Comme je l'ai écrit, l'une des erreurs majeures des cadres supérieurs français était de sous-estimer l'impact de l'aviation de bombardement allemande utilisée tactiquement. Les rapports des officiers observateurs français en Pologne ne laissaient aucun doute sur la rapidité potentielle de progression des unités motorisées allemandes et cet élément était donc bien connu du côté français. Mais avant de pouvoir lancer les Panzers plein ouest mais il leur fallait initialement passer la Meuse.
Pas seulement, car la rapidité des unités motorisées nazies n'a pas été prise en ligne de compte dans la traversée des Ardennes. Les Allemands -selon les calculs de Gamelin- ne devaient pas surgir sur la Meuse avant le 15 mai au matin, au pire...
Or, la Meuse est un obstacle de taille particulièrement favorable à la défense. Quelles que soient les forces allemandes éventuellement engagées pour former une tête de pont sur sa rive occidentale, il semblait évident que l'opération n'avait aucune chance de succès sans une puissante préparation d'artillerie, imposant le déploiement de nombreuses batteries et d'un important stock de munitions dont la mise en place nécessiterait environ une petite dizaine de jours. Cet avis était d'ailleurs partagé par bien des cadres supérieurs de l'armée et non des moindres.
C'est là, en effet, que devait jouer la prépondérance des stukas !!! Encore ce raisonnement n'est-il valable que pour la Meuse française, là où il y des fortifications. Car sur la Meuse belge, il n'y a pour ainsi dire rien ! Et les 1er blindés nazis parviennent sur la Meuse belge le 12 mai dans l'après-midi ! Nos troupes n'ont pas encore eu le temps de s'installer correctement, l'artillerie n'est pas en place, etc.
Cette "évidence" ne pouvant échapper aux observateurs français, elle laissait donc largement le temps d'envoyer de puissantes réserves (qui existaient, malgré ce qu'on peut souvent lire) pour défendre le ou les secteurs menacés. Mais la préparation d'artillerie a été habilement remplacée par les Stukas, pouvant intervenir massivement et durant plusieurs jours dès l'arrivée des unités allemandes sur la rive orientale de la Meuse, leur permettant d'immédiatement s'élancer dans le franchissement de la coupure humide.
Cet aveuglement sur le rôle tactique des bombardiers en piqué est, en effet, une des autres composantes de l'aveuglement français sur la genèse de la blietzkrieg. Mais il ne justifie en aucun cas les fautes stratégiques résultant d'un front faible au centre, faiblesse voulue et parfaitement assumée au mépris de toute logique !!!
Or, si les pertes causées par les Stukas furent relativement faibles, l'impact psychologique et la désorganisation qu'ils engendrèrent furent considérables, a fortiori sur des unités de réservistes. La conséquence fut donc de priver les Français des délais nécessaires à l'envoi de réserves pour renforcer les secteurs menacés. Notons d'ailleurs que le haut-commandement réagit très vite lorsque la menace fut clairement identifiée mais les délais incompressibles de transport des unités de renfort ne permit pas de les déployer à temps. Cette situation a d'ailleurs été parfaitement analysée par von Manstein, préconisant de prendre le risque de progresser vers l'ouest le plus rapidement possible.
"Trop peu, trop tard", mais c'est la punition infligée de tous temps à l'intelligence des vaincus !
Malgré ce que l'on lit trop souvent, ce n'est donc pas la faiblesse des unités affectées à la défense du secteur qui fut la cause majeure de la réussite allemande puisqu'elles respectaient la doctrine préconisant environ une dizaine de km de front par division mais l'impossibilité de les renforcer à temps (voir schéma ci-dessous ou vous pouvez également noter la puissance de l'artillerie soutenant ce secteur du front).
Je m'étonne de lire une telle contre-vérité ! Sur la Meuse, les unités tenaient bien plus que 10 km de front ! Ainsi, la 55ème DI en tient-elle 20 km, la 18ème : 16 km ! C'est bien plus que les 10 km préconisés par la doctrine, ce qui prouve l'imbécilité de la stratégie gamelinesque, nonobstant les efforts louables de M. Denis pour en assumer la défense...
Comme je l'ai déjà écrit, ce n'est pas la percée d'un front qui est problématique car aucune ligne défensive est infranchissable, c'est l'impossibilité de la contenir en mettant en place une solide seconde ligne pour ensuite contre-attaquer et réduire la tête de pont constituée. Et c'est ce qui s'est produit.
La mise en place d'une seconde ligne de défense derrière la Meuse belge n'a jamais été prévue, ni même envisagée. C'est cependant la doctrine de notre GQG, en effet. Sans voir qu'une tête de pont sur un cours d'eau doit être réduite dans les plus brefs délais, sous peine de voir déferler les panzers. Et c'est cela qui s'est produit !
L'erreur majeure de Gamelin, mais aussi de bon nombres d'autres cadre de l'armée, fut donc de sous-estimer l'impact des bombardements en piqué, rendant le franchissement de la Meuse possible très rapidement et donc l'exploitation quasi-immédiate des forces mobiles allemandes ver l'ouest, privant l'armée française de la possibilité de reconstituer une ligne de front cohérente pour les arrêter, ce qui pouvait théoriquement être fait en fonction de l'ampleur des renforts envoyés sur place.
En partie, certes. Mais avant tout, d'avoir négligé (pour ne pas dire ignoré) le secteur des Ardennes ! Sans les stukas, Rommel serait sans-doute parvenu à ses fins (il n'en dispose d'ailleurs que dans la matinée du 13 mai). Et surtout, parce que les Allemands parviennent sur la Meuse, avec 2 ou 3 jours d'avance sur le planning bien réglé du généralissime nullissime !
L'autre erreur française était la faiblesse de la DCA mais celle-ci n'est pas imputable à Gamelin (voir les explications de cette situation amplement développées dans mon dernier ouvrage), car dans le cas contraire, les Stukas auraient probablement subit de lourdes pertes et leur efficacité aurait été bien moindre, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer.
Faiblesse incontestable. Mais Gamelin a expliqué qu'il fallait mettre le paquet sur les chasseurs et donc, faire moins pour la DCA, jugée non-prioritaire.
Jugée téméraire par de nombreux cadres de la Heer, cette rapide exploitation allemande s'est affranchie de l'attente des Divisions qui suivaient pour, en particulier, sécuriser solidement le flanc sud de l'attaque, et c'est cette rapidité d'exécution et le risque consenti qui fut l'une des clés de la victoire allemande.
Personne ne contredirait une telle banalité...
Le principal risque bien réel que cette exploitation rapide pouvait engendrer était de voir une contre-attaque française se développer à partir du sud en direction de Sedan, ce qui obligea Guderian, à son grand dam, à envoyer sa 10. Panzerdivision et l'IRGD pour prendre les hauteurs de Stonne jusqu'à ce que ces unités puissent être relevées par d'autres divisions allemandes. Notons d'ailleurs que le secteur Stonne - Tannay fut ensuite attribué à 3 divisions d'active allemandes (16., 24. et 26. Infanterie-Divisions) ce qui démontre l'importance capitale que ce secteur représentait toujours pour la Wehrmacht.
Certes, mais cela ne concernait plus Gamelin, puisque c'était à Georges de gérer le champ de bataille...
Lors du franchissement de la Meuse, le remplacement de l'artillerie par les Stukas fut une véritable et bien mauvaise surprise, même si les effets d'un bombardement étaient déjà connus à l'époque, mais l'expérience polonaise ne permettait pas de bien estimer cette éventualité car les défenseurs ne bénéficiait pas d'un obstacle majeur comme la Meuse. Le général Gamelin fut donc prit de court mais bien d'autres cadres supérieurs français le furent aussi.
Un tel aveuglement tactique est bien regrettable, l'expérience polonaise aurait dû ouvrir les yeux au GQG. Des avertissements d'officiers polonais ont été adressés à Gamelin, mais il n'en a eu cure...
si l'exploitation de la tête de pont allemande avait été contenue, la stratégie française aurait été justifiée. Elle aurait entrainé l'Allemagne dans une guerre de positions (et donc longue) et aurait permit aux Alliés de se renforcer considérablement (nouvelles unités provenant de leurs empires, fabrications en masse d'armements modernes, etc.)
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C'est le seul point sur lequel nous tombons d'accord, Denis et moi...
Donc, je reste septique quant aux différences qu'auraient engendré le remplacement du général Gamelin par un autre chef car cela n'aurait probablement pas changé grand chose aux effets de l'attaque allemande sur la Meuse en particulier en raison de la rapidité d'exécution de la manœuvre allemande. On peut débattre longtemps sur ce qu'aurait fait tel ou tel général français à la place de Gamelin mais c'est une démarche fort hypothétique dans laquelle je ne rentrerai pas.
Un autre chef (qui en fut un, comme disait de Gaulle) aurait aligné sur la Meuse une division pour 10 km de front et de préférence des divisions de bonne qualité, de série A, à tout le moins. Surtout, il leur aurait donné les moyens de tenir la Meuse Belge, dans les meilleures conditions, le plus tôt possible. Et cela aurait pu tout changer...
En revanche, je pense qu'il aurait été préférable de s'en tenir à la manœuvre Escaut, comme le préconisait le général Georges, plutôt que Dyle - Breda, déjà parce qu'elle impliquait moins de divisions françaises tout en permettant aux Belges de les aider à défendre leur réduit national. Elle aurait en outre permis d'augmenter les réserves françaises en troupes motorisées. Et ce point est entièrement à mettre au passif du Général Gamelin, probablement bien trop optimiste sur ses qualités de stratège, sur les capacités de l'armée française tout en sous-estimant celles de la Wehrmacht, capable de prendre de gros risques (bien réels) pour s'assurer d'une victoire
Sans-doute. Mais cette manoeuvre prudente ne convenait pas aux Belges et aux Anglais...
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon