par BRH » Mardi 30 Août 2011 11:48:28
Voici le récit de René Dollot donné par Antonio Simone, sur le forum Passion-Histoire. Nous l'en remercions vivement. :2:
René DOLLOT.
(Consul de France à Trieste durant les années 1919 à 1931
Né en 1875 et mort en 1962, ancien élève de l'Ecole libre des Sciences Politiques ( 1898)
Docteur en droit (1902), a été nommé consul à Trieste de 1919 à 1929.
Consul général à Milan de 1929 à 1931.
Ministre plénipotentiaire à Kaboul puis chef du service des archives du ministère des Affaires Etrangères à Paris.
Commandeur de la Légion d’Honneur, il ne prend sa retraite qu'en 1937 et a été chargé de cours à l'Académie de Droit international de La Haye en 1939)
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LE DERNIER VOYAGE ET LA MORT
DE MESDAMES ADÉLAÏDE ET VICTOIRE (1)
( Pubblié dans: «Le Correspondant » Paris 10 mars 1931)
« Mesdames»! Quel Français n'évoquerait, à ce nom, les filles de Louis XV:
Elisabeth et Henriette, Madame Sophie,
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Madame Louise, mais surtout Madame Adélaïde et
Madame Victoire (1a) , que le malheur a consacrées ?
Le jour où, Princesses errantes, elles quittèrent Paris, le 19 février 1791, inaugurant, en quelque
sorte, l'émigration, elles sont entrées dans l'histoire. Sans leurs tribulations
suprêmes, leur souvenir n'éveillerait plus qu'un faible écho.
Mortes en terre étrangère, inhumées au bord de l'Adriatique avant de prendre leur place à
Saint-Denis quand la monarchie fut revenue, les tantes de Louis XVI, dont l'une, du moins,
Madame Adélaïde, n'a peut-être pas été sans reproches,éveillent notre pitié.
Souvent, à Trieste, lorsqu'une cérémonie funèbre nous a ramené sous les voûtes de San Giusto,
notre pensée s'est reportée vers les journées de 1799 et de 1800 où leurs cercueils
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furent déposés sous les dalles de la basilique.
Et c'est ainsi que nous avons conçu le projet de les accompagner depuis
Naples, où elles recevaient l'hospitalité des Bourbons, jusqu'au lieu de leur suprême exil,
puis, après avoir rappelé le peu que nous savons de la vie qu'elles y menèrent et les honneurs
dont leur dépouille fut l'objet, de les reconduire jusqu'à ce môle de San Carlo (2)
où, le 7 novembre 1814, elles s'embarquèrent pour leur dernière traversée.
Huit ans s'étaient écoulés depuis le jour où un mot spirituel du général Menou les avait
soustraites à l'échafaud qui déjà, pour elles, comme pour Marie-Antoinette et le roi,
se. profilait à l'horizon. « L'Europe sera bien étonnée, avait-il dit, lorsqu'elle apprendra
que l'Assemblée Nationale a passé quatre heures entières à délibérer sur le départ de deux
dames qui aiment mieux entendre la messe à Rome qu'à Paris.» (3)
Elles avaient pu ansi quitter Arnay-le-Duc, où les retenait une municipalité soupconneuse,
franchir la frontière,retrouver à Turin, Parme, Rome, auprès de Pie VI, des
honneurs princiers, mener au palais de Carolis une vie de retraite sous l'égide du
cardinal de Bernis, tandis qu'en France les têtes qui leur étaient chères tombaient successivement
sous le couteau de la guillotine. Et puis, le vieil ambassadeur étant mort, le réconfort qu'il ne cessait de leur apporter leur manque au moment où les armées du Directoire
ont envahi le Piémont, la Toscane, les Romagnes, où l'opinion
de la Ville Eternelle, d'abord respectueuse, se fait menacante.
Il leur faut chercher un nouvel asile. Elles le demandent au roi des Deux-Siciles, qui le installe à Caserte,le Versailles napolitain (mai 1796).
Trois années encore, elles connaissent une apparence de repos.
Et voici que les armées françaises gagnent l'Italie du Sud.
Les Etats pontificaux sont envahis, Championnet s'approche,Ferdinand doit fuir son royaume.
Il faut partir. Ce sera le suprême exode. Déjà, au terme du chemin, la mort les attend.
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Dans la nuit du 21 au 22 décembre 1798, le roi de Naples et Marie-Caroline, qui, le 14,
offraient à Mesdames de les accompagner en Sicile et de partager avec elles « un pain de
larmes », les ont abandonnées et se sont embarqués clandestinement.
Les souverains, en s'excusant auprès des Princesses,leur déconseillaient de venir à Naples,
où l'on en était fort excité contre les Français: deux émigrés, en effet, avaient
été péniblement soustraits à la fureur populaire.
Ils leur conseillaient « de se rendre à Manfredonia, où elles trouveraient une frégate pour les
transporter à Trieste ou en Sicile, à leur choix». (4)
Selon que l'état des esprits serait ou non favorable, elles pourraient attendre leur suite dans le
petit port adriatique ou devraient s'embarquer immédiatement.
Mesdames optèrent pour Trieste et décidèrent de partir le sur lendemain.
Elles devaient quitter Caserte, le 27, à deux heures du matin. A minuit, elles se rendirent
à la chapelle, entendirent la messe et communièrent. Dans le premier carrosse
où elles prirent place, elles se trouvaient avec la duchesse de Narbonne, (5)
dame d'honneur de Madame Adélaïde, le comte, la comtesse de Chastellux, dame d'honneur
de Madame Victoire, et leur fils César.(6)
La comtesse de Narbonne (7),Mlle de Chastellux,(8) l'évêque de Pergame (9), le médecin
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Lavite et le chirurgien Bousquet s'installèrent dans le second.
Les autres voitures devaient suivre de douze heures en douze heures.
Qu'on se figure le tragique de ce départ en pleine nuit, au coeur de l'hiver, dans des
carrosses surchargés, de ces deux femmes presque septuagénaires, Françaises fuyant l'approche
des Français.
La traversée de la péninsule ne dura que quarante-huit heures.
On roula nuit. et jour par le vent et la neige.
«Il fallut onze heures pour douze milles, et les valets de
pied furent presque gelés sur leur siège»(10)
« Dans la plaine de Foggia, la neige avait effacé le chemin et arrêta plusieurs
fois la voiture de Mesdames, qui furent obligées d'en changer. »
Voyage d'autant plus pénible qu'elles savaient déjà, par un ministre napolitain, qu'à Manfredonia
elles ne trouveraient plus la frégate qui devait les conduire à Trieste avec le marquis de Gallo.
Les semaines qui suivent sont remplies de péripéties et d'angoisses.
Le 27, elles refusent raisonnablement de répondre à un appel du vice-roi qui les invite
à retourner à Naples pour s'embarquer. Le 30, on apprend la prise de Pescara, dernier boulevard que
la maison des Deux-Siciles possédait dans l'Abruzze. Sur le conseil de Gallo,
elles partent pour Foggia, « où elles seraient plus à portée des nouvelles et d'où elles pourraient
se retirer,suivànt les circonstances le ,long de la côte de la Pouille».(11)
Elles n'y sont pas encore qu'épouvantées par un message de l'évêque de Moulins, qui vient
d’y passer, craignant une explosion de l'esprit public dans cette ville à l'approche des
Français, elles rebroussent sur Manfredonia.
Rassurées par Gallo, elles repartent le lendemain pour Foggia. En route,
elles rencontrent une voiture de leur suite qui confirme les impressions de Mgr de la Tour.
Cette fojs, pourtant, elles ne s'affolent pas et continuent leur chemin.
« Mesdames croyaient, écrit Chastellux, que, ne pouvant éviter des dangers, elles devaient
préférer celui qui leur offrait au moins une chance de salut; il est vrai que le Chef
principal de Foggia était suspect: c'était le Président du Tribunal de la Douane établi pour connaître
des difficultés relatives aux droits de la Couronne sur les troupeaux de la
Pouille, qui forment une partie importante des revenus de S. M. Sicilienne; on croyait ce Président
livré au parti républicain, quoique le reste de la ville fû encore fidèle; il occupait
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un palais appartenant au roi, dans lequel Mesdames avaient logé en se rendant à Manfredonia et
qu'elles devaient occuper encore. Il se prêta de très mauvaise grâce à les y recevoir,
et feignit d'être malade pendant tout le temps qu'elles y passèrent, pour se dispenser de leur faire
sa cour.
Mesdames se trouvèrent mal logées; les appartements étaient
incommodes et très froids; la neige couvrit longtemps la terre ... »(11a)
C'est dans ces conditions qu'elles demeurèrent à Foggia jusqu'au 15 janvier.
Pendant ce relai, le comte de Chastellux multiplia les démarches pour assurer la continuation
de leur voyage. Il écrivit à l'amiral Outchakoff, à Nelson, des lettres qui ne leur furent pas
transmises.
Tout est panique et désordre à la cour de Naples.
Pignatelli, le vice-roi, conseille par lettre à Mesdames de se retirer à Brindisi comme a déjà fait
le marquis de Gallo. Le soir du jour où elles quittèrent les plaines désolées de Foggia, glacées
l'hiver, brûlées l'été par un soleil torride, elles couchèrent à Cerignola,dans une propriété du comte
d'Egmont. «Elles y furent reçues avec transport par les habitants, attaches à leur Roi et touchés des
malheurs de ces Princesses. »
Le lendemain, elles s'arrêtèrent à Trani, dont l'esprit était également satisfaisant.
Raison, sans doute, pour laquelle elles désirèrent s'y tenir quelques jours.
Elles avaient besoin de repos, physiquement et moralement.
Dans la traversée des Abruzzes, le 24 décembre, Madame Victoire avait êté saisie par le froid.
« Une espèce de dégoût, d'engourdissement, de mélancolie, furentles premiers symptômes de
sa maladie.»(12)
Son état s'aggrava pendant son séjour à Foggia. Néanmoins, bien que Lavite,
le médecin de sa soeur, se fut opposé à son départ, craignant de ne plus pouvoir sortir du royaume
de Naples, si la paix était signée entre Ferdinand et Championnet, comme le bruit en courait, (13)
elle avait voulu, malgré ses souffrances, gagner un nouvel asile.
La longue randonnée des Princesses sur les routes italiennes était terminée.
« Décidées à se confier plutôt aux flots qu'aux Républicains », elles abandonnèrent leurs carrosses.
Aussi bien,l'état de santé de Madame Victoire ne lui permettait plus d'en supporter les cahots.
Et leur fidèle serviteur avait dû se pourvoir d'un trabaccolo, petit bateau spécial à l'Adriatique, l
e seul qu'il réussit à se procurer.
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Avant d'en narrer les autres péripéties, arrêtons-nous un instant dans le récit de cette fuite
éperdue et demandons-nous si elle répondait à la réalité de la situation.
Lorsqu'à cent-vingt cinq ans de distance on relit les pages où le comte de Chastellux a consigné
le journal du voyage de Mesdames, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la valeur de leur
crainte.
La Terreur était finie depuis longtemps. Elles ne risquaient plus l'échafaud.
Le Directoire, sans doute, eût été plus embarrassé que content de leur capture et ne les eût
vraisemblablement pas inquiétées.
Mais cela, qui nous paraît clair aujourd'hui, ni elles, ni leur entourage n'étaient en mesure de
le discerner; elles l'étaient d'autant moins que les troubles de l'Italie méridionale leur rappelaient
singulièrement les agitations des premiers temps de la Révolution.
Surtout, l'abîme apparaissait trop profond qui séparait ces survivantes de l'ancien régime des
hommes de 93.
Il y avait entre elles et eux une barrière morale que leur passé, leur dignité, leur sentiment ne leur
permettaient pas de franchir.
L’eussent-elles voulu, comme Françaises, tantes de Louis XVI, elles ne le pouvaient pas.
Aussi bien, la question de la légitimité de l'émigration, qu'a pu se poser un Chateaubriand,
n'a certainement jamais effleuré leur pensée.
Elles quittèrent précipitamment Bari dans la soirée du 4 février.
La ville, en effet, était en proie à l'agitation et l'on distribuait des « cocardes aux rebelles ».
Le trabaccolo, sur lequel elles prirent passage, devait les abriter tout un mois.
C'était une de ces barques courtaudes qui sillonnent encore aujourd'hui l'Adriatique, tantôt
alourdies de pierres blanches d'Istrie ou dressant sur leur pont que caresse la houle les
superstructures pittoresques des bois qu'elles apportent de Slavonie.
Leur rencontre, au crépuscule, est un enchantement, quand l'ocre amorti, de leurs voiles, que
rehausse parfois une madone, comme d'une fresque marine, s'incendie au soleil couchant.
Faites pour leur office de rouliers, elles comportent seulement des couchettes de matelots.
Les passagers de fortune qu'elles accueillaient parfois, jadis, devaient se contenter de la cale
ou du pont.
Pour comprendre toute la sévérité de la vie que menèrent Mesdames à bord du trabaccolo,
il faut se souvenir que les Princesses ne voyageaient pas seulement avec les personnes
que nous avons vues partager leurs carrosses.
Des émigrés, que retenait leur fidélité ou que l'intérêt engageait à se ranget sous leur protection,
s'étaient incorporés à leur suite:
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tels, l'évêque d'Ath, la comtesse de Calan, la marquise de Roquefeuil.
Elles avaient aussi une «domestique », qui ne répondait plus à la réalité de leur situation
et rappelait, toute proportion gardée, les interminables convois dont s'accompagnaient
jadis les déplacements de la cour.
Citons maintenant Chastellux: «Le séjour, même tranquille, dans un trabaccolo était déjà un
tourment: chacun n'avait d'espace, dans ce bâtiment, que la largeur de son corps; on n'avait d'air
que par l'ouverture du pont, qu'on fermait le soir; les uns étaient couchés sur une natte, d'autres sur
un coussin de voiture, fort peu sur un matelas. Soixante personnes, évêques, prêtres, vieillards,
femmes et enfants y étaient entassés.
Tous les genres d'incommodités et de souffrances éprouvaient à la fois leur courage.
Mesdames n'avaient qu'une chambre avec leurs petits lits; leurs deux dames
d'honneur couchaient à terre sur un matelas qu'on relevait le jour pour servir de siège.
Il fallut passer dans ce trabaccolo trente et un jours sans se déshabiller.»(14)
-«Il serait difficile de se faire une juste idée des désagréments de toute espèce que ce lugubre séjour
réunissait»,précise, dans une note ajoutée au récit de son père, le comte César qui l'accompagnait.
« Une seule ouverture, placée au milieu du bâtiment, y répandait, avec un froid glacial; une triste
lumière, qui n'en dissipait qu'imparfaitement l'obscurité... L'entrepont était si bas, il- n'avait que
quatre pieds de haut, t,dit-il ailleurs, -qu'on ne pouvait y marcher que courbé,et s'y asseoir qu'à
terre sur une natte, un matelas ou un coussin emporté des voitures, quand on avait pu se le procurer.
Bien avant le lever du soleil, les matelots commençaient à laver le bâtiment et y rendaient tout sommeil impossible.
Le bruit et la fraîcheur piquante du matin réveillaient ceux qui, souvent, ne s'étaient endormis que
peu d'instants auparavant, et le besoin de respirer un air moins étouffé les conduisait sur le pont,
ou du moins vers cette ouverture, où l'on était dé même exposé à toutes les inclémences de l'air.
Le moment des repas était peut-être plus triste encore que celui du réveil.
Les ustensiles nécessaires manquaient, et la manière dont on distribuait successivement à chacun sa
portion, tout autour de ce lieu si incommode et si sombre, était bien faite pour ôter l'appétit.»
A cet incoufort s'ajoutait le manque de sécurité.
Les corsaires
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barbaresques parcouraient l'Adriatique, ainsi que des bâtiments de guerre français,
dont le Généreux, de soixante-quatorze canons.
Enfin, il y eut à lutter contre la rapacité des matelots.
Aujourd'hui encore, dans la péninsule, l'âpreté des gens des Pouilles reste proverbiale.
Ils réclamèrent 6000 ducats sous peine de débarquer.
Comme 5000 n'étaient payables qu'à l'arrivée à Trieste, ils furent dupes de leurs exigences, puisque,
comme nous le verrons, le trabaccolo n'alla pas jusque-là.
Le premier soir, on fit 35 milles, mais la mer devint grosse; la route gagnée fut perdue et à la fin
de la journée du 5 on dut s'arrêter en rade de Mola di Bari, à 15 milles de Bari.
Le tocsin sonnait dans la petite ville, des maisons brûlaient, on entendait des coups de feu. Royalistes et républicains se battaient et on venait de temps en temps sur le rivage menacer le
trabaccolo.
Comme il y avait peu de fond, il faillit plusieurs fois se briser pendant la nuit.
La mort dans l'âme, les voyageurs retournaient vers Bari le matin suivant, chassés par le sirocco,
quand, soudain, le vent changea.
En neuf heures, on fit 75 milles et, le 6 février, avant la fin du jour, le trabaccolo mouilla devant
Brindisi.
«Des carrosses et une maison étaient préparés pour Mesdames. »
Cependant, Chastellux jugea l'état des esprits trop peu sûr pour leur permettre de débarquer.
Il décida de rester en rade et multiplia les courriers auprès de l'amiral Outchakoff à Corfou,
pour solliciter l'envoi d'un vaisseau.
Les seuls événements de cette période furent l'apparition d'un bâtiment de huit canons, qui se
dissimulait sous le pavillon impérial et obligea le trabaccolo à se rapprocher du
château; et l'arrivée d'un faux prince héritier de Naples.
Cet imposteur malgré lui était un Corse émigré, le comte de Corbara.
Une ressemblance fortuite l'avait fait confondre, sans qu'il fût pour rien dans cette méprise, avec le
fils de Ferdinand et de Marie-Caroline, et le peuple de Brindisi l'avait conduit à la cathédrale,
prenant ses ordres et emprisonnant les Jacobins.
Ainsi, une suggestion collective suffisait à changer l'état des esprits.
Il vit Mesdames, leur expliqua tout et eût porté leur message à Corfou si un corsaire barbaresque
ne l'avait cueilli en cours de route. (15)
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Du moins sa présence avait-elle « ranimé le royalisme jusqu'à l'enthousiasme », ce qui apportait aux Princesses une sécurité relative.
Cependant, les journées s'écoulaient pénibles à bord du trabaccolo.
«Tous les soirs, un chapelain de Mesdames, à genoux près d'une lampe qui n'éclairait que lui,
récitait des prièrès, auxquelles chacun répondait du triste lit sur lequel il s'était retiré.
Ensuite, on cherchait à dormir; mais les longues heures de la nuit, dont tant d'inquiétudes et de
malaises se réunissaient pour troubler le repos, étaient encore plus cruelles que les heures qui
s'étaient écoulées pendant la journée...
A travers tant de souffrances morales et de privations de tous genres, Madame Adélaïde, dou la
santé n'était pas altérée, conserva constamment sa vivacité, sa gaieté même,et n'était occupée q'à
ranimer la fermeté quelquefois ebranlée, des personnes qu l'entouraient » (16)
Le 4 mars, une barque, que Chastellux avait envoyée à Corfou pour y réclamer d'Outehakoff
un navire revint.(17)
Elle annonçait l’arrivée d'une frégate russe. Celle-ci parut le lendemain, suivie d'une
«polacre portant pavillon turc destinée à la suite et aux équipages de Mesdames ».
L'amiral Outchakoff s'excusait de n'avoir pu venir lui-même et les invitait à le rejoindre.
Les vents contraires la retinrent jusqu'au 15 mars dans la rade de Brindisi, où, un jour
que la tempête était particulièrement violente, un trabaccolo vint se réfugier.
« La frégate le trompa avec le pavillon tricolore; il l'arbora aussi et fut pris.»
C'était ce même bâtiment dont l'approche avait paru si menaçante quelques jours plutôt.
Chargé d'un message pour l'armée d'Italie, il approchait d'Egypte quand l’uragan l'avait rejeté
dans l’Adriatique (18)
La promesse du grade de capitaine de vassieau et d'une prime de 24000 francs à son
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commandant, Guignes, de Marseille, indique suffisamment l'importance de la mission qui lui
était confiée. Etrange rencontre que cette capture de Français de la Révolution par une
frégate étrangère qui convoyait des Français de l'Ancien Régime.
Sa singularité devait apparaître davantage encore, quelques jours plus tard, sans que Chastellux,
ni peut-être Mesdames,en aient soupçonné la délicatesse.
Il manque à ce serviteur loyal et parfait chambellan, mais d'esprit sans doute un peu
court, la clairvoyance d'un Chateaubriand.
La frégate faisait route vers Corfou, lorsqu'elle fut approchée par un vaisseau de soixante-quatorze
canons.
De part et d'autre, les signaux n'étant pas compris, on se prépara au combat.
Alors, « le chapelain de Mesdames vint, de la part du capitaine, leur exprimer son extrême douleur
de la nécessité à laquelle il se voyait réduit, et leur demander de vouloir bien se laisser
conduire dans un lieu qu'il avait fait préparer à fond de cale,où elles seraient moins exposées.
Mesdames ne montrèrent pas le moindre effroi, dit César.(19)
Madame Victoire, sans proférer une seule plainte, sortit du lit de douleur qu'elle ne quittait
plus depuis longtemps, et, pouvant à peine se soutenir, elle suivit Madame Adélaïde, appuyée sur
M. et Mme de Chastellux.
Dans le même lieu étaient enchaînés pour le moment du combat les trois officiers français faits
prisonniers dans la rade de Brindisi.
L'un d'eux surtout, nommé Gantheaume, parut vivement touché de son association à de si
augustes infortunes ».
Fausse alerte, d'ailleurs: le vaisseau inconnu, ayant sans doute compris qu'il ne se trouvait pas en
présence d'un ennemi, se désista de sa poursuite. Les fugitifs devaient apprendre à Corfou que c'était
cette même Reine de Portugal, bâtiment armé de 74 canons et monté par 750 hommes, que Nelson
envoyait au-devant de Mesdames pour les transporter, (20)
et la frégate s'en alla mouiller dans le golfe de Durazzo.
« On croyait pouvoir y être protégé en cas de besoin par les batteries de la ville: il se trouva qu'il n'y
avait ni poudre, ni canons.»
Enfin, le matin du 28 mars on arriva à Corfou, « après avoir employé soixante-quatorze jours à un
trajet qui n'exige ordinairement que trente-six heures »
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Corfou, avant-dernière étape de cette longue odyssée!
Mesdames y retrouvèrent les égards auxquels étaient accoutumées les filles de France.
La frégate n'est pas au mouillage que l'amiral Outchakoff vient faire sa cour.
Il a déjà été précédé par Cadir Bey, commandant de l'escadre turque.
On les loge à l'archevêché, où elles s'installent le 1er avril.
«Des députés de la noblesse se tenaient presque toujours dans leur antichambre pour attendre leurs
ordres; leur garde était de quarante personnes commandées par un officier » (21)
Cependant, le repos dont elles jouissaient maintenant n'avit pas amélioré l'état de Madame Victoire.
Il subit une aggravation si sensible qu'il fallut l'administrer le 20 avril. Pourtant, quelques jours plus
tard, elle se trouva mieux et, le 1er mai, Lavite, son médecin, déclara qu'elle était en état de partir.
Elle s'embarqua le 6 sur la Reine de Portugal. Mesdames n'étaient pas les premières passagères de ce vaisseau.
D'autres émigrés ou proscrits les y avaient précédées qui gagnaient également Trieste: trois
cardinaux, le duc d'York, archiprêtre de la Basilique Vaticane; Don Romualdo,
duc de Braschi Onesti, neVeu du Pape; le prince Pignatelli; les membres de l'aristocratie
romaine ayant appartenu au gouvernement provisoire établi à Rome par le roi de Naples;(22)
le prince Massimo, le Cav. Ricci, le prince Alrieri, moine de Saint-Calliste; enfin,
l'abbé Le Rualleur, et ces personnes de la suite des Princesses « que les circonstances
extraordinaires de leur départ avaient entraînée en Sicile ».(23)
Tous s'étaient embarqués à Messine le 10 mars.
A partir de Corfou, la Reine de Portugal fut réservée à Mesdames et aux Français.
Princes et cardinaux prirent place sur une des deux frégates russes
Nanarchia Vesnesegnata et Vierge de Kazan qui, avec la corvette Comte Souwaroff et
un bateau napolitain sous pavillon turc portant la domesticité
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et les bagages, constituaient l'escorte. (24)
Une division sous les ordres de l'amiral Pustokine accompagna les fugitives
jusqu'à la hauteur des îles dalmates, puis alla rejoindre les bâtiments qui bloquaient Ancône
défendue par le général Mounier.
Aucun incident ne marqua la traversée qu'un violent coup de bora, la dernière nuit, comme si ce
Triste voyage avait dû s'achever sur une impression d'angoisse ainsi qu'il avait commencé.
Moins d'une semaine avait suffi à la Reine de Portugal,-du 12 au 19 mai, pour gagner Trieste.
Si, le jour où elle avait croisé, au large des côtes d'Albanie, la frégate russe qui
portait Mesdames, une méprise: ne fût survenue, les filles de Louis XV eussent touché le port
près d'un mois plus tôt.
La fin de leur voyage aurait pu également être moins inconfortable,
mais le commodore Stone, capitaine anglais du vaisseau portugais,semble avoir été
un officier sans grâce que sa corvée protoco1aire ennuyait.
II ne fit rien pour la faciliter.
Et ainsi, pour rendre plus ingrat aux deux princesses leur dernier voyage, les hommes et
les éléments s'accordèrent.
Il était neuf heures du matin, le 19 mai, quand la Reine de Portugal jeta l'ancre devant Trieste.
Le gouverneur, comte Brigido, et le chevalier Lellis, Consul d'Espagne, se rendirent
au devant des Princesses, mais ne montèrent pas à bord.
Le bâtiment, en effet devait purger une e quarantaine de deux semaines.
II fut convenu seulement, pour en diminuer la durée, de la faire partir du jour où,
quittant Corfou, le vaisseau portugais avait cessé d'avoir des rapports avec la terre.
Une ingénieuse combination permit, pourtant, d'autoriser le débarquement de Mesdames. (25)
Elles devaient loger au Consulat d'Espagne.
On le transforma en lazaret fictif, y prenant les mêmes précautions que dans les
lazarets ordinaires et l’entourant de gardes.
Le lundi 20 mai, elles purent descendre à terre avec leurs dames de compagnie, tandis que
les autres passagers restèrent à bord une semaine encore.
Madame Adélaïde débarqua la première, le 20 mai à neuf heures et demie du matin.
« Quelque peu incommodée, elle fut transportée dans une chaise à porteurs de la Reine
du portugal à la vedette qui la conduisit, toutes précautions étant prises par la Santé »,(26)
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au quai minuscule du palais Lellis .(27)
Une heure plus tard et de la même manière, Madame Victoire quitta le bord. Vingt et un coups de canon, tirés, par le château et tous les bâtiments de l'escadre, saluèrent les Princesses fugitives.
Le Consulat d'Espagne aurait dû n'être pour elles qu'un séjour de passage. Leur intention, en effet, n'avait pas été de demeurer à Trieste. Lors de leur départ de Naples, le comte de ChasteIlux avait écrit à l'évêque de Nancy pour le prier de se concerter avec la Cour de Vienne en vue de leur installation en Autriche. Il trouva, en arrivant, la réponse attendue, Elle lui annonçait que «l'Empereur avait fait choix de la ville d'Agram, en Croatie, comme la plus éloignée des inquiétudes que pouvaient causer les événements de la campagne qui venait de commencer ». (28)
Le comte Brigido, venu pour leur faire sa cour sitôt leur débarquement, et dont elles n'eurent
qu'à se louer, leur confirma l'offre impériale, ajoutant qu'elles avaient le choix entre
Agram, Fiume et Laibach, la Croatie ou l' Illyrie.
Mais il ne pouvait être question de continuer le voyage. L'air de la mer, plusieurs tempêtes,
trente-deux jours passés avec soixante personnes entassées dans un petit bâtiment, sous un pont de quatre pieds et demi de hauteur, l'impossibilité de suivre aucun régime, une nourriture souvent malsaine avaient achevé de ruiner les forces de Madame Victoire.
Sa soeur le comprit et déclina la proposition du gouvernement autrichien.
La cinquième des filles de Louis XV était, en effet, arrivée au terme de sa vie.
Comme elle avait dû rester levée assez longtemps, le jour de son arrivée, les enflures s'étaient trouvées considérablement augmentées. Cependant, «le terme d'un voyage si long, si pénible, tourmenté par tant de grandes contrariétés et de si grands dangers, parut lui offrir un moment de calme ».
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Mais elle ne se faisait pas illusion. « Elle répéta plusieurs fois à la comtesse de Chastellux qu'elle avait fait le sacrifice de sa vie, au moment où elle fit ses dévotions en partant de Caserte. »
Et bientôt, en effet, o le progrès de l'enflure et l'ensemble de son état détruisirent toute espérance... » « Lorsque, suivant l'usage de l'Eglise, on lui demanda, avant de lui administrer le sacrement de l'Extrême-onction, si elle n'avait pas d'ennemis à qui elle dût pardonner, elle n'attendit pas la fin de cette question; avec une sorte d'élan qui prouvait bien que ses sentiments étaient dans son coeur, elle dit d'une voix forte : «Je ne leur en ai jamais voulu pendant ma vie, comment leur en«voudrais-je à ma mort ? » Telle était, en effet, son âme douce et sensible; elle supportait tout,
ne conservait aucun ressentiment et ne se plaignait jamais, même en confidence,
de ce qui pouvait la contrarier.
Bientôt, la gangrène se prépara par d'horribles souffrances... Une nuit, les douleurs se calmèrent; mais on jugea qu'elle approchait de sa fin : l'évêque de Moulins prononça l'indulgence qui lui était accordée pour ce moment; elle se réunit aux prières comme si elle eût été en pleine santé, puis elle dit plusieurs fois : « Je le veux, qu'on emporte Mme de Chastellux», qui ne l'avait jamais quittée un instant, et qu'il fallut, en effet, emporter ainsi que ses filles... César de Chastellux resta dans sa chambre. La princesse se retourna vers le comte de Chastellux et daigna lui dire :
« Mon ami, ayons du courage, si nous pouvons. » Il la tint sept heures dans ses bras. Dans un moment où M. l'Évêque de Moulins, pour ne pas la fatiguer, laissait quelques courts intervalles entre ses exhortations et ne se trouvait pas auprès d'elle, elle leva les yeux au ciel en disant :
« Irai-je ? »
Dans un premier mouvement, le comte de Chastellux pénétré, de la plus vive douleur, s'écria:
« Fille de Saint Louis ! » Elle lui dit: « Ce n'est plus à cela qu'il faut penser. »
Ses dernières heures furent tranquilles; elle donna plusieurs fois sa main à baiser,
et son dernier soupir n'offrit aucune apparence de la convulsion..;>
Ainsi mourut à Trieste, le 7 juin 1799, à deux heures de l'après-midi, dans sa soixante-septième année, Marie-LouiseVictoire, fille de France. Le soir même, enfermée dans un double cercueil de mélèze et de plomb, recouvert d'un drap , noir, sa dépouille mortelle gagna la cathédrale de San Giusto. Six chevaux traînaient le corbillard qu'entourait une garde d'honneur formée des miliciens de la garnison. Puis, venait un carrosse, également attelé de six chevaux, dans lequel avait pris place l'aumônier de la défunte, l'évêque de Moulins.
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Par les ruelles escarpées de la ville haute, à la clarté des flambeaux, comme une procession nocturne, le cortège gravit lentement la colline. Il était onze heures du soir quand il s'arrêta au pied des degrés qui bornent la place devant le sanctuaire. L'évêque de Trieste, Ignace-Gaétan Buset de Faistenberg (1796-1803), l'y attendait à la tête du chapitre et du clergé. Mgr de la Tour prononça une brève et heureuse allocution latine, réclamant pour la Princesse les honneurs royaux et sollicitant que son corps fût «gardé en dépôt »(29)
à la disposition de son neveu, légitime successeur au trône de France, le roi Louis XVIII.
Sa requête accueillie,le cercueil fut introduit dans l'église et placé sur un décent catafalque, environné de torches ardentes, cependant qu'accompagnée de chants solennels était donnée l'absoute. Le reste de la nuit s'écoula parmi les psalmodies des prêtres français qui veillaient la dépouille funèbre, agenouillés.
De l'aube à midi, se succédèrent sur tous les autels, couronne de prières qui s'élevaient au-tour de Madame Victoire, des messes pour le repos de l'âme de la défunte.
A dix heures et demie, furent célébrées les funérailles solennelles. Mgr de Buset les présida.
Le comte Brigido y assistait, entouré de toutes les autorités civiles et militaires. C'était le deuil officiel. A côté, la maison de Mesdames , (30)
les personnages de la suite, les émigrés en résidence à Trieste. C'était le deuil du coeur. Des draperies funèbres enveloppaient les piliers romans des cinq nefs. Une discrète pénombre régnait sous les voûtes, en dépit du soleil de juin, amortissant l'éclat des mosaïques byzantines. Et dans cette cathédrale obscure, si différente des églises théâtrales italiennes, et qui leur rappelait celles de leur pays, les Français retrouvaient un peu de la patrie absente.
Quand l'absoute solennelle fut terminée, intervint à la sacristie la signature de l'acte de dépôt de la dépouille de Madame Victoire, entre Mgr de la Tour, l'évêque de Trieste et le chapelain de la cathédrale. Puis, l'aûmonier de la Princesse apposa sur le cercueil le sceau de France; Mgr de Buset, celui de l'épiscopat triestin; le vicaire général, baron Vincenzo dell'Argento, patricien, celui du chapitre; enfin, le chevalier de Lellis, celui d'Espagne.
Toutes les formalités étaient accomplies. Le comte Pierre d'Armagnac, capitaine au Royal Infanterie de ligne du Vivarais, - qui, comme page de Louis XV, avait participé, en 1774,
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à Saint-Denis, aux honneurs funèbres rendus à la dépouille du père de Mesdames, - sollicita du comte de Chastellux la faveur, pour les Français, de porter le cercueil jusqu'à lu tombe.
Trois émigrés qui se trouvaient les plus voisins du catafalque se joignirent à lui. C'étaient le conseiller au Parlement de Bretagne, De Fresne, et les négociants Lavison et de Vuls, ou Devaulx.
Persuadée que sa soeur ne dormirait pas éternellement sous une terre étrangère, Madame Victoire avait refusé pour elle une concession spéciale.
Son cercueil fut donc déposé dans la concession généreusement offerte par le patricien Léopold de Burlo. (31)
Après de- patientes recherches, un jeune érudit triestin, M. Oscar Incontrera, auquel on doit de précieuses indications sur le séjour des tantes de Louis XVI à Trieste, a pu établir l'emplacement de ce tombeau, qui se trouvait, dit-il, jusqu'aux années 1833-1837, dans la nef de San Giusto, à gauche de la porte d'entrée, immédiatement voisine de celle-ci. La pierre tombale, qui vraisemblablement la couvrait, a été égarée.(32)
Un dernier hommage attendait Madame Victoire. L'académie triestine des Arcadiens-Sonzianci, sous la présidence du comte Brigido, a répandu, dit l'Osservatore Triestino, (33)
une respectueuse fleur littéraire sur la tombe de cette Princesse avec l'inscription suivante due à la plume heureusement inspirée du censeur-adjoint Lorenzo Rondolini. En voici le texte:
D. O. M.
ANIMA COELITUM GLORIA FRUENTE
IN HOC TUMULO QUIESCIT CORPUS
MARIAE VICTORINE
LUDOVICI XVI
SUORUM IMPIETATE PEREMPTA
AMITAE
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QUAE
POSTQUAM INFINITIS
GALLICAE FACTIONIS FERITATE EAM UNDIQUE INSQUENTE
AERUMNARUM FLUCTIBUS
ADMIRANDO RELIGIOSA CONSTANTIA
EXEMPLARIQUE IN DEUM PIETATE
RESTITIT
DICO DUITINOQUE MORBO
PARI PATIENTIA PERPETUO
MOERENTIBUS BONIS
SUCCUBUIT
TERGESTI A. E. LXVI. R. S. MDCCCVII: D. I. D. J.
JUIN APPEN
Maintenant séparée d'une soeur qui ne l'avait pas quittée depuis tant d'années, vieillie,
désemparée, Madame Adélaide allait-elle franchir une nouvelle étape sur le chemin de l'exil ?
Il lui parut que la tombe de Madame Victoire marquait le terme de ses pérégrinations et qu'elle
ne devait pas abandonner dans la mort celle qui avait été la compagne de toute sa vie.
Au comte Brigido, qui, pour la garantir des périls de la guerre, lui offrait, de la
part de l'empereur François II, une tranquille résidence à Agram, elle opposa un
refus catégorique.
Désormais, son existence dépourvue d'événements va s'écouler au palais Lellis, au milieu d'un
petit groupe d'émigrés.
C'est la duchesse de Narbonne-Lara, née de Montholon, sa fidèle dame de compagnie, et son chevalier d"honneur, le fils de celle-ci, ce séduisant Louis de
Narbonne, roué commensal des soupers de Monceau, ami de Mme de Staël,
futur général de Napoléon; la marquise de Roquefeuil, la comtesse de Calan,
d'autres encore, débris de la maison des Princesses à Bellevue, qui associent leur infortune à la sienne.
Ernest Daudet nous a fait connaître les lettres qu'elle reçut de Louis XVIII pendant cette
période. Elles font au futur souverain le plus grand honneur.
Le 10 juin, alors qu'il ignorait depuis six mois le sort de ses tantes, de sa
lointaine résidence de Mittau il leur écrivait pour
leur annoncer le mariage du duc d'Angoulême et de l'orpheline du Temple, qui avait eu lieu le
jour même.
Sa lettre se croisa avec celle que lui adressait de Trieste, le 21 mai, Madame Adélaide,
pour lui faire part du mauvais état de santé de sa soeur.
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« J'avais reçu'à la fois, lui répondit-il, le 23 juin, il y a quelques jours, deux lettres de Mme de Chastellux, l'une de Corfou et l'autre de Trieste. La première m'avait appris la maladie de manière à me laisser bien peu d'espoir; la seconde m'en avait rendu, la vôtre vient de me l'ôter. » Le 23 encore, il mande à Madame Victoire, dont il n'apprit la mort qu'au début de juillet, quelques lignes d'exhortations qu'elle ne devait pas recevoir.
Nous connaissons les sentiments qu'il éprouva lorsqu'il eut été avisé du fatal événement. «J'ai remis au Roi, écrit le correspondant de l'évêque de Nancy , (34)
deux lettres de Madame Adélaïde, dont la deuxième lui apprend la mort de Madame Victoire. Quoique ce triste événement fût prévu, Sa Majesté n'y a pas été moins sensible. Elle répond à Madame Adélaïde par la lettre ci-jointe : « Vous voudrez e bien remercier, au nom du Roi, M. l'Evêque de Trieste du «souci qu'il s'est donné pour les obsèques. »
«Quant au corps de l’illustre princesse, le Roi juge à propos qu'il demeure en dépôt où il est. Les tombeaux de la famille royale ont été si indignement violés et les précieux restes qu'ils enfermaient disséminés, que Sa Majesté tient à y reporter un jour en France les seuls qui demeurent intacts:
<i Le Roi prend deuil pour trois semaines et notifie la mort de Madame Victoire à l'Empereur de Russie dans la forme accoutumée.
Il n'est pas douteux qu'on ne prenne le deuil d'usage en ce cas à la cour de Pétersbourg, Le Roi approuvera toutes les démarches que vous ferez à celle de Vienne relativement à la résidence de Madame Adélaïde. Sa Majesté espère bien que si la Cour d'Espagne en laisse les moyens à Madame sa tante, elle viendra au secours des personnes attachées à Madame Victoire, ce qui assurerait leur subsistance. »
Voici la lettre du roi qui était jointe à celle que nous venons de citer. Elle porte la date du 8 juillet.
« On a beau, ma chère tante, être préparé à un malheur, on éprouve toujours qu'on ne l'est pas assez. Je le sens bien en ce moment; je l'ai bien senti en recevant votre lettre du 8 juin. Je souffre pour moi même : vous savez si je l'aimais; mais je souffre encore plus pour vous. »
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Et il l'engage à écouter les conseils du médecin Lavite. A la même date, en des lettres émues, Louis XVIII fait part de la mort de sa tante au comte d'Artois, à son beau-frère, le roi de Sardaigne, et à Madame Clotilde, sa soeur, l'épouse de ce souverain. Un peu plus tard, il répond aux condoléances de la comtesse de Marsan, ancienne gouvernante des Enfants de France, qui l'a lui-même élevé, par ces paroles où se manifeste une sincère émotion. « Je la regretterai toute ma vie. Il est difficile de retrouver autant de vertu, de bonté, de tendresse pour moi. Mais je cherche à me consoler en songeant au sort que ses malheurs, ses souffrances et sa résignation lui ont assuré. »
Parlant de Madame Adélaïde, il lui disait également: «Vous pouvez juger de son affliction, mais vous connaissez son courage et sa piété. J'espère que l'un et l'autre la mettront en état de supporter une perte aussi irréparable. » La Princesse devait en avoir besoin pour résister à de nouvelles
désillusions et aux rigueurs de l'adversité. Un moment, malgré son désir de ne pas s'éloigner de
la tombe de Madame Victoire, elle espéra rejoindre le roi à Mittau.- Mais son neveu, qui déjà
péniblement faisait face aux obligations de sa petite Cour, l'en dissuada. « Si j'osais vous faire un reproche, lui écrivait-il le 22 août 1799, ce serait de me parler du château en Espagne que vous aviez formé. » Il dut également refuser de s'interposer entre sa tante et l'Empereur de Russie pour solliciter un subside en faveur de celle-ci. « Si je faisais auprès de lui la démarche que vous désirez, je ne ferais que lui faire de la peine sans en retirer d'autres fruits. Il m'en coûte de vous le dire; mais vous aimez mieux la vérité que des compliments. »
Les exilés de Trieste se débattaient, en effet, parmi les pires difficultés pécuniaires, la pension que s'était engagée à servir aux Princesses la Cour de Madrid leur étant payée irrégulièrement.(35)
Aux lettres que Madame Adélaïde avait adressées, en date du 1er et 10 juin,
à la reine d'Espagne pour lui annoncer la mort de sa soeur, Dona Maria Luisa répondit, le 30 août, par des condoléances, des regrets de la situation misérable où sa tante se trouve par suite des circonstances qui ont retardé le paiement des sommes qui lui étaient dues, l'assurance qu'elle en recevra l'arriéré par le consulat, plus celles
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qui revenaient à Madame Victoire.
La situation financière de l'Espagne était, à la vérité, peu florissante, et il ne semble pas que les promesses de la femme de Charles IV aient été tenues. Du moins, le gouvernement espagnol approuva-t-il Lellis d'avoir hospitalisé les princesses et de les garder.
La mort de Madame Victoire avait- aussi placé dans une situation difficile les personnes de sa maison. Nous savons par une lettre du 14 août que Louis XVIII semble avoir blâmé lui-même l'attitude de la dernière survivante de ses tantes. « Je ne-puis m'empêcher, écrit le correspondant de l'évêque de Nancy, (36)
de m'étonner des procédés de Madame Adélaïde pour M. et Mme de Chastellux et d'une partie des serviteurs de sa soeur, qu'elle abandonne en s'emparant en entier de l'héritage de la défunte dont elle n'a le droit que le tiers. Les diamants seuls ont évé estimés près de 200 000 ducats. Il y aurait bien de quoi soutenir quelques anciens domestiques, - sans compter que si l'Espagne laisse tout ou partie de la pension à Madame Victoire, la condition d'avoir soin de ses gens est sous-entendue. Si vous avez quelque moyen de l'écrire ou faire écrire pour cela à Mme la duchesse de Narbonne, on peut hardiment dire que telle est l'opinion du Roy. Sa Majesté voudrait de grand coeur venir au secours de M. de Chastellux. Mais elle en est dans l'impossibilité absolue. » C'est Mme de Narbonne qui répondit à cette lettre au nom de Madame Adélaïde. Mais les arguments dont elle se servit ne persuadèrent pas la cour de Mittau.
« Ce que je vous ai mandé de transmettre à Mme la duchesse de Narbonne, réplique, en effet, le correspondant de l'évêque de Nancy, avait passé sous les yeux du Roy et était par ordre de Sa Majesté. Voilà tout ce que j'ai à répliquer à l'a réponse de cette Princesse.»
Les pièces nous manquent qui permettraient d'arbitrer ce débat. Dans la maison de Madame Adélaïde comme dans la maison de Madame Victoire, l'argent faisait défaut.
Il est à supposer que l'entourage de la survivante, qui peut-être elle-même n'avait que peu de sympathies pour la suite de sa cadette, exerçant son ascendant sur l'esprit de la vieille Princesse, lui persuada de se séparer de personnes dont la présence, désormais sans objet, ne faisait qu'obérer les maigres finances des exilés. Ce n'était peut-être pas généreux, mais, si l'on tient compte des circonstances, c'était humain (37)
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Les embarras d'argent dolt souffraient Madame Adélaïde et son entourage rendaient éncore plus mélancolique, leur séjour dans une ville étrangère.
Partagée entre la prière, les travaux à l'aiguille et de courtes promenades au bord de la mer le long de la rivière de Barcola, la dernière survivante des filles de Louis XV menait une existence retirée. Jadis, au château de Duino, on pouvait voir une tapisserie qu'elle et Madame Victoire avaient brodée pendant leur exil.
Le comte Pompeo Brigido, qui l'a reçue sans doute de l'entourage des Princesses en remerciement des égards qu'il leur avait témoignés, l'avait offerte à sa fille, comtesse Polissena della Torre, propriétaire de cette illustre demeure.
On peut admirer encore à la bibliothèque civique de Trieste, dans une jolie reliure de maroquin rouge aux armes de France, une relique émouvante. C'est une grammaire élémentaire latine, manuscrite, dans une anglaise irréprochable. (38)
Sur une note de la feuille de garde, on lit :
« Ce livre est précieux : Monseigneur le Dauphin de France s'en était servi luì-même pour Son instruction et étant un don que Mesdames les Princesses de France en firent à la bibliothèque de Trieste, lors de leur séjour dans cette ville, l'an 1798. »
Malheureusement, l'authenticité de cette relique est discutable . (39)
Non seulement la date de la donation est nécessairement fausse, puisqu'en 1798 Mesdames n'étaient pas encore arrivées à Trieste, mais d'autres éléments de suspicion demeurent.
On ne saurait les écarter délibérément; on ne saurait davantage les admettre sans réserve. Et l'on éprouve quelque regret devant cette incertitude.
L'été passa, puis l'hiver.
Un jour que Madame Adélaïde avait fait au bord de la mer sa promenade coutumière, elle se sentit moins bien. Une congestion pulmonaire se déclara (40)
Muni des sacrements de l'Église, après cinq jours de maladie, le 27 février 1800, à trois heures de relevée, «pleine de catholique constance et de résignation, ornée de toutes ces vertus qui lui ont valu l'amour et le respect de toutes les populations
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parmi lesquelles les péripéties connues de la France l'ont contrainte d'errer », (41)
s'éteignit, huit mois après la timide Madame Victoire, celle qui avait été, sans doute, la plus spirituelle des filles de Louis XV, la tante, d'abord peu bienveillante, de Marie-Antoinette. Elle avait soixante-huit ans.
Avec le même cérémonial que.Madame Victoire, le 28 février, à sept heures du soir, sa dépouille mortelle fut transportée du palais de Lellis à San Giusto.
« A la naissance de la colline par laquelle on monte à la cathédrale, quatre chevaliers et six négociants français retirèrent le cercueil du corbillard et le portèrent à bras jusqu'au sommet, suivis du cortège».
Le 29, eurent lieu les obsèques solennelles. L'aumônier de la princesse, Mgr de Saint-Marceau, évêque in partibus de Pergame, signa l'acte de remise du cercueil, qui fut placé auprès de celui de Madame Victoire, en présence de la maison de la défunte, des autorités locales, des évêques de Carcassonne et d'Agde et dès émigrés français.
Le 30 mars, Louis XVIII écrivait au comte d'Artois : « Vous serez sûrement instruit, bien avant de recevoir cette lettre, de la mort de notre pauvre tante, et vous en aurez été aussi affligé que moi. Mais j'espère que vous n'aurez pas éprouvé un hasard aussi cruel. Je la savais mlaade, mais quoique ses lettres fussent assez rassurantes, je n'étais pas content de son bulletin. La poste de Vienne arrive; j'ouvre mon paquet avec inquiétude; la première lettre que je trouve est de sa main, je me tranquillise; point du tout : la suivante est de Mme de Narbonne et m'apprend sa mort. Celle qui m'a si cruellement trompée était écrite deux jours avant qu'elle ne tombât malade. Cette circonstance est peu de chose en elle-même, mais elle a ajouté à ma peine. Je pense au nombre que nous étions, il y a onze ans, et à celui auquel nous sommes réduits. Que Dieu nous conserve au moins! Jamais nous n'eûmes tant besoin les uns des autres. »
On raconte qu'en 1810 un homme enveloppé d'un ample manteau gravissait chaque soir les pentes de la colline de San Giusto et s'agenouillait sur la pierre qui recouvrait les dépouilles unies de Mesdames Adélaïde et Victoire. C'était le comte Louis de Narbonne, devenu gouverneur de
Trieste.(42)
Trois ans plus tôt, Chateaubriand, prêt à faire voile vers
pag.751
l'Orient, l'avait peut-être
précédé dans ce pèlerinage.
Qui ne connaît, en effet, l'admirable page que devait lui inspirer plus tard le souvenir des filles de Louis XV reposant en terre étrangère ?(43)
« On m'a demandé mes ordres pour sa sépulture , écrivait Louis XVIII au comte d'Artois en lui annonçant la mort de Madame Adélaïde. J'ai demandé que son corps restât à Trieste, et si, comme je l'espère, nous rentrons chez nous, je l'y ferai transporter. Peut-être, dans d'autres circonstances, y aurais-je moins tenu : mais les monstres ayant dispersé tous les restes qui nous étaient précieux, je veux, du moins, conserver ceux-ci. »
Remonté sur le trône quinze ans plus tard, le roi n'oublia pas la promesse que l'exilé s'était fait
à lui-même et le voeu suprême de ses tantes.
Le 20 août 1814, trois mois après sa rentrée aux Tuileries (3 mai), il dépêcha à Trieste, pour préparer le retour des dépouilles des Princesses, l'ancien aumônier de Madame Victoire, Mgr de la Tour, qui y fut le 8 octobre. Et le 2 novembre, après une traversée de treize jours, sous le commandement du chevalier de Garat, la frégate la Fleur de Lis arriva de Toulon. Le 6 novembre, eut lieu l'enlèvement du cercueil de Mgr de Buset, ce même prélat qui avait présidé aux funérailles de Mesdames et qu'on avait eu l'étrange idée d'inhumer auprès d'elles, en septembre 1803, dans le caveau de Burlo.
Enfin, le matin du 7 novembre, les stalles, la nef et le grand autel de San Giusto tendus d'un drap noir qu'il fallut en partie acheter aux frais du roi de France, eut lieu l'exhumation solennelle. A onze heures, Mgr de la Tour, revêtu du rochet et de l'aumônière, gagna le chezur, lut à haute voix l'acte de dépôt rédigé à la mort des Princesses; l'ordre du roi de les exhumer; l'autorisation de l'Empereur; et prononça en français une allocution de circonstance. Puis, suivi du chapitre, du clergé et du commandant de la Fleur de Lis, etc., il gagna la tombe. Des sièges y avaient été placés pour lui même, le vicaire capitulaire dell'Argento, le maître des cérémonies et le chevalier de Garat. On exhuma d'abord le cer,cueil de Madame Victoire, ensuite, après vérification des sceaux,
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celui de Madame Adélaïde. Tous deux furent déposés sur un grandiose catafalque (castrum doloris), entouré de quarante torches, érigé au milieu de la nef centrale. Mgr de la Tour célébra alors une messe solennelle de Requiem en présence pu comte de Saurau, gouverneur de la province, de toutes les autorités locales et françaises. L'absoute donnée, les Princesses furent transportées dans la chapelle du Baptistère. Elles y demeurèrent cinq jours, veillées par deux sentinelles.
Le 12 novembre, après une messe basse de Requiem, par les via delle Monache, Rena, Donata, Riborgo, le Corso, elles gagnèrent lé môle San Carlo, où les attendait la frégate. Trois bataillons des régiments Bianchi, Lusignan et Beaulieu rendaient les honneurs sur le parcours. Quarante-huit hommes de la Fleur de Lis portaient les cercueils. En tête du cortège, marchaient les pauvres de la ville, chacun une chandelle de trois onces à la main, récitant le rosaire; puis, sa mission étant terminée auprès de la cathédrale, le bataillon du régiment Bianchi, les tambours battant aux champs (battendo la cassa a lutto); la maîtrise de San Giusto, chantant le Miserere; le chapitre et lé clergé, les-chanoines tenant à la main des torches de quatre livres, les prêtres, de deux livres. L'évêque de Moulins, en tenue épiscopale noire, suivait, psalmodiant le Requiem. Autour des deux cercueils, quatre officiers de la régate, qui tenaient les coins du drap mortuaire semé de lys d'or; vingt-quatre hommes vêtus de deuil, gantés de blanc, crêpe au chapeau, portant une torche allumée, encadrés de vingt marins de la Fleur de Lis. Enfin, le comte de Saurau, les autorités civiles, l'état-major du bataillon, le chevalier de Garat et ses officiers, -une longue suite de personnes «distinguées», appartenant aux diverses classes de la population. Un détachement du régiment Bianchi fermait la marche. Lorsque le convoi parvint au môle de San Carlo, comme au jour où la Reine de Portugal les avait, fugitives, amenées sur ces bords, les canons de la citadelle des navires et des régiments tonnèrent en l'honneur de Mesdames.
La Fleur de Lis, qui avait levé l'ancre. au premier beau jour, les déposa à Toulon le 20 décembre. Il parut un moment que leur retour avait été prématuré, Le ler mars 1815, Napoléon débarquait au golfe Juan avant qu'elles eussent trouvé leur sépulture définitive, et ce furent les Cent-Jours. Le 20 janvier 1817 seulement, elles entrèrent à leur tour dans l'Abbaye restaurée de Saint-Denis où, dernier Bourbon qui y reposa, le duc de Berry devait les suivre en 1820. Singularité
pag.753
e la destinée ! Quand se fut effondré le trône de la branche
aînée, c'est tout près de la ville où s'étaient terminés les jours des filles de Louis XV, à Goritz, que devait, comme ses tantes, aller mourir en exil Charles X, le 6 novembre 1836.
Rien ne rappellerait plus à Trieste le souvenir de Mesdames, si Louis XVIII n'avait offert à San Giusto un superbe ostensoir en vermeil, l'une des pièces les plus importantes du trésor de la cathédrale, et si le Musée Revoltella ne gardait dans ses collections, offerts à Léopold de Burlo par les rois de France en reconnaissance de l'hospitalité donnée aux cendres des Princesses dans le caveau de sa famille, un vase de Sèvres et le portrait de Charles X. (44)
Notes
1a -(pag. 728)
Madame Louise, mais surtout Madame Adélaïde et
Madame Victoire (1), que le malheur a consacrées ?
Le jour où, Princesses errantes, elles quittèrent Paris, le
19 février 1791, inaugurant, en quelque sorte, l'émigration,
elles sont entrées dans l 'histoire. Sans leurs tribulations
suprêmes, leur souvenir n'éveillerait plus qu'un faible écho.
Mortes en terre étrangère, inhumées au bord de l' Adriatique
avant de prendre leur place à Saint-Denis quand la monarchie
fut revenue, les tantes de Louis XVI, dont l'une, du moins,
Madame Adélaïde, n'a peut-être pas été sans reproches,éveillent notre pitié.
Souvent, à Trieste, lorsqu'une cérémonie funèbre nous a
ramené sous les voûtes de San Giusto, notre pensée s'est
reportée vers les journées de 1799 et de 1800 où leurs cercueils
1 -(pag. 729)
Madame Adélaïde et Madame Victoire étaient nées à Versailles:
la première,le 23 mars 1732; la seconde, le 11 mai 1733.
A l'occasion des restaurations qui viennent d'être effectuées à Trieste dans
l'historique basilique de San Giusto, l'administration des Beaux-Arts de la
Vénétie Julienne a voulu rappeler par une inscription l'emplacement du caveau
qui, de 1799-1800 à 1814, abrita les dépouilles de Mesdames Adélaïde, et
Victoire, filles de Louis XV. En voici le texte :
QUI RIPOSARONO LE SALME Dl
LUISA VITTORIA + MDCCIC
MARIA ADELAIDE + MDCCC
Dl BORBONE
MESDAMES DE FRANCE
FIGLIE DI LUIGl XV
TRASPORTATE IN FRANCIA MDCCCXIV
A. D. MCMXXX - A. VIII E. F.
--------------------------------------
(ndr A. VIII E. F. = an 8 dell'ére fasciste)
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon