BRH a écrit :En quoi la mobilisation de 1939 est-elle plus lourde que celle de 1914 ? Certes, l'armée permanente est moins nombreuse, du fait d'un service de deux ans au lieu de trois. Et il faut réquisitionner du matériel roulant plutôt que des chevaux. Mais l'armée française d'alors demeure encore très "hippomobile"...
C'est une erreur fréquente de penser qu'elles sont similaires.
En fait, pour schématiser...
I. En 1914 : service de trois ans (depuis 1913).
Cela nous permet d'avoir dès le temps de paix 41 DI et 10 DC. La mobilisation est un processus lourd à mettre en oeuvre, mais extrêmement simple dans sa procédure : tous les corps d'active dérivent un corps de réserve avec lequel ils entretiennent des liens étroits, puisqu'ils ont été chargés de son instruction, de son équipement et de sa mise en condition opérationnelle.
II. En 1939 : service de deux ans (depuis 1935).
Depuis 1928, l'armée du temps de paix comprend 20 DI métropolitaines, des "forces mobiles" venues de nos colonies (8 DI en 1939) et 5 DC (à partir de 1937, nous avons 3 DC et 2 DLM). Soit 33 grandes unités (déficit de 18 divisions par rapport à 1914).
La mobilisation est devenue un casse-tête logistique et organisationnel depuis qu'en 1928 nous avons décidé de séparer les corps d'active et les corps de réserve (ainsi, plus de dérivation des corps de réserve par les corps d'active), la tâche de regrouper, équiper et mettre sur pied les corps de réserve étant confiée à des structures non-opérationnelles : les centres mobilisateurs. On a donc deux processus de mobilisation juxtaposés : celui de l'active et celui de la réserve, là où il n'y en avait qu'un en 1914. La cohésion est évidemment moins bonne dans les corps de réserve de 1939 que dans ceux de 1914, et l'absence d'amarrage actif rend problématique la montée au front dans des délais brefs.
Pourquoi une telle complication me direz-vous ? Eh bien parce que depuis 1928, la priorité absolue du commandement est la couverture. Les corps actifs sont ainsi dégagés de la tâche de mise sur pied de leurs dérivés de réserve pour se concentrer uniquement sur celle de couvrir le processus de mobilisation. On a donc un mouvement, le plus rapide, vers les frontières du nord-est, concernant les divisions de couverture (en gros, l'active et les frontaliers) ; et un autre, bien plus long (jusqu'à 20 jours), qui concerne les réservistes et se fait à l'abri du premier.
Compliqué, non ?
N'oubliez pas non plus la simple arithmétique : en 1914, nous avions 51 divisions déjà sur pied en temps de paix qui mobilisent en même temps et à la même vitesse, plus une trentaine de divisions de réserve ou de territoriaux qui venaient en appui ultérieurement ; en 1939, nous avons 33 divisions (je ne rentre pas dans les détails sur les différences pourtant réelles qui existent entre celles-ci) qui mobilisent en premier (un déficit de 18 divisions par rapport à 1914 donc) et une "seconde vague" d'une cinquantaine de divisions de série A et B de formation, qui constituent le gros de l'armée mobilisée et non un appoint (au contraire de 1914).
Je peux rentrer bien plus dans les détails si ça vous intéresse. L'important pour le sujet présent, c'est de garder à l'esprit que la mobilisation de 1939 est un processus long, complexe et périlleux. Le séquençage est primordial entre les nécessités de la couverture et celles de la concentration. L'objectif majeur ne peut être autre que celui-ci jusqu'au 22 septembre 1939 (20e jour de la mobilisation, fin officielle de celle-ci) : concentrer les réserves qui constituent le gros de nos forces à l'abri de la ligne fortifiée frontalière et des forces de couverture, celles-ci ayant dans l'immédiat un rôle jugé décisif mais secondaire sur le long terme.
BRH a écrit :Il me semble que, sans connaître le plan allemand, Gamelin s'attendait à une rapide offensive allemande contre la Pologne. Il n'avait pas prévu qu'elle serait si courte, mais il n'envisageait pas une offensive à l'ouest avant l'élimination de la Pologne.
Certes. Mais cette rapide offensive contre la Pologne, si les Allemands la réalisent avec mettons 30 divisions (c'est-à-dire en jouant égal à égal quantitativement avec les Polonais) ou même 45 divisions (avec un avantage numérique sensible donc), cela laisse entre 75 et 60 divisions face à l'ouest. Il suffit qu'il y en ait une douzaine dans ce lot qui soit d'un très bon niveau (ce qui est le cas des grandes unités d'active, au nombre d'une cinquantaine, et d'une partie des réserves de la 2. Welle, qui constituent 16 DI) pour inquiéter les opérations de couverture. Suffisamment pour que le commandement français ne veuille pas prendre de risque concernant le bon déroulement de la mobilisation, qui est - je pense avoir suffisamment insisté là-dessus au début de ce message - la partie décisive de ce début de guerre. Rater l'offensive en Sarre, ça ne nous grève aucun avantage, ça ne nous gêne pas, ça ne nous coûte que les soldats qu'on y perdra ; rater la mobilisation, c'est compromettre tout le déroulement ultérieur de la guerre.
Pour résumer : ok, le commandement pensait bien que les Allemands attaqueraient prioritairement la Pologne. Mais je pense qu'il craignait que le Reich ne puisse lancer une offensive secondaire à l'ouest pour couvrir justement son action en Pologne. D'où la nécessité de la couverture française, destinée à empêcher toute perturbation de la mobilisation par ce type même d'initiative.
Un petit rappel également : les Allemands laissent à l'ouest 42 DI renforcées. Le commandement français a dû penser à une fourchette de 30 à 50 divisions face à lui. La couverture, c'est 19 DI et cinq DC, plus les troupes de forteresse. Bref, si on fait les comptes, le commandement français savait qu'il serait dans un premier temps en infériorité numérique, même avec un effort majeur des Allemands en Pologne.
BRH a écrit :Sans vouloir revenir sur les 42 divisions que vous nous rappelez, 10 étaient très médiocres (en-dessous de nos DI de série B), et 10 de qualité moyenne (DI de série A, au mieux et plutôt entre celles-ci et les séries B). Je sais bien que feu le colonel Goutard n'a plus aucune influence au SHD et depuis près de 40 ans, mais quand même...

Même si effectivement la moitié des grandes unités allemandes à l'ouest le 2 septembre 1939 sont de piètre qualité, ça en laisse une moitié de qualité correcte voire bonne. Soit une bonne vingtaine de divisions qui peuvent inquiéter nos 24 divisions de couverture renforcées par les troupes de forteresse, dans l'esprit de nos chefs, sachant que ce sont les Allemands qui ont l'initiative et qui choisissent l'endroit de leur offensive.
Nous nous sommes tellement focalisés sur la couverture que nous avons tout fait pour parer une telle offensive sans prendre de risque. Mais cette offensive n'a jamais eu lieu, voilà tout.
BRH a écrit :Frieser n'a-t-il pas écrit quelque chose sur la médiocrité des troupes derrière le Westwall ?
Il a plutôt écrit quelque chose sur les différences entre active, première réserve et deuxième réserve (l'image de la "lance" avec une pointe en fer très solide et une hampe en bois de plus en plus vermoulue). Mais Frieser joue une partition criticable dans ses premiers chapitres, où le message politique (en gros : nous, militaires allemands, n'avons rien à nous reprocher : le Blitzkrieg, on connaissait pas, la preuve, nous n'avions aucun moyen de la mener, nos divisions étaient mauvaises. C'est Hitler qui a tout manipulé !) prime sur la réalité historique (ce qui n'enlève rien à la qualité de son ouvrage sur les combats des Ardennes). Dans les faits, si les troupes de couverture allemandes derrière le Westwall sont très hétérogène, il y a une minorité pas ridicule de divisions de niveau correct à bon (un tiers en gros), et une majorité loin d'être écrasante de divisions de piètre qualité (les deux autres tiers). Suffisamment pour assurer une défense élastique (propos du Westwall) en attendant le retour des grandes unités de Pologne.
BRH a écrit :D'une certaine audace, je n'en disconviens pas. Mais on sait aujourd'hui que les créneaux et les accès des bunkers allemands auraient été très vulnérables au tir de plein fouet de nos 75... Des expériences étaient d'ailleurs en cours au camp de la Courtine. Avec des répliques des fameux bunkers. Mais il a été dit depuis que lesdites répliques étaient presque plus solides que les meilleurs bunkers allemands. Peut-être retrouverez-vous les notices à ce sujet au SHD. ça fait partie de la liste des documents que je dois chercher si j'y retourne un jour...
Tout est dit dans le "on sait aujourd'hui". Le problème, c'est qu'à l'époque, nous n'étions sûrs de rien. Juste que c'était l'inconnu de l'autre côté de la frontière, et qu'il valait mieux affronter l'inconnu avec la totalité de nos forces et nos alliés britanniques (c'est-à-dire après la fin de la mobilisation).
BRH a écrit :D'ailleurs, les bunkers de 1ère ligne ne comptaient pas d'autre artillerie que des canons AC de 37. Je me trompe ?
Je dois avouer ma méconnaissance là-dessus. Je suis certain que certaines casemates étaient aménagées pour du 75. Mais de tout manière, la défense élastique rendait ces blockhaus secondaire. L'important, c'était les possibilités d'arrêt, de rocade, de bouchon. Gagner du temps, c'est le but du Westwall : les Allemands étaient tout à fait prêts à échanger de l'espace contre du temps. D'où mes questions répétées sur notre intérêt - pour moi difficile à comprendre - à nous emparer de la Sarre. And so what ?
BRH a écrit :A priori, la ligne Maginot était là pour obvier cet inconvénient. Cela dit, quelle était la proportion exacte de mobilisation en Allemagne le 26 août ? 30, 40 % ? Cette forte proportion ne venait-elle pas aussi du nouveau service militaire obligatoire de 3 ans (voire 4, j'ai un trou) ?
Justement. Jamais, si ce n'est dans les derniers jours de la campagne de France, après le 13 juin 1940 (de mémoire), le commandement français n'a envisagé la défense de la ligne fortifiée frontalière comme une action autonome. Toute défense ferme sur la position de résistance se faisait par des "troupes d'intervalle" soutenues par le feu des forts de la ligne. Je vous le disais, c'est kafkaïen. Mais c'est ainsi qu'on réfléchissait alors.
Dans ce contexte, les troupes de couverture devaient étayer la position frontalière. C'est seulement avec l'arrivée des premières divisions à mobilisation plus lente (divisions d'active non renforcées ou divisions de série A de formation) que l'on met en place un "lot variantable" utilisable à des fins offensives. L'offensive "Sarre" par exemple. Mais le 8 septembre 1939 me paraît être, compte tenu des blocages psychologiques qui existent alors dans l'état-major français, une date presque précoce !
Au 26 août 1939, en Allemagne, les formations d'active réalisent leurs TEG ; les divisions de 2. Welle (première réserve) se concentrent à rythme accéléré. Les divisions de 3. Welle sont en cours de concentration à plus longue échéance (de l'ordre de deux jours de plus).
BRH a écrit :La mobilisation s'est à peu près convenablement déroulée, sans incidents majeurs, malgré le peu d'enthousiasme. Il est patent que nous sommes entrés en guerre sans but bien défini, juste pour "soulager" la Pologne. Et jusqu'au 3 septembre (et même après), Daladier a espéré une médiation de Mussolini. Avec un tel état d'esprit, on ne pouvait guère envisager une offensive majeure, effectivement.
Le "plan", c'était de reconnaître l'annexion de Dantzig et du corridor. Tout en laissant Gdynia à la Pologne. Mais Hitler n'en était plus là...
Effectivement. Quand on a dit ça, on a tout dit. Notre commandement n'était, depuis le début des années trente, pas préparé à mener une action offensive qui mettrait en péril l'alpha et l'omega de ses préparations depuis dix ans : la mobilisation. Notre armée, en conséquence, n'avait absolument pas ni le format, ni la doctrine, d'une force offensive. Sa mission avait été définie depuis 1928 comme la défense du processus de mobilisation contre toute offensive brusquée. Le reste, on verrait plus tard.
Loïc Bonal