Archives de Michel Jaboulay

1°) La dernière fois que l’on soit certain qu’il s’agit bien de Louis XVII se situe très exactement le 3 juillet 1793 à 23h00, quand il est arraché à sa famille. Après, on ne peut plus parler que de l’enfant du Temple (ce qui ne présume en rien de son identité). Tout auteur qui traite de Louis XVII après cette date doit au préalable prouver qu’il s’agit bien du petit Roi, ce que Philippe Delorme s’abstient de faire (comme la plupart des auteurs d’ailleurs !).
2°) Le squelette exhumé au cimetière Sainte-Marguerite à l’endroit indiqué par le fossoyeur Bertrancourt a été examiné en 1894 par un groupe d’éminents médecins (que le docteur Petrie qualifie lui-même de «fine fleur de la médecine parisienne à l’époque»). Cet examen a retrouvé les traces d’une part des atteintes scrofuleuses aux endroits signalés par le rapport d’autopsie du 9 juin 1795 et d’autre part les traces de scie (y compris l’échappée de scie) décrites par le docteur Pelletan, qui officiait. En outre, cet examen à prouvé qu’il s’agissait d’un adolescent mâle âgé au minimum de quatorze ans (alors que Louis XVII n’en avait que dix à l’époque). Continuer d’affirmer donc que Louis XVII est décédé au Temple le 8 juin 1795 et que sa dépouille a été jetée dans la fosse commune où on ne peut plus la retrouver consiste à nier une vérité scientifiquement démontrée.
3°) Pelletan fait au fil de ses témoignages des déclarations contradictoires au sujet du «pieux larcin», disant d’une part qu’il ne courait aucun risque (p.30 : sa déposition de 1817 et p. 48 : à la duchesse d’Angoulême), mais d’autre part que le docteur Lassus l’a «félicité de sa témérité» (p. 103 : le 13 juin 1816), pour finir par déclarer «Vous savez qu’il pouvait y aller de ma vie» (mai 1817, dans une lettre au docteur Dumangin). Pelletan n’est pas un témoin crédible : il n’apporte aucune preuve qu’il se soit réellement emparé du cœur de l’enfant autopsié. Professeur d’anatomie (p. 31), il possédait chez lui une collection de pièces anatomiques conservées au départ, comme toujours à l’époque, dans l’esprit de vin.
Qui plus est, Pelletan ment effrontément en parlant de ses visites à l’enfant au Temple (p. 124 : dans Préliminaire du Mémoire de 1814, et p. 102 : dans son Exposé du 13 juin 1816), alors que ses dires son démentis par l’historien De Beauchesne (Louis XVII, Plon, Paris, Tome II, Livre XVIII, pp. 316 à 326) : Pelletan est un faux témoin.
Or l’existence même du cœur dit de Pelletan ne repose que sur ses dires : il n’existe aucune preuve matérielle que le cœur dit de Pelletan ait été prélevé sur l’enfant qu’il a autopsié devant ses trois confrères le 9 juin 1795.
4°) Philippe Delorme invoque les témoignages de ceux qui ont assisté à l’autopsie.
Le docteur Jeanroy n’a laissé aucune déclaration à ce sujet (p. 38).
Le gardien Lasne, interrogé par l’historien De Beauchesne, dans les années 1830, a refusé de croire à l’authenticité du cœur dit de Pelletan, en précisant (p. 30) qu’il «avait assisté à l’autopsie, et n’avait pas quitté un seul instant l’opérateur». Mais lors du procès de 1874, Maître Jules Favre démontra à la Cour que Lasne était un faux témoin (Louis XVII, plaidoirie de Maïtre Jules Favre, Librairie Internationale, Paris, 1891, pp. 191 à 208).
Dans son Mémoire de 1816, Pelletan dit (p. 36) : «J’osai soustraire le cœur et je n’en fis part qu’à M.Lassus». Mais le docteur Lassus est décédé le 7 mars 1807, à Paris (Cercle d’Études Historiques sur la Question de Louis XVII, Cahiers Louis XVII, N° 10 Spécial, janvier 1997, p. 34) et ne s’est jamais exprimé à ce sujet.
Dans une note datée de 1817, annexée à ses «Preuves Authentiques de la mort du jeune Louis XVII», en page 39, l’historien A. Antoine de Saint-Gervais cite le docteur Dumangin : «M.Dumangin atteste qu’à la fin de l’opération il a vu M.Pelletan envelopper soigneusement quelques chose qu’il mit dans sa poche …. Il est moralement convaincu de la vérité du fait». Mais dans une lettre à Pelletan, en date du 1er mai 1817, son confrère Dumangin écrit : «dans l’instant où vous dites avoir soustrait une partie précieuse du jeune roi». La première déclaration reste dans le vague sur la pièce soustraite par Pelletan, mais la lettre met le fait carrément en doute. La différence entre les deux déclarations est que la première était faite devant un tiers sous la Restauration (et une négation aurait pu faire accuser alors Pelletan non seulement de tentative d’escroquerie, mais de crime de lèse-majesté), tandis que la seconde est d’ordre strictement privé. Qui plus est, et comme Pelletan, les déclarations que fait Dumangin sur ses visites au Temple sont mensongères : Dumangin est, lui aussi, un faux témoin.
Dans sa déposition du 6 août 1817, l’ex-commissaire Damont déclare (p. 37) : «Je priai M.Pelletan de me donner des cheveux». Mais il est plus précis (p. 38) dans sa déposition du 16 août 1817 : «Il le pria de lui donner quelques uns de ses cheveux ; ce qu’il fit, en prenant des précautions pour que son action ne fut pas remarquée de M.Dumangin». Ce qui prouve que Dumangin n’a rien vu et que l’attestation citée par A. Antoine de Saint-Gervais est de pure complaisance. Selon Philippe Delorme, ce serait à la suite de ces dépositions que Damont serait venu trouver Pelletan pour lui demander «une authentification de ses reliques capillaires» (p. 38), et il présente cette requête (p. 38) comme «une reconnaissance au moins implicite des prétentions du docteur», alors qu’il constate plus loin que «ni Lasne, ni Damont n’ont vu Pelletan s’emparer du précieux viscère». Comment Damont pourrait-il donner une reconnaissance, même implicite, d’un geste de Pelletan dont il n’est pas témoin ?
Signalons en outre que De Beauchesne mentionne trois autres personnages qui ont assisté à l’autopsie (Louis XVII, op. cit., p. 328) : le commissaire Darlot, ainsi que Bigot et Bouquet. Pelletan n’en fait pas mention. Il serait pourtant étrange que sur huit témoins il n’y en ait pas un seul pour avoir remarqué son geste !
En résumé, sur les huit témoins ayant assisté à l’autopsie, deux sont décédés sans avoir rien dit à ce sujet, deux sont des faux témoins, les autres n’ont rien vu. Nous sommes en plein délire !
5°) Philippe Delorme cite encore les témoignages de ceux qui ont vu le cœur.
Nous venons de voir que Pelletan dit en avoir fait la confidence (p. 103) à son confrère Lassus, mais d’une part il ne dit pas lui avoir montré l’organe, et d’autre part Lassus est décédé en 1807 sans avoir rien dit.
Pelletan s’exprime ainsi (p. 42) au sujet de Tillos : «Les grands orages de la révolution étant calmés, j’eus l’imprudence, un jour, de montrer ce cœur, en même temps que d’autres pièces que mon tiroir renfermait, à un M.Tillos, mon élève particulier».
Dans une note datée du 15 juillet 1836, l’abbé Lafont d’Aussone déclare (p. 135) : «Le docteur Pelletan, bien avant la chute de Bonaparte, m’avait montré le cœur de Louis XVII».
Enfin, Pelletan a écrit (p. 127) : «Madame la comtesse de Clermont-Tonnerre a vu ce cœur».
À part Lassus qui n’a peut-être rien vu et n’a en tout cas rien dit, de quelle preuve les trois autres témoins ont-ils disposé pour identifier ce cœur comme étant celui de Louis XVII, ou même simplement comme celui de l’enfant autopsié ? Exclusivement de propres paroles de Pelletan qui, nous l’avons vu, est lui-même un faux témoin.
6°) Pelletan dit (p. 43) avoir proposé à la veuve Tillos un reçu pour disculper la mémoire de son mari. Mais d’une part, le médecin n’avait pas osé réclamer le cœur à son élève (p. 43), et d’autre part la veuve Tillos ne lui demandait rien, d’autant que cette restitution se déroulait en cercle privé. Le geste charitable du médecin visait en réalité un tout autre but : c’est la première fois que ce cœur a une existence matérielle, concrète, et qu’il est présenté par écrit comme celui de Louis XVII.
Or sur quoi repose ce reçu délivré par le médecin ? Une fois de plus sur la seule parole de Pelletan, parole qui, nous l’avons vu, n’a aucune valeur ! À la fin du reçu, Pelletan ajoute : «Le procès-verbal de l’ouverture et autres pièces qui y sont relatives fourniront la preuve de ces faits». Ce sont là les parole d’un escroc. Les pièces dont il parle prouvent seulement qu’il a participé à l’ouverture du corps, ce que personne n’a jamais nié. Par contre, elles n’apportent aucune preuve que Pelletan se soit emparé du cœur, ni que le garçon autopsié ait été Louis XVII.
Ce qui n’empêche pas Philippe Delorme de présenter cette mascarade comme une preuve d’authenticité du viscère.
7°) Il est par ailleurs remarquable que ce reçu soit daté (p. 128) du 23 avril 1814. Dans sa Narration à Mgr de Quélen, datée de 1828, le médecin écrit (p. 135) : «Madame la duchesse d’Angoulême devait paraître la première».
Or ceci est faux. En effet dans ce texte à Mgr de Quélen, Pelletan dit que la duchesse d’Angoulême serait arrivée la première à Paris, ce que dément la chronologie des événements : le 6 avril 1814, le Sénat appelle Louis Stanislas Xavier de Bourbon sur le trône de France. Il ne quitta sa résidence d’Hartwell, en Grande-Bretagne, que le 20 et s’installa à Compiègne le 29 avril : la duchesse d’Angoulême ne l’avait pas quitté depuis Mittau, en 1799, et elle entra à ses côtés à Paris le 3 mai 1814 (G. Bordonove, Louis XVII, Pygmalion, Paris, 1989, pp. 131 à 141). Le comte d’Artois, nommé Lieutenant Général du Royaume par son frère, était pour sa part arrivé à paris dès le 12 avril (J.Orieux, Talleyrand, Flammarion, Paris, 1970, p. 582).
Une fois de plus, nous prenons Pelletan en flagrant délit de mensonge sur cette chronologie. Il écrit en effet cette Narration en 1828 et il ne s’est écoulé que 14 ans depuis les événements.
Mais ce qui est grave, c’est que Philippe Delorme ne se donne même pas la peine, qu’exigerait un minimum de respect pour ses lecteurs, de vérifier les faits et les dates. Ceci est inadmissible de la part d’un homme qui se présente comme historien.
8°) Déposé à l’Archevêché de Paris, après avoir été refusé par la famille royale, le viscère disparaît lors du pillage par des émeutiers (p. 58) en date du 29 juillet 1830. Pelletan fils, lui aussi médecin, le retrouve par hasard quelques jours plus tard (p. 66) et le reconnaît : «Il avait encore conservé son odeur d’esprit de vin». Belle preuve que voilà ! Toutes les pièces anatomiques de l’époque étaient conservées dans l’esprit de vin et nous savons que Pelletan père, professeur d’anatomie (p. 31), possédait ses propres collections anatomiques, et notamment dans son tiroir (p. 42).
S’agit-il toujours du cœur de 1814 (dont rien ne prouve qu’il provenait de 1795) ? Rien ne le prouve.
9°) Le cœur remis à Don Carlos, Frohsdorf, fit l’objet d’une décharge, accompagnée d’une note décrivant minutieusement l’urne, en date du 22 juin 1895.
Sur les photos de l’époque (Revue rétrospective, 1894), on voit très bien en effet l’organe très haut dans le vase, tout contre le couvercle. Les morceaux de cristal de l’urne d’origine (brisée lors du sac de l’Archevêché de Paris) sont parfaitement visibles, reposant sur le fond du vase.
Sur les photos publiées en avril 2000 par Philippe Delorme (p. 136), les morceaux de cristal ont disparu. Le cœur est situé beaucoup plus bas dans l’urne et l’on voit nettement un petit cylindre attenant au couvercle, auquel il est suspendu par un fil ténu. Qui plus est, la forme du cœur lui-même n’est plus la même : il est plus oblong qu’en 1894. Or, il est impossible qu’un organe «devenu aussi dur que le bois» se soit pareillement déformé sous l’influence de son propre poids.
Ces constatations proviennent du travail minutieux effectué par Madame de La Chapelle. Il est curieux de constater que Philippe Delorme s’abstient de reprendre dans son livre la photo de 1894 !
Enfin, cet auteur parle (p. 90), de «la tâche délicate de disjoindre les deux hémisphère du vase de cristal, qui ont été hermétiquement scellés - sans doute vers 1975, époque du retour du reliquaire en France». Il découle de cet écrit de Philippe Delorme que quatre-vingts ans durant (de 1895, date de l’arrivée de l’urne à Frohsdorf, à 1975) cette urne n’a pas été scellée.
On croit faire un cauchemar ! Qui peut en effet dans de telles conditions assurer qu’il n’y a pas eu de substitution du viscère ?
10°) Les héritiers de Pelletan font contacter M.Barrande, ancien précepteur du comte de Chambord, à qui ils font remettre une notice à ce sujet, en date du 5 juin 1883 (p. 69). Mais le comte décède le 24 août 1883, sans avoir pris de décision. Le comte de Chambord n’a jamais reçu le cœur dit de Pelletan.
Madame de La Chapelle rappelle une lettre du Père Bole, confesseur du comte de Chambord, à son collègue le Père de Boilesve, en date du 17 octobre 1885 : «Ce cœur, Monseigneur l’a reçu après avoir fait examiner toutes les pièces et documents qui en constatent l’authenticité».
Philippe Delorme prétend que le verbe recevoir peut aussi avoir le sens d’accepter, et que d’autre part le Père Bole a pu se tromper et penser que les tractations de 1883 avaient abouti, ce qui, nous venons de le voir, n’est pas le cas (Forum Révolution Française, sur le site Internet Forum Histoire de France, en date du 20 mai 2001).
Le comte de Chambord n’aurait jamais conduit de telles négociations du vivant de la duchesse d’Angoulême sans son accord. On peut donc situer l’événement entre 1851 et 1883.
En français, les mots ont un sens. Le dictionnaire Robert donne pour le verbe recevoir les définitions suivantes : «I. (Sens passif). Se voir adresser (quelque chose). II. (Sens actif). Laisser entrer ou venir à soi, donner accès». Il s’agit là de personnes ou d’objets matériels. Le sens d’accepter ou d’agréer ne s’emploie qu’au niveau des idées ou, dans le judiciaire, pour une requête à un tribunal.
Le cas qui nous occupe concerne un cœur, donc un objet matériel. Le texte du Père Bole est donc sans ambiguïté : le comte de Chambord a bien reçu matériellement un cœur, présenté comme celui de Louis XVII, et qui n’est pas le cœur dit de Pelletan. Il est même vraisemblable que le prêtre, confesseur du prince, a lui-même vu ce cœur. Il n’a donc pu se tromper, d’autant qu’il écrit deux ans après la mort du prince et que ses souvenirs étaient donc tout frais.
Malgré les dénégations de Philippe Delorme, il y a bien eu un cœur, dit de Louis XVII, et qui n’est pas celui de Pelletan, à Frohsdorf avant 1895.
11°) Dans sa relation des événements, Damont déclare (p. 37) : «C’est là, présent à l’opération, que je priai M.Pelletan de me donner des cheveux … ce qu’il m’accorda». Dans sa deuxième déposition, il précise (p. 38) qu’il «reçut de M.Pelletan une touffe de cheveux qu’il a enveloppée dans un journal de ce temps-là». Après la Restauration, Damont est venu trouver Pelletan (p. 38) «afin d’obtenir de lui une authentification de ses reliques capillaires».
Or Damont a voulu offrir ces cheveux à la famille royale. Il raconte en détail sa démarche dans sa déposition du 16 août 1817 au ministère de la Police Générale (R.Chantelauze, Louis XVII, Fimlin-Didot, Paris, 1884, Appendice, pp. 462 à 466). Il fut donc convoqué chez le duc de Grammont, «capitaine des gardes du corps de S.M.». Celui-ci «à l’examen des cheveux, prétendit que ce n’était point les cheveux du Dauphin ; qu’ils étaient d’un blond plus clair ; qu’il avait eu l’occasion de le bien connaître, sa belle-mère ayant été gouvernante des Enfants de France».
Chantelauze ajoute en note : «Le duc de Grammont aurait dû savoir, ce qui n’est ignoré de personne, que les cheveux blonds d’en enfant peuvent passer au brun le plus foncé, à mesure qu’il avance en âge, et que ce changement se produit très fréquemment».
Il est exact que beaucoup d’enfants naissent blonds et que leur chevelure devient châtain, voire châtain foncé, lorsqu’ils grandissent. Mais cela n’est pas le cas pour les vrais blonds, tels que l’étaient Madame Royale et Louis Charles qui tenaient leur chevelure blond cendré de leur mère. Et cela, Chantelauze ne pouvait pas l’ignorer : sa remarque n’a donc aucune valeur en ce qui concerne Louis XVII.
Il en résulte que les cheveux conservés par Damont depuis l’autopsie ne provenaient pas de la tête de Louis Charles et cet élément à lui seul est une preuve que l’enfant autopsié le 9 juin 1795 n’était pas Louis XVII.
Ce qui réduit à néant les «arguments» de Philippe Delorme.
12°) Mais l’affaire des cheveux ne s’arrête pas là !
Sur le Mémoire de la main de Pelletan en date du 4 décembre 1818 (p. 135), se trouve en dernière page une note écrite par l’abbé Lafont d’Aussone, historien de la Reine, en date du 15 juillet 1836. Cet ecclésiastique était le neveu de la marquise de Talaru auquel Pelletan avait confié son Mémoire pour le communiquer à la duchesse d’Angoulême. L’abbé écrit : «Je déclare, en outre, que le docteur Pelletan, longtemps avant la chute de Bonaparte, m’avait montré le cœur de Louis XVII et sa jolie chevelure d’un blond cendré, toute bouclée».
D’où proviennent ces «cheveux de Louis XVII» ?
Philippe Delorme pose bien cette question (p. 136), mais se révèle incapable d’y répondre autrement que par des hypothèses, contredites par les dires de Pelletan lui-même.
En page 116 en effet, nous lisons : «Le sieur Damont … me pria de lui donner une poignée de cheveux ; ce que je fis …. À la condition de m’en rendre la moitié : je ne réclamai pas cette moitié, ayant le cœur en ma possession. Le sieur Damont est venu réclamer mon certificat pour … appuyer la vérité, en déposant entre les mains de S.A.R. Madame la poignée de cheveux que je lui avais donnée et que j’ai fort bien reconnue».
Cette déposition de Pelletan est très claire :
- Pelletan n’a pas pris de cheveux lors de l’autopsie ;
- Il n’a pas réclamé à Damont la moitié des cheveux de l’enfant autopsié que celui-ci était censé devoir lui rendre ;
- La poignée de cheveux présentée par Damont au duc de Grammont est complète et Pelletan l’a reconnue.
Or cette poignée de cheveux a été refusée parce qu’elle n’était pas de la teinte de cheveux blond cendré du Dauphin.
La conclusion est claire : Pelletan est un trafiquant de pseudo reliques royales.
En page 68, parlant du fils Pelletan, Philippe Delorme écrit : «Quelle récompense chimérique peut donc espérer le détenteur des pauvres restes de Louis XVII ?». Cette fausse naïveté ne peut tromper personne. Du temps même de la révolution, les reliques de la famille royale ou les objets divers provenant du pillage des châteaux royaux se monnayaient à prix d’or à Paris. Leur cote n’a pas baissé depuis, ainsi qu’en témoignent les montants atteints lors d’enchères publiques. Ce n’est sans doute pas une récompense honorifique, mais elle est sonnante et trébuchante !
13°) En page 12, Philippe Delorme écrit : «À Versailles, aux Tuileries, Louis Charles rayonnait de vitalité». C’est exact, mais cette vitalité n’a pas pris fin le 10 août 1792. Au Temple encore, il était parfaitement sain et vif : durant le «préceptorat» de Simon - et encore conviendrait-il, avant tout, de prouver que l’enfant confié à Simon était bien encore Louis XVII ! -, il courait en tout sens, riant, chantant, jouant au vu et au su de tous. Le 19 janvier 1794, les commissaires de la Commune de service au Temple, dont Lorinet, officier de santé, délivrèrent au couple Simon une décharge où l’enfant était déclaré «en bonne santé».
On ne peut donc parler d’une éventuelle maladie de Louis XVII qu’après le 19 janvier 1794. Et là, encore faut-il prouver au préalable qu’il s’agissait bien de Louis XVII !
Or le procès-verbal d’autopsie (De Beauchesne, op. cit., Livre XVIII, page 330, note 1) termine par cette conclusion : «Tous les désordres dont nous venons de donner les détails sont évidemment l’effet d’un vice scrofuleux existant depuis longtemps, et auquel on doit attribuer la mort de l’enfant». La scrofule, forme de tuberculose, est une maladie à évolution lente. Un délai de 16 mois est absolument incompatible avec la conclusion des médecins.
Cette constatation est encore une preuve que l’enfant autopsié le 9 juin 1795 n’était pas Louis XVII. Il est donc parfaitement abusif de parler de la maladie de Louis XVII.
En page 12, Philippe Delorme écrit : «Le 9 mai (1793), le docteur Thierry prescrit aussitôt un traitement antiscrofuleux». L’historien De Beauchesne nous donne pour les mois de mai, juin et juillet 1793 les ordonnances du docteur Thierry pour le «fils de Marie-Antoinette» (De Beauchesne, op. cit., Documents et pièces justificatives, VII, pp. 492 à 495) : on y relève force petit lait clarifié, du miel de Narbonne, une médecine «composée de follicules mannes choisis, coriandre, et sel de Glauber», des baies de genièvre, un bouillon «avec cuisses et reins de grenouille, avec addition de sucs de plantes, et terre foliée minérale», un lavement «avec carraline de Corse, suc de citron et huile d’olive», et du sirop vermifuge.
Tout ceci n’a rien à voir avec la scrofule, mais relève exclusivement de la diététique.
Un de mes ancêtres, l’abbé François Rozier, né en 1734 et décédé en 1793 (nous descendons en ligne féminine directe de son frère aîné Jacques Matthieu Rozier), fut un agronome et savant très connu et estimé au XVIIIème siècle (on l’appelait le Columelle français), membre ou associé ou correspondant d’un grand nombre d’académies en France et à l’étranger. Entre autres œuvres, il a laissé un Cours complet d’Agriculture, compilation sur nombre de sujets non seulement agricoles, mais aussi scientifiques, et notamment médicaux.
Dans le Tome IV, édité en 1786, en page 137, il traite de la scrofule et des écrouelles. Il dit notamment : «Je dirai que le lait, dont on abuse dans certains pays froids et humides, surtout s’il est grossier, contribue beaucoup au développement de cette maladie». Citant des médecins qui ont été ses correspondants, il conseille comme remèdes : l’onguent de tabac, l’emplâtre de savon camphré, le cataplasme à la mie de pain, avec de la racine de bryone, les feuilles de ciguë, les frictions mercurielles, l’usage des eaux de Barèges, les gommes résolutives, la scille, la rue, l’alcali fixe végétal, et comme remontant le quinquina tonique.
Dans le Tome III, édité en 1783, il traite de la constipation. Il constate que cette affection peut occasionner de violents maux de tête, et même des coups de sang. Il préconise pour cette affection les lavements émollients, avec les décoctions de son, de graine de lin, de poirée, de pariétaire et de miel. Il y ajoute le petit lait, l’eau de poirée, de laitue, l’eau de veau légère, et la dissolution de 2 ou 3 onces de manne, avec un gros de crème de tartre, dans une pinte des boissons susdites.
Le docteur Thierry, de mai à juillet 1793, a tout simplement soigné un jeune garçon sujet à la constipation.
Il n’a a pas eu de «maladie de Louis XVII». Cette affirmation erronée sort tout droit du livre du docteur Petrie (J.H.Petrie, op. cit., chap. 6, pp. 59 à 69).
14°) Le procès-verbal d’autopsie dit : «…un enfant qui nous a paru âgé d’environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être celui de défunt Louis Capet …» (De Beauchesne, op. cit.). Cette procédure est tout simplement légale : le médecin légiste n’a pas à se prononcer sur l’identité du cadavre qu’il autopsie. Il reprend simplement ce qui lui a été dit. Cette déclaration ne prouve donc strictement rien quant à l’identité du cadavre.
Par ailleurs, nombre d’historiens se sont accrochés à l’âge «d’environ dix ans» attribué par les médecins à l’enfant. C’est ne pas tenir compte des faits. Tout un chacun en France savait que le petit duc de Normandie était né en 1785. Lui donner un autre âge - fut-il évident ! - après l’avoir désigné comme «le fils de défunt Louis Capet», c’était signaler une supercherie et, par conséquent, prendre un billet direct pour l’échafaud. Et ceci d’autant plus que les médecins avaient tout lieu de penser que personne ne serait jamais en mesure de vérifier leurs dires, ce qui, malheureusement pour eux, s’est produit et a révélé le mensonge. Faite dans ces conditions, l’indication de l’âge ne prouve rien.
Toute autopsie commence par un examen minutieux externe du cadavre. Les médecins ont réalisé cet examen avec soin. Notons d’ailleurs que parmi eux se trouvait le docteur Lassus qui était professeur de médecine légale (De Beauchesne, op. cit., p. 329). Ils ne notèrent aucun signe corporel significatif sur le cadavre de l’enfant. Or Louis Charles possédaient des marques corporelles (voir message à ce sujet sur le Forum Louis XVII) dont certaines étaient connues et que les médecins ne pouvaient pas ne pas chercher. S’ils ne les ont pas notés, c’est qu’ils n’existaient pas sur le cadavre.
Au sujet de ces marques corporelles du Dauphin, il faut préciser :
- Louis XVI avait fait inoculer ses enfants contre la petite vérole (maladie alors souvent mortelle et que l’on appelle aujourd’hui la variole). Il avait voulu en faire un exemple et tous les médecins de l’époque étaient au courant, surtout des sommités comme ceux qui ont pratiqué l’autopsie de l’enfant du Temple. Ils ne pouvaient donc pas ne pas en rechercher les traces.
- Le naevus maternus était parfaitement connu du docteur Jeanroy qui avait dit à ce sujet qu’il ferait identifier le Dauphin entre dix mille. Il était aussi vraisemblablement connu du docteur Lassus qui était professeur de médecine légale. En outre cette marque était parfaitement visible de par sa nature même et située à surface intérieure de la cuisse gauche. Or le texte même du procès-verbal d’autopsie souligne que les médecins ont vu à cet endroit des traces de putréfaction. Ils ne pouvaient pas ne pas remarquer ce signe s’il avait existé sur le cadavre qu’ils autopsiaient.
- Il est possible qu’ils n’aient pas remarqué les dents de lapin (deux incisives alignées en avant), placées à l’intérieur de la bouche, ni la longueur anormale des lobes des oreilles, surtout la droite.
- En ce qui concerne la cicatrice de morsure de lapin, cet incident avait été signalé par la presse (L’Observateur du 11 mars 1790). Mais l’incident datait déjà de cinq ans et les médecins pouvaient fort bien l’avoir oublié. Néanmoins la présence de la cicatrice correspondante aurait dû être notée, car dans une autopsie toute cicatrice peut avoir son importance pour déterminer la cause de la mort (ce qui est le but essentiel de toute autopsie), et le procès-verbal d’autopsie prouve que les quatre médecins se sont livrés à un examen minutieux externe du corps. Ce procès-verbal devrait donc mentionner cette petite cicatrice, ce qui n’est pas le cas.
Nous avons là une preuve supplémentaire que l’enfant autopsié le 9 juin 1794 n’était pas Louis XVII.
Remarquons en outre que les docteurs, connaissant leur existence sur le vrai Louis Charles, auraient fort bien pu les imaginer : ayant relevé déjà des marques de putréfaction «au ventre, au scrotum et au-dedans des cuisses» (cette dernière indication prouve qu’il ont regardé l’intérieur des cuisses, donc de la cuisse gauche), ils n’auraient couru aucun risque. Ces marques se trouvant dans les chairs et non dans les os auraient disparu en quelques jours. Ils ont eu l’honnêteté de ne pas le faire, alors que personne ne leur aurait reproché ce mensonge.
Le but d’une autopsie consiste certes essentiellement à définir les causes du décès, mais elle doit aussi enregistrer toutes les caractéristiques qui pourraient servir, le cas échéant, à vérifier l’identité du défunt. Et il s’agissait quand même - soi-disant ! - du fils de Louis XVI !
Ce qui n’empêche pas Philippe Delorme de considérer ce procès-verbal d’autopsie comme une preuve d’identité du jeune défunt avec Louis XVII.
15°) Lors des analyses d’ADN ayant porté sur l’os prétendu de Naundorf, le professeur Cassiman a déclaré avoir isolé l’ADN de l’impératrice Marie-Thérèse (et non celui de sa fille Marie-Antoinette). En réalité, d’après le rapport même du professeur Cassiman, de forts éléments de doute subsistaient dans les résultats des recherches sur cet ADN (Philippe A.Boiry, On tue encore Louis XVII, Presses de Valmy, Paris, 1998, pp. 296 à 298).
Le docteur Pascal, qui menait une recherche parallèle en France, a formulé par écrit ses doutes sur la validité de cet ADN (Philippe A.Boiry, op. cit., pp. 186-187).
En définitive, les opérations dirigées par Philippe Delorme se résument à cela :
- On a extrait de l’ADN d’un cœur d’enfant dont on ignore la véritable origine ;
- On a comparé l’ADN ainsi obtenu à un ADN de référence de qualité non scientifiquement prouvée.
Et on nous annonce à grand son de trompes médiatiques que c’est bien le cœur de Louis XVII et que celui-ci est donc bien mort au Temple le 8 juin 1795.
Cette annonce, qualifiée par ses auteurs comme étant «le verdict de la science» n’a strictement aucune valeur. Elle ne prouve qu’une chose : malgré leurs rodomontades, ses auteurs sont incapables d’apporter la moindre preuve convaincante de ce qu’ils prétendent.
On peut remarquer pour terminer que même si ce cœur comportait un ADN semblable à celui de l’impératrice Marie-Thérèse, cela ne prouverait qu’une chose : c’est qu’il s’agit du cœur d’un Habsbourg. Pour arriver à la conclusion qu’il s’agirait de celui de Louis XVII, il faut encore apporter impérativement la preuve qu’il s’agit aussi d’un Bourbon, preuve qui fait totalement défaut.
Pour terminer, il est curieux de remarquer que la méthode suivie par Philippe Delorme est la copie exacte de celle adoptée depuis 1990 par le docteur J.H.Petrie. L’un comme l’autre affirment que leur livre est un ouvrage historique et même scientifique (J.H.Petrie, op. cit.). L’affirmation par Philippe Delorme que c’est bien Louis XVII qui est mort au Temple le 8 juin 1795, ainsi que les affabulations sur la prétendue maladie de Louis XVII, sont reprises directement du livre du docteur Petrie.
Une autre ressemblance entre les ouvrages de Philippe Delorme et du docteur Petrie n’échappe pas à l’examen : ces deux livres sont accompagnés de notes abondantes, mais qui sont rejetées en fin de volume. On sait que nombre de lecteurs, dans ce cas, ne va pas les lire. Or il est fréquent que ce qui est précisé dans ces notes contredise ce qui est écrit dans le texte. Cette façon de procéder est donc particulièrement habile, mais trompe le lecteur.
Philippe Delorme déclare en page 79 que le docteur Petrie a réuni «des preuves convaincantes selon lesquelles Louis XVII est bien mort au Temple». L’ouvrage du docteur Petrie est en langue néerlandaise : Philippe Delorme peut-il lire le néerlandais ? En réalité, malgré certaines recherches, le livre du docteur Petrie est un florilège d’erreurs, de mensonges avérés, d’affirmations sans fondement, de choix arbitraires de faits et de témoignages, de fausses naïvetés, ce qui lui ôte toute crédibilité. La collusion entre les deux hommes est évidente.
Michel Jaboulay (+)
Chercheur émérite sur la question de Louis XVII
Diplômé H.E.C.
Rallié à la thèse de l'exfiltration de Louis XVII, aux lendemains de la séparation avec sa famille.
2°) Le squelette exhumé au cimetière Sainte-Marguerite à l’endroit indiqué par le fossoyeur Bertrancourt a été examiné en 1894 par un groupe d’éminents médecins (que le docteur Petrie qualifie lui-même de «fine fleur de la médecine parisienne à l’époque»). Cet examen a retrouvé les traces d’une part des atteintes scrofuleuses aux endroits signalés par le rapport d’autopsie du 9 juin 1795 et d’autre part les traces de scie (y compris l’échappée de scie) décrites par le docteur Pelletan, qui officiait. En outre, cet examen à prouvé qu’il s’agissait d’un adolescent mâle âgé au minimum de quatorze ans (alors que Louis XVII n’en avait que dix à l’époque). Continuer d’affirmer donc que Louis XVII est décédé au Temple le 8 juin 1795 et que sa dépouille a été jetée dans la fosse commune où on ne peut plus la retrouver consiste à nier une vérité scientifiquement démontrée.
3°) Pelletan fait au fil de ses témoignages des déclarations contradictoires au sujet du «pieux larcin», disant d’une part qu’il ne courait aucun risque (p.30 : sa déposition de 1817 et p. 48 : à la duchesse d’Angoulême), mais d’autre part que le docteur Lassus l’a «félicité de sa témérité» (p. 103 : le 13 juin 1816), pour finir par déclarer «Vous savez qu’il pouvait y aller de ma vie» (mai 1817, dans une lettre au docteur Dumangin). Pelletan n’est pas un témoin crédible : il n’apporte aucune preuve qu’il se soit réellement emparé du cœur de l’enfant autopsié. Professeur d’anatomie (p. 31), il possédait chez lui une collection de pièces anatomiques conservées au départ, comme toujours à l’époque, dans l’esprit de vin.
Qui plus est, Pelletan ment effrontément en parlant de ses visites à l’enfant au Temple (p. 124 : dans Préliminaire du Mémoire de 1814, et p. 102 : dans son Exposé du 13 juin 1816), alors que ses dires son démentis par l’historien De Beauchesne (Louis XVII, Plon, Paris, Tome II, Livre XVIII, pp. 316 à 326) : Pelletan est un faux témoin.
Or l’existence même du cœur dit de Pelletan ne repose que sur ses dires : il n’existe aucune preuve matérielle que le cœur dit de Pelletan ait été prélevé sur l’enfant qu’il a autopsié devant ses trois confrères le 9 juin 1795.
4°) Philippe Delorme invoque les témoignages de ceux qui ont assisté à l’autopsie.
Le docteur Jeanroy n’a laissé aucune déclaration à ce sujet (p. 38).
Le gardien Lasne, interrogé par l’historien De Beauchesne, dans les années 1830, a refusé de croire à l’authenticité du cœur dit de Pelletan, en précisant (p. 30) qu’il «avait assisté à l’autopsie, et n’avait pas quitté un seul instant l’opérateur». Mais lors du procès de 1874, Maître Jules Favre démontra à la Cour que Lasne était un faux témoin (Louis XVII, plaidoirie de Maïtre Jules Favre, Librairie Internationale, Paris, 1891, pp. 191 à 208).
Dans son Mémoire de 1816, Pelletan dit (p. 36) : «J’osai soustraire le cœur et je n’en fis part qu’à M.Lassus». Mais le docteur Lassus est décédé le 7 mars 1807, à Paris (Cercle d’Études Historiques sur la Question de Louis XVII, Cahiers Louis XVII, N° 10 Spécial, janvier 1997, p. 34) et ne s’est jamais exprimé à ce sujet.
Dans une note datée de 1817, annexée à ses «Preuves Authentiques de la mort du jeune Louis XVII», en page 39, l’historien A. Antoine de Saint-Gervais cite le docteur Dumangin : «M.Dumangin atteste qu’à la fin de l’opération il a vu M.Pelletan envelopper soigneusement quelques chose qu’il mit dans sa poche …. Il est moralement convaincu de la vérité du fait». Mais dans une lettre à Pelletan, en date du 1er mai 1817, son confrère Dumangin écrit : «dans l’instant où vous dites avoir soustrait une partie précieuse du jeune roi». La première déclaration reste dans le vague sur la pièce soustraite par Pelletan, mais la lettre met le fait carrément en doute. La différence entre les deux déclarations est que la première était faite devant un tiers sous la Restauration (et une négation aurait pu faire accuser alors Pelletan non seulement de tentative d’escroquerie, mais de crime de lèse-majesté), tandis que la seconde est d’ordre strictement privé. Qui plus est, et comme Pelletan, les déclarations que fait Dumangin sur ses visites au Temple sont mensongères : Dumangin est, lui aussi, un faux témoin.
Dans sa déposition du 6 août 1817, l’ex-commissaire Damont déclare (p. 37) : «Je priai M.Pelletan de me donner des cheveux». Mais il est plus précis (p. 38) dans sa déposition du 16 août 1817 : «Il le pria de lui donner quelques uns de ses cheveux ; ce qu’il fit, en prenant des précautions pour que son action ne fut pas remarquée de M.Dumangin». Ce qui prouve que Dumangin n’a rien vu et que l’attestation citée par A. Antoine de Saint-Gervais est de pure complaisance. Selon Philippe Delorme, ce serait à la suite de ces dépositions que Damont serait venu trouver Pelletan pour lui demander «une authentification de ses reliques capillaires» (p. 38), et il présente cette requête (p. 38) comme «une reconnaissance au moins implicite des prétentions du docteur», alors qu’il constate plus loin que «ni Lasne, ni Damont n’ont vu Pelletan s’emparer du précieux viscère». Comment Damont pourrait-il donner une reconnaissance, même implicite, d’un geste de Pelletan dont il n’est pas témoin ?
Signalons en outre que De Beauchesne mentionne trois autres personnages qui ont assisté à l’autopsie (Louis XVII, op. cit., p. 328) : le commissaire Darlot, ainsi que Bigot et Bouquet. Pelletan n’en fait pas mention. Il serait pourtant étrange que sur huit témoins il n’y en ait pas un seul pour avoir remarqué son geste !
En résumé, sur les huit témoins ayant assisté à l’autopsie, deux sont décédés sans avoir rien dit à ce sujet, deux sont des faux témoins, les autres n’ont rien vu. Nous sommes en plein délire !
5°) Philippe Delorme cite encore les témoignages de ceux qui ont vu le cœur.
Nous venons de voir que Pelletan dit en avoir fait la confidence (p. 103) à son confrère Lassus, mais d’une part il ne dit pas lui avoir montré l’organe, et d’autre part Lassus est décédé en 1807 sans avoir rien dit.
Pelletan s’exprime ainsi (p. 42) au sujet de Tillos : «Les grands orages de la révolution étant calmés, j’eus l’imprudence, un jour, de montrer ce cœur, en même temps que d’autres pièces que mon tiroir renfermait, à un M.Tillos, mon élève particulier».
Dans une note datée du 15 juillet 1836, l’abbé Lafont d’Aussone déclare (p. 135) : «Le docteur Pelletan, bien avant la chute de Bonaparte, m’avait montré le cœur de Louis XVII».
Enfin, Pelletan a écrit (p. 127) : «Madame la comtesse de Clermont-Tonnerre a vu ce cœur».
À part Lassus qui n’a peut-être rien vu et n’a en tout cas rien dit, de quelle preuve les trois autres témoins ont-ils disposé pour identifier ce cœur comme étant celui de Louis XVII, ou même simplement comme celui de l’enfant autopsié ? Exclusivement de propres paroles de Pelletan qui, nous l’avons vu, est lui-même un faux témoin.
6°) Pelletan dit (p. 43) avoir proposé à la veuve Tillos un reçu pour disculper la mémoire de son mari. Mais d’une part, le médecin n’avait pas osé réclamer le cœur à son élève (p. 43), et d’autre part la veuve Tillos ne lui demandait rien, d’autant que cette restitution se déroulait en cercle privé. Le geste charitable du médecin visait en réalité un tout autre but : c’est la première fois que ce cœur a une existence matérielle, concrète, et qu’il est présenté par écrit comme celui de Louis XVII.
Or sur quoi repose ce reçu délivré par le médecin ? Une fois de plus sur la seule parole de Pelletan, parole qui, nous l’avons vu, n’a aucune valeur ! À la fin du reçu, Pelletan ajoute : «Le procès-verbal de l’ouverture et autres pièces qui y sont relatives fourniront la preuve de ces faits». Ce sont là les parole d’un escroc. Les pièces dont il parle prouvent seulement qu’il a participé à l’ouverture du corps, ce que personne n’a jamais nié. Par contre, elles n’apportent aucune preuve que Pelletan se soit emparé du cœur, ni que le garçon autopsié ait été Louis XVII.
Ce qui n’empêche pas Philippe Delorme de présenter cette mascarade comme une preuve d’authenticité du viscère.
7°) Il est par ailleurs remarquable que ce reçu soit daté (p. 128) du 23 avril 1814. Dans sa Narration à Mgr de Quélen, datée de 1828, le médecin écrit (p. 135) : «Madame la duchesse d’Angoulême devait paraître la première».
Or ceci est faux. En effet dans ce texte à Mgr de Quélen, Pelletan dit que la duchesse d’Angoulême serait arrivée la première à Paris, ce que dément la chronologie des événements : le 6 avril 1814, le Sénat appelle Louis Stanislas Xavier de Bourbon sur le trône de France. Il ne quitta sa résidence d’Hartwell, en Grande-Bretagne, que le 20 et s’installa à Compiègne le 29 avril : la duchesse d’Angoulême ne l’avait pas quitté depuis Mittau, en 1799, et elle entra à ses côtés à Paris le 3 mai 1814 (G. Bordonove, Louis XVII, Pygmalion, Paris, 1989, pp. 131 à 141). Le comte d’Artois, nommé Lieutenant Général du Royaume par son frère, était pour sa part arrivé à paris dès le 12 avril (J.Orieux, Talleyrand, Flammarion, Paris, 1970, p. 582).
Une fois de plus, nous prenons Pelletan en flagrant délit de mensonge sur cette chronologie. Il écrit en effet cette Narration en 1828 et il ne s’est écoulé que 14 ans depuis les événements.
Mais ce qui est grave, c’est que Philippe Delorme ne se donne même pas la peine, qu’exigerait un minimum de respect pour ses lecteurs, de vérifier les faits et les dates. Ceci est inadmissible de la part d’un homme qui se présente comme historien.
8°) Déposé à l’Archevêché de Paris, après avoir été refusé par la famille royale, le viscère disparaît lors du pillage par des émeutiers (p. 58) en date du 29 juillet 1830. Pelletan fils, lui aussi médecin, le retrouve par hasard quelques jours plus tard (p. 66) et le reconnaît : «Il avait encore conservé son odeur d’esprit de vin». Belle preuve que voilà ! Toutes les pièces anatomiques de l’époque étaient conservées dans l’esprit de vin et nous savons que Pelletan père, professeur d’anatomie (p. 31), possédait ses propres collections anatomiques, et notamment dans son tiroir (p. 42).
S’agit-il toujours du cœur de 1814 (dont rien ne prouve qu’il provenait de 1795) ? Rien ne le prouve.
9°) Le cœur remis à Don Carlos, Frohsdorf, fit l’objet d’une décharge, accompagnée d’une note décrivant minutieusement l’urne, en date du 22 juin 1895.
Sur les photos de l’époque (Revue rétrospective, 1894), on voit très bien en effet l’organe très haut dans le vase, tout contre le couvercle. Les morceaux de cristal de l’urne d’origine (brisée lors du sac de l’Archevêché de Paris) sont parfaitement visibles, reposant sur le fond du vase.
Sur les photos publiées en avril 2000 par Philippe Delorme (p. 136), les morceaux de cristal ont disparu. Le cœur est situé beaucoup plus bas dans l’urne et l’on voit nettement un petit cylindre attenant au couvercle, auquel il est suspendu par un fil ténu. Qui plus est, la forme du cœur lui-même n’est plus la même : il est plus oblong qu’en 1894. Or, il est impossible qu’un organe «devenu aussi dur que le bois» se soit pareillement déformé sous l’influence de son propre poids.
Ces constatations proviennent du travail minutieux effectué par Madame de La Chapelle. Il est curieux de constater que Philippe Delorme s’abstient de reprendre dans son livre la photo de 1894 !
Enfin, cet auteur parle (p. 90), de «la tâche délicate de disjoindre les deux hémisphère du vase de cristal, qui ont été hermétiquement scellés - sans doute vers 1975, époque du retour du reliquaire en France». Il découle de cet écrit de Philippe Delorme que quatre-vingts ans durant (de 1895, date de l’arrivée de l’urne à Frohsdorf, à 1975) cette urne n’a pas été scellée.
On croit faire un cauchemar ! Qui peut en effet dans de telles conditions assurer qu’il n’y a pas eu de substitution du viscère ?
10°) Les héritiers de Pelletan font contacter M.Barrande, ancien précepteur du comte de Chambord, à qui ils font remettre une notice à ce sujet, en date du 5 juin 1883 (p. 69). Mais le comte décède le 24 août 1883, sans avoir pris de décision. Le comte de Chambord n’a jamais reçu le cœur dit de Pelletan.
Madame de La Chapelle rappelle une lettre du Père Bole, confesseur du comte de Chambord, à son collègue le Père de Boilesve, en date du 17 octobre 1885 : «Ce cœur, Monseigneur l’a reçu après avoir fait examiner toutes les pièces et documents qui en constatent l’authenticité».
Philippe Delorme prétend que le verbe recevoir peut aussi avoir le sens d’accepter, et que d’autre part le Père Bole a pu se tromper et penser que les tractations de 1883 avaient abouti, ce qui, nous venons de le voir, n’est pas le cas (Forum Révolution Française, sur le site Internet Forum Histoire de France, en date du 20 mai 2001).
Le comte de Chambord n’aurait jamais conduit de telles négociations du vivant de la duchesse d’Angoulême sans son accord. On peut donc situer l’événement entre 1851 et 1883.
En français, les mots ont un sens. Le dictionnaire Robert donne pour le verbe recevoir les définitions suivantes : «I. (Sens passif). Se voir adresser (quelque chose). II. (Sens actif). Laisser entrer ou venir à soi, donner accès». Il s’agit là de personnes ou d’objets matériels. Le sens d’accepter ou d’agréer ne s’emploie qu’au niveau des idées ou, dans le judiciaire, pour une requête à un tribunal.
Le cas qui nous occupe concerne un cœur, donc un objet matériel. Le texte du Père Bole est donc sans ambiguïté : le comte de Chambord a bien reçu matériellement un cœur, présenté comme celui de Louis XVII, et qui n’est pas le cœur dit de Pelletan. Il est même vraisemblable que le prêtre, confesseur du prince, a lui-même vu ce cœur. Il n’a donc pu se tromper, d’autant qu’il écrit deux ans après la mort du prince et que ses souvenirs étaient donc tout frais.
Malgré les dénégations de Philippe Delorme, il y a bien eu un cœur, dit de Louis XVII, et qui n’est pas celui de Pelletan, à Frohsdorf avant 1895.
11°) Dans sa relation des événements, Damont déclare (p. 37) : «C’est là, présent à l’opération, que je priai M.Pelletan de me donner des cheveux … ce qu’il m’accorda». Dans sa deuxième déposition, il précise (p. 38) qu’il «reçut de M.Pelletan une touffe de cheveux qu’il a enveloppée dans un journal de ce temps-là». Après la Restauration, Damont est venu trouver Pelletan (p. 38) «afin d’obtenir de lui une authentification de ses reliques capillaires».
Or Damont a voulu offrir ces cheveux à la famille royale. Il raconte en détail sa démarche dans sa déposition du 16 août 1817 au ministère de la Police Générale (R.Chantelauze, Louis XVII, Fimlin-Didot, Paris, 1884, Appendice, pp. 462 à 466). Il fut donc convoqué chez le duc de Grammont, «capitaine des gardes du corps de S.M.». Celui-ci «à l’examen des cheveux, prétendit que ce n’était point les cheveux du Dauphin ; qu’ils étaient d’un blond plus clair ; qu’il avait eu l’occasion de le bien connaître, sa belle-mère ayant été gouvernante des Enfants de France».
Chantelauze ajoute en note : «Le duc de Grammont aurait dû savoir, ce qui n’est ignoré de personne, que les cheveux blonds d’en enfant peuvent passer au brun le plus foncé, à mesure qu’il avance en âge, et que ce changement se produit très fréquemment».
Il est exact que beaucoup d’enfants naissent blonds et que leur chevelure devient châtain, voire châtain foncé, lorsqu’ils grandissent. Mais cela n’est pas le cas pour les vrais blonds, tels que l’étaient Madame Royale et Louis Charles qui tenaient leur chevelure blond cendré de leur mère. Et cela, Chantelauze ne pouvait pas l’ignorer : sa remarque n’a donc aucune valeur en ce qui concerne Louis XVII.
Il en résulte que les cheveux conservés par Damont depuis l’autopsie ne provenaient pas de la tête de Louis Charles et cet élément à lui seul est une preuve que l’enfant autopsié le 9 juin 1795 n’était pas Louis XVII.
Ce qui réduit à néant les «arguments» de Philippe Delorme.
12°) Mais l’affaire des cheveux ne s’arrête pas là !
Sur le Mémoire de la main de Pelletan en date du 4 décembre 1818 (p. 135), se trouve en dernière page une note écrite par l’abbé Lafont d’Aussone, historien de la Reine, en date du 15 juillet 1836. Cet ecclésiastique était le neveu de la marquise de Talaru auquel Pelletan avait confié son Mémoire pour le communiquer à la duchesse d’Angoulême. L’abbé écrit : «Je déclare, en outre, que le docteur Pelletan, longtemps avant la chute de Bonaparte, m’avait montré le cœur de Louis XVII et sa jolie chevelure d’un blond cendré, toute bouclée».
D’où proviennent ces «cheveux de Louis XVII» ?
Philippe Delorme pose bien cette question (p. 136), mais se révèle incapable d’y répondre autrement que par des hypothèses, contredites par les dires de Pelletan lui-même.
En page 116 en effet, nous lisons : «Le sieur Damont … me pria de lui donner une poignée de cheveux ; ce que je fis …. À la condition de m’en rendre la moitié : je ne réclamai pas cette moitié, ayant le cœur en ma possession. Le sieur Damont est venu réclamer mon certificat pour … appuyer la vérité, en déposant entre les mains de S.A.R. Madame la poignée de cheveux que je lui avais donnée et que j’ai fort bien reconnue».
Cette déposition de Pelletan est très claire :
- Pelletan n’a pas pris de cheveux lors de l’autopsie ;
- Il n’a pas réclamé à Damont la moitié des cheveux de l’enfant autopsié que celui-ci était censé devoir lui rendre ;
- La poignée de cheveux présentée par Damont au duc de Grammont est complète et Pelletan l’a reconnue.
Or cette poignée de cheveux a été refusée parce qu’elle n’était pas de la teinte de cheveux blond cendré du Dauphin.
La conclusion est claire : Pelletan est un trafiquant de pseudo reliques royales.
En page 68, parlant du fils Pelletan, Philippe Delorme écrit : «Quelle récompense chimérique peut donc espérer le détenteur des pauvres restes de Louis XVII ?». Cette fausse naïveté ne peut tromper personne. Du temps même de la révolution, les reliques de la famille royale ou les objets divers provenant du pillage des châteaux royaux se monnayaient à prix d’or à Paris. Leur cote n’a pas baissé depuis, ainsi qu’en témoignent les montants atteints lors d’enchères publiques. Ce n’est sans doute pas une récompense honorifique, mais elle est sonnante et trébuchante !
13°) En page 12, Philippe Delorme écrit : «À Versailles, aux Tuileries, Louis Charles rayonnait de vitalité». C’est exact, mais cette vitalité n’a pas pris fin le 10 août 1792. Au Temple encore, il était parfaitement sain et vif : durant le «préceptorat» de Simon - et encore conviendrait-il, avant tout, de prouver que l’enfant confié à Simon était bien encore Louis XVII ! -, il courait en tout sens, riant, chantant, jouant au vu et au su de tous. Le 19 janvier 1794, les commissaires de la Commune de service au Temple, dont Lorinet, officier de santé, délivrèrent au couple Simon une décharge où l’enfant était déclaré «en bonne santé».
On ne peut donc parler d’une éventuelle maladie de Louis XVII qu’après le 19 janvier 1794. Et là, encore faut-il prouver au préalable qu’il s’agissait bien de Louis XVII !
Or le procès-verbal d’autopsie (De Beauchesne, op. cit., Livre XVIII, page 330, note 1) termine par cette conclusion : «Tous les désordres dont nous venons de donner les détails sont évidemment l’effet d’un vice scrofuleux existant depuis longtemps, et auquel on doit attribuer la mort de l’enfant». La scrofule, forme de tuberculose, est une maladie à évolution lente. Un délai de 16 mois est absolument incompatible avec la conclusion des médecins.
Cette constatation est encore une preuve que l’enfant autopsié le 9 juin 1795 n’était pas Louis XVII. Il est donc parfaitement abusif de parler de la maladie de Louis XVII.
En page 12, Philippe Delorme écrit : «Le 9 mai (1793), le docteur Thierry prescrit aussitôt un traitement antiscrofuleux». L’historien De Beauchesne nous donne pour les mois de mai, juin et juillet 1793 les ordonnances du docteur Thierry pour le «fils de Marie-Antoinette» (De Beauchesne, op. cit., Documents et pièces justificatives, VII, pp. 492 à 495) : on y relève force petit lait clarifié, du miel de Narbonne, une médecine «composée de follicules mannes choisis, coriandre, et sel de Glauber», des baies de genièvre, un bouillon «avec cuisses et reins de grenouille, avec addition de sucs de plantes, et terre foliée minérale», un lavement «avec carraline de Corse, suc de citron et huile d’olive», et du sirop vermifuge.
Tout ceci n’a rien à voir avec la scrofule, mais relève exclusivement de la diététique.
Un de mes ancêtres, l’abbé François Rozier, né en 1734 et décédé en 1793 (nous descendons en ligne féminine directe de son frère aîné Jacques Matthieu Rozier), fut un agronome et savant très connu et estimé au XVIIIème siècle (on l’appelait le Columelle français), membre ou associé ou correspondant d’un grand nombre d’académies en France et à l’étranger. Entre autres œuvres, il a laissé un Cours complet d’Agriculture, compilation sur nombre de sujets non seulement agricoles, mais aussi scientifiques, et notamment médicaux.
Dans le Tome IV, édité en 1786, en page 137, il traite de la scrofule et des écrouelles. Il dit notamment : «Je dirai que le lait, dont on abuse dans certains pays froids et humides, surtout s’il est grossier, contribue beaucoup au développement de cette maladie». Citant des médecins qui ont été ses correspondants, il conseille comme remèdes : l’onguent de tabac, l’emplâtre de savon camphré, le cataplasme à la mie de pain, avec de la racine de bryone, les feuilles de ciguë, les frictions mercurielles, l’usage des eaux de Barèges, les gommes résolutives, la scille, la rue, l’alcali fixe végétal, et comme remontant le quinquina tonique.
Dans le Tome III, édité en 1783, il traite de la constipation. Il constate que cette affection peut occasionner de violents maux de tête, et même des coups de sang. Il préconise pour cette affection les lavements émollients, avec les décoctions de son, de graine de lin, de poirée, de pariétaire et de miel. Il y ajoute le petit lait, l’eau de poirée, de laitue, l’eau de veau légère, et la dissolution de 2 ou 3 onces de manne, avec un gros de crème de tartre, dans une pinte des boissons susdites.
Le docteur Thierry, de mai à juillet 1793, a tout simplement soigné un jeune garçon sujet à la constipation.
Il n’a a pas eu de «maladie de Louis XVII». Cette affirmation erronée sort tout droit du livre du docteur Petrie (J.H.Petrie, op. cit., chap. 6, pp. 59 à 69).
14°) Le procès-verbal d’autopsie dit : «…un enfant qui nous a paru âgé d’environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être celui de défunt Louis Capet …» (De Beauchesne, op. cit.). Cette procédure est tout simplement légale : le médecin légiste n’a pas à se prononcer sur l’identité du cadavre qu’il autopsie. Il reprend simplement ce qui lui a été dit. Cette déclaration ne prouve donc strictement rien quant à l’identité du cadavre.
Par ailleurs, nombre d’historiens se sont accrochés à l’âge «d’environ dix ans» attribué par les médecins à l’enfant. C’est ne pas tenir compte des faits. Tout un chacun en France savait que le petit duc de Normandie était né en 1785. Lui donner un autre âge - fut-il évident ! - après l’avoir désigné comme «le fils de défunt Louis Capet», c’était signaler une supercherie et, par conséquent, prendre un billet direct pour l’échafaud. Et ceci d’autant plus que les médecins avaient tout lieu de penser que personne ne serait jamais en mesure de vérifier leurs dires, ce qui, malheureusement pour eux, s’est produit et a révélé le mensonge. Faite dans ces conditions, l’indication de l’âge ne prouve rien.
Toute autopsie commence par un examen minutieux externe du cadavre. Les médecins ont réalisé cet examen avec soin. Notons d’ailleurs que parmi eux se trouvait le docteur Lassus qui était professeur de médecine légale (De Beauchesne, op. cit., p. 329). Ils ne notèrent aucun signe corporel significatif sur le cadavre de l’enfant. Or Louis Charles possédaient des marques corporelles (voir message à ce sujet sur le Forum Louis XVII) dont certaines étaient connues et que les médecins ne pouvaient pas ne pas chercher. S’ils ne les ont pas notés, c’est qu’ils n’existaient pas sur le cadavre.
Au sujet de ces marques corporelles du Dauphin, il faut préciser :
- Louis XVI avait fait inoculer ses enfants contre la petite vérole (maladie alors souvent mortelle et que l’on appelle aujourd’hui la variole). Il avait voulu en faire un exemple et tous les médecins de l’époque étaient au courant, surtout des sommités comme ceux qui ont pratiqué l’autopsie de l’enfant du Temple. Ils ne pouvaient donc pas ne pas en rechercher les traces.
- Le naevus maternus était parfaitement connu du docteur Jeanroy qui avait dit à ce sujet qu’il ferait identifier le Dauphin entre dix mille. Il était aussi vraisemblablement connu du docteur Lassus qui était professeur de médecine légale. En outre cette marque était parfaitement visible de par sa nature même et située à surface intérieure de la cuisse gauche. Or le texte même du procès-verbal d’autopsie souligne que les médecins ont vu à cet endroit des traces de putréfaction. Ils ne pouvaient pas ne pas remarquer ce signe s’il avait existé sur le cadavre qu’ils autopsiaient.
- Il est possible qu’ils n’aient pas remarqué les dents de lapin (deux incisives alignées en avant), placées à l’intérieur de la bouche, ni la longueur anormale des lobes des oreilles, surtout la droite.
- En ce qui concerne la cicatrice de morsure de lapin, cet incident avait été signalé par la presse (L’Observateur du 11 mars 1790). Mais l’incident datait déjà de cinq ans et les médecins pouvaient fort bien l’avoir oublié. Néanmoins la présence de la cicatrice correspondante aurait dû être notée, car dans une autopsie toute cicatrice peut avoir son importance pour déterminer la cause de la mort (ce qui est le but essentiel de toute autopsie), et le procès-verbal d’autopsie prouve que les quatre médecins se sont livrés à un examen minutieux externe du corps. Ce procès-verbal devrait donc mentionner cette petite cicatrice, ce qui n’est pas le cas.
Nous avons là une preuve supplémentaire que l’enfant autopsié le 9 juin 1794 n’était pas Louis XVII.
Remarquons en outre que les docteurs, connaissant leur existence sur le vrai Louis Charles, auraient fort bien pu les imaginer : ayant relevé déjà des marques de putréfaction «au ventre, au scrotum et au-dedans des cuisses» (cette dernière indication prouve qu’il ont regardé l’intérieur des cuisses, donc de la cuisse gauche), ils n’auraient couru aucun risque. Ces marques se trouvant dans les chairs et non dans les os auraient disparu en quelques jours. Ils ont eu l’honnêteté de ne pas le faire, alors que personne ne leur aurait reproché ce mensonge.
Le but d’une autopsie consiste certes essentiellement à définir les causes du décès, mais elle doit aussi enregistrer toutes les caractéristiques qui pourraient servir, le cas échéant, à vérifier l’identité du défunt. Et il s’agissait quand même - soi-disant ! - du fils de Louis XVI !
Ce qui n’empêche pas Philippe Delorme de considérer ce procès-verbal d’autopsie comme une preuve d’identité du jeune défunt avec Louis XVII.
15°) Lors des analyses d’ADN ayant porté sur l’os prétendu de Naundorf, le professeur Cassiman a déclaré avoir isolé l’ADN de l’impératrice Marie-Thérèse (et non celui de sa fille Marie-Antoinette). En réalité, d’après le rapport même du professeur Cassiman, de forts éléments de doute subsistaient dans les résultats des recherches sur cet ADN (Philippe A.Boiry, On tue encore Louis XVII, Presses de Valmy, Paris, 1998, pp. 296 à 298).
Le docteur Pascal, qui menait une recherche parallèle en France, a formulé par écrit ses doutes sur la validité de cet ADN (Philippe A.Boiry, op. cit., pp. 186-187).
En définitive, les opérations dirigées par Philippe Delorme se résument à cela :
- On a extrait de l’ADN d’un cœur d’enfant dont on ignore la véritable origine ;
- On a comparé l’ADN ainsi obtenu à un ADN de référence de qualité non scientifiquement prouvée.
Et on nous annonce à grand son de trompes médiatiques que c’est bien le cœur de Louis XVII et que celui-ci est donc bien mort au Temple le 8 juin 1795.
Cette annonce, qualifiée par ses auteurs comme étant «le verdict de la science» n’a strictement aucune valeur. Elle ne prouve qu’une chose : malgré leurs rodomontades, ses auteurs sont incapables d’apporter la moindre preuve convaincante de ce qu’ils prétendent.
On peut remarquer pour terminer que même si ce cœur comportait un ADN semblable à celui de l’impératrice Marie-Thérèse, cela ne prouverait qu’une chose : c’est qu’il s’agit du cœur d’un Habsbourg. Pour arriver à la conclusion qu’il s’agirait de celui de Louis XVII, il faut encore apporter impérativement la preuve qu’il s’agit aussi d’un Bourbon, preuve qui fait totalement défaut.
Pour terminer, il est curieux de remarquer que la méthode suivie par Philippe Delorme est la copie exacte de celle adoptée depuis 1990 par le docteur J.H.Petrie. L’un comme l’autre affirment que leur livre est un ouvrage historique et même scientifique (J.H.Petrie, op. cit.). L’affirmation par Philippe Delorme que c’est bien Louis XVII qui est mort au Temple le 8 juin 1795, ainsi que les affabulations sur la prétendue maladie de Louis XVII, sont reprises directement du livre du docteur Petrie.
Une autre ressemblance entre les ouvrages de Philippe Delorme et du docteur Petrie n’échappe pas à l’examen : ces deux livres sont accompagnés de notes abondantes, mais qui sont rejetées en fin de volume. On sait que nombre de lecteurs, dans ce cas, ne va pas les lire. Or il est fréquent que ce qui est précisé dans ces notes contredise ce qui est écrit dans le texte. Cette façon de procéder est donc particulièrement habile, mais trompe le lecteur.
Philippe Delorme déclare en page 79 que le docteur Petrie a réuni «des preuves convaincantes selon lesquelles Louis XVII est bien mort au Temple». L’ouvrage du docteur Petrie est en langue néerlandaise : Philippe Delorme peut-il lire le néerlandais ? En réalité, malgré certaines recherches, le livre du docteur Petrie est un florilège d’erreurs, de mensonges avérés, d’affirmations sans fondement, de choix arbitraires de faits et de témoignages, de fausses naïvetés, ce qui lui ôte toute crédibilité. La collusion entre les deux hommes est évidente.
Michel Jaboulay (+)
Chercheur émérite sur la question de Louis XVII
Diplômé H.E.C.
Rallié à la thèse de l'exfiltration de Louis XVII, aux lendemains de la séparation avec sa famille.