Je ne crois pas qu'on puisse faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre avec un seul signe. Ca ne convaincra toujours pas les 'contre' qui ont leurs faisceaux d'arguments.
J'ai pensé à un exemple qui permettrait de peser le pour et le contre, évaluer ce qui est le plus probable, puis mettre de côté, car, de certitude on ne peut avoir pour le moment.
Prenons deux sous-dossiers de l'affaire Naundorff mais qu'on jugera du même point de vue: le plan 'psychiatrique' ou 'psychosocial'
Premier dossier (acquis selon les témoignages de l'époque sur sa manière de parler, sur ce qu'il a écrit dans ses souvenirs)
Naundorff ne parlait pas français, l'a appris tardivement, écrivait avec des fautes, avait un fort accent allemand etc (bien qu'il faille nuancer ce jugement, car on peut parier que Naundorff a fini par parler un français plus que correct pour un 'prussien'). Autre élément en sa défaveur: sa mémoire des évènements qui suivent son exfiltration est 'hasardeuse', comprend des contradictions, des trous etc.
Ces faits supportent essentiellement deux réponses.
Naundorff n'était pas Louis XVII mais un Prussien qui a improvisé (ou à qui l'on a demandé d'improviser) le rôle. Avec pour corollaire qu'il est espion et/ou escroc et/imposteur.
Naundorff est Louis XVII, il a 'oublié' sa langue natale, qu'enfant il maîtrisait au plus haut point, et 'oublié' ce qui lui est arrivé à sa sortie du Temple.
La seconde proposition est ici, la plus improbable.Comment peut on oublier à ce point sa langue et des évènements aussi précis qu'il a dû vivre?
Pour que cela arrive, il n'existe qu'une explication possible: 'psychiatrique'. Traumatisé dans son enfance dans un pays et par des gens parlant la langue de son père, il fait un 'trou noir', et apprend la langue du pays de sa mère. De même, il fait un 'black out' sur toute son enfance post-Temple, mais pas sur son enfance heureuse (épisode de l'habit bleu). Cette explication est plausible, et cela arrive bien souvent en psychiatrie. Des enfants profondément traumatisés dans leur enfance, peuvent grandir, effacer le trauma, revoir leur tortionnaire sans vraiment se rappeler, sauf par l'intermédiaire de symptômes physiques inexpliqués (épilepsie, asthme) en présence du tortionnaire en question, mais parfois rien!
On résume pour ce premier point:on a d'un côté, la possibilité la plus plausible, Naundorff n'était pas Louis XVII, car il ne parlait pas naturellement le français et ne se rappelait pas de ce qui lui était arrivé, et de l'autre côté, une proposition juste plausible: sa mémoire était devenue sélective, faisant qu'il avait oublié le français et les évènements qui suivent son exfiltration.
Un point, donc pour la thèse antinaundorffiste. Non pas une certitude, mais une plus grande plausibilité.
Second dossier (interprétatif, mais fondé sur les incertitudes à propos de sa naissance et de son identité d'adulte, son séjour en prison pour faux monnayage, les divers éléments indiquant qu'il a été un soudard ou un bagnard à Toulon, etc)
Naundorff était un imposteur, un escroc ou un espion. Je crois d'abord, par respect pour les escrocs, les imposteurs et les espions, qu'il ne faut pas mélanger ces trois personnages!! Les espions ne sont pas, loin de là, tous des escrocs ou des imposteurs, les imposteurs, au sens psychiatrique, sont souvent de bonne foi, les escrocs ne sont pas des espions, ni des imposteurs etc. Cela fait partie des 'bordées d'injures' qu'on exprime à propos de cette affaire et qui n'ont rien à y faire...
Cette triple possibilité est tout à fait plausible, si on la traite en trois volets différents: Naundorff était un imposteur qui s'est inventé cette histoire d'ascendance royale pour éviter la prison, s'en sortir, avoir une audience etc. Ou encore, Naundorff était un escroc qui a vu dans le jeu d'identification à Louis XVII une rente sur le long terme, une offre dans un marché en grande demande. Finalement, Naundorff était un espion à la solde, forcément, des Prusses, qui l'ont formé, comme James Bond, à adopter le personnage de Louis XVII, en préparation à une mission x, y, z (comme ce qui a été dit, un pion mis en place par la Prusse pour occuper le trône de France, bref, un allemand en charge du royaume! ce qui aurait évité la grande guerre!).
Chacune de ces sous-propositions mérite une attention particulière pour évaluer sa plausibilité. Naundorff, imposteur? Naundorff, escroc? Naundorff, espion? Notons d'abord, que Naundorff possède un métier qu'il maîtrise parfaitement, ce qui ne cadre pas bien avec les adjectifs précédents. De plus, il faudrait des éléments ultérieurs pour étayer chacune de ces trois possibilités. Des contacts secrets, avec les services de police prussiens par exemple pour la case espion?. Un financement de sa mission, et on ne l'aurait jamais vu en manque d'argent, mais menant bon train, grâce à des fonds secrets. Ce n'est pas le cas. On sait qu'à plusieurs moments, il 'crève la dalle'! La police prussienne aurait été un bien mauvais employeur pour lui. Quant à l'escroc, il faudrait la réputation qui va avec: détournement de fonds,'utilisation de fonds pour des fins différentes que la cause qu'il combat (jeu, prostituées, train de vie etc.) ce qui n'est pas le cas non plus. Quant à imposteur, la chose est difficile à juger car, traditionnellement, les vrais imposteurs changent de personnage, au fur et à mesure de leurs besoins et de leur envie de montrer leur capacités. Car il faut attribuer à Naundorff une qualité d'imposteur au plus haut niveau. Il aurait été excellent!! Cette possibilité peut être revue, comme pour la langue ci dessus, à la lumière de la psychiatrie: Naundorff, à force de jouer le rôle au début, et donc un imposteur conscient, s'est vraiment pris pour Louis XVII, et en a convaincu sa famille, devenant un 'imposteur inconscient'. La psychiatrie décrit des cas de ce type, et c'est donc plausible. Mais la psychiatrie rappelle sans cesse la fragilité des personnages que se construisent les 'imposteurs'. Il se produit forcément des 'fissures' à certains moments, laissant paraître le personnage originel. Mais, bon, admettons que Naundorff était un 'imposteur hors normes'.
Toutes ces possibilités sont rendues faibles par le fait que personne ne se souvient de lui, en Prusse, en particulier, que ce soit comme voisin, ami ou comme détenu, comme un escroc ou un imposteur. Il est très difficile d'imaginer qu'un escroc travaille durement et de manière excellente, ne commette jamais de faute vis à vis de son entourage, s'occupe de ses enfants, ne joue pas ce qu'il gagne etc... On trouve un texte dans la littérature antinaundorffiste de l'époque, d'un certain 'Thomas' (je ne me souviens plus exactement) qui se plaint de Naundorff comme étant un escroc, qui a pris tout son argent à son fils (à propos d'un journal prévu à la publication) etc. Il y a donc bien une plainte à ce propos, mais d'après ce que j'ai compris, il existe une réponse naundorffiste à cette histoire..
Dans cette deuxième question, on a donc à nouveau un fait plausible, Naundorff était un imposteur/escroc/espion, mais étayé par rien, ou très peu, plus tard, ce qui rend la plausibilité faible, voire très faible.
L'autre possibilité reste intacte, celle qu'il fut Louis XVII, et son rapport à l'argent s'explique tout simplement par le fait que pour survivre, prendre des contacts, il doit demander des fonds aux uns et aux autres, il avait à assurer la survie de sa famille etc..
Dans cette deuxième boîte, Naundorff escroc/imposteur/espion, on est obligé de recourir à la psychiatrie/psychologie à nouveau. En effet, une chose saisissante avec Naundorff est la constance de son histoire. Il est actif en tant que Louis XVII pendant une trentaine d'années. Or, pendant toute la durée, il affirme sans jamais reculer qu'il est Louis XVII. Jusqu'à son lit de mort, comme en témoigne l'officier ou ministre hollandais qui assiste à ses derniers jours. Or là, cela ne cadre pas du tout avec ce qu'on sait du comportement humain, via la psychiatrie, la psychologie ou la criminologie, à moins d'avoir affaire à un cas uniquissime dans l'histoire de l'humanité.
En effet, comment est il possible d'envisager qu'un personnage comme Naundorff joue un double jeu (Louis XVII en dehors, escroc/imposteur/espion en dedans) sans jamais que la personnalité cachée n'affleure? On peut imaginer des dizaines de situation, de fragilité par exemple, où la cuirasse aurait montré ses défauts: une bonne beuverie, une maladie, une erreur de comportement, un lapsus écrit ou parlé, une confidence à l'un de ses enfants ou proches, bref, je ne sais combien de possibilités, qui font la plus grande probabilité. On a un comportement solide comme le roc d'un point de vue psychologique. D'un point de vue psychiatrique, c'est très très improbable, à moins, encore, d'avoir affaire à un fou hors du commun. C'est là que l'ensemble du dossier fait pencher plutôt pour une sincère identité avec Louis XVII, avec la très mince possibilité que ce fut une identité 'usurpée' au départ, mais sincèrement suivie toute son existence.
En d'autres termes, si l'on fait la balance du pour et du contre, sous le point de vue de la psychologie. Il y a plausibilité que Naundorff n'était pas Louis XVII (il ne parlait pas le français etc) , mais elle est faible au regard d'une bien plus forte plausibilité, qu'on scindera en deux 1)qu'il l'était,la plus simple ou 2) croyait l'être. Cette dernière étant, je le rappelle, problématique, car on ne voit pas comment on peut attraper un tel 'virus' de double personnalité sans que la première ne réapparaisse de temps en temps, surtout vis à vis de l'entourage très proche.
Là encore, il ne s'agit que de mettre des choses en balance. Jugé sous le même point de vue, dit 'psychologique/psychiatrique', il y a plus de chances que Naundorff fut Louis XVII qu'un escroc/imposteur/espion. Dans les autres 'boîtes' on peut ranger les recherches génétiques, les ressemblances physiques, et chacune, quelque part aboutit à un cinquante/cinquante qui penche plus d'un côté que de l'autre, selon le point de vue choisi! C'est flagrant, même dans le domaine de la génétique, un domaine pourtant très objectif, où du côté paternel (Bourbon), le dossier Naundorff tient (selon le Prof Lucotte, à propos du descendant actuel) et du côté maternel (Habsbourg), il ne tient pas.
C'est l'intérêt d'un calcul de probabilités de montrer qu'on ne peut avoir aucune certitude dans cette affaire pour le moment. Rien ne tranche à travers toutes les couches en faveur ou contre. Il n'y a que des 'probabilités singulières' selon le point de vue adopté.
Bref, pardon pour cette laborieuse démonstration. Je suis sûr que d'autres sauront aller plus vite droit au but...Mais il faut se conformer à cet exercice de scepticisme: le pour et le contre sont des parties aussi légitimes l'une que l'autre du Réel...