intervint avec autorité : "Je donnai l'ordre de détruire ce chef-d'oeuvre de mauvais goût, de donner au bateau une couche de peinture noire et de raser tout l'avant pour y placer le cercueil seul, bien en vue, recouvert d'un drap mortuaire de velours violet. Les matelots seront en armes et le canon, tiré à l'arrière, annoncera le bateau portant la dépouille mortelle de l'Empereur".
A la tête du mât, on amena le pavillon impérial et on plaça un crucifix à la tête du cercueil.
Tout le long du parcours, de Rouen à Paris, tous les ponts sont pavoisés; dans un certain désordre se pressent, pêle-mêle, la garde nationale en armes, les autorités ceinturées de tricolore, le clergé, la population, les ouvriers en habits de fête, des groupes d'enfants qui inclinent des drapeaux; les acclamations, les scènes d'attendrissement sont autant de témoignages rendus à la mémoire de Napoléon. La duchesse de Dino, qui ne voyait dans ce retour qu'une parade ridicule, doit cependant reconnaître que "c'est quelque chose de curieux de voir les populations s'agenouiller, entourer le clergé qui bénit cette dépouille, vouloir partout pour leur héros les bénédictions de l'Eglise" et elle ajoutait : "Après tout, Napoléon deux fois en quarante ans aura rendu le même service aux Français; il les aura réconciliés avec la religion."
En réalité, les Français voulaient surtout avoir une dernière vision de leur Empereur et apercevoir le cercueil qui contenait sa dépouille.
A Meulan, le maire offre sa démission parce que "La Dorade" était passée sur le territoire de sa commune sans ralentir; à Saint-Germain, la foule est considérable; à Rueil, les fenêtres sont garnies de femmes en deuil.
Dans la nuit glaciale du 14 décembre, "La Dorade" parvient à Courbevoie, près du pont de Neuilly. La veille, le duc d'Aumale était monté à bord à l'escale de Poissy. Malgré le froid très vif, une foule nombreuse a envahi les quais, les ponts, pour attendre l'arrivée du bateau. On voit alors, à la nuit tombante, arriver un groupe de vétérans de la Grande Armée, dans leurs vieux uniformes, qui s'installent près de la rive du fleuve, allument des feux, bivouaquent, enroulés dans leurs manteaux comme au temps d'Austerlitz ou de Wagram; le plus naturellement du monde, ils veillent sur leur Empereur.
Le 15 au matin, quand le cortège se formera, ils refuseront de céder le pas aux autorités : "Ceux qui ont organisé le défilé ont oublié que l'Empereur marchait toujours au milieu de sa Garde", répliquera l'un d'eux, et le bataillon des vieux grognards réparti en autant de pelotons de vingt-cinq hommes que la Garde comptait de régiments, se reformera dans le calme et la discipline.
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