Ces exemples de répression n'occultent cependant pas une autre vérité de cette guerre.
De nombreux indices convergents permettent en effet d'affirmer que certains Etats organisaient eux-mêmes le ravitaillement sexuel de leurs soldats. C'est notamment le cas de l'Etat italien.
D'alleurs, les médecins italiens s'en félicitent lorsqu'ils établissent le bilan sanitaire de la guerre; au Congrès international de médecine et de pharmacie militaires qui se tient à Rome en 1923, les docteurs Grixoni, De Berardinis et Ilvento déclarent : "(...) aussi bien dans la zone des armées que dans celles de l'arrière, la lutte sans merci menée contre les maladies vénériennes, de même que l'institution des bordels militaires, où les femmes sont soumises à la vigilance rigoureuse et permanente des médecins-majors spécialisés et où les soldats trouvent un cabinet prophylactique pour la désinfection nécessaire, ont permis de diminuer le nombre des malades et d'atténuer la gravité des infections."
Selon le Dr Angelini, l'établissement de "bordels militaires dans les principales zones de repos" fut "une sage prise en compte du danger représenté par une masse d'hommes susceptibles de se perdre par insatisfaction de l'instinct sexuel".
A travers les péripéties de la lutte menée par tous les services de santé militaires des Etats belligérants, on peut découvrir un autre combat où s'entrechoquent non seulement l'instinct sexuel des hommes et des femmes en guerre, mais aussi la morale sociale, ainsi que la politique de santé publique. Toutes les autorités se penchent alors sur la sexualité de leurs sujets, mais celle-ci n'est jamais considérée pour elle-même ; partout et toujours, elle est approchée pour le danger qu'elle est censée représenter pour la société en termes de maladies vénériennes; les armées s'inquiètent surtout du nombre de soldats risquant d'être mis hors de combat par ces infections...
Quelques données statistiques sont nécessaires pour appréhender l'ampleur du phénomène et l'on en arrive à évoquer des chiffres considérables.
Ainsi, pour l'armée française dont les éléments statistiques sont recueillis seulement depuis l'année 1916, on arriverait à un chiffre de 4 à 5000 contaminations par mois, soit de 50 à 60.000 par an, ce qui pour trois années de guerre ferait 150.000 à 200.000 contaminations !
L'armée allemande n'est guère mieux lotie : jusqu'à fin février 1915, les statistiques établissent que, dans le seul cas du territoire de la Belgique, 30.000 cas de maladies vénériennes s'étaient déclarés parmi les troupes.
Comment s'en étonner quand on sait par ailleurs que dans certaines zones, seules quelques femmes tentent de satisfaire sexuellement des milliers d'hommes.
A titre indicatif, en 1915, le Dr De Napoli rapporte qu'à Zuara une prostituée aurait eu 100 coïts dans la même journée; au début de la guerre, le chiffre de 190 coïts dans une seule journée aurait même été atteint par une autre...
"De tels chiffres, ajoute le praticien, peuvent être admis quand on sait où et comment ces malheureuses femmes reçoivent les soldats qui, en longue file, attendent leur tour, devant les taudis que, par une économie de temps, elles ont choisis avec une porte de sortie opposée à la porte d'entrée. Tous les mâles, venus des tranchées, après tant d'abstinence sexuelle, accomplissent le coït en moins de cinq minutes, car l'éjaculation se produit souvent au simple contact de la femme et pour beaucoup même... ante portas".
