par Antonio » Dimanche 11 Novembre 2012 18:03:43
La mort de Louis XVII
au Temple d'après les fouilles
récen tes du cimetière Sainte- Marguerite
par Michel Fleury
vice-président de la Commission du Vieux Paris
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Puisque l'exposition Louis XVII qui est organisée à la mairie du V
arrondissement présente, fort heureusement pour l'Histoire, à côté de
souvenirs émouvants, de portraits, d'objets qui évoquent les premières
années heureuses et la fin atroce du petit roi, des documents inédits très
révélateurs provenant de collections privées ou récemment entrés aux
Archives nationales, il m'a paru utile de donner aussi dans cette préface
un bref compte rendu des résultats des dernières fouilles faites au cime-
tière Sainte-Marguerite. Le public pourra ainsi avoir connaissance des
constatations matérielles indiscutables qui infirment les thèses romanes-
ques qui ont couru ou naissent presque chaque année sur la vie et la
mort du malheureux fils de Louis XVI.
Toutes les théories qui ont été échafaudées sur le sort échu à l'Enfant-
Roi, que leurs auteurs croient à son évasion ou à sa mort dans sa sinistre
Iprison avant la date officiellel, reposent, en effet, sur l'affirmation sui-
vante: il y a eu nécessairement substitution car le corps qui a été trans-
porté du Temple au cimetière Sainte-Marguerite et inhumé dans une
fosse commune le 10 juin 1795 n'était pas celui du petit roi. Pourquoi?
Parce que les restes qui en ont été retrouvés en 18462 étaient ceux d'un
sujet bien trop âgé pour être ceux du fils de Louis XVI.
Mais ces restes étaient-ils ceux du prisonnier du Temple? Naturelle-
Iment, les « évasionnistes » et les « survivantistes » en étaient et en sont
toujours persuadés. Leurs adversaires, en présence d'une coïncidence
embarrassante (le crâne découvert en 1846 avait été scié pour autopsie
tout comme l'avait été celui du mort du Temple) n'ont pu jusqu'à pré-
sent avancer, en faveur de leur thèse, des contre-preuves qui fussent
vraiment catégoriques.
En apparence, les arguments opposés pouvaient se neutraliser. Si la
pauvre bière de bois de 1795 s'était, inexplicablement, en 1846, méta-
morphosée en un cercueil de plomb, il n'en restait pas moins que l'on
avait bien trouvé, à l'emplacement qu'avait indiqué, pour une réinhu-
mation secrète, le seul témoignage de l'enquête de 1816 qui ait été re-
connu comme valable, un squelette dont le crâne avait été scié pour
autopsie. Même si le cimetière avait été utilisé après 1795 comme lieu
d'enfouissement de corps venant des amphithéâtres d'anatomie, la coin-
cidence était troublante. Sans la fonder vraiment, elle autorisait l'hypo-
thèse de la substitution.
Cette hypothèse -devenue thèse pour les "survivantistes" et les
"évasionnistes"-était celle de M. Pascal-Sol quand, en 1970, il sou-
haita.que, comme l'avait prévu la Commission du Vieux Paris en 1904,
l'on fouillât à nouveau le lieu de l'exhumation de 1846 pour retrouver un
repère signalé en 1816.
Sa demande me fut adressée -j'étais alors directeur des Antiquités
de l'I1e-de-France- et je fis aussitôt procéder à la fouille par les moyens
de la Commission du Vieux Paris.
Avant d'en examiner les résultats, il convient de rappeler quels étaient
les documents qui étaient allégués pour faire admettre que:
1° le corps autopsié mis à la fosse commune le 10 juin 1795 avait été secrètement
extrait et 2°, réinhumé là où, en 1846, on retrouva le squelette d'un sujet
également autopsié mais trop âgé pour être Louis XVII.
Ces documents sont deux témoignages recueillis lors de l'enquête de
1816, qui rapportent les dires du fossoyeur de 1795, Bertrancourt. Ce
sont ceux de sa veuve et d'un de ses amis, nommé Decouflet.
Voici ce que contiennent ces deux dépositions:
La veuve Bertrancourt « a déclaré avoir épousé il y a environ quinze
ans, feu Pierre Bertrancourt, jardinier et fossoyeur de la paroisse Ste-
Marguerite, que son mari lui a parlé fréquemment de l'inhumation du
jeune monarque et lui avoit raconté que le corps ayant été mis dans la
fosse commune, il n'avoit pu se résoudre à le laisser confondre ainsi
dans la foule des morts, que dans la même nuit, vers trois heures du
matin, il s'étoit rendu au dit cimetière, avoit fait une fosse séparée près
de la porte de la Communion, le long du mur de l'église et perpendicu~
lairement au dit mur, que la fosse s'étendoit tant à l'extérieur que dans le
mur et dans l'épaisseur de manière à pouvoir y tenir à peu près la moitié
de la bière, qu'étant mort il y a sept ans et ne pouvant croire que la
France auroit jamais le bonheur de renaître dans la famille de son ancien
roi, il n'avait pas mis toute l'importance possible à conserver la trace de
la fosse qui renferme des restes aussi précieux, qu'il ne lui a jamais
montré l'endroit, se contentant de le lui indiquer, mais qu'il l'a fait voir
à l'un de ses amis, nommé Descouflet, fabricant de bas et bedeau aux
Quinze-Vingts, qui l'a dit à elle déclarante, il ya environ un an, sans lui
montrer l'endroit, mais qu'elle sait que c'est à côté de la tombe de feu le
sieur Colin, maître de pension. ..»
Le sieur Decoujlet « a déclaré avoir été lié depuis environ trente ans
avec feu Pierre Bertrancourt, fossoyeur de la paroisse Ste-Marguerite,
mort il y a environ sept ans, que s'étant absenté de Paris en 1792, et
étant revenu en 1796, il revu son ami Bertrancourt, que se trouvant avec
lui au cimetière de Ste Marguerite pendant qu'il creusoit la fosse de feu
le sieur Colin, maître de pension à Picpus, dans le mois de Mars 1802,
son ami creusa à environ un pied et demi à deux pieds de profondeur le
long du mur de l'église sous le pilier de la porte de la chapelle de la
Communion, à gauche en entrant par le cimetière, et lui fit voir sur l'une
des pierres du mur de fondation d'environ un pied et demi quarré de
surface, une croix d'à peu près deux pouces de longueur sur autant Ge
large, et lui dit qu'au dessous se trouvoit le corps de feu Louis Dix-sept
qui avoit été apporté du Temple dans la grande fosse commune, ouverte
alors dans le dit cimetière, qu'ill'avoit retiré, lui seul, la même nuit ou la
nuit suivante, autant que lui déclarant peut se le rappeler, qu'il avoit
creusé la dite fosse particulière, au lieu qu'il nous indique, moitié dans
l'épaisseur du mur et l'autre moitié dans le cimetière, que la dite fosse
pouvait avoir de 5 à 6 pieds de profondeur...»6.
Sans présenter d'objections tant sur la possibilité ou l'impossibilité
dans laquelle se serait trouvé Bertrancourt d'opérer au moment et dans
le temps indiqués, en un lieu assurément gardé, l'exhumation et la réin-
humation, que sur la substitution inexpliquée d'un sarcophage de
plomb à une bière de bois, constatons que les déclarations de Bertran-
court, corroborées par deux témoignages indépendants, postulent non
seulement l'existence d'une croix servant de repère (qui, à la rigueur,
aurait pu s'effacer) mais aussi celle d'une ouverture assez grande et assez
profonde pour que l'on puisse y introduire à moitié un cercueil.
Or le sondage pratiqué en 1970, sous mon autorité, par Mme Quétin,
ingénieur au C.N.R.S., a dégagé, comme en témoignent les relevés et
photographies prises7, toute la fondation de la muraille de l'église, là où
Bertrancourt prétendait avoir réinhumé la bière et où a été découvert le
squelette de 1846. Cette fondation ne présentait aucune ouverture ni
trace de bouchement.
Bertrancourt a donc menti puisque fait défaut l'élément matériel qui
formait l'ossature de sa déposition. Comme il arrive souvent, l'impos-
teur s'est découvert en voulant trop prouver, en embellissant son récit
d'une précision inventée de toutes pièces mais dont il savait, à l'époque
où il la contait -l'Empire- qu'il n'y avait aucune chance qu'elle pût
être vérifiée. Qu'il ait menti par vantardise, ou par mythomanie, ou
dans l'espoir inconscient « que la France aurait le bonheur de renaître dans
la famille de son ancien roi» et qu'il en aurait alors honneur ou bénéfice,
cela importe peu. Ce qui compte c'est que son faux témoignage est établi
et qu'ainsi s'effondre toute preuve réelle, tangible, scientifique, qu'il y
ait eu substitution et que l'enfant mort au Temple n'était pas Louis XVII.