par Baron Percy » Lundi 26 Mars 2007 00:03:51
Citation : "Mon grand père, ouvrier ferblantier à Paris " laïc et fier de l'être " blessé au chemin des dames, me disait qu'il avait appris à connaître et à apprécier " la curetaille " (se sont ses mots) dans les tranchées. "
Je ne doute pas un instant de l'authenticité de vos propos, mais on pourrait dire qu'à contrario les horreurs de cette guerre ont fait perdre la foi à bon nombre de poilus.
Il revient à chaque individu de réagir en fonction de son propre ressenti.
Et pour supporter l'insupportable, les réactions des uns ne seront pas celles des autres.
Ceci étant dit, il est exact que bon nombre d'hommes vont se mettre à conjuguer le verbe croire à leur manière.
Beaucoup se persuadent, faute de mieux, que vivre sous le regard constant de la mort nécesite qu'un certain code non écrit, mais que personne n'ignore, soit scrupuleusement respecté.
Et par là, le combattant essaie "d'apprivoiser" cette redoutable et familière compagne.
Il faut aussi être conscient du fait que la superstition vient se greffer à cette religiosité.
On voit ainsi prier des soldats qui ne croient pas, mais qui veulent se sentir "protégés".
Certains arborent même à leur poitrine ou sur le devant de leur képi le petit drapeau du Sacré Coeur.
Faut-il pour autant en conclure que l'on assiste à un véritable réveil religieux ?
Le 28 avril 1915, un aumônier de la 52ème division produit des chiffres qui tempèrent l'enthousiasme manifesté par certains de ses collègues :
"Le total des Pâques s'élève à peu près à 15 % de l'effectif global et ce chiffre a été atteint grâce à l'appoint des Bretons. Sans cela, je ne crois pas que la moyenne eût dépassé 10 %."
Le 7 décembre de la même année, l'abbé Trousselle fait également part de son inquiétude : "Il y a un véritable affaiblissement moral qui se produit : le rôle de l'aumônier n'est plus le même qu'au commencement de la campagne; alors, il n'avait plus qu'à favoriser l'élan patriotique et le réveil religieux. Aujourd'hui, il est obligé de lutter et de faire en sorte que l'âme des soldats reste quand même à la hauteur de sa tâche et ne perde pas, par une négligence regrettable, cette vie de souffrance qu'est la sienne et qui peut s'opérer chez lui, s'il sait l'accepter, un véritable développement de ses facultés morales."
Le 26 mai 1917, l'aumonier Roë d'Albert est encore plus sceptique quant à l'importance de ce prétendu retour de la religion : "Hélas ! pouvons-nous être aveugles, ignorer non seulement l'indifférence religieuse de la grande masse du peuple français (...); beaucoup se laissent aller aux illusions, surtout les aumôniers militaires. C'est plus facile que de constater la réalité des choses. Ils organisent de brillantes cérémonies pour une fête, pour un service; chorale, musique militaire, noms d'artistes de l'Opéra ou de concert ne sauraient manquer d'attirer la foule des poilus auxquels pèsent l'oisiveté et la monotonie de leur vie. Mais le plus grand nombre vient comme au spectacle, une petite minorité vient par conviction religieuse."
Et pour appuyer sa démonstration, l'abbé avance ses propres chiffres : "Je viens de confesser une quinzaine de chasseurs (exactement 16) pour demain fête de la Pentecôte : 16 sur 1200 !"
Lucide et exigeant, l'abbé Mugnier pose lui la question de la qualité de la foi et déplore le caractère intéressé de toutes ces dévotions de soldats.
"La Toussaint tombant un lundi, tout le régiment assista à la messe trois jours de suite. Beaucoup y allaient pour passer le temps. Seuls quelques-uns sont venus vraiment pour prier."
Les autres, dont la foule déborde dans le cimetière, attendent le défilé des filles : "la messe, c'est un spectacle de soldats", écrit Dorgelès.
"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir"