L'affaire Louis XVII et la justice

Ce qui suit est tiré du travail très pertinent de Michel Jaboulay, avec son autorisation:
C. France, 1836, 1851, 1872, 1954: requête en restitution d'état civil
Un procès en trois étapes se déroula en France à la requête des héritiers de Louis XVII, décédé à Delft, aux Pays-Bas, sous le nom de Louis XVII, duc de Normandie, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le 10 août 1845.
§ 1 - 1836: assignation de la duchesse d'Angoulême et du comte d'Artois
Le 13 juin 1836, Naundorf lançait une assignation devant la Première Chambre du Tribunal Civil de la Seine à la duchesse d'Angoulême et au comte d'Artois aux fins de faire annuler l'acte de décès établi le 24 prairial an III (12 juin 1795) au nom de Louis Charles Capet, étant donné que le requérant était lui-même le duc de Normandie, ancien Dauphin de France, fils de feus Louis XVI et Marie-Antoinette, Louis XVII.
La seule réaction à cette démarche judiciaire fut que la police du pseudo "roi des français" arrêta le requérant, saisit les 202 pièces de son dossier - qui ne lui furent jamais restituées malgré les réclamations justifiées - et finit par expulser le plaignant vers l'Angleterre dès le 16 juillet 1836, sous le prétexte qu'il était étranger, ce que le dit gouvernement se garda bien de prouver, et ceci en application d'une ancienne loi qui n'était plus en vigueur.
C'était la première fois que le gouvernement de la France, tous régimes confondus, évitait, par voie d'autorité, de faire un procès à un personnage se disant Louis XVII. Jusqu'alors tous ceux qui avaient élevé cette prétention s'étaient vus arrêtés et condamnés, en général comme escrocs portant atteinte à l'ordre public, dès qu'ils se trouvaient sur le sol français. Or Naundorf résidait en France, sans se cacher, depuis 1833 et les autorités françaises n'ont bougé que lorsque, lui-même, il a demandé à la justice de son pays de lui rendre son nom et ses droits civiques et patrimoniaux. Le gouvernement de l'usurpateur Orléans signait de la sorte sa frayeur d'avoir à affronter les arguments du requérant, soulignant ainsi sans équivoque qu'il était bien celui qu'il disait être, le fils de Louis XVI.
Le comportement des autorités françaises dans cette affaire ne constitue pas une, mais une série de forfaitures caractérisées. Du point de vue juridique, le Code Pénal qualifie la forfaiture de crime.
Le ministère public ouvrit à cette époque une enquête contre Naundorf dont l'instruction fut confiée au juge Zangiacomi. Ce dernier interrogea des partisans de Naundorf qui témoignèrent l'avoir formellement identifié comme étant le fils de Louis XVI et qui maintinrent leurs dires envers et contre tout. On peut citer les plus importants : Madame de Rambaud, Monsieur et Madame Marco de Saint-Hilaire, Monsieur Brémond. Pour recueillir le témoignage de ce dernier, devenu citoyen suisse et résidant dans ce pays, le juge d'instruction lança une commission rogatoire. La note du ministère de la Justice demandant l'envoi de cette commission rogatoire est curieuse. Elle vise en premier lieu les délits de complot contre la sûreté de l'État et d'escroquerie. Mais une note en marge, dans l'espace réservé à l'accusé de réception est ainsi rédigée: nous avons toujours refusé de faire exécuter en France les commissions rogatoires relatives à des procès politiques. Pouvons-nous demander l'exécution de celle-ci ? La commission rogatoire sera bien envoyée, mais pas avant qu'on ait biffé la définition du déli remplacé par le seul mot d'escroquerie.
(Ill. : Demande d'envoi de la commission rogatoire du juge Zangiacomi)
Le véritable ton du registre judiciaire sous lequel se dérouleront - en France ! - les procès concernant Naundorf est ainsi donné par cette simple mention manuscrite. Les procès concernant Naundorf en France, sous couvert de simples actions au civil, sont en réalité des procès politiques.
L'instruction menée par le juge Zangiacomi sera assez vite close sans déboucher sur quoi que ce soit.
§ 2 - 1851: ouverture du procès
a/ - Les éléments de base
En 1851, les héritiers de Naundorf citèrent la duchesse d'Angoulême à comparaître devant le Première Chambre du Tribunal Civil de première instance de la Seine aux fins d'annuler l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795) et de se voir reconnaître comme veuve et enfants légitimes de feu Charles Louis, duc de Normandie, et de se voir admettre à jouir désormais de tous les droits civils et patrimoniaux qui en découlent. Cette action en justice est la simple reprise de la tentative de 1836 demeurée en suspens.
La duchesse d'Angoulême jugea indigne d'elle de se faire représenter au procès: elle avait, d'expérience ancienne, toutes raisons de penser que les plaignants seraient déboutés, l'intérêt de tous les gouvernements français depuis la chute de l'Empire étant d'occulter de façon systématique Louis XVII et sa descendance. Elle savait que la raison d'État primerait. C'est si vrai que si tel n'avait pas été le cas, elle aurait eu au contraire tout intérêt à figurer au procès car, dans les droits civils revendiqués, figurait le droit à l'héritage de la fortune des Rois de France (Chambord laissera une succession de cent sept millions de francs or !).
b/ - Partialité du Ministère Public
Le substitut, Dupré-Lasale, n'hésita pas à proclamer qu'il ne s'inquiétait pas des témoignages de Madame de Rambaud, de Monsieur de Joly (qui pourtant était lui-même un juriste), ni de Monsieur Brémond, qu'il déclara indignes de la confiance de la justice ! Pour mieux apprécier la conduite de ce personnage, représentant les intérêts de l'Etat auprès du tribunal, il faut apporter les précisions suivantes:
- Madame de Rambaud fut appelée à témoigner, le 12 juillet 1837, devant le juge d'instruction du Mans; elle ne fut jamais accusée de faux témoignage et le testament dans lequel elle avait consigné ses convictions concernant l'identité de Naundorf avec Louis XVII lui a été dérobé au cours d'une perquisition et jamais restitué (comme bien d'autres documents dans l'affaire Louis XVII : curieux !).
Déposition de Madame de Rambaud devant le juge d'instruction du Mans, le 12 juillet 1837
J'étais attachée au berceau du Prince Charles-Louis, Duc de Normandie, depuis sa naissance jusqu'au 10 août 1792, où je l'ai quitté aux Tuileries. J'étais tous les jours avec le Prince, je suis même toujours sortie avec lui, et je ne l'ai jamais perdu de vue.
Je l'ai cru mort jusqu'à 1833. Mais, à cette époque, le Prince m'a été présenté par une dame de ma connaissance (Mme Albouys) sous le nom de Naundorf; du moins j'ai su depuis que c'était ainsi qu'on l'appelait à l'étranger. Je n'ai point le moindre doute sur l'identité du Prince ou de celui que j'appelle ainsi, et que je crois être le véritable fils de Louis XVI. Ses traits, des marques particulières dont il est porteur, et notamment celle de l'inoculation que j'ai vu faire, son port, sa ressemblance avec le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette, sont les motifs qui me déterminent très consciencieusement à penser qu'il est le véritable fils de Louis XVI.
Je dois dire aussi qu'ayant connu mieux que personne tous les souvenirs de son enfance, j'ai pu m'en entretenir avec lui, et j'ai été frappée de l'exactitude de ses souvenirs, des détails dans lesquels il est entré, et de la fidélité avec laquelle il me les a sans cesse reproduits. Dans la crainte d'être surprise par la mort, j'ai cru devoir consigner dans un acte de dernière volonté l'expression de ma conviction. Cet acte a été saisi chez moi, le 15 juin dernier, lors d'une perquisition qui y a eu lieu.
- Monsieur de Joly laissa pour sa part des témoignages écrits comme quoi il avait identifié le duc de Normandie en Naundorf.
- Quant à Monsieur Brémond, il fut convoqué par le Tribunal de District de Vevey (Suisse) pour y être entendu sur commission rogatoire du juge d'instruction près le Tribunal de première instance du département de la Seine, Zangiacomi, rendue le 12 août 1837. Monsieur Brémond, domicilié en ce pays et devenu ressortissant de la Confédération, se présenta à l'audience du 14 octobre 1837 et les jours suivants. Il fit une longue déposition où il affirma avoir reconnu Louis XVII en Naundorf et déposa auprès du tribunal suisse un long mémoire. Lui non plus n'a jamais été accusé de faux témoignage.
Extraits de la déposition de Monsieur Brémond entendu par le Tribunal de district de Vevey (Suisse)
sur "commission rogatoire, datée de Paris, le 12 août 1837, signée par Monsieur le Juge d'Instruction près le Tribunal de première instance de la Seine et relative au sus dit Naundorf".
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Q. - Etiez-vous à Paris en 1792?
R. - J'ai vécu à Paris dès 1786 comme Député de l'administration des Etats de la Province de Provence et j'y suis resté encore pendant environ quarante jours après le 10 août 1792. Dès lors je ne suis plus retourné à Paris jusqu'en novembre 1819.
Q. - Avez-vous été secrétaire intime du Roi Louis XVI?
R. - J'ai été secrétaire particulier du Roi Louis XVI, honoré de sa confiance et je l'ai été dès le commencement de 1788 jusqu'au 10 août 1792.
Q. - Avez-vous vu en 1788, ou dans le courant des années suivantes, Charles Louis de Bourbon fils de Louis XVI?
R. - Je l'ai vu de près diverses fois dès 1788 au 10 août 1792 mais je ne me rappelle pas lui avoir parlé à ces époques là. Je l'ai vu bien des années plus tard et je m'expliquerai à cet égard lorsqu'il me sera fait une question précise sur ce point.
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Q. - A quoi avez-vous reconnu le Prince?
R. - En particulier en ce qu'il connaissait la cachette faite par son père, dans le palais des Tuileries, cachette que lui seul pouvait connaître, comme ayant été le seul présent, lorsque son père l'a fermée. De plus par plusieurs autres détails que le Prince m'a communiqués et qu'il s'est réservé de rendre publics lui-même. Les détails qu'il m'a donnés sur la cachette des Tuileries sont pour moi une preuve évidente de l'identité de la personne.
Q.- Comment avez-vous eu connaissance de la cachette des Tuileries?
R. - Par S.M. le Roi Louis XVI auquel je fis observer, par l'entremise de Monsieur de Montciel, alors ministre de l'Intérieur, que l'armoire de fer qui recélait des papiers secrets, pourrait être découverte en des temps de malheur et qu'il fallait enlever de là ce qui était convenable. Le Roi répondit que cela était déjà fait et que voulant prévenir le cas de sa mort, il avait déposé, dans une cachette secrète faite en présence de son fils seul, les documents authentiques dont son fils aurait besoin un jour pour sa conduite. C'est Mr. de Montciel qui m'a rapporté la réponse du Roi.
Voilà les témoins que le substitut Dupré-Lasale balaye d'une phrase, soulignée sans doute selon les habitudes du prétoire d'une large envolée de manche.
Mais ce qu'il faut savoir en plus, c'est que le substitut déclara ces témoins "non dignes de foi devant la Justice" en vertu du fait "qu'ils avaient cru aux récits farfelus du dénommé Naundorf". On croit rêver ! En quoi le fait qu'un quidam ait écrit des récits farfelus, fut-ce pour raconter sa vie, influe-t-il en quoi que ce soit sur son identité? En quoi cela interdit-il aux témoins de l'avoir identifié pour celui qu'ils avaient connu bien des années auparavant?
Beau respect de la justice de la part d'un magistrat, que ce soit celle de son pays ou celle de nos voisins helvétiques !
c/ - Des attendus mensongers
Les attendus du jugement sont de la même eau : c'est un florilège d'erreurs que, pour notre part, nous n'hésiterons pas à qualifier de mensonges délibérés.
1/ - Le tribunal commence par déclarer que du 10 août 1792 au 10 thermidor (28 juillet 1794) la surveillance du Temple a fait l'objet des précautions les plus minutieuses et que la vigilence n'a pas diminué ensuite.
Affirmer une pareille ineptie consiste à se moquer du monde. Si le commun des mortels, le vulgum pecus, ne pouvait y accéder qu'avec beaucoup de dificultés, tout personnage un peu débrouillard y rentrait et en ressortait sans peine.L'intendant établissait de 6 à 7000 laissez-passer par mois, soit au rythme ahurissant de 200 au moins par jour, qui permettaient de pénétrer dans les locaux du Temple sous le prétexte de services des plus divers. Ces cartes ne comportaient aucun signalement, même succinct, mais seulement la signature du bénéficiaire. Par ailleurs, il suffisait en général de les montrer de loin au concierge pour passer sans encombre.
Par ailleurs, tout individu affublé d'un uniforme quelconque pouvait circuler sans entrave au Temple.
Sans oublier les habitués qui se faisaient tout simplement ouvrir la porte des écuries par le portier Piquet. C'est ainsi que l'on a vu nombre de personnages s'y promener, et jusque dans l'escalier de la tour, sans pouvoir alléguer d'autre motif que la curiosité....ou autre chose !
En un mot comme en cent, les petits malins entraient et sortaient du Temple à peu près comme d'un moulin.
2/ - Le tribunal affirme ensuite que l'acte de décès et le procès-verbal d'autopsie ont joui d'une publicité incontestable, qui ne permet pas d'admettre une substitution de personne.
En réalité, aucun des témoins du décès et de l'autopsie n'avait vu l'enfant décédé le 8 juin 1795 avant le 9 thermidor, et même avant le 30 janvier 1794, date de la réclusion dans la cage, puisque dès lors plus personne n'avait pu exercer un contrôle réel de son identité.
Qui plus est, ces mêmes témoins du décès et de l'autopsie n'avaient jamais vu le Dauphin de près auparavant.
Dans ces conditions, ni l'acte de décès, ni le procès-verbal d'autopsie ne prouvent quoi que ce soit quant à l'identité du défunt. Dans ce dernier document, les médecins se bornent, procédure tout à fait normale, à reproduire les déclarations que leur ont faites les gardiens....qui ne savaient eux-mêmes que ce qu'on avait bien voulu leur dire !
3/ - Le tribunal s'appuie aussi sur les déclarations de Lasne et de Gomin, qui furent les derniers gardiens de l'enfant du Temple.
Le malheur est que les souvenirs de ces deux participants - tardifs - au drame ne concordent pas, bien que les juges n'hésitent pas à prétendre qu'on ne peut élever aucune présomption contre eux. Or ces souvenirs ont été recueillis par voie judiciaire lors de l'enquête de 1837.
Cela signifie que, pour ces magistrats, la déposition de Madame de Rambaud, la personne au monde qui a le mieux connu le jeune prince, recueillie à la même époque et selon la même procédure, est écartée comme indigne de la confiance de la justice tandis que celles de Lasne et de Gomin, qui divergent en tout l'une de l'autre, sont inattaquables! Curieux sens de la justice que celui-là…. Il est vrai que Madame de Rambaud témoignait de faits qui déplaisaient au pouvoir....Il en va de même d'ailleurs du témoignage de Monsieur Brémond.
Ajoutons que Lasne et Gomin, qui n'avaient jamais rencontré l'ex-Dauphin avant de prendre leur charge au Temple bien après le 10 thermidor, ne pouvaient témoigner que sur la période qui suit leur arrivée respective au Temple (le 31 mars 1795 pour Lasne et le 9 novembre 1794 pour Gomin). Peu importe! Pour le gouvernement d'alors, comme pour tous ceux qui se sont succédés en France, il faut que le fils de Louis XVI soit mort le 8 juin 1795 au Temple..... Alors foin de la vérité!
4/ - Le tribunal s'appuie ensuite sur l'ignorance presque complète de la langue française jusqu'en 1832 dont il gratifie Naundorf.
Malheureusement pour la considération que l'on doit en temps normal à la Justice, cette assertion est fausse. Ceux qui ont rencontré le prince à son retour en France ont noté que, s'il parlait français avec un accent tudesque sensible, il s'exprimait et écrivait sans difficulté dans cette langue qu'il comprenait fort bien. Louis XVII est arrivé en Prusse en automne 1809 et il y est demeuré jusqu'à sa réapparition en France en 1833. C'est-à-dire qu'il fut plongé dans une atmosphère exclusivement prussienne durant vingt-trois ans: quoi d'étonnant dès lors qu'il en ait pris l'accent ? Il se trouvait d'ailleurs déjà en Allemagne avant de gagner la Prusse. Il fallait bien, au contraire, que le français soit sa vraie langue maternelle pour en avoir conservé un aussi bon souvenir durant tout ce temps ! Ajoutons en outre que le prince conversait volontiers avec les Français de passage en Prusse quasi occupée sous l'Empire : ces entretiens avaient lieu bien entendu en français (il est douteux que beaucoup de conscrits d'origine française aient été capables, à l'époque, de suivre une conversation en allemand !).
5/ - Pour terminer, le tribunal considère comme inexplicable le silence observé depuis toujours (avant, pendant et après la Restauration de 1814) par les participants à la prétendue évasion du Temple.
Il faut remarquer d'abord que Louis XVII lui-même n'a jamais dit comment il était réellement sorti du Temple. Les récits qu'il en a fait, poussé par ses partisans, ne sont visiblement que des fables tirées de racontars de l'époque.
Le tribunal semble estimer que les auteurs du complot d'évasion du petit Roi ne peuvent être que des monarchistes. Il peut, dès lors, s'étonner - ou, plutôt, paraître s'étonner - de leur silence. Mais ce même tribunal ne peut ignorer que, depuis la chute de l'Empire en tout cas, toute personne qui aurait témoigné avoir fait évader Louis XVII se serait par là même exposée à un grave danger dont rien n'empêche de penser qu'il aurait pu être mortel: les morts n'évoquent pas de souvenirs.... Il est en outre des plus vraisemblables, pour ne pas dire certain, que les véritables auteurs du complot étaient des robespierristes, lesquels, depuis aussi loin que le 9 thermidor, avaient toutes raisons de se tenir cois ! Le prétendu étonnement du tribunal n'a donc pas lieu d'être.
Il faut noter que l'on se trouve en l'occurrence en présence du vieux sophisme cher à nombre de chercheurs sur Louis XVII : Il est inconcevable que personne n'ait rien dit; donc il ne s'est rien passé. C'est à peu près aussi censé que le serait de dire : il est midi, mais je ne vois pas le soleil caché derrière une épaisse couche de nuages; donc le soleil n'existe pas.
d/ - Le verdict
Le jugement fut rendu le 5 septembre 1851. Bien qu'ayant l'autorité de la chose jugée, ce verdict n'est en réalité qu'un déni de justice caractérisé, basé sur des attendus faussés de façon délibérée. Il va de soi que, dans ces conditions, il déboutait les requérants de leurs prétentions.
§ 3 - 1872: premier appel
a/ - Les éléments de base
Le 13 avril 1872, la veuve et la plupart des enfants de Louis XVII- Naundorf interjettent appel du jugement de 1851, en assignant le comte de Chambord à comparaître devant la Cour d'Appel de Paris, avec les mêmes requêtes.
Maître Jules Favre, avocat et homme politique de renom, avait accepté de soutenir leur cause. Sa plaidoirie occupa 4 audiences consécutives, auxquelles s'ajoutent des conclusions additionnelles et une note en réponse aux conclusions du Ministère public.
Il convient de souligner que cette date de 1872 n'est certes pas innocente. Après la défaite de 1870 devant la Prusse et ses alliés allemands, l'assemblée élue en 1871 comprenait une forte proportion de monarchistes. Ils se divisaient entre légitimistes, partisans de la soi-disant branche aînée, représentée par le comte de Chambord, et orléanistes, partisans des Orléans, représentés alors par le comte de Paris, fils aîné du duc d'Orléans, lui-même fils aîné de Louis-Philippe et décédé par accident le 12 juillet 1842.
b/ - Des attendus faussés
On retrouve dans les attendus de l'arrêt de la Cour d'Appel de 1872 les mêmes déviations délibérées des faits que dans le jugement précédent.
1/ - Les juges s'appuient sur l'acte de décès officiel du 24 prairial an III (12 juin 1795).
D'une part, c'est une - mauvaise - plaisanterie: tout dans les événements de début juin 1795 au Temple démontrait la supercherie, à commencer par le rapport d'autopsie qui prouve que l'enfant décédé le 8 juin 1795 au Temple et autopsié le lendemain ne pouvait en aucun cas être le fils de Louis XVI.
De la part des juges, appuyer leur argumentation sur l'acte même dont les appelants demandaient l'annulation, constitue la preuve d'un mépris total de leurs droits. Et on ne peut prétendre, comme on l'a fait trop souvent, que les les juges ne peuvent prendre en considération ces données d'histoire, puisque ce sont précisément elles qui font l'objet du procès.
2/ - L'arrêt prétend que l'idée qu'un garçon ait pu être substitué à Louis XVII au Temple est invraisemblable.
Étant donné les circonstances qui régnaient au Temple à l'époque considérée, une telle affirmation consiste à fermer de façon délibérée les yeux sur la réalité.
3/ - Le tribunal déclare peu sérieux les documents fournis par les requérants.
S'il est exact qu'ils eurent le tort de présenter les pseudo lettres de Laurent, dont il est quasi certain que ce sont des faux, il n'en va pas de même pour les résultats de la délibération du Parlement néerlandais accordant au prince Adelberth, quatrième fils de Louis XVII-Naundorf, la possibilité de se faire naturaliser néerlandais - il voulait devenir officier dans l'armée des Pays-Bas et ne pouvait le faire en qualité d'étranger - étant donné que son acte de naissance, établi à Londres, sa ville natale, lui reconnaissait la qualité de citoyen français, comme fils de S.A.R. Charles Louis duc de Normandie.
Nous sommes là devant un exemple typique de mauvaise foi des autorités françaises. La délibération du Parlement néerlandais ne portait pas sur le nom du prince, mais sur sa nationalité. Le gouvernement royal des Pays-Bas, en effet, n'avait pas attendu 1863, date de la demande de naturalisation du prince Adelberth, pour reconnaître Naundorf comme étant le fils de Louis XVI : cette qualité lui avait été reconnue dès son arrivée aux Pays-Bas, et il va de soi que le roi et le gouvernement néerlandais de l'époque ne pouvaient avoir que d'excellentes raisons et des preuves en mains pour prendre une telle attitude à la face de l'Europe....qui ne broncha pas.
Décalaration de Maître H.J. Van Buren, rédigée le 27 mars 1873
Je fis une démarche (en février 1845) auprès du Directeur (de la police de Rotterdam). Celui-ci m'apprit que (Charles Louis de Bourbon) était un personnage politique…Il tâcha de me persuader de ne pas m'occuper de cet étranger, vu que notre gouvernement pourrait être exposé à des difficultés diplomatiques si le fait venait à être connu qu'un tel passeport lui avait été remis par le Consul général hollandais (à Londres).
….Il était clair que le gouvernement hollandais était renseigné quant à sa personne et qu'à la demande ou dans l'intérêt d'une influence venant de l'étranger, on n'osait le laisser continuer sa route, ni le remettre en possession de son passeport, autrement qu'à la condition qu'il retournât en Angleterre.
Je sais positivement que cette conduite douteuse et anxieuse du gouvernement néerlandais provenait de ce qu'il était bien instruit que Charles Louis de Bourbon était réellement celui qu'il se disait être.
…. Comme je m'en étais déjà avisé, (on pouvait) utiliser pour ma patrie les inventions pyrotechniques très importantes (de Charles Louis) appliquées à des projectiles, des fusées, des mines, des fils télégraphiques, à l'amélioration des armes à feu, et à plusieurs autres importants moyens de défense.
Je confiai cette découverte au gouveerneur de l'Académie militaire de Bréda, qui reconnut l'importance des inventions, si elles étaient fondées.
Je proposai à l'ingénieux étranger de se rendre avec moi à Bréda et de présenter ses problèmes, sans en révéler les secrets, ce qu'il accepta. Réciproquement, je fis la même proposition au Colonel, gouverneur de l'Académie, qui se montra disposé à en recevoir les communications.
Nous nous rendîmes le 19 mars à Bréda, où nous fûmes reçus par le gouverneur qui, après avoir eu un entretien avec Monsieur Charles Louis, dans lequel il s'assura de ne pas avoir à faire à un aventurier, mais à un homme d'un génie extraordinaire, convoqua l'Etat-Major de l'Académie.
Cet Etat-Major se composait alors d'un major de l'artillerie, commandant de l'Académie, de deux capitaines d'artillerie et de génie, d'un capitaine de marine et de deux lieutenants, auxquels Monsieur de Bourbon fut présenté.
Lorsque la conférence eut eu lieu et les modèles des obus, des bombes et des fusées eurent été exposés, l'importance en fut reconnue et je réçus l'assurance qu'il s'agissait d'une affaire sérieuse et de grande portée.
On avait décidé comme première épreuve de prouver la possibilité du non-recul des fusils et des canons.
Nous convînmes que je pouvas m'adresser au gouvernement pour cette affaire réellement importante pour l'art de la guerre.
Je m'adressai donc au Ministre de la Marine qui trouva la chose assez importante pour en faire l'expérience; il me dit qu'il consulterait à cet égard son collègue le Ministre de la Guerre. Ces Messieurs résolurent d'autoriser le gouverneur de l'Académie à faire prendre des expériences avec le fusil, le canon, les fusées, les mines, etc. aux frais de l'inventeur, mais que le gouvernement accorderait le terrain nécessaire.
Monsieur de Bourbon alla loger à Bréda; on lui fit arranger un atelier pour tous les expériments sur la plus vaste échelle et tous ses problèmes furent résolus à la plus complète satisfaction du grand nombre d'officiers de l'Académie et de la garnison qui y assistèrent.
Je reçus une déclaration par écrit de la Commission de l'Académie
Dans tous nos rapports, on traitait Monseiur de Bourbon avec des égards qui prouvaient qu'on le considérait réellement pour être celui qu'il se disait, sans oser le reconnaître ouvertement.
Je possède des lettres du Ministre de la Marine lui-même qui déclare que lui ainsi que d'autres officeirs supérieurs, de même que les officiers de l'Académie le trouvaient un homme extraordinaire et qu'ils avaient pour lui la plus haute considération.
De tout ceci résultait évidemment que celui qui s'intitulait "Duc de Normandie" possédait des qualités incompatibles avec le caractère de quelqu'un se donnant des titres et une origine qui, s'ils ne lui appartenaient pas, l'auraient stigmatisé sur le champ comme un fourbe ou comme un fou et avec qui aucun homme n'eût voulu ou pu se mettre en rapport.
Le contraire eut lieu. Le Ministre de la Marine me fit savoir qu'il entrerait en délibération sur cette affaire avec ses collègues de la Guerre et des Colonies, mais que la qualification de Monsieur de Bourbon rendait ceci difficile.
Par suite de la convention entre ces trois ministres, le Colonel chef du bureau d'artillerie au Ministère de la Guerre fut nommé pour entrer en négociations au sujet d'un contrat avec Monsieur de Bourbon qui, dans cet acte, ne prendrait que les noms de Charles Louis.
Le Colonel député du Ministre de la Guerre vint à Rotterdam et s'entretint avec Monsieur Charles Louis sur une série d'inventions dans le ressort de l'art de la guerre, tant pour l'artillerie que pour la Marine et en fixa les différents points. Lorsque ces préliminaires furent arrêtés, Monsieur Charles Louis fut convié à un entretien avec les trois ministres susdits. Cette conférence eut lieu à La Haye, au Ministère des Colonies…. Le Duc expliqua ses inventions et le succès qu'on pouvait en attendre.
Le Colonel du Département d'Artillerie fut chargé de rédiger le contrat avec Monsieur Charles Louis. Ses inventions furent évaluées à une somme très considérable que je suis prêt à faire connaître si on le désire.
Il fut convenu que le Duc fixerait sa demeure à Delft avec sa famille, à Delft où se trouvent les Etablissements pyrotechniques, les Arsenaux d'artillerie et de construction.
Puisque les Ministres ne pouvaient pas faire ni paiements ni avances à Monsieur Charles Louis tant qu'on avait pas obtenu de résultats positifs, je fus prié de continuer mon action patriotique et de procurer à Monsieur de Bourbon tout ce dont il aurait besoin pour son atelier et pour son ménage, s'il faisait venir sa famille d'Angleterre. Un écrit du Ministre de la Guerre m'assurait qu'en aucun cas je n'éprouverais de dommages. J'ai donc avancé à cette fin au Duc jusqu'à 80.000 Francs.
Contrat fait, nous fûmes invités à dîner chez le Colonel à La Haye, où nous rencontrâmes un Colonel Adjudant du Roi Guillaume II, qui se trouvait là, parce que ce contrat si important n'avait pu être arrêté sans que le Roi en fut informé et sans son approbation; et afin que cet officier put faire un rapport précis à Sa Majesté sur la personne du Duc.
J'ai su plus tard que le projet avait été formé de présenter le Duc au Roi.
Je dois déclarer ici que chez aucun de nous n'existait le moindre soupçon que Charles Louis püt être un impozsteur, au contraire. Une telle pensée était entièrement exclue de tous nos rapports. Tout contribuait à nous convaincre que le gouvernement ne mettait pas en doute son origine royale, mais l'acceptait tacitement.
L'ordre des choses d'alors dans la situation de l'Europe rendait pour notre pays une entière reconnaissance de cette origine tout aussi difficile qu'il était impossible de la nier. Nous devions nous borner à reconnaître la supériorité de son génie et l'intégrité de son caractère. Du reste, tant de notre part que de celle du gouvernement, pendant son séjour en Hollande, il a toujours joui de toutes les distinctions qu'on accorde à un personnage de rang élevé.
Ceci fut le mieux prouvé par la sollicitude et les soins du gouvernement lorsque, dans l'attente des préparatifs pour son établissement à Delft, il se sentit tout à coup indisposé. Cette indisposition se manifesta par des symptômes tellement violents qu'il pensait être empoisonné. Sa constitution extraordinairement robuste fit résistance au poison. Dès qu'il se crut suffisamment rétabli, il se rendit à Delft et commença ses travaux par les deux problèmes les plus faciles pour lui, l'application du non-recul des armes à feu et la construction de bombes qui devaient éclater au moment du contact.
Mais l'indisposition maligne avait attaqué ses forces vitales et recommença ses ravages qui le conduisirent dans la phase d'une fièvre typhoïde. Il mourut après que sa famille, mandée à la hâte, fut arrivée de Londres. Chacun demeura srupéfait de la ressemblance des divers membres avec les gravures bien connues représentant la famille royale de Louis XVI, la Reine Marie-Antoinette, Madame Elsabeth, etc. et ceci ne contribua pas peu à fortifier la conviction de plusieurs personnes que celui qui avait vécu quelques mois parmi nous et dont nous déplorions la perte avait bien été le Fils de tant de Rois, l'Orphelin du Temple.
Il nous fut bien prouvé pendant sa maladie que les Ministres savaient à quoi s'en tenir à cet égard: de la part du gouvernement, deux médecins militaires furent adjoint au médecin civil de Delft, le premier était le chirurgien major du corps des grenadiers de la Garde du Roi; journellement on faisait rapport à Sa Majesté de l'état de l'illustre patient.
Son décès date du 10 août 1845. L'acte mortuaire fut rédigé comme étazt le fils de Leurs Majestés Louis XVI et Marie-Antoinette. Le bourmestre de Delft, officier de l'état-civil, y avait été autorisé.
Après le décès, je fis procéder à l'inspection du corps pour comparer les marques que la Reine sa mère avait observées sur le corps de son fils et qu'elle lui avait donné à garder dans le cas où il viendrait à s'égarer ou à être enlevé. Cette inspection eut lieu par les médecins militaires qui lui avaient donné leurs soins. Elles ont toutes été trouvées et se trouvent constatées dans un acte dressé par un notaire résidant à Delft.
À l'enterrement, le corps fut porté par des sous-oficiers. Je me souviens que le Colonel Chef du bureau d'artillerie se trouvait à la tête d'un cortège d'officiers….
La piere qui recouvre le tombeau porte le nom et le titre du Duc, ce qui n'eût pas été permis sans autorisation du gouvernement…
Remarques sur ce texte:
¹ Le gouvernement néerlandais décide de nommer son interlocuteur de ses deux prénoms seulement. Or c’est un privilège des rois, et d'eux seuls, d'être nommés ainsi. Les rois n'utilisent jamais leur nom patronymique. Ils ne sont nommés que par leurs prénom. Preuve s'il en est que le Roi et le gouvernement des Pays-Bas savaient pertinemment que leur interlocuteur était non seulement de souche royale, mais qu'il était bel et bien Roi.
² Il est remarquable que Maître Van Buren n'emploie à l'égard de son protégé jamais d'autre patronyme que de Bourbon. Or à l'époque où il écrit cette relation, en 1873, le nom porté à l'état civil était Naundorf, dit de Bourbon. Le patronyme Naundorf n'apparaît jamais sous sa plume. Ce n'est qu'en 1888 et 1891 que deux jugements des tribunaux néerlandais supprimeront la mention de dit Naundorf pour ne plus laisser subsister que le patronyme de Bourbon.
4/ - S'appuyant sur le côté farfelu que revêtent les récits de sa vie écrits par le prince, la Cour conclue qu'il ne peut être qu'un aventurier hardi, c'est-à-dire un imposteur. C'est aller un peu vite en besogne car, outre que ces récits, lus en seconde lecture, sont fort instructifs (mais on ne peut demander aux juges d'interpréter de la sorte des écrits), le fait d'avoir écrit des mémoires abracadabrants n'est pas, en soi, une preuve d'usurpation d'identité.
c/ - Parallèle entre le jugement en Prusse et les jugements en France
Il existe entre le jugement rendu en Prusse en 1826 et les deux jugements intervenus en France en 1851 et 1872 une parenté évidente.
Bien que ces deux gouvernements aient eu en main des documents prouvant l'origine réelle de Naundorf, leurs tribunaux respectifs le condament comme aventurier dépourvu de papiers et dans l'incapacité de prouver ses dires. L'un comme les autres y ajoutent le côté farfelu du ou des récits fournis par le prince.
Or, alors même que le président Le Coq parlait sans retenue chez lui de la présence dans son pays du fils de Louis XVI, le gouvernement prussien s'est toujours refusé à rendre à l'inculpé les documents qui lui avaient été remis ou à les communiquer à huis clos au tribunal.
De même le gouvernement d'Orléans a saisi, par un coup de force, les papiers de Naundorf et les a fait disparaître volontairement dans ses archives (où tout laisse à penser qu'ils se trouvent toujours, mais sous un classement tenu secret).
Il y a forfaiture dans les deux cas, et suivant le même schéma.
Cette constatation n'est pas innocente : il y a bel et bien eu complot entre les cours européennes pour occulter l'héritier - légitime - du trône de France, complot auquel les princes en exil ont adhéré sans hésiter. Nous avons mis le mot légitime en relief car, de même qu'il n'y a qu'un Roi, et qu'il ne peut donc être que légitime, de même il n'y a qu'un héritier qui soit dans la même situation. Tous les autres ne sont que des usurpateurs.
d/ - Maître Jules Favre détruit les témoignages de Lasne et de Gomin
Maître Jules Favre aborda l'examen de ces deux témoignages lors de la seconde partie de l'audience du 13 février 1874.
1/ - Gomin affirme être entré au Temple aussitôt après le 9 thermidor:(27 juillet 1794). En réalité, il n'y est arrivé que le 9 novembre 1794. Qui plus est, il situe le 9 thermidor au 26 août 1794, ce qui représente une erreur d'un mois.
Lasne, pour sa part, n'arrive que le 31 mars 1795.
2/ - Dans sa déposition du 13 juillet 1837 devant le juge d'instruction Zangiacomi, Lasne affirme que la tour du Temple n'avait ni comble ni grenier et était surmontée d'une terrasse.
L'avocat cite le Journal de Cléry qui indique que le quatrième étage n'était point occupé; une galerie régnait dans l'intérieur des créneaux et servait quelquefois de promenade. Il mentionne aussi le procès-verbal d'une visite faite au Temple par trois membres de la Convention qui déclarent qu'au quatrième étage se trouvait un appartement inoccupé.
On pourrait citer en outre les plans, notamment ceux dressés par l'architecte Bourlat, et les croquis de la tour.
3/ - En 1834, Lasne dit que l'enfant était malade depuis deux mois. En 1837, il a eu deux jours de maladie.
En 1840, il déclare que l'enfant a succombé à une fièvre qui le dévorait. Ces trois déclarations incompatibles l'une avec les autres devraient à elles seules faire écarter Lasne comme témoin au sujet de Louis XVII.
4/ - En 1834, Lasne déclare qu'il a toujours conversé avec le Dauphin. Mais en 1840, il affirme qu'il ne lui a parlé qu'une fois.
5/ - Lasne affirme qu'étant de garde aux Tuileries il a parfaitement connu le Dauphin.
¹ Voici, sur ce point, ce qu'il dit lors de sa déposition au procès de Richemont en 1834 :: J'avais été à même de connaître le Dauphin; j'étais soldat dans les gardes françaises, je faisais partie de la quatrième compagnie; je fus nommé capitaine, et quand je montais aux Tuileries, je voyais M. le Dauphin, que je connaissais parfaitement; ainsi je ne pouvais pas être trompé.
² Voici maintenant sa déposition du 13 juillet 1837 : J'avais vu le Prince avant le 10 août, parce qu'étant à cette époque commandant en chef du bataillon du district des Droits de l'Homme, j'avais souvent monté la garde aux Tuileries et avais accompagné quelquefois le Prince dans les promenades de la terrasse des Feuillants. Plusieurs fois aussi, pendant la détention au Temple de la famille royale, j'y ai été de service avec mon bataillon, et j'avais encore eu occasion de revoir le Prince, que j'avais parfaitement reconnu.
³ Voici maintenant sa déposition de 1840 : Je suis entré aux gardes-françaises en 1774 et j'en suis sorti en 1782; puis, en 1788, je fis partie de la garde nationale de Paris, et en 1791 je fus nommé capitaine des grenadiers du bataillon du poste Saint-Antoine. J'eus, dans cette position, et toutes les fois que j'étais de garde au château, occasion de voir les enfants du roi Louis XVI. Le jeune Dauphin se faisait remarquer par la beauté de ses traits, la vivacité de son caractère et son regard imposant et plein d'expression; il avait l'abord brusque de son père; ses gestes étaient vifs et saccadés; le premier moment passé, personne dans la conversation n'était plus affable; il étonnait par l'à-propos et la maturité de ses réparties.
Remarquons tout d'abord que l'appartenance de Lasne aux gardes-françaises ne peut influer en rien sur la connaissance éventuelle qu'il aurait eu du jeune duc de Normandie : il les a quittées avant sa naissance!
Maître Jules Favre note en outre une certaine confusion dans les grades que s'attribue Lasne et dans les corps dont il dit avoir fait partie.
Mais le plus grave est que, faisant partie de la garde du château, il n'a jamais pu approcher le Dauphin : ni un soldat, ni même un officier de la garde ne se serait permis d'approcher les Enfants de France. L'étiquette s'y opposait formellement. Si donc Lasne a vu le Dauphin à quelques occasions en montant la garde, ce ne peut être, dans le meilleur des cas, que de loin. Encore moins se serait-il permis de lui adresser la parole : la distance qu'il devait observer l'en aurait d'ailleurs matériellement empêché.
Lasne était incapable d'identifier le fils de Louis XVI.
6/ - Lasne prétend en 1840 que pendant deux jours le corps du Prince fut exposé dans sa chambre. Il a pu facilement être vu et reconnu par toutes les personnes qui allaient et venaient dans le Temple, ainsi que par les hommes de garde.
C'est faux. La mort, d'ordre du Comité de Sûreté Générale, fut tenue secrète jusqu'au soir après l'autopsie, et même plusieurs heures après. On continuait à porter à l'enfant ses repas et ses médecines prescrites par les médecins. Pour pratiquer l'autopsie, Pelletan et ses confrères lui avaient rasé le crâne avant d'en ouvrir la calotte. Celle-ci avait été ensuite remise en place tant bien que mal et maintenue par un linge noué autour de la tête. Le cadavre avait, bien entendu, les yeux fermés.
Dans ces conditions, il était méconnaissable.
Ce qui n'a pas empêché tout le personnel du Temple, sans oublier la garde, officiers et sous-officiers en tête, de défiler, à partir de neuf heures du soir le 9 juin 1794,devant la dépouille, sur ordre, et, bien entendu, de le reconnaître. L'ennui est que, depuis le 5 janvier 1794, plus personne n'avait vu l'enfant du Temple au grand jour: il n'avait plus jamais quitté la pièce où il était confiné. Dans ces conditions, ces reconnaissances en série, qui ont duré 24 heures et non 48 comme prétendu par Lasne, n'ont strictement aucune signification.
Ceci d'autant plus que, dans cette avalanche de témoins sur ordre, il n'en est pas un qui ait été en mesure d'identifier Louis XVII, faute de l'avoir jamais approché de près.
7/ - Dans sa déposition de 1837, Gomin déclare : lorsque j'entrai en fonctions, la santé du Prince était déplorable, son état de langueur et d'abattement annonçait une fin prochaine. Citant ensuite les médecins Desault, Pelletan et Dumangin, il ajoute : ces Messieurs disaient que l'état du Prince était désespéré et que sa mort était imminente.
Gomin est arrivé au Temple, dans la réalité, un peu moins de cinq mois avant Lasne. Ce que Gomin dit là s'inscrit en faux contre les dires de son accolyte en 1834 et 1837, au moins.
8/ - Gomin précise aussi : pendant sa maladie, le Prince, que je voyais à tous les instants de la journée, causait sans effort; il a même parlé une heure avant de mourir. Il déclare plus loin : j'ajouterai que plusieurs membres de la Convention sont venus visiter cet enfant à l'époque où il était confié à ma garde et que jamais il n'a fait de réponse aux questions qu'ils lui adressaient; ce qui a pu accréditer cette version que cet enfant était muet; il répondait volontiers aux sieurs Laurent et Lasne ainsi qu'à moi. Cette circonstance se rapporte aux derniers temps de sa vie.
Là encore, il y a contradiction avec ce que dit Lasne en 1840, donc après ce témoignage de Gomin.
9/ - Gomin affirme avoir connu le prince : je suis d'autant plus certain que l'enfant que j'ai vu mourir au Temple était le duc de Normandie, fils de Louis XVI, qu'antérieurement à sa détention, je l'avais vu plusieurs fois et de très près (étant à cette époque commandant d'un bataillon de la garde nationale de Paris) dans le jardin, dit du Prince, aux Tuileries, où il avait l'habitude de jouer, accompagné de sa gouvernante, Madame de Tourzel. Il reprend la même assertion un peu plus loin dans des termes à peu près identiques : Je connaissais parfaitement, avant sa détention, le duc de Normandie, fils de Louis XVI, l'ayant vu souvent, et à une distance fort rapprochée, dans le jardin du Prince, aux Tuileries, où il jouait sous la surveillance de Madame de Tourzel. C'est cet enfant dont la garde m'a été confiée; c'est lui que j'ai soigné, c'est lui qui est mort sous mes yeux, en juin 1795, à la tour du Temple; c'est lui, enfin, qui parlait encore une heure avant de mourir.
Mais, interrogé plus tard par Monsieur de Beauchesne, Gomin lâchera ce formidable aveu: : arrivant au Temple le 9 novembre 1794, il est reçu par Laurent dont il doit être l'assistant. Monsieur de Beauchesne reprend les paroles de Gomin : Entrés au second étage, dont la première pièce servait d'antichambre, Laurent demanda à son collègue s'il avait vu autrefois le Prince royal. -"Je ne l'ai jamais vu", répondit Gomin. - "En ce cas, il se passera du temps avant qu'il vous dise une parole"("Louis XVII", de Beauchesne, Plon, Paris, 1872, Livre XVI, page 244).
Ce qui a été dit de Lasne concernant l'impossibilité d'avoir approché le prince alors qu'il montait la garde, vaut pour Gomin. Son aveu à Beauchesne en est d'ailleurs la confirmation.
Gomin était incapable d'identifier Louis XVII.
10/ - Notons en outre un mensonge délibéré de la part de Gomin lorsqu'il dit, comme repris plus haut : c'est lui qui est mort sous mes yeux.
Même quarante-deux ans après les faits, Gomin ne peut se tromper à ce point. Tout individu sait et pour toujours si un enfant est mort en sa présence ou non. Or Gomin n'était pas au Temple au moment, quelques minutes avant trois heures de l'après-midi du 8 juin 1795, où l'enfant du Temple est mort dans les bras de Lasne. Pendant ce temps, Gomin galopait dans les rues de la capitale, porteur d'un message pour le Comité de Sûreté Générale.
11/ - Un des considérant s'exprime ainsi : un procès-verbal du 16 août 1817, conservé aux Archives nationales, qui est signé par Damont, a retenu de lui les déclarations suivantes. Arrivé au Temple à midi, il avait trouvé encore en vie l'enfant royal, qui lui avait paru être dans un état presque désespéré; il l'avait reconnu pour l'avoir vu, avant sa détention, se promener dans le petit jardin qui lui était réservé, au bout de la terrasse des Feuillants; le même jour, au Temple, des officiers et des gardes nationaux des gardes montante et descendante avaient, comme lui, reconnu le jeune prince dans l'enfant qui venait de rendre le dernier soupir.
Ce que nous avons dit de Lasne et de Gomin s'applique mutatis mutandi à Damont et aux hommes de la garde nationale : aucun de ces hommes n'était en mesure d'identifier le fils de Louis XVI. Damont lui-même prétend l'avoir vu - ce qui ne peut être que de loin - avant sa détention et il ne dit pas l'avoir aperçu depuis. Il est donc dans l'incapacité totale de le reconnaître.
Ni Damont, ni les soldats, sous-officiers et officiers de la garde nationale n'étaient en mesure d'idenfifier Louis XVII.
12/ - Sur la question de l'identité de Naundorf avec Louis XVII, la Cour s'exprime comme suit : sur ce point, Naundorf a pu faire illusion à des gens crédules et enthousiastes dont l'imagination s'exalte, ou le cœur s'éprend sur les traces des choses extraordinaires, et qui forment un cortège dont, en France, les faux dauphins et, partout dans l'histoire, de célèbres imposteurs n'ont jamais manqué.
La partialité et l'iniquité des juges éclatent ici au grand jour. Non contents de prendre en compte les faux témoignages de Lasne et Gomin, sous le prétexte qu'ils ont été recueillis par voie judiciaire, ils écartent, sans même leur accorder un instant d'attention, les témoignages des personnes qui ont identifié Louis XVII en Naundorf, témoignages qui ont pourtant été recueillis, eux aussi, par voie judiciaire et à la même époque, à la requête du même juge d'instruction Zangiacomi, comme étant le fait d'exaltés crédules.
Il est remarquable que, de nos jours encore, des professeurs d'université cherchent à faire passer les partisans du Roi pour de doux illuminés, pris par la légende du prince perdu, faisant les uns allusion aux faux Dimitris de Russie, d'autres aux faux Sébastiens de Portugal.
Un tel considérant est indigne d'un tribunal.
C. France, 1836, 1851, 1872, 1954: requête en restitution d'état civil
Un procès en trois étapes se déroula en France à la requête des héritiers de Louis XVII, décédé à Delft, aux Pays-Bas, sous le nom de Louis XVII, duc de Normandie, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le 10 août 1845.
§ 1 - 1836: assignation de la duchesse d'Angoulême et du comte d'Artois
Le 13 juin 1836, Naundorf lançait une assignation devant la Première Chambre du Tribunal Civil de la Seine à la duchesse d'Angoulême et au comte d'Artois aux fins de faire annuler l'acte de décès établi le 24 prairial an III (12 juin 1795) au nom de Louis Charles Capet, étant donné que le requérant était lui-même le duc de Normandie, ancien Dauphin de France, fils de feus Louis XVI et Marie-Antoinette, Louis XVII.
La seule réaction à cette démarche judiciaire fut que la police du pseudo "roi des français" arrêta le requérant, saisit les 202 pièces de son dossier - qui ne lui furent jamais restituées malgré les réclamations justifiées - et finit par expulser le plaignant vers l'Angleterre dès le 16 juillet 1836, sous le prétexte qu'il était étranger, ce que le dit gouvernement se garda bien de prouver, et ceci en application d'une ancienne loi qui n'était plus en vigueur.
C'était la première fois que le gouvernement de la France, tous régimes confondus, évitait, par voie d'autorité, de faire un procès à un personnage se disant Louis XVII. Jusqu'alors tous ceux qui avaient élevé cette prétention s'étaient vus arrêtés et condamnés, en général comme escrocs portant atteinte à l'ordre public, dès qu'ils se trouvaient sur le sol français. Or Naundorf résidait en France, sans se cacher, depuis 1833 et les autorités françaises n'ont bougé que lorsque, lui-même, il a demandé à la justice de son pays de lui rendre son nom et ses droits civiques et patrimoniaux. Le gouvernement de l'usurpateur Orléans signait de la sorte sa frayeur d'avoir à affronter les arguments du requérant, soulignant ainsi sans équivoque qu'il était bien celui qu'il disait être, le fils de Louis XVI.
Le comportement des autorités françaises dans cette affaire ne constitue pas une, mais une série de forfaitures caractérisées. Du point de vue juridique, le Code Pénal qualifie la forfaiture de crime.
Le ministère public ouvrit à cette époque une enquête contre Naundorf dont l'instruction fut confiée au juge Zangiacomi. Ce dernier interrogea des partisans de Naundorf qui témoignèrent l'avoir formellement identifié comme étant le fils de Louis XVI et qui maintinrent leurs dires envers et contre tout. On peut citer les plus importants : Madame de Rambaud, Monsieur et Madame Marco de Saint-Hilaire, Monsieur Brémond. Pour recueillir le témoignage de ce dernier, devenu citoyen suisse et résidant dans ce pays, le juge d'instruction lança une commission rogatoire. La note du ministère de la Justice demandant l'envoi de cette commission rogatoire est curieuse. Elle vise en premier lieu les délits de complot contre la sûreté de l'État et d'escroquerie. Mais une note en marge, dans l'espace réservé à l'accusé de réception est ainsi rédigée: nous avons toujours refusé de faire exécuter en France les commissions rogatoires relatives à des procès politiques. Pouvons-nous demander l'exécution de celle-ci ? La commission rogatoire sera bien envoyée, mais pas avant qu'on ait biffé la définition du déli remplacé par le seul mot d'escroquerie.
(Ill. : Demande d'envoi de la commission rogatoire du juge Zangiacomi)
Le véritable ton du registre judiciaire sous lequel se dérouleront - en France ! - les procès concernant Naundorf est ainsi donné par cette simple mention manuscrite. Les procès concernant Naundorf en France, sous couvert de simples actions au civil, sont en réalité des procès politiques.
L'instruction menée par le juge Zangiacomi sera assez vite close sans déboucher sur quoi que ce soit.
§ 2 - 1851: ouverture du procès
a/ - Les éléments de base
En 1851, les héritiers de Naundorf citèrent la duchesse d'Angoulême à comparaître devant le Première Chambre du Tribunal Civil de première instance de la Seine aux fins d'annuler l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795) et de se voir reconnaître comme veuve et enfants légitimes de feu Charles Louis, duc de Normandie, et de se voir admettre à jouir désormais de tous les droits civils et patrimoniaux qui en découlent. Cette action en justice est la simple reprise de la tentative de 1836 demeurée en suspens.
La duchesse d'Angoulême jugea indigne d'elle de se faire représenter au procès: elle avait, d'expérience ancienne, toutes raisons de penser que les plaignants seraient déboutés, l'intérêt de tous les gouvernements français depuis la chute de l'Empire étant d'occulter de façon systématique Louis XVII et sa descendance. Elle savait que la raison d'État primerait. C'est si vrai que si tel n'avait pas été le cas, elle aurait eu au contraire tout intérêt à figurer au procès car, dans les droits civils revendiqués, figurait le droit à l'héritage de la fortune des Rois de France (Chambord laissera une succession de cent sept millions de francs or !).
b/ - Partialité du Ministère Public
Le substitut, Dupré-Lasale, n'hésita pas à proclamer qu'il ne s'inquiétait pas des témoignages de Madame de Rambaud, de Monsieur de Joly (qui pourtant était lui-même un juriste), ni de Monsieur Brémond, qu'il déclara indignes de la confiance de la justice ! Pour mieux apprécier la conduite de ce personnage, représentant les intérêts de l'Etat auprès du tribunal, il faut apporter les précisions suivantes:
- Madame de Rambaud fut appelée à témoigner, le 12 juillet 1837, devant le juge d'instruction du Mans; elle ne fut jamais accusée de faux témoignage et le testament dans lequel elle avait consigné ses convictions concernant l'identité de Naundorf avec Louis XVII lui a été dérobé au cours d'une perquisition et jamais restitué (comme bien d'autres documents dans l'affaire Louis XVII : curieux !).
Déposition de Madame de Rambaud devant le juge d'instruction du Mans, le 12 juillet 1837
J'étais attachée au berceau du Prince Charles-Louis, Duc de Normandie, depuis sa naissance jusqu'au 10 août 1792, où je l'ai quitté aux Tuileries. J'étais tous les jours avec le Prince, je suis même toujours sortie avec lui, et je ne l'ai jamais perdu de vue.
Je l'ai cru mort jusqu'à 1833. Mais, à cette époque, le Prince m'a été présenté par une dame de ma connaissance (Mme Albouys) sous le nom de Naundorf; du moins j'ai su depuis que c'était ainsi qu'on l'appelait à l'étranger. Je n'ai point le moindre doute sur l'identité du Prince ou de celui que j'appelle ainsi, et que je crois être le véritable fils de Louis XVI. Ses traits, des marques particulières dont il est porteur, et notamment celle de l'inoculation que j'ai vu faire, son port, sa ressemblance avec le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette, sont les motifs qui me déterminent très consciencieusement à penser qu'il est le véritable fils de Louis XVI.
Je dois dire aussi qu'ayant connu mieux que personne tous les souvenirs de son enfance, j'ai pu m'en entretenir avec lui, et j'ai été frappée de l'exactitude de ses souvenirs, des détails dans lesquels il est entré, et de la fidélité avec laquelle il me les a sans cesse reproduits. Dans la crainte d'être surprise par la mort, j'ai cru devoir consigner dans un acte de dernière volonté l'expression de ma conviction. Cet acte a été saisi chez moi, le 15 juin dernier, lors d'une perquisition qui y a eu lieu.
- Monsieur de Joly laissa pour sa part des témoignages écrits comme quoi il avait identifié le duc de Normandie en Naundorf.
- Quant à Monsieur Brémond, il fut convoqué par le Tribunal de District de Vevey (Suisse) pour y être entendu sur commission rogatoire du juge d'instruction près le Tribunal de première instance du département de la Seine, Zangiacomi, rendue le 12 août 1837. Monsieur Brémond, domicilié en ce pays et devenu ressortissant de la Confédération, se présenta à l'audience du 14 octobre 1837 et les jours suivants. Il fit une longue déposition où il affirma avoir reconnu Louis XVII en Naundorf et déposa auprès du tribunal suisse un long mémoire. Lui non plus n'a jamais été accusé de faux témoignage.
Extraits de la déposition de Monsieur Brémond entendu par le Tribunal de district de Vevey (Suisse)
sur "commission rogatoire, datée de Paris, le 12 août 1837, signée par Monsieur le Juge d'Instruction près le Tribunal de première instance de la Seine et relative au sus dit Naundorf".
....
Q. - Etiez-vous à Paris en 1792?
R. - J'ai vécu à Paris dès 1786 comme Député de l'administration des Etats de la Province de Provence et j'y suis resté encore pendant environ quarante jours après le 10 août 1792. Dès lors je ne suis plus retourné à Paris jusqu'en novembre 1819.
Q. - Avez-vous été secrétaire intime du Roi Louis XVI?
R. - J'ai été secrétaire particulier du Roi Louis XVI, honoré de sa confiance et je l'ai été dès le commencement de 1788 jusqu'au 10 août 1792.
Q. - Avez-vous vu en 1788, ou dans le courant des années suivantes, Charles Louis de Bourbon fils de Louis XVI?
R. - Je l'ai vu de près diverses fois dès 1788 au 10 août 1792 mais je ne me rappelle pas lui avoir parlé à ces époques là. Je l'ai vu bien des années plus tard et je m'expliquerai à cet égard lorsqu'il me sera fait une question précise sur ce point.
....
Q. - A quoi avez-vous reconnu le Prince?
R. - En particulier en ce qu'il connaissait la cachette faite par son père, dans le palais des Tuileries, cachette que lui seul pouvait connaître, comme ayant été le seul présent, lorsque son père l'a fermée. De plus par plusieurs autres détails que le Prince m'a communiqués et qu'il s'est réservé de rendre publics lui-même. Les détails qu'il m'a donnés sur la cachette des Tuileries sont pour moi une preuve évidente de l'identité de la personne.
Q.- Comment avez-vous eu connaissance de la cachette des Tuileries?
R. - Par S.M. le Roi Louis XVI auquel je fis observer, par l'entremise de Monsieur de Montciel, alors ministre de l'Intérieur, que l'armoire de fer qui recélait des papiers secrets, pourrait être découverte en des temps de malheur et qu'il fallait enlever de là ce qui était convenable. Le Roi répondit que cela était déjà fait et que voulant prévenir le cas de sa mort, il avait déposé, dans une cachette secrète faite en présence de son fils seul, les documents authentiques dont son fils aurait besoin un jour pour sa conduite. C'est Mr. de Montciel qui m'a rapporté la réponse du Roi.
Voilà les témoins que le substitut Dupré-Lasale balaye d'une phrase, soulignée sans doute selon les habitudes du prétoire d'une large envolée de manche.
Mais ce qu'il faut savoir en plus, c'est que le substitut déclara ces témoins "non dignes de foi devant la Justice" en vertu du fait "qu'ils avaient cru aux récits farfelus du dénommé Naundorf". On croit rêver ! En quoi le fait qu'un quidam ait écrit des récits farfelus, fut-ce pour raconter sa vie, influe-t-il en quoi que ce soit sur son identité? En quoi cela interdit-il aux témoins de l'avoir identifié pour celui qu'ils avaient connu bien des années auparavant?
Beau respect de la justice de la part d'un magistrat, que ce soit celle de son pays ou celle de nos voisins helvétiques !
c/ - Des attendus mensongers
Les attendus du jugement sont de la même eau : c'est un florilège d'erreurs que, pour notre part, nous n'hésiterons pas à qualifier de mensonges délibérés.
1/ - Le tribunal commence par déclarer que du 10 août 1792 au 10 thermidor (28 juillet 1794) la surveillance du Temple a fait l'objet des précautions les plus minutieuses et que la vigilence n'a pas diminué ensuite.
Affirmer une pareille ineptie consiste à se moquer du monde. Si le commun des mortels, le vulgum pecus, ne pouvait y accéder qu'avec beaucoup de dificultés, tout personnage un peu débrouillard y rentrait et en ressortait sans peine.L'intendant établissait de 6 à 7000 laissez-passer par mois, soit au rythme ahurissant de 200 au moins par jour, qui permettaient de pénétrer dans les locaux du Temple sous le prétexte de services des plus divers. Ces cartes ne comportaient aucun signalement, même succinct, mais seulement la signature du bénéficiaire. Par ailleurs, il suffisait en général de les montrer de loin au concierge pour passer sans encombre.
Par ailleurs, tout individu affublé d'un uniforme quelconque pouvait circuler sans entrave au Temple.
Sans oublier les habitués qui se faisaient tout simplement ouvrir la porte des écuries par le portier Piquet. C'est ainsi que l'on a vu nombre de personnages s'y promener, et jusque dans l'escalier de la tour, sans pouvoir alléguer d'autre motif que la curiosité....ou autre chose !
En un mot comme en cent, les petits malins entraient et sortaient du Temple à peu près comme d'un moulin.
2/ - Le tribunal affirme ensuite que l'acte de décès et le procès-verbal d'autopsie ont joui d'une publicité incontestable, qui ne permet pas d'admettre une substitution de personne.
En réalité, aucun des témoins du décès et de l'autopsie n'avait vu l'enfant décédé le 8 juin 1795 avant le 9 thermidor, et même avant le 30 janvier 1794, date de la réclusion dans la cage, puisque dès lors plus personne n'avait pu exercer un contrôle réel de son identité.
Qui plus est, ces mêmes témoins du décès et de l'autopsie n'avaient jamais vu le Dauphin de près auparavant.
Dans ces conditions, ni l'acte de décès, ni le procès-verbal d'autopsie ne prouvent quoi que ce soit quant à l'identité du défunt. Dans ce dernier document, les médecins se bornent, procédure tout à fait normale, à reproduire les déclarations que leur ont faites les gardiens....qui ne savaient eux-mêmes que ce qu'on avait bien voulu leur dire !
3/ - Le tribunal s'appuie aussi sur les déclarations de Lasne et de Gomin, qui furent les derniers gardiens de l'enfant du Temple.
Le malheur est que les souvenirs de ces deux participants - tardifs - au drame ne concordent pas, bien que les juges n'hésitent pas à prétendre qu'on ne peut élever aucune présomption contre eux. Or ces souvenirs ont été recueillis par voie judiciaire lors de l'enquête de 1837.
Cela signifie que, pour ces magistrats, la déposition de Madame de Rambaud, la personne au monde qui a le mieux connu le jeune prince, recueillie à la même époque et selon la même procédure, est écartée comme indigne de la confiance de la justice tandis que celles de Lasne et de Gomin, qui divergent en tout l'une de l'autre, sont inattaquables! Curieux sens de la justice que celui-là…. Il est vrai que Madame de Rambaud témoignait de faits qui déplaisaient au pouvoir....Il en va de même d'ailleurs du témoignage de Monsieur Brémond.
Ajoutons que Lasne et Gomin, qui n'avaient jamais rencontré l'ex-Dauphin avant de prendre leur charge au Temple bien après le 10 thermidor, ne pouvaient témoigner que sur la période qui suit leur arrivée respective au Temple (le 31 mars 1795 pour Lasne et le 9 novembre 1794 pour Gomin). Peu importe! Pour le gouvernement d'alors, comme pour tous ceux qui se sont succédés en France, il faut que le fils de Louis XVI soit mort le 8 juin 1795 au Temple..... Alors foin de la vérité!
4/ - Le tribunal s'appuie ensuite sur l'ignorance presque complète de la langue française jusqu'en 1832 dont il gratifie Naundorf.
Malheureusement pour la considération que l'on doit en temps normal à la Justice, cette assertion est fausse. Ceux qui ont rencontré le prince à son retour en France ont noté que, s'il parlait français avec un accent tudesque sensible, il s'exprimait et écrivait sans difficulté dans cette langue qu'il comprenait fort bien. Louis XVII est arrivé en Prusse en automne 1809 et il y est demeuré jusqu'à sa réapparition en France en 1833. C'est-à-dire qu'il fut plongé dans une atmosphère exclusivement prussienne durant vingt-trois ans: quoi d'étonnant dès lors qu'il en ait pris l'accent ? Il se trouvait d'ailleurs déjà en Allemagne avant de gagner la Prusse. Il fallait bien, au contraire, que le français soit sa vraie langue maternelle pour en avoir conservé un aussi bon souvenir durant tout ce temps ! Ajoutons en outre que le prince conversait volontiers avec les Français de passage en Prusse quasi occupée sous l'Empire : ces entretiens avaient lieu bien entendu en français (il est douteux que beaucoup de conscrits d'origine française aient été capables, à l'époque, de suivre une conversation en allemand !).
5/ - Pour terminer, le tribunal considère comme inexplicable le silence observé depuis toujours (avant, pendant et après la Restauration de 1814) par les participants à la prétendue évasion du Temple.
Il faut remarquer d'abord que Louis XVII lui-même n'a jamais dit comment il était réellement sorti du Temple. Les récits qu'il en a fait, poussé par ses partisans, ne sont visiblement que des fables tirées de racontars de l'époque.
Le tribunal semble estimer que les auteurs du complot d'évasion du petit Roi ne peuvent être que des monarchistes. Il peut, dès lors, s'étonner - ou, plutôt, paraître s'étonner - de leur silence. Mais ce même tribunal ne peut ignorer que, depuis la chute de l'Empire en tout cas, toute personne qui aurait témoigné avoir fait évader Louis XVII se serait par là même exposée à un grave danger dont rien n'empêche de penser qu'il aurait pu être mortel: les morts n'évoquent pas de souvenirs.... Il est en outre des plus vraisemblables, pour ne pas dire certain, que les véritables auteurs du complot étaient des robespierristes, lesquels, depuis aussi loin que le 9 thermidor, avaient toutes raisons de se tenir cois ! Le prétendu étonnement du tribunal n'a donc pas lieu d'être.
Il faut noter que l'on se trouve en l'occurrence en présence du vieux sophisme cher à nombre de chercheurs sur Louis XVII : Il est inconcevable que personne n'ait rien dit; donc il ne s'est rien passé. C'est à peu près aussi censé que le serait de dire : il est midi, mais je ne vois pas le soleil caché derrière une épaisse couche de nuages; donc le soleil n'existe pas.
d/ - Le verdict
Le jugement fut rendu le 5 septembre 1851. Bien qu'ayant l'autorité de la chose jugée, ce verdict n'est en réalité qu'un déni de justice caractérisé, basé sur des attendus faussés de façon délibérée. Il va de soi que, dans ces conditions, il déboutait les requérants de leurs prétentions.
§ 3 - 1872: premier appel
a/ - Les éléments de base
Le 13 avril 1872, la veuve et la plupart des enfants de Louis XVII- Naundorf interjettent appel du jugement de 1851, en assignant le comte de Chambord à comparaître devant la Cour d'Appel de Paris, avec les mêmes requêtes.
Maître Jules Favre, avocat et homme politique de renom, avait accepté de soutenir leur cause. Sa plaidoirie occupa 4 audiences consécutives, auxquelles s'ajoutent des conclusions additionnelles et une note en réponse aux conclusions du Ministère public.
Il convient de souligner que cette date de 1872 n'est certes pas innocente. Après la défaite de 1870 devant la Prusse et ses alliés allemands, l'assemblée élue en 1871 comprenait une forte proportion de monarchistes. Ils se divisaient entre légitimistes, partisans de la soi-disant branche aînée, représentée par le comte de Chambord, et orléanistes, partisans des Orléans, représentés alors par le comte de Paris, fils aîné du duc d'Orléans, lui-même fils aîné de Louis-Philippe et décédé par accident le 12 juillet 1842.
b/ - Des attendus faussés
On retrouve dans les attendus de l'arrêt de la Cour d'Appel de 1872 les mêmes déviations délibérées des faits que dans le jugement précédent.
1/ - Les juges s'appuient sur l'acte de décès officiel du 24 prairial an III (12 juin 1795).
D'une part, c'est une - mauvaise - plaisanterie: tout dans les événements de début juin 1795 au Temple démontrait la supercherie, à commencer par le rapport d'autopsie qui prouve que l'enfant décédé le 8 juin 1795 au Temple et autopsié le lendemain ne pouvait en aucun cas être le fils de Louis XVI.
De la part des juges, appuyer leur argumentation sur l'acte même dont les appelants demandaient l'annulation, constitue la preuve d'un mépris total de leurs droits. Et on ne peut prétendre, comme on l'a fait trop souvent, que les les juges ne peuvent prendre en considération ces données d'histoire, puisque ce sont précisément elles qui font l'objet du procès.
2/ - L'arrêt prétend que l'idée qu'un garçon ait pu être substitué à Louis XVII au Temple est invraisemblable.
Étant donné les circonstances qui régnaient au Temple à l'époque considérée, une telle affirmation consiste à fermer de façon délibérée les yeux sur la réalité.
3/ - Le tribunal déclare peu sérieux les documents fournis par les requérants.
S'il est exact qu'ils eurent le tort de présenter les pseudo lettres de Laurent, dont il est quasi certain que ce sont des faux, il n'en va pas de même pour les résultats de la délibération du Parlement néerlandais accordant au prince Adelberth, quatrième fils de Louis XVII-Naundorf, la possibilité de se faire naturaliser néerlandais - il voulait devenir officier dans l'armée des Pays-Bas et ne pouvait le faire en qualité d'étranger - étant donné que son acte de naissance, établi à Londres, sa ville natale, lui reconnaissait la qualité de citoyen français, comme fils de S.A.R. Charles Louis duc de Normandie.
Nous sommes là devant un exemple typique de mauvaise foi des autorités françaises. La délibération du Parlement néerlandais ne portait pas sur le nom du prince, mais sur sa nationalité. Le gouvernement royal des Pays-Bas, en effet, n'avait pas attendu 1863, date de la demande de naturalisation du prince Adelberth, pour reconnaître Naundorf comme étant le fils de Louis XVI : cette qualité lui avait été reconnue dès son arrivée aux Pays-Bas, et il va de soi que le roi et le gouvernement néerlandais de l'époque ne pouvaient avoir que d'excellentes raisons et des preuves en mains pour prendre une telle attitude à la face de l'Europe....qui ne broncha pas.
Décalaration de Maître H.J. Van Buren, rédigée le 27 mars 1873
Je fis une démarche (en février 1845) auprès du Directeur (de la police de Rotterdam). Celui-ci m'apprit que (Charles Louis de Bourbon) était un personnage politique…Il tâcha de me persuader de ne pas m'occuper de cet étranger, vu que notre gouvernement pourrait être exposé à des difficultés diplomatiques si le fait venait à être connu qu'un tel passeport lui avait été remis par le Consul général hollandais (à Londres).
….Il était clair que le gouvernement hollandais était renseigné quant à sa personne et qu'à la demande ou dans l'intérêt d'une influence venant de l'étranger, on n'osait le laisser continuer sa route, ni le remettre en possession de son passeport, autrement qu'à la condition qu'il retournât en Angleterre.
Je sais positivement que cette conduite douteuse et anxieuse du gouvernement néerlandais provenait de ce qu'il était bien instruit que Charles Louis de Bourbon était réellement celui qu'il se disait être.
…. Comme je m'en étais déjà avisé, (on pouvait) utiliser pour ma patrie les inventions pyrotechniques très importantes (de Charles Louis) appliquées à des projectiles, des fusées, des mines, des fils télégraphiques, à l'amélioration des armes à feu, et à plusieurs autres importants moyens de défense.
Je confiai cette découverte au gouveerneur de l'Académie militaire de Bréda, qui reconnut l'importance des inventions, si elles étaient fondées.
Je proposai à l'ingénieux étranger de se rendre avec moi à Bréda et de présenter ses problèmes, sans en révéler les secrets, ce qu'il accepta. Réciproquement, je fis la même proposition au Colonel, gouverneur de l'Académie, qui se montra disposé à en recevoir les communications.
Nous nous rendîmes le 19 mars à Bréda, où nous fûmes reçus par le gouverneur qui, après avoir eu un entretien avec Monsieur Charles Louis, dans lequel il s'assura de ne pas avoir à faire à un aventurier, mais à un homme d'un génie extraordinaire, convoqua l'Etat-Major de l'Académie.
Cet Etat-Major se composait alors d'un major de l'artillerie, commandant de l'Académie, de deux capitaines d'artillerie et de génie, d'un capitaine de marine et de deux lieutenants, auxquels Monsieur de Bourbon fut présenté.
Lorsque la conférence eut eu lieu et les modèles des obus, des bombes et des fusées eurent été exposés, l'importance en fut reconnue et je réçus l'assurance qu'il s'agissait d'une affaire sérieuse et de grande portée.
On avait décidé comme première épreuve de prouver la possibilité du non-recul des fusils et des canons.
Nous convînmes que je pouvas m'adresser au gouvernement pour cette affaire réellement importante pour l'art de la guerre.
Je m'adressai donc au Ministre de la Marine qui trouva la chose assez importante pour en faire l'expérience; il me dit qu'il consulterait à cet égard son collègue le Ministre de la Guerre. Ces Messieurs résolurent d'autoriser le gouverneur de l'Académie à faire prendre des expériences avec le fusil, le canon, les fusées, les mines, etc. aux frais de l'inventeur, mais que le gouvernement accorderait le terrain nécessaire.
Monsieur de Bourbon alla loger à Bréda; on lui fit arranger un atelier pour tous les expériments sur la plus vaste échelle et tous ses problèmes furent résolus à la plus complète satisfaction du grand nombre d'officiers de l'Académie et de la garnison qui y assistèrent.
Je reçus une déclaration par écrit de la Commission de l'Académie
Dans tous nos rapports, on traitait Monseiur de Bourbon avec des égards qui prouvaient qu'on le considérait réellement pour être celui qu'il se disait, sans oser le reconnaître ouvertement.
Je possède des lettres du Ministre de la Marine lui-même qui déclare que lui ainsi que d'autres officeirs supérieurs, de même que les officiers de l'Académie le trouvaient un homme extraordinaire et qu'ils avaient pour lui la plus haute considération.
De tout ceci résultait évidemment que celui qui s'intitulait "Duc de Normandie" possédait des qualités incompatibles avec le caractère de quelqu'un se donnant des titres et une origine qui, s'ils ne lui appartenaient pas, l'auraient stigmatisé sur le champ comme un fourbe ou comme un fou et avec qui aucun homme n'eût voulu ou pu se mettre en rapport.
Le contraire eut lieu. Le Ministre de la Marine me fit savoir qu'il entrerait en délibération sur cette affaire avec ses collègues de la Guerre et des Colonies, mais que la qualification de Monsieur de Bourbon rendait ceci difficile.
Par suite de la convention entre ces trois ministres, le Colonel chef du bureau d'artillerie au Ministère de la Guerre fut nommé pour entrer en négociations au sujet d'un contrat avec Monsieur de Bourbon qui, dans cet acte, ne prendrait que les noms de Charles Louis.
Le Colonel député du Ministre de la Guerre vint à Rotterdam et s'entretint avec Monsieur Charles Louis sur une série d'inventions dans le ressort de l'art de la guerre, tant pour l'artillerie que pour la Marine et en fixa les différents points. Lorsque ces préliminaires furent arrêtés, Monsieur Charles Louis fut convié à un entretien avec les trois ministres susdits. Cette conférence eut lieu à La Haye, au Ministère des Colonies…. Le Duc expliqua ses inventions et le succès qu'on pouvait en attendre.
Le Colonel du Département d'Artillerie fut chargé de rédiger le contrat avec Monsieur Charles Louis. Ses inventions furent évaluées à une somme très considérable que je suis prêt à faire connaître si on le désire.
Il fut convenu que le Duc fixerait sa demeure à Delft avec sa famille, à Delft où se trouvent les Etablissements pyrotechniques, les Arsenaux d'artillerie et de construction.
Puisque les Ministres ne pouvaient pas faire ni paiements ni avances à Monsieur Charles Louis tant qu'on avait pas obtenu de résultats positifs, je fus prié de continuer mon action patriotique et de procurer à Monsieur de Bourbon tout ce dont il aurait besoin pour son atelier et pour son ménage, s'il faisait venir sa famille d'Angleterre. Un écrit du Ministre de la Guerre m'assurait qu'en aucun cas je n'éprouverais de dommages. J'ai donc avancé à cette fin au Duc jusqu'à 80.000 Francs.
Contrat fait, nous fûmes invités à dîner chez le Colonel à La Haye, où nous rencontrâmes un Colonel Adjudant du Roi Guillaume II, qui se trouvait là, parce que ce contrat si important n'avait pu être arrêté sans que le Roi en fut informé et sans son approbation; et afin que cet officier put faire un rapport précis à Sa Majesté sur la personne du Duc.
J'ai su plus tard que le projet avait été formé de présenter le Duc au Roi.
Je dois déclarer ici que chez aucun de nous n'existait le moindre soupçon que Charles Louis püt être un impozsteur, au contraire. Une telle pensée était entièrement exclue de tous nos rapports. Tout contribuait à nous convaincre que le gouvernement ne mettait pas en doute son origine royale, mais l'acceptait tacitement.
L'ordre des choses d'alors dans la situation de l'Europe rendait pour notre pays une entière reconnaissance de cette origine tout aussi difficile qu'il était impossible de la nier. Nous devions nous borner à reconnaître la supériorité de son génie et l'intégrité de son caractère. Du reste, tant de notre part que de celle du gouvernement, pendant son séjour en Hollande, il a toujours joui de toutes les distinctions qu'on accorde à un personnage de rang élevé.
Ceci fut le mieux prouvé par la sollicitude et les soins du gouvernement lorsque, dans l'attente des préparatifs pour son établissement à Delft, il se sentit tout à coup indisposé. Cette indisposition se manifesta par des symptômes tellement violents qu'il pensait être empoisonné. Sa constitution extraordinairement robuste fit résistance au poison. Dès qu'il se crut suffisamment rétabli, il se rendit à Delft et commença ses travaux par les deux problèmes les plus faciles pour lui, l'application du non-recul des armes à feu et la construction de bombes qui devaient éclater au moment du contact.
Mais l'indisposition maligne avait attaqué ses forces vitales et recommença ses ravages qui le conduisirent dans la phase d'une fièvre typhoïde. Il mourut après que sa famille, mandée à la hâte, fut arrivée de Londres. Chacun demeura srupéfait de la ressemblance des divers membres avec les gravures bien connues représentant la famille royale de Louis XVI, la Reine Marie-Antoinette, Madame Elsabeth, etc. et ceci ne contribua pas peu à fortifier la conviction de plusieurs personnes que celui qui avait vécu quelques mois parmi nous et dont nous déplorions la perte avait bien été le Fils de tant de Rois, l'Orphelin du Temple.
Il nous fut bien prouvé pendant sa maladie que les Ministres savaient à quoi s'en tenir à cet égard: de la part du gouvernement, deux médecins militaires furent adjoint au médecin civil de Delft, le premier était le chirurgien major du corps des grenadiers de la Garde du Roi; journellement on faisait rapport à Sa Majesté de l'état de l'illustre patient.
Son décès date du 10 août 1845. L'acte mortuaire fut rédigé comme étazt le fils de Leurs Majestés Louis XVI et Marie-Antoinette. Le bourmestre de Delft, officier de l'état-civil, y avait été autorisé.
Après le décès, je fis procéder à l'inspection du corps pour comparer les marques que la Reine sa mère avait observées sur le corps de son fils et qu'elle lui avait donné à garder dans le cas où il viendrait à s'égarer ou à être enlevé. Cette inspection eut lieu par les médecins militaires qui lui avaient donné leurs soins. Elles ont toutes été trouvées et se trouvent constatées dans un acte dressé par un notaire résidant à Delft.
À l'enterrement, le corps fut porté par des sous-oficiers. Je me souviens que le Colonel Chef du bureau d'artillerie se trouvait à la tête d'un cortège d'officiers….
La piere qui recouvre le tombeau porte le nom et le titre du Duc, ce qui n'eût pas été permis sans autorisation du gouvernement…
Remarques sur ce texte:
¹ Le gouvernement néerlandais décide de nommer son interlocuteur de ses deux prénoms seulement. Or c’est un privilège des rois, et d'eux seuls, d'être nommés ainsi. Les rois n'utilisent jamais leur nom patronymique. Ils ne sont nommés que par leurs prénom. Preuve s'il en est que le Roi et le gouvernement des Pays-Bas savaient pertinemment que leur interlocuteur était non seulement de souche royale, mais qu'il était bel et bien Roi.
² Il est remarquable que Maître Van Buren n'emploie à l'égard de son protégé jamais d'autre patronyme que de Bourbon. Or à l'époque où il écrit cette relation, en 1873, le nom porté à l'état civil était Naundorf, dit de Bourbon. Le patronyme Naundorf n'apparaît jamais sous sa plume. Ce n'est qu'en 1888 et 1891 que deux jugements des tribunaux néerlandais supprimeront la mention de dit Naundorf pour ne plus laisser subsister que le patronyme de Bourbon.
4/ - S'appuyant sur le côté farfelu que revêtent les récits de sa vie écrits par le prince, la Cour conclue qu'il ne peut être qu'un aventurier hardi, c'est-à-dire un imposteur. C'est aller un peu vite en besogne car, outre que ces récits, lus en seconde lecture, sont fort instructifs (mais on ne peut demander aux juges d'interpréter de la sorte des écrits), le fait d'avoir écrit des mémoires abracadabrants n'est pas, en soi, une preuve d'usurpation d'identité.
c/ - Parallèle entre le jugement en Prusse et les jugements en France
Il existe entre le jugement rendu en Prusse en 1826 et les deux jugements intervenus en France en 1851 et 1872 une parenté évidente.
Bien que ces deux gouvernements aient eu en main des documents prouvant l'origine réelle de Naundorf, leurs tribunaux respectifs le condament comme aventurier dépourvu de papiers et dans l'incapacité de prouver ses dires. L'un comme les autres y ajoutent le côté farfelu du ou des récits fournis par le prince.
Or, alors même que le président Le Coq parlait sans retenue chez lui de la présence dans son pays du fils de Louis XVI, le gouvernement prussien s'est toujours refusé à rendre à l'inculpé les documents qui lui avaient été remis ou à les communiquer à huis clos au tribunal.
De même le gouvernement d'Orléans a saisi, par un coup de force, les papiers de Naundorf et les a fait disparaître volontairement dans ses archives (où tout laisse à penser qu'ils se trouvent toujours, mais sous un classement tenu secret).
Il y a forfaiture dans les deux cas, et suivant le même schéma.
Cette constatation n'est pas innocente : il y a bel et bien eu complot entre les cours européennes pour occulter l'héritier - légitime - du trône de France, complot auquel les princes en exil ont adhéré sans hésiter. Nous avons mis le mot légitime en relief car, de même qu'il n'y a qu'un Roi, et qu'il ne peut donc être que légitime, de même il n'y a qu'un héritier qui soit dans la même situation. Tous les autres ne sont que des usurpateurs.
d/ - Maître Jules Favre détruit les témoignages de Lasne et de Gomin
Maître Jules Favre aborda l'examen de ces deux témoignages lors de la seconde partie de l'audience du 13 février 1874.
1/ - Gomin affirme être entré au Temple aussitôt après le 9 thermidor:(27 juillet 1794). En réalité, il n'y est arrivé que le 9 novembre 1794. Qui plus est, il situe le 9 thermidor au 26 août 1794, ce qui représente une erreur d'un mois.
Lasne, pour sa part, n'arrive que le 31 mars 1795.
2/ - Dans sa déposition du 13 juillet 1837 devant le juge d'instruction Zangiacomi, Lasne affirme que la tour du Temple n'avait ni comble ni grenier et était surmontée d'une terrasse.
L'avocat cite le Journal de Cléry qui indique que le quatrième étage n'était point occupé; une galerie régnait dans l'intérieur des créneaux et servait quelquefois de promenade. Il mentionne aussi le procès-verbal d'une visite faite au Temple par trois membres de la Convention qui déclarent qu'au quatrième étage se trouvait un appartement inoccupé.
On pourrait citer en outre les plans, notamment ceux dressés par l'architecte Bourlat, et les croquis de la tour.
3/ - En 1834, Lasne dit que l'enfant était malade depuis deux mois. En 1837, il a eu deux jours de maladie.
En 1840, il déclare que l'enfant a succombé à une fièvre qui le dévorait. Ces trois déclarations incompatibles l'une avec les autres devraient à elles seules faire écarter Lasne comme témoin au sujet de Louis XVII.
4/ - En 1834, Lasne déclare qu'il a toujours conversé avec le Dauphin. Mais en 1840, il affirme qu'il ne lui a parlé qu'une fois.
5/ - Lasne affirme qu'étant de garde aux Tuileries il a parfaitement connu le Dauphin.
¹ Voici, sur ce point, ce qu'il dit lors de sa déposition au procès de Richemont en 1834 :: J'avais été à même de connaître le Dauphin; j'étais soldat dans les gardes françaises, je faisais partie de la quatrième compagnie; je fus nommé capitaine, et quand je montais aux Tuileries, je voyais M. le Dauphin, que je connaissais parfaitement; ainsi je ne pouvais pas être trompé.
² Voici maintenant sa déposition du 13 juillet 1837 : J'avais vu le Prince avant le 10 août, parce qu'étant à cette époque commandant en chef du bataillon du district des Droits de l'Homme, j'avais souvent monté la garde aux Tuileries et avais accompagné quelquefois le Prince dans les promenades de la terrasse des Feuillants. Plusieurs fois aussi, pendant la détention au Temple de la famille royale, j'y ai été de service avec mon bataillon, et j'avais encore eu occasion de revoir le Prince, que j'avais parfaitement reconnu.
³ Voici maintenant sa déposition de 1840 : Je suis entré aux gardes-françaises en 1774 et j'en suis sorti en 1782; puis, en 1788, je fis partie de la garde nationale de Paris, et en 1791 je fus nommé capitaine des grenadiers du bataillon du poste Saint-Antoine. J'eus, dans cette position, et toutes les fois que j'étais de garde au château, occasion de voir les enfants du roi Louis XVI. Le jeune Dauphin se faisait remarquer par la beauté de ses traits, la vivacité de son caractère et son regard imposant et plein d'expression; il avait l'abord brusque de son père; ses gestes étaient vifs et saccadés; le premier moment passé, personne dans la conversation n'était plus affable; il étonnait par l'à-propos et la maturité de ses réparties.
Remarquons tout d'abord que l'appartenance de Lasne aux gardes-françaises ne peut influer en rien sur la connaissance éventuelle qu'il aurait eu du jeune duc de Normandie : il les a quittées avant sa naissance!
Maître Jules Favre note en outre une certaine confusion dans les grades que s'attribue Lasne et dans les corps dont il dit avoir fait partie.
Mais le plus grave est que, faisant partie de la garde du château, il n'a jamais pu approcher le Dauphin : ni un soldat, ni même un officier de la garde ne se serait permis d'approcher les Enfants de France. L'étiquette s'y opposait formellement. Si donc Lasne a vu le Dauphin à quelques occasions en montant la garde, ce ne peut être, dans le meilleur des cas, que de loin. Encore moins se serait-il permis de lui adresser la parole : la distance qu'il devait observer l'en aurait d'ailleurs matériellement empêché.
Lasne était incapable d'identifier le fils de Louis XVI.
6/ - Lasne prétend en 1840 que pendant deux jours le corps du Prince fut exposé dans sa chambre. Il a pu facilement être vu et reconnu par toutes les personnes qui allaient et venaient dans le Temple, ainsi que par les hommes de garde.
C'est faux. La mort, d'ordre du Comité de Sûreté Générale, fut tenue secrète jusqu'au soir après l'autopsie, et même plusieurs heures après. On continuait à porter à l'enfant ses repas et ses médecines prescrites par les médecins. Pour pratiquer l'autopsie, Pelletan et ses confrères lui avaient rasé le crâne avant d'en ouvrir la calotte. Celle-ci avait été ensuite remise en place tant bien que mal et maintenue par un linge noué autour de la tête. Le cadavre avait, bien entendu, les yeux fermés.
Dans ces conditions, il était méconnaissable.
Ce qui n'a pas empêché tout le personnel du Temple, sans oublier la garde, officiers et sous-officiers en tête, de défiler, à partir de neuf heures du soir le 9 juin 1794,devant la dépouille, sur ordre, et, bien entendu, de le reconnaître. L'ennui est que, depuis le 5 janvier 1794, plus personne n'avait vu l'enfant du Temple au grand jour: il n'avait plus jamais quitté la pièce où il était confiné. Dans ces conditions, ces reconnaissances en série, qui ont duré 24 heures et non 48 comme prétendu par Lasne, n'ont strictement aucune signification.
Ceci d'autant plus que, dans cette avalanche de témoins sur ordre, il n'en est pas un qui ait été en mesure d'identifier Louis XVII, faute de l'avoir jamais approché de près.
7/ - Dans sa déposition de 1837, Gomin déclare : lorsque j'entrai en fonctions, la santé du Prince était déplorable, son état de langueur et d'abattement annonçait une fin prochaine. Citant ensuite les médecins Desault, Pelletan et Dumangin, il ajoute : ces Messieurs disaient que l'état du Prince était désespéré et que sa mort était imminente.
Gomin est arrivé au Temple, dans la réalité, un peu moins de cinq mois avant Lasne. Ce que Gomin dit là s'inscrit en faux contre les dires de son accolyte en 1834 et 1837, au moins.
8/ - Gomin précise aussi : pendant sa maladie, le Prince, que je voyais à tous les instants de la journée, causait sans effort; il a même parlé une heure avant de mourir. Il déclare plus loin : j'ajouterai que plusieurs membres de la Convention sont venus visiter cet enfant à l'époque où il était confié à ma garde et que jamais il n'a fait de réponse aux questions qu'ils lui adressaient; ce qui a pu accréditer cette version que cet enfant était muet; il répondait volontiers aux sieurs Laurent et Lasne ainsi qu'à moi. Cette circonstance se rapporte aux derniers temps de sa vie.
Là encore, il y a contradiction avec ce que dit Lasne en 1840, donc après ce témoignage de Gomin.
9/ - Gomin affirme avoir connu le prince : je suis d'autant plus certain que l'enfant que j'ai vu mourir au Temple était le duc de Normandie, fils de Louis XVI, qu'antérieurement à sa détention, je l'avais vu plusieurs fois et de très près (étant à cette époque commandant d'un bataillon de la garde nationale de Paris) dans le jardin, dit du Prince, aux Tuileries, où il avait l'habitude de jouer, accompagné de sa gouvernante, Madame de Tourzel. Il reprend la même assertion un peu plus loin dans des termes à peu près identiques : Je connaissais parfaitement, avant sa détention, le duc de Normandie, fils de Louis XVI, l'ayant vu souvent, et à une distance fort rapprochée, dans le jardin du Prince, aux Tuileries, où il jouait sous la surveillance de Madame de Tourzel. C'est cet enfant dont la garde m'a été confiée; c'est lui que j'ai soigné, c'est lui qui est mort sous mes yeux, en juin 1795, à la tour du Temple; c'est lui, enfin, qui parlait encore une heure avant de mourir.
Mais, interrogé plus tard par Monsieur de Beauchesne, Gomin lâchera ce formidable aveu: : arrivant au Temple le 9 novembre 1794, il est reçu par Laurent dont il doit être l'assistant. Monsieur de Beauchesne reprend les paroles de Gomin : Entrés au second étage, dont la première pièce servait d'antichambre, Laurent demanda à son collègue s'il avait vu autrefois le Prince royal. -"Je ne l'ai jamais vu", répondit Gomin. - "En ce cas, il se passera du temps avant qu'il vous dise une parole"("Louis XVII", de Beauchesne, Plon, Paris, 1872, Livre XVI, page 244).
Ce qui a été dit de Lasne concernant l'impossibilité d'avoir approché le prince alors qu'il montait la garde, vaut pour Gomin. Son aveu à Beauchesne en est d'ailleurs la confirmation.
Gomin était incapable d'identifier Louis XVII.
10/ - Notons en outre un mensonge délibéré de la part de Gomin lorsqu'il dit, comme repris plus haut : c'est lui qui est mort sous mes yeux.
Même quarante-deux ans après les faits, Gomin ne peut se tromper à ce point. Tout individu sait et pour toujours si un enfant est mort en sa présence ou non. Or Gomin n'était pas au Temple au moment, quelques minutes avant trois heures de l'après-midi du 8 juin 1795, où l'enfant du Temple est mort dans les bras de Lasne. Pendant ce temps, Gomin galopait dans les rues de la capitale, porteur d'un message pour le Comité de Sûreté Générale.
11/ - Un des considérant s'exprime ainsi : un procès-verbal du 16 août 1817, conservé aux Archives nationales, qui est signé par Damont, a retenu de lui les déclarations suivantes. Arrivé au Temple à midi, il avait trouvé encore en vie l'enfant royal, qui lui avait paru être dans un état presque désespéré; il l'avait reconnu pour l'avoir vu, avant sa détention, se promener dans le petit jardin qui lui était réservé, au bout de la terrasse des Feuillants; le même jour, au Temple, des officiers et des gardes nationaux des gardes montante et descendante avaient, comme lui, reconnu le jeune prince dans l'enfant qui venait de rendre le dernier soupir.
Ce que nous avons dit de Lasne et de Gomin s'applique mutatis mutandi à Damont et aux hommes de la garde nationale : aucun de ces hommes n'était en mesure d'identifier le fils de Louis XVI. Damont lui-même prétend l'avoir vu - ce qui ne peut être que de loin - avant sa détention et il ne dit pas l'avoir aperçu depuis. Il est donc dans l'incapacité totale de le reconnaître.
Ni Damont, ni les soldats, sous-officiers et officiers de la garde nationale n'étaient en mesure d'idenfifier Louis XVII.
12/ - Sur la question de l'identité de Naundorf avec Louis XVII, la Cour s'exprime comme suit : sur ce point, Naundorf a pu faire illusion à des gens crédules et enthousiastes dont l'imagination s'exalte, ou le cœur s'éprend sur les traces des choses extraordinaires, et qui forment un cortège dont, en France, les faux dauphins et, partout dans l'histoire, de célèbres imposteurs n'ont jamais manqué.
La partialité et l'iniquité des juges éclatent ici au grand jour. Non contents de prendre en compte les faux témoignages de Lasne et Gomin, sous le prétexte qu'ils ont été recueillis par voie judiciaire, ils écartent, sans même leur accorder un instant d'attention, les témoignages des personnes qui ont identifié Louis XVII en Naundorf, témoignages qui ont pourtant été recueillis, eux aussi, par voie judiciaire et à la même époque, à la requête du même juge d'instruction Zangiacomi, comme étant le fait d'exaltés crédules.
Il est remarquable que, de nos jours encore, des professeurs d'université cherchent à faire passer les partisans du Roi pour de doux illuminés, pris par la légende du prince perdu, faisant les uns allusion aux faux Dimitris de Russie, d'autres aux faux Sébastiens de Portugal.
Un tel considérant est indigne d'un tribunal.