Le fil sur l'Italie se laisse fâcheusement détourner vers l'incidence de la campagne balkanique sur la réussite de Barbarossa ... mais pour une fois je ne vais pas protester ! Car ce détournement débouche sur le débat le plus fondamental, engagé par les fonctionnalistes dans les années 60 : y a-t-il ou non un pilote dans l'avion nazi ?
Un corollaire du "non" -bien antérieur à 1960 et présent, on voit à l'oeil nu pourquoi, dès les mémoires de Churchill- est la confusion entre la date de la directive "Barbarossa" (18 décembre) et celle de la décision adolfienne d'attaquer l'URSS au printemps 41 et de n'entreprendre aucune action d'envergure dans quelque autre azimut (juillet 1940).
Les présents duellistes, CNE et Elviktor, sont d'accord sur cette date de juillet. Leur désaccord porte sur le handicap qu'aurait ou non constitué le coup d'Etat anti-allemand de Belgrade (27 mars 1941) pour la réussite, avant l'hiver, de Barbarossa. CNE souligne la maigreur des forces envoyées par le' Reich pour mettre au pas la Yougoslavie. Elviktor réplique (je mets
en italiques les passages révolutionnaires par rapport à la vision qui dominait outrageusement jusque vers 1990,
en gras les vestiges encombrants de cette vision) :
Elviktor a écrit :
Sujet du message : Re: L'Italie et "Barbarossa"
Message Publié : 07 Avr 2015 23:54
S'il vous plaît de considérer, CNE_EMB, les épisodes balkaniques d'un regard plus géo-stratégique que strictement militaire et/ou factuel il ne peut manquer de vous apparaître que Marita (avril 41), Merkur (mai 41) et les opérations qui suivent en Afrique du Nord ne s'interprètent et se comprennent (car c'est ainsi qu'elles ont été planifiées et montées) que dans le contexte de la guerre à l'Est.
Depuis l'armistice conclu avec la France les dirigeants du Reich sont à la recherche d'un engagement militaire. La décision d'attaquer à l'Est sera prise le 31 juillet 1940, et à partir de ce moment et dans cette optique Hitler s'efforcera de résoudre les conflits politiques et militaires dans les Balkans par la voie diplomatique (afin de ne pas offrir à Staline de raison d'intervenir). Toutefois, la faiblesse des italiens en Méditerranée lui laisse craindre une intervention des anglais dans les Balkans, puis, les premiers revers de l'armée italienne en Grèce renforçant cette possibilité, Hitler n'exclut pas, dès le 1er novembre 1940, de régler la question grecque par la force et à son profit. Le 12 novembre il publie la directive n° 18 dans lequel il demande à son état-major de faire des préparatifs en vue d'une occupation du nord de la Grèce via la Bulgarie. Cette décision de principe n'est en rien irrévocable car avant d'intervenir dans cette zone il se doit d'obtenir l'accord de Boris de Bulgarie sans que celui-ci passe dans la sphère d'influence soviétique et remette en cause ce faisant les plans pour Barbarossa. Boris ne signera le pacte tripartite que le 1er mars 41 (en échange de concessions territoriales sur la mer Egée) et c'est seulement avec l'assurance de la neutralité Turque suite au pacte de non-agression bulgaro-turc qu'Hitler s'attaquera à régler le problème yougoslave.
Le 13 décembre 1940 Hitler signe la directive n°20 (opération Marita) qui fixe de manière définitive les modalités d'invasion de la Grèce et laisse apparaitre clairement cette opération comme un préalable indispensable à Barbarossa (dont il entérinera le principe le 18 décembre). Et c'est seulement à partir de cette date que l'état-major prépare minutieusement cette opération pour 24 divisions (comme exprimé dans la directive) et avec une date de déclenchement prévue pour mars et devant se finir au plus tard en mai (afin de respecter le calendrier de Barbarossa dont la priorité obsède Hitler).
Dans les semaines qui suivent la Yougoslavie va subir toutes sortes de pressions afin d'adhérer au pacte tripartite et ce sera finalement le 25 mars 41 que les yougoslaves signent à Vienne l'acte d'adhésion. Mais aussitôt le général Simovic renverse le gouvernement et signe un pacte de non-agression avec l'Union Soviétique.
La décision d'attaquer la Yougoslavie est prise le 27 mars 1941. Hitler donne à cette date l'ordre à l'OKH de combiner l'opération Marita avec l'invasion de la Yougoslavie et en un temps record l'état-major prépare un plan d'attaque en repositionnant des unités prévues pour la campagne orientale (dont le déploiement final avait été fixé antérieurement au plus tard pour la mi-mai) et en lançant le 6 avril: la 12.Armee (6 corps d'armée) et le Panzergruppe 1 (deux divisions blindées, une div. d'infanterie motorisée, une div. de montagne et une div. d'infanterie) au départ de la Bulgarie; la 2.Armee (4 corps d'armée) au départ de la Hongrie et de l'Autriche.
Tous les historiens sont d'accord pour reconnaitre que l'intervention allemande dans les Balkans, en obligeant l'OKH à retarder le lancement de l'opération Barbarossa a eu des répercussions cruciales sur la conduite de la guerre à l'Est, et l'échec de la whermacht à remporter la victoire en Russie en une campagne pouvant y trouver pour une grande part sa source.
Une remarque sur le ton tout d'abord : on donne au capitaine, présumé trop engoncé dans un regard militaire, des leçons de grande stratégie géopolitique.
Ce qui court tout au long du texte, c'est une impuissance à redresser suffisamment le volant, par rapport aux grands classiques, pour éviter la sortie de route. Tout en datant correctement de juillet la décision de Barbarossa, Elviktor s'ingénie à ne pas en constater le corollaire : les autres opérations sont toutes gouvernées par le double souci 1) de dissimuler les préparatifs afin que Staline prenne conscience le plus tard possible de ce qui se prépare et 2) d'obtenir que, même alors, il doute jusqu'au bout que l'orage se déchaîne sur lui quoi qu'il arrive.
Si CNE s'obnubile trop sur le déploiement des troupes (mais ce défaut est plus évident à d'autres propos), Elviktor, lui, accorde beaucoup trop d'autonomie aux roitelets que Hitler doit enrôler (y compris Mussolini et les dirigeants turcs), dans des attitudes actives ou passives, pour parvenir à son but -une attaque écrasante et surprenante, dans un seul azimut mais sur un front très large, peu après la mi-juin 41.
Ce qui montre la patte de Hitler, c'est qu'à force d'initiatives qui tiennent le monde en haleine (y compris Montoire, Hendaye et tous les simulacres de "Félix", absents de l'analyse) il cornaque tous les dirigeants méditerranéens et balkaniques et leur fait prendre des décisions qui l'arrangent. Y compris les yougoslaves, pressés un peu rudement de signer le pacte tripartite et exposés, si soudain ils renâclent, à une promenade militaire contre laquelle ils n'ont dressé aucun barrage.