par BRH » Mardi 30 Août 2011 10:35:10
Déclaration de Maître H.J. Van Buren, rédigée le 27 mars 1873
Je fis une démarche (en février 1845) auprès du Directeur (de la police de Rotterdam). Celui-ci m'apprit que (Charles Louis de Bourbon) était un personnage politique…Il tâcha de me persuader de ne pas m'occuper de cet étranger, vu que notre gouvernement pourrait être exposé à des difficultés diplomatiques si le fait venait à être connu qu'un tel passeport lui avait été remis par le Consul général hollandais (à Londres).
….Il était clair que le gouvernement hollandais était renseigné quant à sa personne et qu'à la demande ou dans l'intérêt d'une influence venant de l'étranger, on n'osait le laisser continuer sa route, ni le remettre en possession de son passeport, autrement qu'à la condition qu'il retournât en Angleterre.
Je sais positivement que cette conduite douteuse et anxieuse du gouvernement néerlandais provenait de ce qu'il était bien instruit que Charles Louis de Bourbon était réellement celui qu'il se disait être.
…. Comme je m'en étais déjà avisé, (on pouvait) utiliser pour ma patrie les inventions pyrotechniques très importantes (de Charles Louis) appliquées à des projectiles, des fusées, des mines, des fils télégraphiques, à l'amélioration des armes à feu, et à plusieurs autres importants moyens de défense.
Je confiai cette découverte au gouverneur de l'Académie militaire de Bréda, qui reconnut l'importance des inventions, si elles étaient fondées.
Je proposai à l'ingénieux étranger de se rendre avec moi à Bréda et de présenter ses problèmes, sans en révéler les secrets, ce qu'il accepta. Réciproquement, je fis la même proposition au Colonel, gouverneur de l'Académie, qui se montra disposé à en recevoir les communications.
Nous nous rendîmes le 19 mars à Bréda, où nous fûmes reçus par le gouverneur qui, après avoir eu un entretien avec Monsieur Charles Louis, dans lequel il s'assura de ne pas avoir à faire à un aventurier, mais à un homme d'un génie extraordinaire, convoqua l'Etat-Major de l'Académie.
Cet Etat-Major se composait alors d'un major de l'artillerie, commandant de l'Académie, de deux capitaines d'artillerie et de génie, d'un capitaine de marine et de deux lieutenants, auxquels Monsieur de Bourbon fut présenté.
Lorsque la conférence eut eu lieu et les modèles des obus, des bombes et des fusées eurent été exposés, l'importance en fut reconnue et je réçus l'assurance qu'il s'agissait d'une affaire sérieuse et de grande portée.
On avait décidé comme première épreuve de prouver la possibilité du non-recul des fusils et des canons.
Nous convînmes que je pouvais m'adresser au gouvernement pour cette affaire réellement importante pour l'art de la guerre.
Je m'adressai donc au Ministre de la Marine qui trouva la chose assez importante pour en faire l'expérience; il me dit qu'il consulterait à cet égard son collègue le Ministre de la Guerre. Ces Messieurs résolurent d'autoriser le gouverneur de l'Académie à faire prendre des expériences avec le fusil, le canon, les fusées, les mines, etc. aux frais de l'inventeur, mais que le gouvernement accorderait le terrain nécessaire.
Monsieur de Bourbon alla loger à Bréda; on lui fit arranger un atelier pour tous les expériments sur la plus vaste échelle et tous ses problèmes furent résolus à la plus complète satisfaction du grand nombre d'officiers de l'Académie et de la garnison qui y assistèrent.
Je reçus une déclaration par écrit de la Commission de l'Académie
Dans tous nos rapports, on traitait Monseiur de Bourbon avec des égards qui prouvaient qu'on le considérait réellement pour être celui qu'il se disait, sans oser le reconnaître ouvertement.
Je possède des lettres du Ministre de la Marine lui-même qui déclare que lui ainsi que d'autres officeirs supérieurs, de même que les officiers de l'Académie le trouvaient un homme extraordinaire et qu'ils avaient pour lui la plus haute considération.
De tout ceci résultait évidemment que celui qui s'intitulait "Duc de Normandie" possédait des qualités incompatibles avec le caractère de quelqu'un se donnant des titres et une origine qui, s'ils ne lui appartenaient pas, l'auraient stigmatisé sur le champ comme un fourbe ou comme un fou et avec qui aucun homme n'eût voulu ou pu se mettre en rapport.
Le contraire eut lieu. Le Ministre de la Marine me fit savoir qu'il entrerait en délibération sur cette affaire avec ses collègues de la Guerre et des Colonies, mais que la qualification de Monsieur de Bourbon rendait ceci difficile.
Par suite de la convention entre ces trois ministres, le Colonel chef du bureau d'artillerie au Ministère de la Guerre fut nommé pour entrer en négociations au sujet d'un contrat avec Monsieur de Bourbon qui, dans cet acte, ne prendrait que les noms de Charles Louis.
Le Colonel député du Ministre de la Guerre vint à Rotterdam et s'entretint avec Monsieur Charles Louis sur une série d'inventions dans le ressort de l'art de la guerre, tant pour l'artillerie que pour la Marine et en fixa les différents points. Lorsque ces préliminaires furent arrêtés, Monsieur Charles Louis fut convié à un entretien avec les trois ministres susdits. Cette conférence eut lieu à La Haye, au Ministère des Colonies…. Le Duc expliqua ses inventions et le succès qu'on pouvait en attendre.
Le Colonel du Département d'Artillerie fut chargé de rédiger le contrat avec Monsieur Charles Louis. Ses inventions furent évaluées à une somme très considérable que je suis prêt à faire connaître si on le désire.
Il fut convenu que le Duc fixerait sa demeure à Delft avec sa famille, à Delft où se trouvent les Etablissements pyrotechniques, les Arsenaux d'artillerie et de construction.
Puisque les Ministres ne pouvaient pas faire ni paiements ni avances à Monsieur Charles Louis tant qu'on avait pas obtenu de résultats positifs, je fus prié de continuer mon action patriotique et de procurer à Monsieur de Bourbon tout ce dont il aurait besoin pour son atelier et pour son ménage, s'il faisait venir sa famille d'Angleterre. Un écrit du Ministre de la Guerre m'assurait qu'en aucun cas je n'éprouverais de dommages. J'ai donc avancé à cette fin au Duc jusqu'à 80.000 Francs.
Contrat fait, nous fûmes invités à dîner chez le Colonel à La Haye, où nous rencontrâmes un Colonel Adjudant du Roi Guillaume II, qui se trouvait là, parce que ce contrat si important n'avait pu être arrêté sans que le Roi en fut informé et sans son approbation; et afin que cet officier put faire un rapport précis à Sa Majesté sur la personne du Duc.
J'ai su plus tard que le projet avait été formé de présenter le Duc au Roi.
Je dois déclarer ici que chez aucun de nous n'existait le moindre soupçon que Charles Louis püt être un imposteur, au contraire. Une telle pensée était entièrement exclue de tous nos rapports. Tout contribuait à nous convaincre que le gouvernement ne mettait pas en doute son origine royale, mais l'acceptait tacitement.
L'ordre des choses d'alors dans la situation de l'Europe rendait pour notre pays une entière reconnaissance de cette origine tout aussi difficile qu'il était impossible de la nier. Nous devions nous borner à reconnaître la supériorité de son génie et l'intégrité de son caractère. Du reste, tant de notre part que de celle du gouvernement, pendant son séjour en Hollande, il a toujours joui de toutes les distinctions qu'on accorde à un personnage de rang élevé.
Ceci fut le mieux prouvé par la sollicitude et les soins du gouvernement lorsque, dans l'attente des préparatifs pour son établissement à Delft, il se sentit tout à coup indisposé. Cette indisposition se manifesta par des symptômes tellement violents qu'il pensait être empoisonné. Sa constitution extraordinairement robuste fit résistance au poison. Dès qu'il se crut suffisamment rétabli, il se rendit à Delft et commença ses travaux par les deux problèmes les plus faciles pour lui, l'application du non-recul des armes à feu et la construction de bombes qui devaient éclater au moment du contact.
Mais l'indisposition maligne avait attaqué ses forces vitales et recommença ses ravages qui le conduisirent dans la phase d'une fièvre typhoïde. Il mourut après que sa famille, mandée à la hâte, fut arrivée de Londres. Chacun demeura srupéfait de la ressemblance des divers membres avec les gravures bien connues représentant la famille royale de Louis XVI, la Reine Marie-Antoinette, Madame Elisabeth, etc. et ceci ne contribua pas peu à fortifier la conviction de plusieurs personnes que celui qui avait vécu quelques mois parmi nous et dont nous déplorions la perte avait bien été le Fils de tant de Rois, l'Orphelin du Temple.
Il nous fut bien prouvé pendant sa maladie que les Ministres savaient à quoi s'en tenir à cet égard: de la part du gouvernement, deux médecins militaires furent adjoint au médecin civil de Delft, le premier était le chirurgien major du corps des grenadiers de la Garde du Roi; journellement on faisait rapport à Sa Majesté de l'état de l'illustre patient.
Son décès date du 10 août 1845. L'acte mortuaire fut rédigé comme étant le fils de Leurs Majestés Louis XVI et Marie-Antoinette. Le bourmestre de Delft, officier de l'état-civil, y avait été autorisé.
Après le décès, je fis procéder à l'inspection du corps pour comparer les marques que la Reine sa mère avait observées sur le corps de son fils et qu'elle lui avait donné à garder dans le cas où il viendrait à s'égarer ou à être enlevé. Cette inspection eut lieu par les médecins militaires qui lui avaient donné leurs soins. Elles ont toutes été trouvées et se trouvent constatées dans un acte dressé par un notaire résidant à Delft.
À l'enterrement, le corps fut porté par des sous-officiers. Je me souviens que le Colonel Chef du bureau d'artillerie se trouvait à la tête d'un cortège d'officiers….
La pierre qui recouvre le tombeau porte le nom et le titre du Duc, ce qui n'eût pas été permis sans autorisation du gouvernement…
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon