par BRH » Vendredi 08 Août 2008 23:29:21
Extraits choisis:
<<En novembre 1790, le baron de Breteuil reçoit, en Suisse, où il s'est retiré, des pleins pouvoirs ainsi rédigés: «J'approuve tout ce que vous ferez pour arriver au fait que je me propose, qui est le rétablissement de mon autorité légitime et le bonheur de mes peuples. Signé: Louis.»
Le 19 décembre 1790, Marie-Antoinette écrit à l'empereur d'Autriche, Léopold, son frère: «Il est certain qu'il n'y a qu'ici et nous qui puissions juger du moment et des circonstances favorables qui pourraient enfin finir nos maux et ceux de la France», en clair l'intervention miliaire.
En janvier 1791, donc trois mois avant que Louis XVI ne soit empêché par des émeutiers de se rendre dans sa résidence de Saint-Cloud - après quoi il se considérera comme «prisonnier» -, Breteuil écrit à l'ami de la reine l'ambassadeur d'Autriche Mercy: «Le roi - dans une lettre qu'il m'a envoyée - est décidé à quitter Paris après en avoir concerté le moment avec l'empereur. Mais, pour y arriver, il faut de l'argent.»
Le 3 février 1791, Marie-Antoinette au même Mercy: «Monsieur le marquis de Bouille (commandant des garnisons de l'Est et partisan de la contre-révolution) croit comme nous qu'il serait impossible de rien faire sans le secours des puissances étrangères, lequel serait dangereux si nous n'étions hors de Paris...Vous savez quelles sont nos négociations avec l'Espagne et la Suisse.»
Le 27 février, elle récidive dans une lettre à l'ambassadeur d'Autriche Mercy: «L'Espagne nous a répondu qu'elle nous aiderait de ses forces si vous (l'Autriche), le roi de Sardaigne et les cantons suisses en fassiez (sic) autant et traitiez d'abord et directement avec nous sur ce sujet.»
Le 2 avril, le comte de Fersen - principal confident de la reine - au baron de Breteuil: «Le roi est décidé à tout sacrifier à l'exécution des projets qu'il a faits et, pour y parvenir plus sûrement, Sa Majesté est décidée à adopter un autre système de conduite: pour endormir les factieux sur ses véritables intentions, il aura l'air de reconnaître la nécessité de se mettre tout à fait dans la révolution, de se rapprocher d'eux. Il ne se dirigera que par leurs conseils et préviendra sans cesse le voeu de la canaille afin de leur inspirer la confiance si nécessaire pour la sortie de Paris.»
Le 13 avril, Breteuil, sur conseil de la reine, écrit au chancelier autrichien Kaunitz: «Le roi demande à l'empereur de ne l'aider militairement (pour l'instant) que d'une force de démonstration, c'est-à-dire que Sa Majesté impériale veuille bien, à l'époque dont le roi sera convenu avec elle, disposer un gros corps de troupes sur la frontière brabançonne du côté de la France, qui paraissent destinées à y entrer et à s'unir aux forces que le roi pourrait déployer. Le roi m'ordonne de vous ajouter qu'il se flatte, que si les circonstances lui faisaient éprouver un grand avantage pour ses affaires, de prier l'empereur de faire entrer sur son territoire quelques escadrons de dragons et de hussards.»
Le 16 mai, Fersen écrit à Breteuil que le roi (en fait, Marie-Antoinette) aimerait obtenir des cantons suisses «20 à 30 000 hommes disponibles à volonté». Le 27 mai, Breteuil demande à l'empereur d'Autriche, au nom du roi, «9 à l0.000 hommes, du côté du Luxembourg, qui pourraient se joindre aux troupes françaises aussitôt que roi le requiéra (sic)».
Quitter le royaume
On pourrait multiplier les citations accablantes - mais, encore une fois, tous ces textes étaient ignorés des juges qui condamnèrent le roi puis la reine.
Plus grave, dès mars 1791, l'Autriche fait savoir qu'elle veut bien accorder de l'aide au roi à condition de se payer de l'Alsace, des Alpes et de la Navarre. «Car il ne faut pas se dissimuler, le principe connu généralement, écrit l'ami de la reine, Mercy, est que les grandes puissances ne font rien pour rien». Fersen précise même à ce sujet à Breteuil, le 22 avril, que le roi attend de mieux connaître «les avantages ou sacrifices qu'on lui aurait rendus. Sa Majesté y a toujours répugné et son projet n'a jamais été de les offrir mais de les accorder si cela devenait absolument nécessaire».
Le 6 mai, Marie-Antoinette ajoute qu'il serait possible, contre la neutralité de l'Angleterre - en cas d'intervention de l'Autriche -, «de lui sacrifier des possessions en Inde et aux Antilles».
Enfin, le 20 juin 1791, Louis XVI, toujours sur les conseils de la reine, écrit lui-même à l'empereur d'Autriche. «(...) Le roi a (sic) donc convenu défaire connaître à l'Europe l'état où il se trouve, et, en confiant ses peines à l'empereur son beau-frère, il ne doute pas qu'il ne prenne toutes les mesures que son coeur généreux lui dicterait pour venir au secours du roi et du royaume de France.»
Le même jour, après que Louis XVI eut juré à La Fayette qu'il ne partirait pas - du coup le général en a répondu sur sa tête -, c'est la fuite à Varennes. Repris, le roi affirme qu'il n'avait aucunement l'intention de quitter le royaume, qu'il voulait simplement se donner un peu d'air, qu'il a compris que le peuple était acquis à la révolution et qu'il ne ressent en réalité que d'excellents sentiments à l'égard de la Constitution.
Le 13 septembre, le roi accepte, en effet, la Constitution - monarchie constitutionnelle à l'anglaise mais qui, formellement, accorde à Louis XVI plus de pouvoirs qu'au roi d'Angleterre. Le 14 septembre, il fait serment de lui être fidèle. Il est aussitôt restauré dans ses pouvoirs.
Or, en réalité, le double jeu se poursuit. Un exemple ahurissant: le roi accepte qu'un certain abbé Louis soit officiellement envoyé à Vienne afin d'obtenir de l'empereur d'Autriche qu'il ne favorise plus les émigrés en armes. Cet abbé Louis est porteur de plusieurs mémoires qui expliquent la nécessité d'accepter et de soutenir le nouvel ordre des choses: «Il ne peut être question de rétablir le despotisme, y lit-on, les destructions opérées par la révolution sont justes même si elles sont excessives.» La reine recommande personnellement le négociateur et les mémoires. Mais, parallèlement, et clandestinement, elle demande à l'ambassadeur Mercy, puis à l'empereur d'Autriche, de ne prendre au sérieux ni les mémoires confiés à l'abbé Louis - on l'a «obligée à les écrire, dit-elle, et (elle) serait humiliée si on les lui attribuait» - ni l'acceptation de la Constitution par le roi. «Il faut, explique-t-elle, m'envoyer une réponse circonstanciée que je puisse montrer, mais ne tenir aucun compte de toutes ces idées. L'acceptation (de la Constitution) n'a été donnée que pour les endormir et les mieux déjouer après.»
Barnave, un monarchiste constitutionnel de grand talent, propose à la cour ses services, comme l'avait fait Mirabeau: il veut, en coopération avec le couple royal, éviter un emballement du processus révolutionnaire. Sauver la monarchie, en somme! Marie-Antoinette affiche le mépris que lui inspirent ces royalistes libéraux. Elle écrit à Mercy, le 1er août 1791: «Ces «messieurs» m'ont été utiles et me le sont encore dans ce moment, mais quelques bonnes intentions qu'ils montrent, leurs idées sont exagérées et ne peuvent jamais nous convenir. Cependant il est extrêmement important pour moi qu'au moins pendant un temps encore (ces «messieurs») croient que je suis tous leurs avis.» Et encore à Léopold d'Autriche: «Vous recevrez un mémoire que je suis obligée de vous envoyer. Il est à désirer que vous distinguiez toujours notre intérêt véritable d'avec tout ce que nous sommes obligés défaire pour notre sûreté personnelle.» Le 26 août 1791, dans une lettre à Mercy, elle enfonce le clou: «Il ne s'agit pour nous que de les endormir (les députés de la Constitution) et de leur donner confiance en nous pour les mieux déjouer après. Il est impossible, vu la position d'ici, que le roi refuse son acceptation (de la Constitution), nous n'avons donc plus de ressources que dans les puissances étrangères.»
Le 20 août déjà, elle écrivait au même: «Il s'agira à présent de suivre une marche qui éloigne de nous la défiance et qui en même temps puisse servir à déjouer et culbuter au plus tôt l'ouvrage monstrueux (la Constitution) qu'il faut adopter.» Et, le 28 septembre, elle précise encore à Fersen: «En tout état de cause, il fallait avoir l'air de se réunir de bonne foi au peuple, en ayant l'air d'adopter franchement les idées nouvelles. C'était le moyen le plus sûr de les déjouer promptement.» Le 25 novembre 1791, toujours à l'ambassadeur d'Autriche à Bruxelles, elle confie: «Que mon frère se persuade qu'il faut, à quelque prix que ce soit, gagner ici la confiance de la majorité, mais que nous ne voulons ni ne pouvons (elle et le roi) tenir à une Constitution qui fait le malheur et la perte du royaume (...). Il faut donc que les puissances viennent à notre secours.» A Fersen enfin, le 7 décembre 1791, elle écrit: «Quel bonheur si je puis un jour redevenir assez libre pour prouver à tous ces gueux que je n'étais pas dupe.» Rappelons que la Constitution abhorrée, totalement monarchiste mais également parlementaire, annonce celle qui sera adoptée en 1830 sous Louis Philippe (la Charte).
Pendant ce temps, l'immigration se déchaîne, s'arme, menace. Elle se sent encouragée par la déclaration - secrète - signée à Pillnitz par l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, qui invite tous les souverains d'Europe à «agir d'urgence au cas où ils seraient prêts... afin de mettre le roi de France en état d'affermir les bases d'une monarchie convenable aux droits des souverains».
Cette coalition hostile, qui deviendra une coalition armée, a-t-elle été voulue et demandée par Louis XVI lui-même sur pression de Marie-Antoinette? On est en droit de le penser. Le 8 juillet 1791, en effet, la reine a affirmé par lettre à Fersen que le roi désirait que la bonne volonté des puissances amies «se manifes(tât) par une manière de congrès où l'on (eût employé) la voie des négociations, bien entendu qu'il y (eût) une force imposante pour les soutenir».
Dans une autre lettre inspirée par son épouse qu'il envoie à Breteuil, Louis XVI met les points sur les i. Après avoir répété que la Constitution à ses yeux est «absurde et détestable», il ajoute: «Dans une dernière instruction, je vous ai expliqué bien des raisons pour lesquelles les puissances pourraient se mêler de nos affaires; en voilà une bien forte et bien palpable à ajouter. Au lieu de guerre civile, cela deviendrait une guerre politique et les chances seraient bien meilleures.» Et il ajoute, ce qui est terrible: «L'état physique et moral de la France fait qu'il soit (sic) impossible de soutenir la guerre une demi-campagne; mais il faut que j'aie l'air de m'y livrer franchement (à la guerre). C'est ma conduite qui doit écarter tous les soupçons et surtout de rien laisser pénétrer de mes relations avec les étrangers.»
Marie-Antoinette pousse dans ce sens: «La guerre une fois allumée, écrit-elle en jubilant, le roi se flatte qu'un grand parti se ralliera autour de lui. Il croit pouvoir compter solidement sur sa garde actuelle, sur deux tiers de la garde nationale de Paris, sur toute sa cavalerie et sur les Suisses. Dans Paris, Sa Majesté espère que les sept huitièmes de la bourgeoisie se déclarera (sic) pour elle et qu'il n'y aura essentiellement que la canaille des faubourgs (...) habités presque entièrement par des fabricants et des ouvriers qui suivra l'impulsion des Jacobins.»
Il est donc peu contestable que le couple royal pousse à un conflit et espère une défaite dont il attend le salut. Fersen n'écrit-il pas, le 21 mars 1792, à l'un de ses correspondants: «Jusqu'à présent les coquins ne se doutent pas des projets du roi, ni de ses liaisons extérieures. Ils croient qu'il n'a d'autres ressources qu'eux, que la nécessité fait qu'il est de bonne foi.»
La guerre est donc déclarée. Le roi en annonce lui-même d'une voix froide la nouvelle à l'Assemblée. «Les imbéciles! s'est exclamée la reine dans une lettre du 9 décembre 1791 à Fersen. Ils ne voient qu'ils nous servent, car enfin il faudra bien, si nous commençons, que toutes les puissances s'en mêlent. Mais il faut que ces puissances soient bien convaincues que nous ne faisons ici qu'exécuter la volonté des autres et que, dans ce cas, la meilleure manière de nous servir est de bien nous tomber sur le corps.» Et, lorsqu'il est question d'une négociation possible, Marie-Antoinette s'écrie - lettre à Fersen du 19 avril 1792: «Dieu veuille que cela ne soit point et qu'enfin on se venge de tous les outrages qu'on reçoit dans ce pays-ci.»
Encore faut-il vraiment la perdre, cette guerre. Pour favoriser cet heureux dénouement, la reine fait parvenir systématiquement à l'empereur d'Autriche les plans de campagne et les mouvements de l'armée française. Après avoir détaillé les dispositifs d'attaque de Dumouriez et de La Fayette, elle précise - dans une lettre à Mercy du 26 mars 1792: «Voilà le résultat du Conseil d'hier. Il est bon de connaître le projet pour se tenir sur ses gardes et prendre toutes les mesures convenables.» A Fersen, le 30 mars: «Le plan est d'attaquer la Savoie et le pays de Liège. Turin (où se trouve le comte d'Artois) est averti par moi depuis trois semaines. Il est essentiel de prendre des précautions du côté de Liège.» Il y eut des dizaines de missives du même genre, la plupart chiffrées et écrites à l'encre sympathique. Ainsi, tout en affichant un respect scrupuleux de la Constitution, on attendait l'arrivée «libératrice» des troupes austro-prussiennes. Tant pis si la Prusse et l'Autriche en espéraient toujours des dédommagements territoriaux. «L'empereur, écrit Fersen à la reine le 21 juin 1791, a le projet d'un démembrement (de la France).» Il est question, prévient-il, de remettre l'Alsace à l'Empire, la Lorraine au duché du Luxembourg, la Flandre française aux Pays-Bas autrichiens, etc.
Mais, de nouveau, les monarchistes constitutionnels et les modérés - en l'occurrence La Fayette - proposent à la famille royale leur aide. La reine explique, alors, à Fersen qu'elle envisage le «parti constitutionnel» (les monarchistes réformateurs) comme « aussi mauvais que les Jacobins»; mais sa position l'«oblige à les ménager et avoir l'air de marcher avec eux, pour maintenir entre les deux partis une désunion qui peut être d'un très grand avantage au moment de l'entrée des puissances en France».
De fait, tout va le mieux du monde puisque les défaites succèdent aux défaites, que les troupes se débandent, que les généraux trahissent. La reine, qui a entre les mains l'itinéraire des troupes alliées, déclare un soir de clair de lune à sa femme de chambre, Mme Campan, que, dans un mois, «elle ne verra pas cette lune sans être dégagée de ses chaînes». On n'a donc plus besoin de conseils «intéressés», de soutiens suspects, puisque la délivrance n'est plus qu'une question de semaines. La Fayette est-il prêt à faire un coup d'Etat pour consolider la monarchie constitutionnelle? On prévient l'extrême gauche de son projet. Ce qu'on veut ? L'arrivée des armées étrangères et, comme l'explique Mallet du Pan, à qui on a confié cette tâche, la publication d'un manifeste «qui décourage les factieux en les menaçant de représailles, mais assorti de paroles de confiance pour le reste de la nation et de l'assurance qu'on ne s'armait que pour le seul rétablissement de la monarchie».
Or, la reine fait rédiger à la demande de Fersen, par un émigré français, le marquis de Limon, un autre manifeste qui sera rendu public par le général Brunswick, commandant en chef des troupes austro-prussiennes. Le manifeste en question, publié le 28 juillet, est épouvantable. Il promet Paris «à une exécution militaire et à une subversion totale et les révoltés au supplice si les Parisiens ne se soumettent pas immédiatement et sans condition à leur roi». Dès lors, le sort en est jeté. Loin de terroriser le peuple, ces menaces ahurissantes le soulèvent. Et le 10 août 1792, douze jours plus tard, les Tuileries sont envahies et la monarchie est renversée.
Les Girault de Coursac, consacrent une énergie inouïe, appuyée sur une érudition impressionnante, à prouver l'innocence de Louis XVI. Leur thèse: se serait constitué autour de Marie-Antoinette, avec le marquis de Bouille, Fersen, Breteuil, Mercy et la complicité de certains émigrés, un groupe d'extrême droite authentiquement contre-révolutionnaire et diabolique qui visait rien de moins qu'à éliminer Louis XVI, trop modéré et trop probe, afin de provoquer une régence. Ce groupe souhaitait une invasion étrangère susceptible de rétablir la monarchie absolue et de favoriser ses propres projets, qui s'exprima faussement au nom du roi, et rédigea même, en son nom, de fausses lettres et blancs-seings.
Elle écrit à Mercy: «Il est plus que temps que les puissances parlent fortement. Tout est perdu si on n'arrête pas les factieux par la crainte d'une punition prochaine. Il serait nécessaire qu'un manifeste rendît l'Assemblée nationale responsable du sort du roi.» C'est encore Marie-Antoinette qui refuse l'aide de La Fayette parce qu'il est «constitutionnel». «Mieux vaut périr que d'être sauvé par ces gens-là», s'exclame-t-elle.
la reine - grande lectrice du quotidien d'extrême droite les Actes des Apôtres qui en appelait à une«Saint-Barthélémy des patriotes» - ainsi que son entourage qui poussèrent à un affrontement dont ils étaient convaincus qu'il permettrait d'écraser la canaille, alors même que les troupes de Brunswick marchaient sur Paris.
Selon Lameth, il était question, à la veille de la journée du 10 août, d'arrêter Robespierre et Marat, mais la reine les fit prévenir. Conclusion de Marie-Antoinette quand tout sera consommé: «Bah, ce sont six mauvaises semaines à passer. Le duc de Brunswick n'en sera pas moins en France le 23.» Le duc, en l'occurrence, fut battu à Valmy.>>
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon