par Francois Delpla » Mercredi 08 Mai 2013 18:31:57
Comme le rapprochement avec Mers el-Kébir a été mal compris, je vais essayer de le justifier.
Mers el-Kébir (3 juillet 1940) est le tournant de la guerre qui suit au plus près celui du Haltbefehl, et il découle du ratage, par Hitler, de cette première manoeuvre.
Il n'a qu'une obsession quand Churchill prend la barre : la lui retirer. Le Haltbefehl est un premier essai, manqué de justesse. Tous les espoirs sont raisonnablement permis au moment de l'armistice franco-allemand, si Churchill est toujours là : la défection de la France laisse l'Angleterre toute nue, le relais pris par l'URSS en juin 41 et les Etats-Unis en décembre étant les choses les plus difficiles à faire miroiter aux vieux crabes calculateurs de la City. Il va suffire de leur balancer des tracts répétant noir sur blanc ces conditions "généreuses" qui se sont perdues apparemment dans les couloirs du ministère(*). Patatras ! Mers el-Kébir et ses 1275 morts français sans défense, mais surtout le fait que Churchill reste au pouvoir après cela et que l'Amérique le félicite, c'est la tuile absolue : les conditions, mises noir sur blanc, c'est la porte ouverte à un discours churchillien disant que Hitler est, en dépit des apparences, au bout du rouleau.
Il n'y a plus qu'à dire assez vaguement qu'on ne veut pas de l'empire britannique, et à jouer la carte antisoviétique.
Voilà qui ruine de fond en comble l'argument de la "paix séparée" proposée par Göring à la France pour mieux concentrer le feu allemand contre les intérêts britanniques (c'est l'inteprétation que m'opposent certains contradicteurs : les rares qui consentent à prendre en compte l'ouverture diplomatique de Göring vers Dahlerus et Nordling). Car la paix séparée, elle est là, dans cet armistice que Hitler peut à volonté convertir en un traité de paix (Pétain n'attend que cela, et va se prosterner plus bas que terre à Montoire pour l'obtenir). Et que fait Hitler ? Il se détourne résolument d'une entente avec la France, autre que la fameuse "collaboration du cheval et du cavalier" (ou, autre expression de l'époque, "tu me donnes ta montre et je te donne l'heure") car l'alliance qu'il veut, c'est celle de l'Angleterre, et il recherche jusqu'à la fin de la guerre une formule qui permette de la menacer sans la frapper dans ses intérêts vitaux, en espérant que cela fasse tomber Churchill sans regrouper ses compatriotes autour de lui.
Le fond des désaccords exprimés depuis juillet 2012 sur divers espaces internautiques est là : la vision classique, issue notamment de la propagande churchillienne de guerre, suivant laquelle Hitler était un fou furieux et le contraire d'un stratège, continue de semer son brouillard.
La vision alternative, qui a du mal à s'imposer mais lentement progresse, est celle d'un fou non furieux et même bougrement intelligent, qui par son racisme inédit et déroutant a failli trouver une martingale permettant de souffler les obstacles sur lesquels s'était brisée l'Allemagne en 1914-18.
La pause devant Dunkerque offre de ce point de vue une pomme de discorde des plus naturelles. Pour le comprendre, il faut mesurer à quel point de la réalisation de son programme est celui qui, le 10 mai 1940 à l'aube, lance une attaque surprise propre à vaincre l'armée française en quelques jours, et trace parallèlement une perspective de paix généreuse à l'adresse de Londres et de Paris, le tout sous un premier ministre anglais qui oriente depuis trois ans la politique des deux capitales à la totale satisfaction de Berlin.
Ce n'est pas tellement la nouvelle, en fin d'après-midi, du changement de premier ministre qui a de quoi l'inquiéter (contraindre à la paix un Churchill serait encore plus beau, plus définitif), mais bien le fait que le successeur de Chamberlain proclame devant le désastre une volonté de lutte à outrance, et qu'une fois encore Londres semble dicter sa volonté à Paris.
Cela vaut bien une petite pause, pour laisser encore un délai au processus de paix, après quoi il faudra se résigner à achever la France, pour mieux faire mesurer à l'Angleterre la vanité de son obstination.
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(*) c'est ce que prévoyait Hitler début juillet; il avait chargé du travail Fritz Hesse, conseiller diplomatique à Londres jusqu'à la guerre, qui le raconte en 1953 dans des mémoires trop méconnus.