par BRH » Mardi 06 Avril 2021 17:18:44
Le blocus continental :
Cette mesure consistait à interdire toute importation de marchandise anglaise sur le continent. La ruine totale du commerce extérieur d'Albion devait donc en découler. Encore fallait-il contrôler toutes les côtes de l'Europe. A court terme, Napoléon avait peu d'espoir de réussir. Mais, à moyen-terme, la possibilité d'une crise majeure économique et financière à Londres pouvait inciter l'Angleterre à négocier. En 1807, Albion se retrouvait sans allié sur le continent, hormis la Suède et le Portugal. De plus, la flotte russe pouvait apporter une certaine assistance, forte qu'elle était d'une quarantaine de vaisseaux et de cinquante frégates. Dans ces conditions, Napoléon pensait que la paix serait inéluctable. Ne demandant plus rien sur le continent, il était même prêt à certaines concessions. Les deux empereurs offrirent donc la paix à Londres, qui refusa ou ne répondit même pas.
L'alliance russe était peut-être trop mirifique, mais fallait-il la négliger pour autant ? Est-ce donc une faute stratégique que de l'avoir scellée sur le radeau de Tilsitt ? En attendant, il fallait s'attaquer au Portugal, dernier état européen dans les mains de Londres. Là encore, il ne me semble pas que la conquête de Lisbonne ait été une piètre stratégie. Ce qui allait devenir problématique, c'était le guêpier espagnol. Le blocus nécessitait l'alliance de l'Espagne, mais une alliance solide et durable qui fît de son armée et de sa marine, un concours absolu et efficace. Or, précisément, l'Espagne s'enfonçait dans une crise de régime avec une dynastie chancelante où le père qui ne régnait plus que de jure, s'affrontait avec son héritier.
La tentation était grande d'intervenir dans les affaires espagnoles pour y imposer le parti le plus favorable à la France. Et là, surgit le pas de trop, l'entrée de nos troupes en Espagne, sous prétexte d'alliance et la décision de détrôner les Bourbons au profit d'un Bonaparte, en l'espèce Joseph, alors roi de Naples. Quels qu' aient été les bons motifs pour une telle entreprise, elle se révéla catastrophique ! Mais pouvait-on le prévoir à l'avance ? Sans-doute. Cette décision fut plus un coup de poker qu'une réflexion échiquéenne...
Le vin étant tiré, il fallait le boire, si amer qu'il fut. Il n'était plus possible de revenir au statut quo ante ! Pour des raisons de prestige, pour des questions de personnes, il était impossible de remettre l'éphémère Ferdinand VII sur le trône. L'imbroglio espagnol eût tourné à la farce. Le problème, c'est que la cour de Vienne en conçut une grande frayeur et décida de réarmer, sans même s'assurer d'alliances possibles et du concours de la cavalerie de Saint-Georges. A la vérité, si François 1er d'Autriche eut vraiment peur, son entourage le poussa à la guerre, alors même que le danger d'un agression française disparaissait avant même que d'être conçu. L'Autriche avait trop perdu pour se contenter de ce qui lui restait. S'illusionnant sur les difficultés de Napoléon en Espagne, peu convaincue de la réalité d'une alliance militaire réelle entre la France et la Russie, l'Autriche -retrouvant une vigueur qu'on ne lui connaissait plus- était décidée à jouer son destin sur les champs de bataille contre le premier soldat du monde à l'époque !
De cela, Napoléon était-il responsable ? Indirectement, certainement, par l'inextricable problème qu'il s'était créé en Espagne. L'alliance ruse pouvait et aurait du dissuader l'Autriche. Mais, depuis l'entrevue d'Erfurt, le Czar était décidé à ne plus jouer l'alliance franco-russe à fond. Avait-il seulement été sincère à Tilsitt ? Il semble que non. Et du moment où l'alliance ne lui apportait pas tout ce qu'il en avait conçu, notamment la possession de Constantinople, il était évident qu'il allait jouer petit bras, accordant le moins possible à la France, tout en récupérant tout ce qui était possible de conquérir, comme les provinces danubiennes ou la Finlande...
Sans attendre la guerre, était-il possible de changer de stratégie et d'offrir des gages à l'Autriche pour la ramener au système de Choiseul ? Un stratège avisé aurait-il pu l'oser ? C'est ce que préconisait Talleyrand, mais il était trop tard. Et quel gage offrir ? Le Tyrol ? Mais c'était mécontenter la Bavière, jusque-là fidèle et allié modèle. La Vénétie ? Mais c'était saborder le royaume d'Italie. La Vénétie n'était certes pas possible, ne serait-ce que pour le succès du blocus continental.
Le Tyrol restait le seul lot envisageable. L'Autriche s'en fut-elle contentée ? N'aurait-elle pas considéré cette offre comme une preuve de faiblesse ? Bien malin le stratège qui aurait passé outre ! Du moins, si l'Autriche faisait la folie d'attaquer, elle serait seule cette fois, sans l'aide de la Russie, ni de la Prusse, réduite à la portion congrue ! On a peine à imaginer, encore aujourd'hui, comment l'Autriche a pu se lancer seule dans le conflit, en défiant l'empire français triomphant et en ne jouant pas moins que son existence ! Et pourtant, c'est tout un pays qui s'est levé pour courir aux armes... Du moins, dans ses parties germaniques, car il n'apparaît pas que l'enthousiasme viennois se soit communiqué à Budapest.
Après un début de campagne foudroyant (Eckmühl, Ratisbonne), ce fut l'échec d'Essling, célébré dans toute l'Europe comme une grande victoire germanique et prélude de la levée en masse de toute l'Allemagne, dans le dos des Français. Mais rien ne vînt, et ce fut Wagram. La bataille fut dure, les combats âpres, mais enfin l'archiduc Charles n'eut pas le dessus sur l'échiquier danubien. L'armée autrichienne était battue, mais pas détruite. François 1er, réalisant enfin la vanité de son audace, proposa un armistice sans trop y croire lui-même... A sa grande surprise, il lui fut accordé. Là encore, notre tenant de l'art opératif pourrait s'écrier : "quelle piètre stratégie !" Car quoi, puisque nous étions vainqueurs, ne fallait-il pas suivre l'armée autrichienne jusque sous les murs de Prague ou de Budapest, voire jusqu'aux confins de la Transylvanie ? Et ainsi, en finir une bonne fois pour toute, avec cette monarchie habsbourgeoise, coeur battant de la réaction européenne ? Ou tout au moins, la fracasser en trois royaumes, celui d'Autriche, de Bohême et de Hongrie ? Oui, Napoléon y a songé et on peut soutenir que cela aurait été mérité. Des notables hongrois ont même été sondés, mais le projet n'a pas paru déclencher un enthousiasme débordant. La noblesse hongroise, dans son ensemble, à cette époque, paraissait encore tenir pour les Habsbourg...
Napoléon s'est contenté de rogner l'aigle à deux-têtes, en prenant la Carinthie et la Croatie, ainsi qu'une partie de la Galicie au profit des Polonais. Fixant en outre une indemnité de guerre à 600 millions de francs, avec l'interdiction d'entretenir une armée de plus de 150 000 hommes. L'Autriche devenait ainsi une puissance de second ordre et l'on pouvait croire que ce serait d'une manière définitive, cette fois-ci. C'est alors que le génial Metternich s'est révélé, poussant tout d'abord à la paix, puis proposant carrément à la France son alliance, en attendant de lui fournir une impératrice !
Mais comment Napoléon a-t-il pu croire à l'alliance autrichienne, comment a-t-il pu tomber, tête baissée, dans ce piège fleuri ? C'est qu'il ne se faisait plus aucune illusion sur l'amitié du Czar. Vainement, il a encore tenté d'aller en ce sens, en sollicitant la main d'une grande-duchesse, la plus jeune soeur de l'autocrate de toutes les Russies. Les deux empereurs ont joué à qui perd, gagne. Le Czar a promis de fléchir la volonté de l'impératrice-mère, hostile au projet, à condition que la demande soit officielle, mais dans des termes sibyllins. Napoléon, impatienté, s'est rejeté vers l'offre de la nouvelle Iphigenie autrichienne, la jeune Marie-Louise.
Piètre stratégie que voilà ! Renoncer à l'alliance russe pour celle de l'Autriche, alors que Napoléon venait de rabaisser, d'humilier la cour de Vienne ! N'était-ce pas déraisonnable, douteux, voire ridicule ? Nous pensons que Napoléon n'avait pas le choix et ne s'illusionnait pas sur la sincérité d'un Metternich. L'alliance russe avait été un mirage qui s'évaporait, du moins la Russie avait-elle été neutralisée depuis trois ans. Sans en avoir fait l'essai, l'empereur aurait-il pu empêcher Autriche et Russie de se coaliser contre lui en 1809 ? Du moins, cette perspective désolante était-elle écartée, pour quelques temps encore...
Car c'est toujours à cela que la diplomatie impériale s'est employée : éviter la grande coalition de la Prusse, de la Russie et de l'Autriche, ce qui aurait été mortel ! Est-ce donc un piètre stratège, celui qui a évité ce péril extrême, pendant dix ans ?
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon