Le document proposé par Alexandre est plutôt consternant, mais très adroit en montrant une expérience balistique qui ne démontre rien et ne correspondant à aucune réalité en rapport avec la mort des Romanof. En mêlant des images d’analyses de laboratoire pour faire sérieux, des images des victimes extraites d’un film pour impressionner et des images réelles pour faire plus vrai, il relève de la manipulation.
Il est vrai qu’Olga et Tatiana ont cousu quelques pierres ou bijoux dans l’ourlet de leurs vêtements et qu’Anna Demidova, la femme de chambre de l’Impératrice, en aurait inséré dans les renforts de son corset. Donc rien à voir avec le matelas de grosses pierres reconstitué par les « expérimentateurs ».
Il faut rappeler que cette histoire de corsets transformés en gilets pare-balles est le fruit de l’imagination du juge Sokoloff, bien embarrassé par le peu d’impacts relevés dans la cloison. L’enquêteur précédent a justement effectué des relevés très précis que Sokoloff a repris dans son enquête. Ainsi, seulement 16 impacts de balle ont été retrouvés dans la cloison dont 12 dans un rectangle de 0,50 m X 1,30 m situé au plus bas à 0,20 m du sol et au plus haut à 0,75 m. Le peu d’impacts a beaucoup embarrassé le juge Sokoloff qui a aussi imaginé que des balles étaient restées dans les corps : ceci est improbable, car à cette distance et vue la puissance des armes, les balles ont certainement toutes traversé les victimes. D’ailleurs, sur les 16 impacts concentrés dans le rectangle, 12 étaient « ourlées » de sang, ce qui montre qu’elles ont traversé des corps.
Il faut aussi rappeler que la thèse du massacre vient de Koutouzov, l’adjoint au procureur public d’Ekatérinenbourg, qui aurait appris du citoyen Fiodor Gorchkov que le tsar et toute sa famille auraient été assassinés dans la maison Ipatief (dans les appartements et non dans l’entresol). Ce dernier aurait dit tenir cette révélation de l’enquêteur Tomachevski qui l’aurait appris d’un témoin oculaire ou d’un proche des autorités soviétiques.
Ce bref témoignage de troisième ordre constitue la trame sur laquelle Sokoloff a brodé sa version. Il servira aussi à fonder la survivance de la grande-duchesse Anastasia.
« Toute la famille fut rassemblée dans la salle à manger où on leur annonça qu’ils allaient être tous fusillés. Peu après, les « Letts » tirèrent et toute la famille s’écroula. Après quoi, en vérifiant que tout le monde était bien mort, des gardes s’aperçurent que la grande-duchesse Anastasia vivait encore. Lorsqu’ils la touchèrent, elle poussa un cri horrible. On lui donna un coup de crosse sur la tête et elle fut percée de trente-deux coups de baïonnette.»
Alexandre évoque l’ouvrage «La mort du dernier tsar» de Nicolas Ross, docteur en histoire et historien de la Russie. Dans la quatrième de couverture il est écrit : « Ce livre reste à ce jour l’ouvrage de référence le plus complet et le plus utilisé sur le sujet ». C’est vrai. Nicolas Ross a une réputation de rigueur que l’on retrouve dans son ouvrage, mais il étonne par sa prise de position insidieuse qui ne colle pas avec les contradictions, les invraisemblances, les mensonges… qu’il a pointés avec beaucoup de précision. Je laisse chacun méditer sur sa conclusion surprenante (lorsque l’on a lu attentivement son livre) : « Au terme de notre enquête, nous espérons avoir réussi à présenter au lecteur un bilan suffisamment complet et crédible de l’état actuel du dossier Romanov. C’est à lui de juger si nos espoirs sont fondés. Quant à notre propre version des circonstances de la fin des Romanov, qui transparaît çà et là, elle est surtout présente à titre expérimental. Nous ne la défendrions pas bec et ongles si d’incontestables révélations nouvelles venaient l’infirmer, et c’est dans cette hypothèse que nous éviterons de proposer une conclusion définitive à notre recherche ». Pourtant et contre toute attente, Nicolas Ross qui je crois est d’origine russe soutient jusqu’à preuve du contraire la version du massacre collectif. J’affirme pour ma part que le lecteur attentif ne peut aboutir à cette intime conviction après avoir lu l’enquête de Ross. En qualité d’historien-chercheur, il aurait au moins dû s’abstenir de prendre une quelconque position et surtout de la faire « transparaître çà et là ». Son absence de neutralité est d’autant plus suspecte qu’il prend la précaution de dire qu’il ne défendrait pas sa version « bec et ongles si d’incontestables révélations nouvelles venaient l’infirmer », alors qu’il sait pertinemment qu’il n’y aura jamais d’incontestables révélations nouvelles.
Alexandre dit aussi « Yourovski n'avait qu'à dire que tout le monde est mort sur le coup ». Il faut aussi rappeler que Yourovski, le dernier commandant de la maison Ipatiev, n’a jamais rien dit, n’a jamais témoigné. Plus tard, lors de rencontres avec d’anciens camarades, il est toujours resté silencieux et énigmatique sur les évènements qu’il a connus. Les « dires » de Yourovski sont ceux de sa fameuse note dont on sait qu’il ne l’a pas écrite et qu’il en existe plusieurs exemplaires aux versions contradictoires (Ross a relevé ces anomalies). Il faut aussi dire que lors de la première publication de cette note, le livre, et donc la version, de Sokolov était paru. On sait que sa version a servi de référence puisqu’elle satisfaisait tout le monde (Blancs et Rouges).
Elie Durel
Elie Durel, auteur de « L’autre fin des Romanof et le prince de l’ombre » aux éditions Lanore (Paris)
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