Je voudrais à présent esquisser un bilan des réactions à mon analyse du Haltbefehl parue début juillet.
Elles se répartissent en deux espèces :
1) La réaction bête et méchante, à base d'attaques personnelles en meute dont la quintessence s'est concentrée ici :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=5542) La réaction positiviste, passant par une étude qui se veut rigoureuse des documents, de ce qu'ils apprennent et surtout n'apprennent pas : on la trouve essentiellement sur le forum ATF 40.
Si dans les deux cas, j'ai pu faire mon profit de remarques de détail, seule la deuxième approche me semble digne d'une réponse détaillée, que je vais esquisser ici, après avoir expliqué brièvement pourquoi je ne le fais pas, ou pas encore, directement sur le site en question.
Les conditions du débat permises par la modération dudit site, si elles semblent exclure la facilité du bannissement pour délit d'opinion (contrairement à Passion-Histoire, au "vert" et à aucun autre forum, en ce qui me concerne, à l’heure qu’il est), tendent tout de même fortement à favoriser les tenants d'un certain type de thèses, et j'ai besoin pour me lancer d'une atmosphère compréhensive. Plus précisément, les autorités locales font preuve de la plus grande intolérance devant toute considération d'ensemble sur le nazisme, ce qui est la plus sûre recette pour mal comprendre ses démarches, comme j'espère le démontrer ci-après.
Une brèche a été ouverte par John Costello en 1991 dans le béton des explications militaires, essentiellement au moyen d'un document unique en son genre et sur son sujet des archives de Paul Reynaud -dont l'unicité est à elle seule un fort indice d'ablation de toutes les pièces analogues, et d'oubli de celle-ci par les personnes qui ont effectué l’ablation.
Que nous apprend-il ? Que Göring, le 6 mai (date établie par ailleurs, sur pièces solides; et en tout cas avant le 10, jour du déclenchement de l'attaque -et de l'arrivée au pouvoir de Churchill), a, de la part de Hitler, entretenu Dahlerus de l'intention allemande de proposer une paix "généreuse" dans l'hypothèse où la guerre serait portée en Belgique et où l'armée allemande se rendrait maîtresse de la côte ainsi que de Calais. Le message est relayé auprès du gouvernement français par un autre Suédois, Nordling, qui vient en causer à Reynaud le 20 mai, en pleine débâcle impuissante des armées alliées piégées en Belgique.
Voilà qui s'inscrit à merveille dans ce que la démarche nazie a de plus essentiel. Elle consiste à faire contre la France une guerre courte avec l'objectif essentiel de ruiner sa puissance et son prestige militaires, de telle sorte qu'un tel allié ne soit plus utile pour l'Angleterre et que celle-ci soit placée devant un choix cornélien : soit continuer à empêcher l'Allemagne de régner sur l'Europe, et se donner une tâche au-dessus de ses moyens, conduisant à la perte de son empire et de son rang de puissance mondiale, soit agréer cette domination allemande et partager bon gré mal gré la vision raciste d'une "domination aryenne sur le monde", en gardant son empire et son rang de puissance mondiale d'une part, en participant activement ou passivement à l'étranglement de l'URSS et de son régime communiste, d'autre part.
Pour contester cette analyse, mes contradicteurs se lancent dans une démarche qu'on peut qualifier de positiviste, au sens péjoratif du terme, ou encore d'hypercritique :
-il pourrait s'agir d'une offre de paix faite à la seule France -ce qui est diamétralement contredit par le choix de Dahlerus, interlocuteur habituel de Halifax, comme dépositaire premier du message-, afin de la détacher de l'Angleterre, contre laquelle la Wehrmacht pourrait alors concentrer ses coups ;
-on n’a aucune preuve que l’Angleterre ait vu arriver les offres de Göring (ce que je conteste en faisant remarquer que son gouvernement discute le 23 mai au sujet d’une autre partie de la conversation Göring-Dahlerus du 6 ; et là, le fait que l’historien en est réduit à des bribes d’archives, après censure, est prouvé de la façon la plus claire).
-les victoires allemandes entre le 10 et le 24 mai, inattendues de l’assaillant lui-même (thèse de base d’un livre bien en cour et à mon avis fort trompeur de Karl-Heinz Friser La Légende de la guerre-éclair -1995), rendent caduques les intentions exprimées auparavant et amènent naturellement l’Allemagne à durcir ses conditions… tant et si bien qu’il n’y aurait besoin d’aucun document pour le prouver ! Mais tout de même une preuve négative : Hitler annonce par Göring, le 6, qu’il fera une offre lorsqu’il aura pris la côte belge et Calais, et il ne le fait pas. L’idée de conditions généreuses est donc fort dépassée.
Cela fait, à mon avis, bon marché de la substitution de Churchill à Chamberlain à la tête du gouvernement britannique, après la conversation Göring-Dahlerus, et du comportement dudit Churchill, tel qu’on peut le percevoir de l’autre côté du front. Surtout si on considère un précédent, celui de 1918, qui est dans tous les esprits, même ceux des nazis. L’Angleterre avait été fortement tentée d’abandonner toute considération de solidarité interalliée lorsque Ludendorff avait attaqué en mars, et de laisser se former une brèche entre ses troupes et les françaises, ce qui aurait ouvert largement la route de Paris. Et ce, alors même que les Français se battaient bien, depuis quatre ans. Là ils se débandent inexorablement, sans la moindre amorce sérieuse de réaction, depuis dix jours… et les troupes anglaises restent à leurs côtés, sans loucher le moins du monde vers les ports, ni mettre en défense les voies de repli vers ceux-ci. L’interprétation la plus probable, même si on ne partage pas la paranoïa hitlérienne et a fortiori si on la partage, est que l’antinazisme churchillien inspire un comportement aussi irrationnel : Winston veut avant tout que l’Angleterre, confite comme tout le monde dans l’immobilisme de la drôle de guerre, se batte enfin, et aucun message ne serait pire à cet égard qu’un retrait du continent –quelque risque que la situation fasse courir à la quasi- totalité de ses troupes terrestres.
Hitler a donc de quoi être perplexe. Il ne s’est sans doute guère affolé le soir du 10 en apprenant le changement de gouvernement à Londres : « cet ivrogne de Churchill » était au contraire une victime de choix pour le tour qu’il mitonnait à Sedan et, devant les conditions « généreuses » que Dahlerus ne manquerait pas de transmettre, devrait s’incliner aussi vite qu’un Chamberlain, ou serait chassé. Mais ensuite rien ne se passe comme escompté. Tandis qu’à Paris, tout montre déjà la résignation de Reynaud : là aussi Churchill, venu notoirement à Paris le 16 mai, semble être l’homme du ménage.
Voilà qui explique largement que Hitler ne fasse pas, une fois à Calais, l’offre prévue. Il doit à présent compter avec un « Juif » résolu à sa perte et suspect de voir clair dans son jeu. De ce point de vue, des conditions généreuses, soit discrètement réacheminées, soit publiques, pemettraient à Winston de dire à ses ministres comme à ses alliés : « Mais enfin vous ne voyez pas où est l’arnaque ? ». En revanche, ce dictateur à la fois triomphant et affolé a un intérêt évident à stopper son avant-garde à quelques pas de Dunkerque, dernière porte de sortie pour l’ennemi avant l’encerclement : c’est autant de chances laissées à sa manœuvre diplomatique, visant la paix immédiate, pour aboutir.
On sait par le journal de Hassell que les nazis envisageaient une paix en deux temps : avec la France groggy, puis avec l’Angleterre qui, quelques semaines plus tard, aurait constaté qu’elle n’avait rien de mieux à faire. Sur ce point, de toute évidence, la venue de Churchill au pouvoir et son comportement dans la quinzaine suivante changent la donne : la paix visée, lorsque les blindés s’arrêtent sur la ligne des canaux, est visiblement immédiate et générale, « sur le sable de Dunkerque », comme le dira plus tard le général Jodl.