De nombreux exemples nous démontrent que les plus grandes inventions reçoivent souvent un accueil timoré, de la part des esprits les plus éclairés.
Claude Chappe, par exemple, connut les pires difficultés pour faire adopter son invention de télégraphe aérien par la Convention.
Arago se montrait hostile aux Chemins de Fer, à cause, paraît-il, des tunnels ; quant à Thiers, il déclarait que la vapeur n'était qu'un mythe ...
Mais revenons auprès de Bonaparte, très fier, comme nous le savons, de faire partie de l'Institut national.
Il en prit d'ailleurs 38 fois la tenue, et aimait en signifier le titre, avant de celui de "Général en Chef de l'Armée d'Angleterre" ; et ce comportement devait durer jusqu'à la fin de l'Expédition d'Egypte.
Toute sa vie, il conserva ainsi un goût prononcé pour la Science, et cela n'étonnera personne, dès lors que l'on songera à son intelligence souple et curieuse ...
Pourtant, me direz-vous, Il repoussa le projet audacieux de Fulton, réalisant sur la Loire ses premiers essais de bateau à vapeur, et, à Brest, ceux de sous-marins.
De là, surgirent deux types de raisonnements ....
Les premiers, tel Bainville, qui accuse "ce vaste esprit d'avoir ses limites",
reprochant à Napoléon de n'avoir jamais prévu ni machines, ni machinisme, ou nouveaux engins pour la guerre"...
Ses anticipations, disait-il, ne tiennent aucun compte du développement des Sciences appliquées ...
Ceci vaudrait pour ceux qui ne tentent pas une explication plus "psychologique", ou en tout cas, moins "terre à terre" ...
Ainsi G. Lanson, analysant cet état de fait, explora une autre facette de ce que Bainville nommait "un vaste esprit" ...
Et il en vînt à conclure que l'homme d'action, en général, avait un réel mépris pour les idéologies, et fuyait les grandes nouveautés susceptibles de révolutionner le monde, pour la seule raison que leur mise en pratique ne pouvait que retarder l'action ...
Personnellement, j'adhère à ce deuxième point de vue, pour deux raisons.
La première, c'est que si Napoléon n'a jamais opté pour cette révolution dans les machines, qu'elles soient de guerre ou pas, c'est qu'Il ne jugeait pas ces transformations indispensables à ses besoins, ou à ceux de ses Soldats.
En effet, sachant toujours tirer parti du meilleur, il eût été bien étonnant qu'Il se soit privé de commodités, si celles-ci n'apportaient pas un inconvénient majeur à la réalisation rapide de ses projets.
La deuxième raison se trouve dans le constat suivant :
C'est que Napoléon, n'ayant jamais tenté d'obtenir un meilleur fusil ou un meilleur canon, a néanmoins réussi à fabriquer toutes ses victoires avec le fusil qu'il avait trouvé en usage à l'époque et avec le canon de Gribeauval ...
Enfin, refusant le bateau à vapeur, il avait su tirer le meilleur parti de la marine à voile.
Cette deuxième réflexion nous amène à penser que, pour Napoléon, le personnel importait bien plus que le matériel, et Il comptait bien plus sur le moral de ses Généraux et de ses troupes, dont Il prenait toujours tant de soin pour sans cesse l'exalter, que sur le perfectionnement de l'armement mis à leur disposition.
Pour le projet Fulton, d'autre part, nous savons que Napoléon avait souhaité soumettre l'examen des prémices de cette invention aux savants de l'Institut qui, après deux mois de délibérations, déclarèrent l'invention purement chimérique et impraticable ...
Enfin, pour expliquer positivement le rejet de l'invention par Napoléon, le vice-amiral Guépratte, dans son article intitulé "
Relation de Bonaparte avec Robert Fulton", exposant l'histoire du sous-marin
Le Nautilus, reconnut que l'auteur du plan avait rendu justice au Grand Homme, en écrivant ceci, avant de mourir :
"-Dans tous les Pays qu'Il a conquis, Il a toujours respecté les Sciences et les Arts. La protection élcairée qu'Il leur accorde est même inséparable de sa renommée".
