J'ai quelques réponses intéressantes :
Du Ve au XVe siècle.
Arbalète.
Nous ne saurons jamais si l'"arbalestre" ( ou arc-balestre ) fut une invention "ab nihilo" de l'Occident vers l'an 1000; ou la retrouvaille du très ancien et éphémère gastraphète grec (ch.3); ou encore, une "importation" depuis la Chine, où elle semble avoir été d'un usage courant dès le IIIème siècle avant notre ère et le restera presque jusqu'à nos jours. ( Des exemplaires munis d'un ingénieux système à répétition furent employés lors du conflit de 1894/95 contre le Japon). L'arme nouvelle sera interdite par le concile de 1139, au moins pour les conflits entre chrétiens; mais l'interdiction restera lettre morte.
L'arme est composée d'un arc de faible envergure, mais très puissant - à partir du XIVème siècle ce sera une lame des meilleurs aciers - monté sur un fût, l'arbrier qui est muni d'un dispositif rotatif à cran et rainure, la noix retenant le milieu de la corde : l'arc peut donc rester bandé "indéfiniment" sans effort du tireur. Le moment venu, l'arbalètrier presse une détente-gachette qui lachant le cran, permet à la noix de tourner; la corde, libérée de la rainure projette un "carreau". C'est une fléchette courte, 25 cm environ, mais trapue et à lourde pointe métallique. ( Le rreau pesa de 160 à 250 g; son nom vient du fait que la pointe métallique - parfois le corps de bois - avait en général une section carrée assurant mieux la stabilité sur l'arbrier, avant tir, que ne l'aurait fait une section ronde). Divers dispositifs furent utilisés pour obtenir la mise sous tension d'arcs des arbalètes de plus en plus puissants : - à deux mains tirant sur la corde, arme maintenue en position verticale par le pied du tireur passé dans un étrier fixé à l'avant de l'arbrier; - par corde, fixée au ceinturon et passant sur une poulie munie d'un crochet : en fait, système voisin du précédent, mais traction donnée par les muscles des jambes et de l'abdomen, le système à poulie doublant la force exercée; - par pied de biche ou par levier-pousseur adaptables; ( ou levier fixé en permanence sur l'arbrier); - par tour c'est à dire treuil miniature, s'emboitant sur l'extrémité arrière de l'arbrier; -enfin, par cranequin appareil à crémaillère et pignon, s'adaptant lui aussi sur l'arbrier. Ces deux derniers dispositifs, les plus puissants, ne furent pratiquement jamais utilisés en campagne, car trop lourds et encombrants, et n'offrant qu'une très faible cadence de tir : les arbalètes correspondantes étaient celles de défense de châteaux ou de villes fortifiées.
L'arme fut surtout utilisée par l'Europe continentale, l'Angleterre lui préférant de loin l'arc et sa grande cadence de tir. Cet emploi - très souvent par troupes mercenaires, ( par exemple, les arbalètriers gènois étaient très réputés ) - s'étendit de la fin du Xème aux débuts du XVIème siècles.
L'emploi des deux armes, arc et arbalète, dans une même période peut surprendre. En effet il s'agit bien d'armes individuelles portatives, lançant des projectiles agissant par perforation. Mais elles diffèrent grandement par des caractéristiques es que le tableau suivant va tenter de résumer :
Caractéristique.
ARC
ARBALETE
- Mise sous tension.
Très rapide, mais exige long entraînement musculaire
Lente, mais bref entraînement.
- Conservation de la tension.
Effort permanent, sinon perte 2 à 3 s pour bander l'arc et viser.
Aucun effort.( Arme d'attente à vocation surprise / défense).
- Coût de l'arme.
Faible pour arc non composite occidental genre "long bow".
D'élevé à très élevé.
- Coût projectiles.
Très faible à modéré.( Selon précision requise).
Relativement élevé.
- Précision.
Excellente si entraînement précoce et permanent. Sinon de passable à médiocre ( qui permet pourtant tir s. zone)
Bonne après entraînement relativement bref.
- Cadence de tir.
6 / min. en tir précis 12 / min. en tir sur zone. ( Bon archer moyen).
Selon système mise en tension:
3/min. XIIème siècle
2/min. XIIIème
1/min. XIVème siècle
1/2 à 3 min. XVème siècle
- Portée utile.
Europe continentale : 125 m, Long bow : jusqu'à 200 m (réduire au 1/2 contre un adversaire protégé par cotte de maille).
150 m au XIIème siècle
200 m au XIIIème siècle
250 m au XIVème siècle
( Précision illusoire à partir de 150/200 m : tir au but sur homme en armure).
La disparition progressive de l'arbalète au profit des "canons à main scopeti" et autres "faustb hsen" à partir de la seconde moitié du XVème siècle s'explique par une raison très simple, malgré les graves défauts de ces premières armes à feu individuelles : celle du coût; pour une arme dont la qualité première est de pouvoir rester "indéfiniment" prète à tirer, en embuscade ou en défense de fortification. A titre d'exemple, un document anglais de 1396 indique un prix de 3 shillings pour un canon à main, ( encore au stade du trait à poudre ou du "bâton à feu" à cette date ), contre 66 pour une arbalette. Or, avec la puissance, les prix de la seconde augmenteront encore au XVème siècle...non compris l'accessoire devenu indispensable, "tour" ou "cranequin" de mise en tension.
Par ailleurs les balles de plomb peuvent être coulées facilement par l'utilisateur se servant d'un moule de très faible prix221 , alors que la fabrication d'un carreau est l'affaire d'un spécialiste.
Toutefois, en début du XVème siècle, la portée pratique de l'arme à feu n'était que quelques dizaine de m, notamment par absence de dispositif rationnel de visée. Mais l'armure contemporaine était perforée à une vingtaine de m.
Armes à feu individuelles.
L'idée d'employer de très petits quennons pouvant être portés et mis en oeuvre par un seul homme, était bien naturelle, mais soumise à des contraintes et facilités.
Parmi les inconvénients on trouve :
- La faible cadence de tir, comparable à celle des arbalètes de la même époque.- L'imprécision de l'arme : mise à part l'bsence de dispositif de visée, il est difficile pour un homme seul ( sauf strabisme prononcé et entraînement ) d'avoir un il pour braquer l'engin en direction d'une cible - qui peut être mouvante - et l'autre réservé à la mise à feu . Cette seconde opération sera facilitée lorsque l'on s'avisera d'élargir en "bassinet" l'extrémité supérieure, externe, de la lumière- L'inclinaison accidentelle de l'arme, ou le vent, peuvent chasser la poudre du bassinet; la pluie peut la mouiller : l'emploi est donc difficile par mauvaises conditions atmosphériques, même après invention du couvre-bassinet. . ( Ce sera une raison de plus pour continuer longtemps à ne faire campagne qu'en belle saison).
Les avantages principaux sont :
- Le très faible coût, par rapport à l'arbalète et ses accessoires.- - La facilité à fabriquer des balles en campagne, chose impossible pour les carreaux et qui pour les flèches ne donne que des projectiles de valeur médiocre. , - Le fait que, pourvu que le tireur ait une mêche lente assez longue, il peut rester prèt à tirer à tout instant, comme celui de l'arbalète, sans avoir à perdre les quelques secondes inévitables pour encocher la flèche et bander l'arc. A ses débuts, l'arme à feu individuelle des débuts était donc surtout apte à la défense de fortifications, ou à tendre une embuscade.
Mais, point non négligeable, ces armes nouvelles heurtaient profondément les préjugés de ce qui restait de l'esprit "chevalerie" : un "vilain" quelconque pouvait "navrer" un homme d'arme !232
C'est donc dans les forces communales ( milices ) de roturiers que vont se développer d'abord les "quennons de main" ou "hast à feu" français, les "scopettes" italiennes et les "faustbüschen" allemands, un peu après le milieu du XIVème siècle. Ainsi un document de 1364 vante l'excellente qualité des scopettes produites en série à Pérouse.
Le canon des premières armes était très court par rapport au calibre : on avait adopté à peu près les mêmes proportions que pour les bombardes. Mais dans les unes les gaz de combustion chassent le boulet sur quelques mètres, dans les autres le projectile ne suivait le tube que sur une vingtaine de cm. Ce canon est soit prolongé par une tige de fer que le tireur appuie sur sa cuirasse, soit fixé sur un fût de bois qui, dans ces débuts, n'est souvent qu'un bâton serré sous le bras : de toute évidence le recul ne pose pas encore des problèmes importants.
A la différence des pièces d'artillerie, les armes portatives seront presque exclusivement fabriquées en fer ou acier légèrement carburé, comme indiqué plus haut par forgeage à chaud autour d'une tige cylindrique . La culasse est un "bouchon" au calibre, soudé ou/et claveté.
Nous avons dit que l'un des problèmes était de réussir simultanément la visée et la mise à feu : l'arme perd la plus grande partie de son intérêt si elle ne peut être utilisée que presque à bout portant. Aux débuts du XVème siècle le remède fut trouvé dans l'invention du serpentin pièce métallique en forme de S fixée sur le fût en son milieu, autour duquel elle peut pivoter. Ce serpentin porte à une extrémité, pincée dans un minuscule étau, la mêche à combustion lente. En tirant sur l'extrémité re ( celle du bas ) du serpentin, il bascule et vient appliquer la mèche exactement sur la "lumière" - plus tard, le bassinet - de mise à feu. Le tireur peut donc consacrer toute son attention à la visée. T Perfectionnement appréciable, mais ces premiers systèmes laissaient la poudre du bassinet totalement exposée aux intempéries; et de nuit le faible point lumineux de la mèche révélait la présence et la position du/des tireur(s).- Au cours du XVème siècle sera mise au point une première "platine" d'arme individuelle : l'action sur une détente libère deux ressorts qui, simultanément, écartent un couvre-bassinet et font basculer le serpentin. Un peu plus tard le dispositif sera légèrement modifié : le serpentin, placé plus en avant, bascule vers l'arrière. Le point de combustion de la mèche n'est donc plus visible par l'ennemi.
Ce type de platine restera très longtemps en usage, malgré un grave inconvénient : pour "lente" que soit la mèche, il faut la déplacer fréquemment; soit : dévissser la vis-papillon du mini-éteau, avancer la mèche, resserrer la vis. Le tireur peut être pris au dépourvu pendant cette manoeuvre, qui est d'ailleurs dangereuse pour lui et surtout ses voisins si, dans la hâte, il vient à enflammer accidentellement des grains de poudre débordant du bassinet.
La France, traditionnellement en retard pour l'armement individuel, sera le dernier des grands pays à renoncer totalement à la platine à mèche : en 1701, alors que la Suède avait adopté celle àsilex depuis plus de 80 ans. Et pourtant... la meilleure platine à silex qui ait existé - et qui servira encore assez loin dans le XIXème siècle - avait été inventée en France en 1610 !
De 1500 à 1789
La période examinée ici verra disparaitre un certain nombre d'armes, dont certaines existaient depuis des millénaires. Nous nous limiterons à citer :
- L'arbalète, déjà en voie de disparition au début de cette période;
- L'arc, au moins en Europe Occidentale, qui pourtant résista mieux que l'arbalète : tant en raison de son coût faible que de sa grande cadence de tir. Le dernier pays l'ayant officiellement abandonné fut l'Angleterre, en 1595. Toutefois une unité d'archers écossais participa à l'expédition de 1630 contre l'ïle de Ré. ( En Russie des archers asiates serviront dans l'armée jusque vers 1820. Au Japon et en Chine l'arc et l'arbalète de guerre existeront jusqu'à la seconde moitié du XIX ème siècle; enfin, les amérindiens - faute de disposer d'assez d'armes à feu - auront des arcs presque jusqu'à la fin de ce XIX ème siècle.)
a/ Le renouveau de l'Infanterie, mal perçu aux débuts du XVI ème siècle mais qui ira en s'affirmant au point d'emporter les vieilles réticences, repose sur la combinaison judicieuse de la pique-obstacle, et de l'arme de jet qui inflige les pertes : arc, arbalète, puis arme à feu. Mutatis mutandis il y eut là, jusqu'à un certain point, quelque analogie avec le barbelé et les armes à tir rapide de 1914-1918, à cette différence près que la pique est en général un obstacle mobile.364
b/ La cavalerie ayant buté sur l'obstacle - que renforcent les chevaux tués ou blessés - il reste à la détruire. Dans les milices suisses c'était le rôle des halebardiers et des manieurs de lourdes épées à une main et demi ou à deux mains se glissant entre les files de leurs camarades piquiers pour attaquer au corps à corps les cavaliers mis en désordre. Mais tous les fantassins n'ont pas le courage - ni la robustesse - des montagnards suisses; et si la cavalerie peut être anéantie sans cet affrontement direct, autant ne pas y risquer sa vie. C'est ce que permet l'arme de jet, mais sous réserve qu'elle ait la puissance de perforer l'armure. , Sur le continent l'arme de jet du Moyen Age avait été l'arc et l'arbalète. Or l'arc continental a une puissance très inférieure à celle du long bow lequel, pour être ndu avec une force d'une cinquantaine de kg exige l'entraînement continuel, et dès l'enfance. L'"anti-armure" devrait donc être l'arbalète ? Mais avec le temps la qualité des aciers s'améliora : l'armure devint de plus en plus résistant; il fallut que la puissance de l'arbalète suive...non sans en arriver à devoir être bandée par un appareil complexe, avec temps de rechargement de plus en plus long : 2 à 3 minutes avec le cranequin ou le treuil. Par ailleurs le coût de l'arme croit plus vite que sa puissance; il s'y ajoute celui de l'appareil de rechargement. ( Nous avons cité ce document, de 1353, montrant que l'arbalète seule coûte vingt fois plus que le canon à
Dès que la solution au problème de la simultanéité de la visée et de la mise à feu fut résolu - par le serpentin porte-mèche - la cause fut entendue en Europe Occidentale continentale : l'arquebuse éliminait définitivement l'arbalète. ( Mais l'arc survécut quelques décennies : pour des tirs sur zone, contre des "gens de pied" peu ou pas protégés).365
L'élément de base de la nouvelle tactique reposera donc d'abord sur l'arrêt de la cavalerie par la pique puis son anéantissement par le feu. En quelques dizaines d'années - car les idées nouvelles, nous l'avons dit plus haut, demandent le temps d'une génération pour percer - il devint clair que désormais le sort des batailles dépendrait d'abord du fantassin, mais non sans l'appui de l'artilleur et du cavalier : Infanterie reine des batailles certes, mais reine constitutionnelle.
Des disparitions :
- de l'arbalète; sauf, curieusement, pour la chasse, car furent créées certains modèles capable de lancer, sans le bruit qui effraye le gibier, des balles de plomb. ( Et le chasseur, non menacé, peut se permettre pour les armes puissantes, un temps de rechargement de 2 à 3 minutes)430.
- de l'arc : officiellement supprimé en Grande Bretagne à la fin du XVI ème siècle, des compagnies d'archers écossais seont maintenues jusqu'au milieu du XVII ème. Par ailleurs l'Armée russe aura encore des archers - des Bachkirs surtout - jusqu'aux débuts du XIX ème.
L'arbalète survécut pourtant, mais comme arme de chasse : son très faible bruit n'effraye pas le gibier. On produira, surtout au XVIII ème siècle, des arbalètes à tube ( fendu sur une certaine longueur pour passage de la corde ) tirant des balles ou des "micro-boites à mitraille" chargées de plombs.
L'arbalète de chasse sera à nouveau produite, en séries non négligeable, en Allemagne après la défaite de 1945 : pendant la période où les autorités d'occupation interdisaient rigoureusement la détention de tout type d'arme à feu. La mode s'étant alors répandue, il reste dans le monde quelques chasseurs utilisant l'arbalète.
Source : Alain BRU (stratisc)
http://www.stratisc.org/act_bru_hisguerre_tdm.html
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