L'énigme du "Haltbefehl"...

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Mardi 09 Juillet 2013 20:01:43

Je relève une contradiction : la mission des blindés aurait été d'atteindre la Manche, après quoi il convenait de les économiser. Pourquoi alors leur faire mettre le siège devant Boulogne, Calais et Gravelines, et menacer Dunkerque ?

A cela j'oppose que Hitler mêle constamment les opérations militaires et les préoccupations politiques : la vitesse des blindés, après Abbeville, est utilisée pour créer l'impression d'un étau qui se referme inexorablement, suggérant à la fois des idées de paix et d'embarquement. Du coup, l'arrêt ne saurait s'expliquer par des raisons militaires, qui à Dunkerque n'ont pas plus de raisons d'être qu'à Boulogne ou Calais.

D'autre part, s'il est faux que Rundstedt, et pas du tout prouvé que Göring, aient joué un rôle quelconque dans la décision, ils ont bien été mobilisés dans son habillage, et ce dès avant l'émission du Haltbefehl.
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Chef Chaudard » Mercredi 10 Juillet 2013 11:47:55

Si l'on en croit Frieser: depuis le début de la campagne de France, les chefs d'unités mobiles n'en font qu'à leur tête (ou, dit autrement, prennent des initiatives) en allant de l'avant au mépris des risques pour le dispositif. Jusqu'à l'arrivée à la mer, l'EM leur laisse la bride sur le cou, à la vue des résultats obtenus. Qu'ils en profitent encore un peu ensuite pour saisir quelques objectifs à leur portée est dans la continuité des choses.

C'est là qu'intervient la théorie de Frieser: les circonstances stratégiques (rappelées par Norodom) on changé et leurs initiatives tactiques ne sont plus "souhaitées" car ne rentrant plus dans le nouveau cadre. C'est Hitler qui le leur fait savoir en personne, rendant le message particulièrement clair par un "Fuhrerbefehl": dorénavant, toute attitude offensive, toute désobéissance devra duement être justifiée devant lui-même, sinon gros panpancucul. Il s'agit bel et bien de fixer des limites à ces généraux, d'une reprise en main par le chef en personne qui siffle la fin de la récré. Et Guderian qui regimbe ne s'y trompe pas.

Bref, si l'arrêt offensif des troupes mobiles est dans l'ordre militaire des choses, le fait que ce soit Hitler en personne et non pas l'EM qui le donne est plus étonnant. Mais cela peut venir des circonstances: Frieser a peut-être raison, ou Hitler se mêle-t-il des affaires de son EM simplement parce qu'il est présent, ou autres raisons diverses. Etonnantes, mais explicables également dans le même cadre, les raisons données publiquement à cet ordre.
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Mercredi 10 Juillet 2013 16:27:51

C'est un début d'épidémie ?

Pendant vingt ans, j'ai eu droit, de la part des rares courageux qui daignaient croiser le fer sur le Haltbefehl, à des tombereaux de sarcasmes, un rien apitoyés. J'étais complètement chtarbé de vouloir sortir des sentiers battus, avec mes pièces suédoises venues d'un puzzle évidemment autre.

Ulysse 57 sur le beige raconte depuis quelques mois que ma solution est géniale, mais compatible avec l'explication militaire obscure sauce nazie 1950 que pas deux auteurs ne formulaient pareillement mais à coup sûr exacte.

Mon défi reste identique et serein : attelez-vous vous-mêmes à la clarification de cette explication militaire, en la faisant coller avec la doc, en trouvant en particulier dans les heures précédentes le moindre militaire de carrière qui réclame une pause, et on pourra causer.
Francois Delpla
 
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par alain adam » Mercredi 10 Juillet 2013 21:00:26

Je vais être plus clair pour F.Delpla .
S'il y a 6 ans , je pensais pouvoir apporter des informations assez rapidement , en terme cartographique , j’étais encore loin du compte , vu ce que je possède aujourd'hui ( ces deux derniers années, j'ai du multiplier par 100 environ la quantité d'archives d'époque dont je dispose , au point que tous les trois mois , je suis quasi obligé d'investir dans un nouveau disque dur rien que pour ça )
S'il y a 6 ans j’étais convaincu que l’hypothèse militaire était la meilleure, aujourd'hui je ne peux qu'indiquer que c'est forcément une partie non négligeable de la réponse .
S'il y a 6 ans , cela me tenait a cœur , aujourd'hui , c'est le cadet de mes soucis en fait .

Ceci dit , dans mes lectures d'archives , je resterai attentif a un détail a éventuellement apporter a l’édifice , qu'il soit dans le sens d'une théorie ou d'une autre . Mais les résultats ne se commandent pas a l'avance ...

Alain
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Lundi 15 Juillet 2013 08:44:40

alain adam a écrit :**S'il y a 6 ans j’étais convaincu que l’hypothèse militaire était la meilleure, aujourd'hui je ne peux qu'indiquer que c'est forcément une partie non négligeable de la réponse .
*S'il y a 6 ans , cela me tenait a cœur , aujourd'hui , c'est le cadet de mes soucis en fait .



Je réponds dans le désordre :

*Voilà un hommage, certes tardif et indirect, à ma ténacité.

**Tu rejoins donc, après Ulysse 57 et Chef Chaudard, la cohorte des demi-ralliés à l'hypothèse diplomatique, en essayant de la croire compatible avec une explication militaire. A toi aussi je dis : encore un effort !

Costello et moi obligeons un nombre croissant de gens à considérer que Hitler dans l'aventure cherche avant tout un traité de paix, passant par la chute de Churchill ou au moins de sa ligne "belliciste". Cette recherche l'oblige à un pari délicat : la capture de l'armée de terre anglaise rapproche-t-elle l'objectif ou l'éloigne-t-elle ? Visiblement il opte pour la seconde hypothèse.

Nous avons même, par je ne sais quelle obscure voie, influencé Karl-Heinz Frieser, qui dans sa récente interview s'exprime pour la première fois sur le sujet : il veut à toute force et sans biscuit aucun que Hitler opte pour la première hypothèse... c'est-à-dire veuille capturer l'armée anglaise, donc empêcher son embarquement, et se trompe sur la méthode (il pense avoir suffisamment la situation en main pour régler en priorité un problème d'autorité) :

Hitler a déclaré plus tard qu’il avait intentionnellement laissé les Anglais s’échapper. Il n’aurait pu "se résoudre à anéantir une armée d’un aussi bon sang de race anglaise". Pourtant, pendant l’évacuation, il voulait avec des munitions sournoises faire un bain de sang parmi les Anglais. Du reste, aucun politicien allemand ne pouvait être assez fou pour laisser exprès s’échapper une armée anglaise qui dans une négociation constituait une aussi bonne monnaie d’échange.
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=615

Réfléchissez, Messieurs : puisque Hitler a pour objectif la paix, s'il interrompt l'avance c'est qu'il estime plutôt ennuyeux d'avoir sur les bras 250 000 prisonniers anglais. Mais comme il s'acharne, depuis 1933 et surtout 1938, à rendre son armée apolitique, et qu'en tout état de cause il ne pense qu'à un bref arrêt si l'Angleterre ne donne pas très vite des signes qu'elle envisage de mettre les pouces, il ne peut donner à ses généraux que des prétextes militaires à la mords-moi le noeud.

Allez-vous encore longtemps considérer ces prétextes comme des causes ?
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Chef Chaudard » Lundi 15 Juillet 2013 12:03:07

Je ne vais pas refaire les discussions entamées ici et ailleurs. Je vais donc tenter un résumé:

1- Sur un simple plan tactique, une fois la mer atteinte, l'offensive des unités motorisée n'a plus de raison d'être. Si Hitler ne les avait pas arrêtées, il eut fallut que quelqu'un d'autre le fisse :o)

2- les Panzer ont néanmoins continué sur leur erre en s'emparant de ports encore peu défendus, comme Calais, au grand dam des Britanniques qui comptaient sur 3 ports pour leur évacuation. La prise de ces ports est plus ou moins une initiative des troupes locales. Coté Allemand, Il n'y a semble-t-il aucun plan d'ensemble visant à couper les Britanniques de la mer, ni d'inquiétude quand à la possiblilité d'un rembarquement massif.

3- Le Haltbefehl empêche ainsi la prise du dernier port: Dunkerque. On en déduit que, si Hitler peut vouloir laisser une porte de sortie entrouverte au BEF pour appuyer ses offres de paix, personne ne songe sérieusement que les Anglais puissent s'échapper. La Wehrmacht va étrangler lentement le BEF encerclé (elle maintient d'ailleurs la pression au Nord).

Au final, raison militaire évidente il y a: avec l'arrivée à la mer, le rôle des Panzer est terminé. Une seule raison aurait justifié leur maintient en position offensive: la prise des ports, dont Dunkerque. Mais il aurait fallu pour cela une volonté précise de le faire, comme ce sera le cas quand le Haltbefehl sera levé. Hitler, au contraire, coupe court à toute velléité offensive.
La t'naille, quoi!
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Lundi 15 Juillet 2013 15:22:25

Chef Chaudard a écrit :(...)

1- Sur un simple plan tactique, une fois la mer atteinte, l'offensive des unités motorisée n'a plus de raison d'être. Si Hitler ne les avait pas arrêtées, il eut fallut que quelqu'un d'autre le fisse :o)


et le saint-esprit ?

c'est ici que le bât blesse : Hitler a dessiné et mis personnellement en oeuvre, guidant Rundstedt et s'imposant à Halder (qui, le 18 mai, voulait lui-même arrêter la moitié des Panzer à Saint-Quentin), le mouvement en "coup de faucille" (Sichelschnitt) que les pullulants antinazis primaires attribuent à Manstein (et que ce coucou, lui-même, accapare dans ses mémoires). Il comporte bel et bien un achèvement rapide de l'encerclement par les blindés, et à Dunkerque. On peut d'ailleurs se demander s'il n'aurait pas été meilleur, militairement parlant, de foncer vers cette ville en ligne droite depuis Abbeville sans suivre la côte, et si Hitler n'a pas, déjà, fait prendre à Guderian ce chemin des écoliers pour laisser au cabinet de Londres du temps pour mesurer son infortune et choisir la paix "généreuse".
Francois Delpla
 
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par norodom » Lundi 15 Juillet 2013 16:18:39

@ Chef Chaudard

Bonjour,

Votre résumé est très proche de la vérité et particulièrement en mettant l'accent sur la nécessité d'arrêter la progression des chars.
Il y a plusieurs raisons à cela, qui découlent non pas d'états d'âmes des uns et des autres (officiers responsables y compris le Führer) mais de la présence de circonstances nouvelles.

Sur l'Aa, au soir du 23 mai 1940, on n'était plus sur les vastes étendues traversées les jours précédents. Théâtres d'opérations sur lesquels se pratiquait une "guerre éclair" en combinaison des quatre éléments, artillerie, blindés, unités d'infanterie et avions.
L'approche de Dunkerque par les seuls chars, dont il faut rappeler qu'elle présentait des difficultés en raison d'un terrain peu propice à leur progression, présentait en outre d'énormes risques.
Imaginons un instant, les chars arrivant à découvert sur la plage de Dunkerque, à portée de canons des unités de la Navy stationnées en haute mer et privés du soutien de l'aviation dont on comprend bien qu'elle ne pouvait pas intervenir dans des conditions efficaces sur un espace restreint, en présence de "leurs copains" en dessous.On aurait assisté à coup sûr à un massacre des panzers !

Pour beaucoup, cette arrivée des chars sur la plage de Dunkerque, signifiait la capture du CEB !... Et bien NON !... ce ne pouvait être le cas...
Pour comprendre il faut consulter une carte et observer quelles étaient les positions du gros des unités franco-britanniques, lesquelles situées sur le territoire français, se trouvaient plus au sud en direction de Lille et de la proche région ouest de cette ville, ainsi qu'au nord-ouest d'Arras.
Sur la ligne Gravelines - Saint-Omer il n'y avait qu'un seul bataillon britannique. Gravelines et Fort-Philippe qui furent attaquées sans succès au matin de 24 mai, étaient défendues pas des unités françaises.

En fait, le stationnement des blindés sur l'Aa, a surtout favorisé le regroupement des forces de plusieurs divisions britanniques (48 ème autour de Cassel, 44 ème près d'Aire-sur-la-Lys et 2 ème à proximité de Carvin). On notera que lorsque les blindés se remirent en mouvement, c'est vers ces directions là qu'ils convergèrent.

Il faut ajouter à tout cela les combats qui ont opposé les unités franco-belges au groupe d'armée B de von Bock et qui se prolongèrent jusqu'au jour de la capitulation belge le 28 mai.

En conclusion, l'épisode de l'Aa s'inscrit dans un ensemble d'opérations complexes qui au final nous a valu un désastre. Cet épisode dont vous et moi, convenons comme beaucoup d'autres de son évidence militaire, dont nous ne savons pas s'il était prévu comme tel ou pas et dont personne ne peut affirmer avec certitude qu'il fut absurde.

Cordialement,
Roger
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Chef Chaudard » Lundi 15 Juillet 2013 17:26:55

François, ma démonstration n'a qu'un intérêt : montrer que prendre Dunkerque ne peut venir que d'une volonté stratégique. "Fall Gelb" prévoit expressément le "coup de faucille", l'arrivée des troupes mobiles à la mer. En ce sens, Guderian s'est toujours conformé à l'objectif qui lui a été fixé, sinon toujours aux ordres de ses chefs. La prise de Dunkerque, non prévue dans le plan d'ensemble, n'est donc pas un objectif en soit, mais doit faire l'objet d'une décision au plus haut niveau.

Il y a deux choix, qui ne dépendent donc que des intentions de Hitler:
- soit il estime la prise des ports nécessaire et il pousse ses Panzer à prendre Dunkerque.
- soit il ne désire pas prendre le port pour des raisons politiques, ou il estime que sa prise est inutile, ne vaut pas le risque, ou toute autre raison invoquée et sa décision d'arrêter ses chars est pleinement justifiée.

La prise de Dunkerque n'est pas stratégiquement évidente au moment du Haltbefehl. L'ordre d'arrêt, quoique ce soit une erreur rétrospectivement, ne présentait pas les mêmes attraits au moment où il arrive.
La t'naille, quoi!
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Mardi 16 Juillet 2013 11:35:28

La relecture de ce débat (juillet 2012-> ?) dans quelques années sera fort instructive.

Je n'en connais pas d'autre où l'une des deux thèses en présence se réfugie autant dans les généralités, la théorie et la logique (ou ce que, des décennies plus tard, on estime logique), au détriment de l'observation du comportement et des propos des acteurs sur le moment.

Par deux thèses, j'entends

1) le souci de Hitler de laisser un petit délai aux Alliés pour se décider à agréer ses conditions de paix (autrement dit, l'explication diplomatique éclose en 1991 sous la plume de Costello, en rupture totale avec celle qui consistait à prétendre que Hitler stoppait pour laisser l'Angleterre rembarquer ses troupes afin de s'entendre avec elle plus tard) ;

2) une ou des préoccupations militaires, avec, dans un premier temps, un refus obstiné de considérer quelque explication diplomatique que ce soit puis, sous l'influence de cette explication, une position défensive qui intègre à l'explication militaire des doses croissantes de diplomatie.

Je plaide pour une histoire plus proche des documents. Ils montrent un encerclement d'une dimension inédite, tirant pleinement parti de la révolution induite dans l'art militaire par la vitesse des blindés. L'ennemi, qui est sur le papier le plus fort, est constamment bousculé dans ses velléités de réaction, l'assaillant allemand n'ayant pas la loyauté de le laisser déployer méthodiquement ses moyens.

Tout d'un coup, le 24 mai à 12h 30, l'assaillant allemand, peut-être touché par la grâce divine, a cette loyauté et laisse l'ennemi en déroute se ressaisir.

Aucun général allemand n'a demandé une telle chose. Un seul accepte d'endosser cette décision du dictateur nazi, Rundstedt, pendant deux jours. Il y trouve un profit immédiat (la récupération intégrale des blindés que ses supérieurs venaient de lui retirer intégralement) et a sans doute noué avec Hitler, s'agissant de cette offensive, une complicité ancienne (en général sous-estimée par l'historiographie, par exemple lorsqu'elle prétend que la Wehrmacht applique un "plan Manstein" -alors qu'il a été dressé par Hitler, Rundstedt et Guderian après la mutation dudit Manstein).

Les seuls documents du 24 mai et des jours suivants qui vont dans le sens d'une explication militaire sont des déclarations de Hitler ou parfois de Göring, que les tenants d'une telle explication (toujours pas clairement formulée) essayent tant bien que mal de faire coller avec des généralités sur les servitudes logistiques de la conduite des armées, ou la force potentielle de l'ennemi.
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par alain adam » Mardi 16 Juillet 2013 19:41:57

Chef Chaudard a écrit :Il y a deux choix, qui ne dépendent donc que des intentions de Hitler:
- soit il estime la prise des ports nécessaire et il pousse ses Panzer à prendre Dunkerque.
- soit il ne désire pas prendre le port pour des raisons politiques, ou il estime que sa prise est inutile, ne vaut pas le risque, ou toute autre raison invoquée et sa décision d'arrêter ses chars est pleinement justifiée.

La prise de Dunkerque n'est pas stratégiquement évidente au moment du Haltbefehl. L'ordre d'arrêt, quoique ce soit une erreur rétrospectivement, ne présentait pas les mêmes attraits au moment où il arrive.


Bonsoir "chef" , ( en passant , vous nagez bien chef)
J'apporte ma petite pierre a ces éléments : aussi bien pour l’état major Anglais , Allemand que Français , dans le secteur , seuls les ports de Boulogne et de Calais ont une réelle importance stratégique , dans l’hypothèse d'un rembarquement . Dunkerque n'est pas envisagé autrement que pour des embarquements annexes . Il me semble avoir lu quelque chose comme "pas plus de deux divisions" .
Trois points :
- les anglais ont débarqué des forces sur les deux premiers ports, devant aider les troupes locales Françaises - mais pas a Dunkerque . Je vous invite a lire les différents textes sur le sujet , si ce n'est déjà fait . Je peux fournir des elements si besoin , datés et chiffrés .
- les Allemands avaient des ordres précis pour certaines unités panzer/motorisées , pour prendre ces deux premiers ports , je les ai quelque part dans mes archives et de mémoire c'est grosso modo une panzer division sur chaque port ( pendant que les autres devaient prendre position , pour les unités les moins abimées , le long de l'Aa , et pour les plus abimées , en retrait dans les terres entre Dunkerque et les deux premiers ports ). Vous pouvez le vérifier sur n'importe quelle carte d’époque . On a d'ailleurs une cohésion ( coté dates ) entre l’arrêt et la mise en retrait de certaines unités et leur renforcement en blindés neufs , je vous invite a lire mes textes ou ceux de Zaloga / Jentz / Frieser etc pour ce qui est de la mise en place de blindés neufs en unités , les dates de mise a disposition s’échelonnant entre le 20-24 mai et tout début juin ( de mémoire ) , pour celles qui ont tenu le front pendant que les autres se reformaient , et qui passeront en seconde ligne pour Fall Rot .
- le nombre de troupes embarquées a Dunkerque fut une surprise pour les Allemands, certes, mais aussi pour les Allies . On ne saluera jamais assez la réquisition totale de petites embarcations qui ont permit cette opération , faite de bric et broc au début , mais solidement organisée par la suite , avec des tracés de route précis évitant les probables zones minées , des rendez-vous avec la couverture aérienne , ou navires militaires .. et une organisation dans les ports britanniques permettant de renvoyer en normandie/bretagne rapidement des troupes Françaises ( mais on sait que ce ne fut pas une totale réussite ) .

Donc je partage ton opinion , Dunkerque ne revêtira qu'une importance ensuite , alors qu'au début , on regardait ce port avec un certain mépris , d'un coté comme de l'autre , et il suffit de regarder une carte d'époque , même Michelin , pour comprendre que si cela peut devenir une bonne position défensive , cela risque d’être un endroit on l'on entasse les morts car il n'y a aucun repli possible sauf par la mer .
Enfin , il ne faut pas négliger que les opérations de rembarquement , si les Français et les Anglais connaissent ( ils l'ont pratiqué quelques jours plus tot , aux pays bas , un peu avant en Norvege etc ) , les Allemands ont peut être peine a imaginer que cela se fasse a une échelle de 350.000 hommes , sur un port aussi petit que Dunkerque , et en cela je ne les blâmerai pas , car militairement , aucun équipement correct n'existait encore en masse chez eux ou chez les alliés .

Bref, pour contribution active , je vais essayer de vous retrouver les ordres de l'OKH concernant Boulogne et Calais , pour info .

Alain
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par alain adam » Mardi 16 Juillet 2013 20:21:28

Francois Delpla a écrit :
alain adam a écrit :**S'il y a 6 ans j’étais convaincu que l’hypothèse militaire était la meilleure, aujourd'hui je ne peux qu'indiquer que c'est forcément une partie non négligeable de la réponse .
*S'il y a 6 ans , cela me tenait a cœur , aujourd'hui , c'est le cadet de mes soucis en fait .



Je réponds dans le désordre :

*Voilà un hommage, certes tardif et indirect, à ma ténacité.

**Tu rejoins donc, après Ulysse 57 et Chef Chaudard, la cohorte des demi-ralliés à l'hypothèse diplomatique, en essayant de la croire compatible avec une explication militaire. A toi aussi je dis : encore un effort !

Costello et moi obligeons un nombre croissant de gens à considérer que Hitler dans l'aventure cherche avant tout un traité de paix, passant par la chute de Churchill ou au moins de sa ligne "belliciste". Cette recherche l'oblige à un pari délicat : la capture de l'armée de terre anglaise rapproche-t-elle l'objectif ou l'éloigne-t-elle ? Visiblement il opte pour la seconde hypothèse.

Nous avons même, par je ne sais quelle obscure voie, influencé Karl-Heinz Frieser, qui dans sa récente interview s'exprime pour la première fois sur le sujet : il veut à toute force et sans biscuit aucun que Hitler opte pour la première hypothèse... c'est-à-dire veuille capturer l'armée anglaise, donc empêcher son embarquement, et se trompe sur la méthode (il pense avoir suffisamment la situation en main pour régler en priorité un problème d'autorité) :

Hitler a déclaré plus tard qu’il avait intentionnellement laissé les Anglais s’échapper. Il n’aurait pu "se résoudre à anéantir une armée d’un aussi bon sang de race anglaise". Pourtant, pendant l’évacuation, il voulait avec des munitions sournoises faire un bain de sang parmi les Anglais. Du reste, aucun politicien allemand ne pouvait être assez fou pour laisser exprès s’échapper une armée anglaise qui dans une négociation constituait une aussi bonne monnaie d’échange.
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=615

Réfléchissez, Messieurs : puisque Hitler a pour objectif la paix, s'il interrompt l'avance c'est qu'il estime plutôt ennuyeux d'avoir sur les bras 250 000 prisonniers anglais. Mais comme il s'acharne, depuis 1933 et surtout 1938, à rendre son armée apolitique, et qu'en tout état de cause il ne pense qu'à un bref arrêt si l'Angleterre ne donne pas très vite des signes qu'elle envisage de mettre les pouces, il ne peut donner à ses généraux que des prétextes militaires à la mords-moi le noeud.

Allez-vous encore longtemps considérer ces prétextes comme des causes ?


De qui on se moque ? Hitler qui veut la paix ?
Il ne cesse d'avoir des actions belliqueuses depuis des années, et il voudrait la paix ? Evidemment que c'est pour attaquer la Russie , et libérer ainsi un front a l'ouest . En cela je suis d'accord, une invasion de la Pologne sans réaction des Anglais et des Français l'aurait arrangé . Et nous aussi , au final , j'aurais peut être connu plus de membres de ma famille .
Mais il ne faut pas négliger une chose, François , l'Armée Française de l’époque est considérée comme la plus puissante d’Europe , peut être du monde , les Français n’apprécient que très moyennement les Allemands depuis deux siècles , et leurs politiciens tiennent a des pactes, quasi de sang avec certaines nations , comme la Pologne . Objectivement , et pour les What if , qu'apprecie tant Bruno , il aurait été facile de stopper Fall Gelb et ainsi de mettre en prison Hitler , uniquement en utilisant l'armée Française , la ou elle n'a pas été utilisée correctement .
L'histoire est l'histoire , si les anglais sont si précieux il n'y aurait pas des histoires comme celles du Paradis ( massacre d'anglais perpetué par les alleùmands que connait surement François ) . Si Hitler avait ce génie que vous lui donnez , nul besoin de Manstein , et on aurait rigolé , nous Français ;)
Si je donne une part des explications au non militaire, c'est car le militaire , de ce que j'ai lu , ne donne aucune explication , mais je l'ai déjà dit , je n'ai pas lu toutes les archives Allemandes , m’étant focalisé sur l'organisation . Aussi , j'accorde une place temporaire , plus qu'une place de choix . Dans le domaine stratégique de la campagne de France, vu les boulettes effectuées, oui je confirme , on avait Hitler en dessous , et Hitler qui avait peur que ça se retourne contre lui , aussi .
Est ce qu'il a eu de la chance ? Non , il avait deux ou trois fanatiques de la percée , un révisionniste de la pensée militaire comme Guderian , et du matos plus fiable que prévu , même si non compétent en lutte antichar . Et en face il avait un etat major français divisé par la politique , qui était a la ramasse coté réactivité ( aucun ordre ne pouvait être effectué sans texte signé via moto) et pas préparé a une guerre motorisée ( Petain etait un precurseur , comme de gaulle , etc , pour que les mentalités bougent ... ceci dit on peut dire que l’élève a dépassé le maître , concernant ce duo , sans pour autant atteindre des niveaux comme Patton ( le décrié ) ou Rommel ( qui devrait etre plus decrié qu'il ne l'est - pour les memes raisons ) .

Bref , l'histoire militaire a plus que son importance dans la seconde guerre mondiale , l'ecarter est stupide .

Alain
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Mercredi 17 Juillet 2013 18:55:30

alain adam a écrit :De qui on se moque ? Hitler qui veut la paix ?
Il ne cesse d'avoir des actions belliqueuses depuis des années, et il voudrait la paix ? Evidemment que c'est pour attaquer la Russie , et libérer ainsi un front a l'ouest . En cela je suis d'accord, une invasion de la Pologne sans réaction des Anglais et des Français l'aurait arrangé . Et nous aussi , au final , j'aurais peut être connu plus de membres de ma famille .


Je n'ai évidemment jamais écrit ni pensé que Hitler, le 24 mai, voulait la paix en tout et pour tout pour les siècles des siècles.

En revanche, j'affirme avec force qu'il voulait la guerre en envahissant la Pologne. Il avait tout fait pour se la faire déclarer conjointement par la France et l'Angleterre, qui ne pouvaient se dérober.

Et ce, comme écrit dans Mein Kampf, pour frapper la seule France, afin que l'Angleterre, qui a tant de chats à fouetter outre-mer, soit bien obligée de laisser à l'Allemagne la maîtrise du continent.

C'est ce qui échoue d'un cheveu, Churchill arrivant au pouvoir un poil trop tôt.

Cette thèse ne présuppose pas une seconde qu'on méprise l'histoire militaire.
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par Francois Delpla » Jeudi 18 Juillet 2013 08:17:20

Je commence à mettre en ligne des extraits de la Ruse nazie http://www.delpla.org/article.php3?id_article=616 .

Ils concerneront les travaux, et leurs carences, avant la percée de Costello (1991). Pour l'instant je m'arrête au livre d'Ellis (1954), champion de l'amalgame entre ordre de regroupement du 23 et ordre d'arrêt du 24.
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Re: L'énigme du "Haltbefehl"...

Message par BRH » Jeudi 18 Juillet 2013 17:40:39

En revanche, j'affirme avec force qu'il voulait la guerre en envahissant la Pologne.


J'en suis d'accord. Toutefois, cette décision n'a été prise qu'à la suite de l'échec des négociations avec la Pologne, portant sur le territoire de Dantzig et son accès libre au travers du corridor. De mémoire, cela doit se situer fin mars 1939.
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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