L'affaire Louis XVII et la justice

L'affaire Louis XVII et la justice

Message par BRH » Samedi 11 Août 2007 11:37:21

Ce qui suit est tiré du travail très pertinent de Michel Jaboulay, avec son autorisation:



C. France, 1836, 1851, 1872, 1954: requête en restitution d'état civil



Un procès en trois étapes se déroula en France à la requête des héritiers de Louis XVII, décédé à Delft, aux Pays-Bas, sous le nom de Louis XVII, duc de Normandie, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le 10 août 1845.

§ 1 - 1836: assignation de la duchesse d'Angoulême et du comte d'Artois

Le 13 juin 1836, Naundorf lançait une assignation devant la Première Chambre du Tribunal Civil de la Seine à la duchesse d'Angoulême et au comte d'Artois aux fins de faire annuler l'acte de décès établi le 24 prairial an III (12 juin 1795) au nom de Louis Charles Capet, étant donné que le requérant était lui-même le duc de Normandie, ancien Dauphin de France, fils de feus Louis XVI et Marie-Antoinette, Louis XVII.

La seule réaction à cette démarche judiciaire fut que la police du pseudo "roi des français" arrêta le requérant, saisit les 202 pièces de son dossier - qui ne lui furent jamais restituées malgré les réclamations justifiées - et finit par expulser le plaignant vers l'Angleterre dès le 16 juillet 1836, sous le prétexte qu'il était étranger, ce que le dit gouvernement se garda bien de prouver, et ceci en application d'une ancienne loi qui n'était plus en vigueur.

C'était la première fois que le gouvernement de la France, tous régimes confondus, évitait, par voie d'autorité, de faire un procès à un personnage se disant Louis XVII. Jusqu'alors tous ceux qui avaient élevé cette prétention s'étaient vus arrêtés et condamnés, en général comme escrocs portant atteinte à l'ordre public, dès qu'ils se trouvaient sur le sol français. Or Naundorf résidait en France, sans se cacher, depuis 1833 et les autorités françaises n'ont bougé que lorsque, lui-même, il a demandé à la justice de son pays de lui rendre son nom et ses droits civiques et patrimoniaux. Le gouvernement de l'usurpateur Orléans signait de la sorte sa frayeur d'avoir à affronter les arguments du requérant, soulignant ainsi sans équivoque qu'il était bien celui qu'il disait être, le fils de Louis XVI.

Le comportement des autorités françaises dans cette affaire ne constitue pas une, mais une série de forfaitures caractérisées. Du point de vue juridique, le Code Pénal qualifie la forfaiture de crime.

Le ministère public ouvrit à cette époque une enquête contre Naundorf dont l'instruction fut confiée au juge Zangiacomi. Ce dernier interrogea des partisans de Naundorf qui témoignèrent l'avoir formellement identifié comme étant le fils de Louis XVI et qui maintinrent leurs dires envers et contre tout. On peut citer les plus importants : Madame de Rambaud, Monsieur et Madame Marco de Saint-Hilaire, Monsieur Brémond. Pour recueillir le témoignage de ce dernier, devenu citoyen suisse et résidant dans ce pays, le juge d'instruction lança une commission rogatoire. La note du ministère de la Justice demandant l'envoi de cette commission rogatoire est curieuse. Elle vise en premier lieu les délits de complot contre la sûreté de l'État et d'escroquerie. Mais une note en marge, dans l'espace réservé à l'accusé de réception est ainsi rédigée: nous avons toujours refusé de faire exécuter en France les commissions rogatoires relatives à des procès politiques. Pouvons-nous demander l'exécution de celle-ci ? La commission rogatoire sera bien envoyée, mais pas avant qu'on ait biffé la définition du déli remplacé par le seul mot d'escroquerie.

(Ill. : Demande d'envoi de la commission rogatoire du juge Zangiacomi)



Le véritable ton du registre judiciaire sous lequel se dérouleront - en France ! - les procès concernant Naundorf est ainsi donné par cette simple mention manuscrite. Les procès concernant Naundorf en France, sous couvert de simples actions au civil, sont en réalité des procès politiques.

L'instruction menée par le juge Zangiacomi sera assez vite close sans déboucher sur quoi que ce soit.

§ 2 - 1851: ouverture du procès

a/ - Les éléments de base

En 1851, les héritiers de Naundorf citèrent la duchesse d'Angoulême à comparaître devant le Première Chambre du Tribunal Civil de première instance de la Seine aux fins d'annuler l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795) et de se voir reconnaître comme veuve et enfants légitimes de feu Charles Louis, duc de Normandie, et de se voir admettre à jouir désormais de tous les droits civils et patrimoniaux qui en découlent. Cette action en justice est la simple reprise de la tentative de 1836 demeurée en suspens.

La duchesse d'Angoulême jugea indigne d'elle de se faire représenter au procès: elle avait, d'expérience ancienne, toutes raisons de penser que les plaignants seraient déboutés, l'intérêt de tous les gouvernements français depuis la chute de l'Empire étant d'occulter de façon systématique Louis XVII et sa descendance. Elle savait que la raison d'État primerait. C'est si vrai que si tel n'avait pas été le cas, elle aurait eu au contraire tout intérêt à figurer au procès car, dans les droits civils revendiqués, figurait le droit à l'héritage de la fortune des Rois de France (Chambord laissera une succession de cent sept millions de francs or !).

b/ - Partialité du Ministère Public

Le substitut, Dupré-Lasale, n'hésita pas à proclamer qu'il ne s'inquiétait pas des témoignages de Madame de Rambaud, de Monsieur de Joly (qui pourtant était lui-même un juriste), ni de Monsieur Brémond, qu'il déclara indignes de la confiance de la justice ! Pour mieux apprécier la conduite de ce personnage, représentant les intérêts de l'Etat auprès du tribunal, il faut apporter les précisions suivantes:


- Madame de Rambaud fut appelée à témoigner, le 12 juillet 1837, devant le juge d'instruction du Mans; elle ne fut jamais accusée de faux témoignage et le testament dans lequel elle avait consigné ses convictions concernant l'identité de Naundorf avec Louis XVII lui a été dérobé au cours d'une perquisition et jamais restitué (comme bien d'autres documents dans l'affaire Louis XVII : curieux !).


Déposition de Madame de Rambaud devant le juge d'instruction du Mans, le 12 juillet 1837

J'étais attachée au berceau du Prince Charles-Louis, Duc de Normandie, depuis sa naissance jusqu'au 10 août 1792, où je l'ai quitté aux Tuileries. J'étais tous les jours avec le Prince, je suis même toujours sortie avec lui, et je ne l'ai jamais perdu de vue.

Je l'ai cru mort jusqu'à 1833. Mais, à cette époque, le Prince m'a été présenté par une dame de ma connaissance (Mme Albouys) sous le nom de Naundorf; du moins j'ai su depuis que c'était ainsi qu'on l'appelait à l'étranger. Je n'ai point le moindre doute sur l'identité du Prince ou de celui que j'appelle ainsi, et que je crois être le véritable fils de Louis XVI. Ses traits, des marques particulières dont il est porteur, et notamment celle de l'inoculation que j'ai vu faire, son port, sa ressemblance avec le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette, sont les motifs qui me déterminent très consciencieusement à penser qu'il est le véritable fils de Louis XVI.

Je dois dire aussi qu'ayant connu mieux que personne tous les souvenirs de son enfance, j'ai pu m'en entretenir avec lui, et j'ai été frappée de l'exactitude de ses souvenirs, des détails dans lesquels il est entré, et de la fidélité avec laquelle il me les a sans cesse reproduits. Dans la crainte d'être surprise par la mort, j'ai cru devoir consigner dans un acte de dernière volonté l'expression de ma conviction. Cet acte a été saisi chez moi, le 15 juin dernier, lors d'une perquisition qui y a eu lieu.






- Monsieur de Joly laissa pour sa part des témoignages écrits comme quoi il avait identifié le duc de Normandie en Naundorf.


- Quant à Monsieur Brémond, il fut convoqué par le Tribunal de District de Vevey (Suisse) pour y être entendu sur commission rogatoire du juge d'instruction près le Tribunal de première instance du département de la Seine, Zangiacomi, rendue le 12 août 1837. Monsieur Brémond, domicilié en ce pays et devenu ressortissant de la Confédération, se présenta à l'audience du 14 octobre 1837 et les jours suivants. Il fit une longue déposition où il affirma avoir reconnu Louis XVII en Naundorf et déposa auprès du tribunal suisse un long mémoire. Lui non plus n'a jamais été accusé de faux témoignage.


Extraits de la déposition de Monsieur Brémond entendu par le Tribunal de district de Vevey (Suisse)

sur "commission rogatoire, datée de Paris, le 12 août 1837, signée par Monsieur le Juge d'Instruction près le Tribunal de première instance de la Seine et relative au sus dit Naundorf".

....

Q. - Etiez-vous à Paris en 1792?

R. - J'ai vécu à Paris dès 1786 comme Député de l'administration des Etats de la Province de Provence et j'y suis resté encore pendant environ quarante jours après le 10 août 1792. Dès lors je ne suis plus retourné à Paris jusqu'en novembre 1819.

Q. - Avez-vous été secrétaire intime du Roi Louis XVI?

R. - J'ai été secrétaire particulier du Roi Louis XVI, honoré de sa confiance et je l'ai été dès le commencement de 1788 jusqu'au 10 août 1792.

Q. - Avez-vous vu en 1788, ou dans le courant des années suivantes, Charles Louis de Bourbon fils de Louis XVI?

R. - Je l'ai vu de près diverses fois dès 1788 au 10 août 1792 mais je ne me rappelle pas lui avoir parlé à ces époques là. Je l'ai vu bien des années plus tard et je m'expliquerai à cet égard lorsqu'il me sera fait une question précise sur ce point.

....

Q. - A quoi avez-vous reconnu le Prince?

R. - En particulier en ce qu'il connaissait la cachette faite par son père, dans le palais des Tuileries, cachette que lui seul pouvait connaître, comme ayant été le seul présent, lorsque son père l'a fermée. De plus par plusieurs autres détails que le Prince m'a communiqués et qu'il s'est réservé de rendre publics lui-même. Les détails qu'il m'a donnés sur la cachette des Tuileries sont pour moi une preuve évidente de l'identité de la personne.

Q.- Comment avez-vous eu connaissance de la cachette des Tuileries?

R. - Par S.M. le Roi Louis XVI auquel je fis observer, par l'entremise de Monsieur de Montciel, alors ministre de l'Intérieur, que l'armoire de fer qui recélait des papiers secrets, pourrait être découverte en des temps de malheur et qu'il fallait enlever de là ce qui était convenable. Le Roi répondit que cela était déjà fait et que voulant prévenir le cas de sa mort, il avait déposé, dans une cachette secrète faite en présence de son fils seul, les documents authentiques dont son fils aurait besoin un jour pour sa conduite. C'est Mr. de Montciel qui m'a rapporté la réponse du Roi.





Voilà les témoins que le substitut Dupré-Lasale balaye d'une phrase, soulignée sans doute selon les habitudes du prétoire d'une large envolée de manche.

Mais ce qu'il faut savoir en plus, c'est que le substitut déclara ces témoins "non dignes de foi devant la Justice" en vertu du fait "qu'ils avaient cru aux récits farfelus du dénommé Naundorf". On croit rêver ! En quoi le fait qu'un quidam ait écrit des récits farfelus, fut-ce pour raconter sa vie, influe-t-il en quoi que ce soit sur son identité? En quoi cela interdit-il aux témoins de l'avoir identifié pour celui qu'ils avaient connu bien des années auparavant?

Beau respect de la justice de la part d'un magistrat, que ce soit celle de son pays ou celle de nos voisins helvétiques !

c/ - Des attendus mensongers

Les attendus du jugement sont de la même eau : c'est un florilège d'erreurs que, pour notre part, nous n'hésiterons pas à qualifier de mensonges délibérés.

1/ - Le tribunal commence par déclarer que du 10 août 1792 au 10 thermidor (28 juillet 1794) la surveillance du Temple a fait l'objet des précautions les plus minutieuses et que la vigilence n'a pas diminué ensuite.

Affirmer une pareille ineptie consiste à se moquer du monde. Si le commun des mortels, le vulgum pecus, ne pouvait y accéder qu'avec beaucoup de dificultés, tout personnage un peu débrouillard y rentrait et en ressortait sans peine.L'intendant établissait de 6 à 7000 laissez-passer par mois, soit au rythme ahurissant de 200 au moins par jour, qui permettaient de pénétrer dans les locaux du Temple sous le prétexte de services des plus divers. Ces cartes ne comportaient aucun signalement, même succinct, mais seulement la signature du bénéficiaire. Par ailleurs, il suffisait en général de les montrer de loin au concierge pour passer sans encombre.

Par ailleurs, tout individu affublé d'un uniforme quelconque pouvait circuler sans entrave au Temple.

Sans oublier les habitués qui se faisaient tout simplement ouvrir la porte des écuries par le portier Piquet. C'est ainsi que l'on a vu nombre de personnages s'y promener, et jusque dans l'escalier de la tour, sans pouvoir alléguer d'autre motif que la curiosité....ou autre chose !

En un mot comme en cent, les petits malins entraient et sortaient du Temple à peu près comme d'un moulin.

2/ - Le tribunal affirme ensuite que l'acte de décès et le procès-verbal d'autopsie ont joui d'une publicité incontestable, qui ne permet pas d'admettre une substitution de personne.

En réalité, aucun des témoins du décès et de l'autopsie n'avait vu l'enfant décédé le 8 juin 1795 avant le 9 thermidor, et même avant le 30 janvier 1794, date de la réclusion dans la cage, puisque dès lors plus personne n'avait pu exercer un contrôle réel de son identité.

Qui plus est, ces mêmes témoins du décès et de l'autopsie n'avaient jamais vu le Dauphin de près auparavant.

Dans ces conditions, ni l'acte de décès, ni le procès-verbal d'autopsie ne prouvent quoi que ce soit quant à l'identité du défunt. Dans ce dernier document, les médecins se bornent, procédure tout à fait normale, à reproduire les déclarations que leur ont faites les gardiens....qui ne savaient eux-mêmes que ce qu'on avait bien voulu leur dire !

3/ - Le tribunal s'appuie aussi sur les déclarations de Lasne et de Gomin, qui furent les derniers gardiens de l'enfant du Temple.

Le malheur est que les souvenirs de ces deux participants - tardifs - au drame ne concordent pas, bien que les juges n'hésitent pas à prétendre qu'on ne peut élever aucune présomption contre eux. Or ces souvenirs ont été recueillis par voie judiciaire lors de l'enquête de 1837.

Cela signifie que, pour ces magistrats, la déposition de Madame de Rambaud, la personne au monde qui a le mieux connu le jeune prince, recueillie à la même époque et selon la même procédure, est écartée comme indigne de la confiance de la justice tandis que celles de Lasne et de Gomin, qui divergent en tout l'une de l'autre, sont inattaquables! Curieux sens de la justice que celui-là…. Il est vrai que Madame de Rambaud témoignait de faits qui déplaisaient au pouvoir....Il en va de même d'ailleurs du témoignage de Monsieur Brémond.

Ajoutons que Lasne et Gomin, qui n'avaient jamais rencontré l'ex-Dauphin avant de prendre leur charge au Temple bien après le 10 thermidor, ne pouvaient témoigner que sur la période qui suit leur arrivée respective au Temple (le 31 mars 1795 pour Lasne et le 9 novembre 1794 pour Gomin). Peu importe! Pour le gouvernement d'alors, comme pour tous ceux qui se sont succédés en France, il faut que le fils de Louis XVI soit mort le 8 juin 1795 au Temple..... Alors foin de la vérité!

4/ - Le tribunal s'appuie ensuite sur l'ignorance presque complète de la langue française jusqu'en 1832 dont il gratifie Naundorf.

Malheureusement pour la considération que l'on doit en temps normal à la Justice, cette assertion est fausse. Ceux qui ont rencontré le prince à son retour en France ont noté que, s'il parlait français avec un accent tudesque sensible, il s'exprimait et écrivait sans difficulté dans cette langue qu'il comprenait fort bien. Louis XVII est arrivé en Prusse en automne 1809 et il y est demeuré jusqu'à sa réapparition en France en 1833. C'est-à-dire qu'il fut plongé dans une atmosphère exclusivement prussienne durant vingt-trois ans: quoi d'étonnant dès lors qu'il en ait pris l'accent ? Il se trouvait d'ailleurs déjà en Allemagne avant de gagner la Prusse. Il fallait bien, au contraire, que le français soit sa vraie langue maternelle pour en avoir conservé un aussi bon souvenir durant tout ce temps ! Ajoutons en outre que le prince conversait volontiers avec les Français de passage en Prusse quasi occupée sous l'Empire : ces entretiens avaient lieu bien entendu en français (il est douteux que beaucoup de conscrits d'origine française aient été capables, à l'époque, de suivre une conversation en allemand !).

5/ - Pour terminer, le tribunal considère comme inexplicable le silence observé depuis toujours (avant, pendant et après la Restauration de 1814) par les participants à la prétendue évasion du Temple.

Il faut remarquer d'abord que Louis XVII lui-même n'a jamais dit comment il était réellement sorti du Temple. Les récits qu'il en a fait, poussé par ses partisans, ne sont visiblement que des fables tirées de racontars de l'époque.

Le tribunal semble estimer que les auteurs du complot d'évasion du petit Roi ne peuvent être que des monarchistes. Il peut, dès lors, s'étonner - ou, plutôt, paraître s'étonner - de leur silence. Mais ce même tribunal ne peut ignorer que, depuis la chute de l'Empire en tout cas, toute personne qui aurait témoigné avoir fait évader Louis XVII se serait par là même exposée à un grave danger dont rien n'empêche de penser qu'il aurait pu être mortel: les morts n'évoquent pas de souvenirs.... Il est en outre des plus vraisemblables, pour ne pas dire certain, que les véritables auteurs du complot étaient des robespierristes, lesquels, depuis aussi loin que le 9 thermidor, avaient toutes raisons de se tenir cois ! Le prétendu étonnement du tribunal n'a donc pas lieu d'être.

Il faut noter que l'on se trouve en l'occurrence en présence du vieux sophisme cher à nombre de chercheurs sur Louis XVII : Il est inconcevable que personne n'ait rien dit; donc il ne s'est rien passé. C'est à peu près aussi censé que le serait de dire : il est midi, mais je ne vois pas le soleil caché derrière une épaisse couche de nuages; donc le soleil n'existe pas.

d/ - Le verdict

Le jugement fut rendu le 5 septembre 1851. Bien qu'ayant l'autorité de la chose jugée, ce verdict n'est en réalité qu'un déni de justice caractérisé, basé sur des attendus faussés de façon délibérée. Il va de soi que, dans ces conditions, il déboutait les requérants de leurs prétentions.

§ 3 - 1872: premier appel

a/ - Les éléments de base

Le 13 avril 1872, la veuve et la plupart des enfants de Louis XVII- Naundorf interjettent appel du jugement de 1851, en assignant le comte de Chambord à comparaître devant la Cour d'Appel de Paris, avec les mêmes requêtes.

Maître Jules Favre, avocat et homme politique de renom, avait accepté de soutenir leur cause. Sa plaidoirie occupa 4 audiences consécutives, auxquelles s'ajoutent des conclusions additionnelles et une note en réponse aux conclusions du Ministère public.

Il convient de souligner que cette date de 1872 n'est certes pas innocente. Après la défaite de 1870 devant la Prusse et ses alliés allemands, l'assemblée élue en 1871 comprenait une forte proportion de monarchistes. Ils se divisaient entre légitimistes, partisans de la soi-disant branche aînée, représentée par le comte de Chambord, et orléanistes, partisans des Orléans, représentés alors par le comte de Paris, fils aîné du duc d'Orléans, lui-même fils aîné de Louis-Philippe et décédé par accident le 12 juillet 1842.

b/ - Des attendus faussés

On retrouve dans les attendus de l'arrêt de la Cour d'Appel de 1872 les mêmes déviations délibérées des faits que dans le jugement précédent.

1/ - Les juges s'appuient sur l'acte de décès officiel du 24 prairial an III (12 juin 1795).

D'une part, c'est une - mauvaise - plaisanterie: tout dans les événements de début juin 1795 au Temple démontrait la supercherie, à commencer par le rapport d'autopsie qui prouve que l'enfant décédé le 8 juin 1795 au Temple et autopsié le lendemain ne pouvait en aucun cas être le fils de Louis XVI.

De la part des juges, appuyer leur argumentation sur l'acte même dont les appelants demandaient l'annulation, constitue la preuve d'un mépris total de leurs droits. Et on ne peut prétendre, comme on l'a fait trop souvent, que les les juges ne peuvent prendre en considération ces données d'histoire, puisque ce sont précisément elles qui font l'objet du procès.

2/ - L'arrêt prétend que l'idée qu'un garçon ait pu être substitué à Louis XVII au Temple est invraisemblable.

Étant donné les circonstances qui régnaient au Temple à l'époque considérée, une telle affirmation consiste à fermer de façon délibérée les yeux sur la réalité.

3/ - Le tribunal déclare peu sérieux les documents fournis par les requérants.

S'il est exact qu'ils eurent le tort de présenter les pseudo lettres de Laurent, dont il est quasi certain que ce sont des faux, il n'en va pas de même pour les résultats de la délibération du Parlement néerlandais accordant au prince Adelberth, quatrième fils de Louis XVII-Naundorf, la possibilité de se faire naturaliser néerlandais - il voulait devenir officier dans l'armée des Pays-Bas et ne pouvait le faire en qualité d'étranger - étant donné que son acte de naissance, établi à Londres, sa ville natale, lui reconnaissait la qualité de citoyen français, comme fils de S.A.R. Charles Louis duc de Normandie.

Nous sommes là devant un exemple typique de mauvaise foi des autorités françaises. La délibération du Parlement néerlandais ne portait pas sur le nom du prince, mais sur sa nationalité. Le gouvernement royal des Pays-Bas, en effet, n'avait pas attendu 1863, date de la demande de naturalisation du prince Adelberth, pour reconnaître Naundorf comme étant le fils de Louis XVI : cette qualité lui avait été reconnue dès son arrivée aux Pays-Bas, et il va de soi que le roi et le gouvernement néerlandais de l'époque ne pouvaient avoir que d'excellentes raisons et des preuves en mains pour prendre une telle attitude à la face de l'Europe....qui ne broncha pas.



Décalaration de Maître H.J. Van Buren, rédigée le 27 mars 1873

Je fis une démarche (en février 1845) auprès du Directeur (de la police de Rotterdam). Celui-ci m'apprit que (Charles Louis de Bourbon) était un personnage politique…Il tâcha de me persuader de ne pas m'occuper de cet étranger, vu que notre gouvernement pourrait être exposé à des difficultés diplomatiques si le fait venait à être connu qu'un tel passeport lui avait été remis par le Consul général hollandais (à Londres).

….Il était clair que le gouvernement hollandais était renseigné quant à sa personne et qu'à la demande ou dans l'intérêt d'une influence venant de l'étranger, on n'osait le laisser continuer sa route, ni le remettre en possession de son passeport, autrement qu'à la condition qu'il retournât en Angleterre.

Je sais positivement que cette conduite douteuse et anxieuse du gouvernement néerlandais provenait de ce qu'il était bien instruit que Charles Louis de Bourbon était réellement celui qu'il se disait être.

…. Comme je m'en étais déjà avisé, (on pouvait) utiliser pour ma patrie les inventions pyrotechniques très importantes (de Charles Louis) appliquées à des projectiles, des fusées, des mines, des fils télégraphiques, à l'amélioration des armes à feu, et à plusieurs autres importants moyens de défense.

Je confiai cette découverte au gouveerneur de l'Académie militaire de Bréda, qui reconnut l'importance des inventions, si elles étaient fondées.

Je proposai à l'ingénieux étranger de se rendre avec moi à Bréda et de présenter ses problèmes, sans en révéler les secrets, ce qu'il accepta. Réciproquement, je fis la même proposition au Colonel, gouverneur de l'Académie, qui se montra disposé à en recevoir les communications.

Nous nous rendîmes le 19 mars à Bréda, où nous fûmes reçus par le gouverneur qui, après avoir eu un entretien avec Monsieur Charles Louis, dans lequel il s'assura de ne pas avoir à faire à un aventurier, mais à un homme d'un génie extraordinaire, convoqua l'Etat-Major de l'Académie.

Cet Etat-Major se composait alors d'un major de l'artillerie, commandant de l'Académie, de deux capitaines d'artillerie et de génie, d'un capitaine de marine et de deux lieutenants, auxquels Monsieur de Bourbon fut présenté.

Lorsque la conférence eut eu lieu et les modèles des obus, des bombes et des fusées eurent été exposés, l'importance en fut reconnue et je réçus l'assurance qu'il s'agissait d'une affaire sérieuse et de grande portée.

On avait décidé comme première épreuve de prouver la possibilité du non-recul des fusils et des canons.

Nous convînmes que je pouvas m'adresser au gouvernement pour cette affaire réellement importante pour l'art de la guerre.

Je m'adressai donc au Ministre de la Marine qui trouva la chose assez importante pour en faire l'expérience; il me dit qu'il consulterait à cet égard son collègue le Ministre de la Guerre. Ces Messieurs résolurent d'autoriser le gouverneur de l'Académie à faire prendre des expériences avec le fusil, le canon, les fusées, les mines, etc. aux frais de l'inventeur, mais que le gouvernement accorderait le terrain nécessaire.

Monsieur de Bourbon alla loger à Bréda; on lui fit arranger un atelier pour tous les expériments sur la plus vaste échelle et tous ses problèmes furent résolus à la plus complète satisfaction du grand nombre d'officiers de l'Académie et de la garnison qui y assistèrent.

Je reçus une déclaration par écrit de la Commission de l'Académie

Dans tous nos rapports, on traitait Monseiur de Bourbon avec des égards qui prouvaient qu'on le considérait réellement pour être celui qu'il se disait, sans oser le reconnaître ouvertement.

Je possède des lettres du Ministre de la Marine lui-même qui déclare que lui ainsi que d'autres officeirs supérieurs, de même que les officiers de l'Académie le trouvaient un homme extraordinaire et qu'ils avaient pour lui la plus haute considération.

De tout ceci résultait évidemment que celui qui s'intitulait "Duc de Normandie" possédait des qualités incompatibles avec le caractère de quelqu'un se donnant des titres et une origine qui, s'ils ne lui appartenaient pas, l'auraient stigmatisé sur le champ comme un fourbe ou comme un fou et avec qui aucun homme n'eût voulu ou pu se mettre en rapport.

Le contraire eut lieu. Le Ministre de la Marine me fit savoir qu'il entrerait en délibération sur cette affaire avec ses collègues de la Guerre et des Colonies, mais que la qualification de Monsieur de Bourbon rendait ceci difficile.

Par suite de la convention entre ces trois ministres, le Colonel chef du bureau d'artillerie au Ministère de la Guerre fut nommé pour entrer en négociations au sujet d'un contrat avec Monsieur de Bourbon qui, dans cet acte, ne prendrait que les noms de Charles Louis.

Le Colonel député du Ministre de la Guerre vint à Rotterdam et s'entretint avec Monsieur Charles Louis sur une série d'inventions dans le ressort de l'art de la guerre, tant pour l'artillerie que pour la Marine et en fixa les différents points. Lorsque ces préliminaires furent arrêtés, Monsieur Charles Louis fut convié à un entretien avec les trois ministres susdits. Cette conférence eut lieu à La Haye, au Ministère des Colonies…. Le Duc expliqua ses inventions et le succès qu'on pouvait en attendre.

Le Colonel du Département d'Artillerie fut chargé de rédiger le contrat avec Monsieur Charles Louis. Ses inventions furent évaluées à une somme très considérable que je suis prêt à faire connaître si on le désire.

Il fut convenu que le Duc fixerait sa demeure à Delft avec sa famille, à Delft où se trouvent les Etablissements pyrotechniques, les Arsenaux d'artillerie et de construction.

Puisque les Ministres ne pouvaient pas faire ni paiements ni avances à Monsieur Charles Louis tant qu'on avait pas obtenu de résultats positifs, je fus prié de continuer mon action patriotique et de procurer à Monsieur de Bourbon tout ce dont il aurait besoin pour son atelier et pour son ménage, s'il faisait venir sa famille d'Angleterre. Un écrit du Ministre de la Guerre m'assurait qu'en aucun cas je n'éprouverais de dommages. J'ai donc avancé à cette fin au Duc jusqu'à 80.000 Francs.

Contrat fait, nous fûmes invités à dîner chez le Colonel à La Haye, où nous rencontrâmes un Colonel Adjudant du Roi Guillaume II, qui se trouvait là, parce que ce contrat si important n'avait pu être arrêté sans que le Roi en fut informé et sans son approbation; et afin que cet officier put faire un rapport précis à Sa Majesté sur la personne du Duc.

J'ai su plus tard que le projet avait été formé de présenter le Duc au Roi.

Je dois déclarer ici que chez aucun de nous n'existait le moindre soupçon que Charles Louis püt être un impozsteur, au contraire. Une telle pensée était entièrement exclue de tous nos rapports. Tout contribuait à nous convaincre que le gouvernement ne mettait pas en doute son origine royale, mais l'acceptait tacitement.

L'ordre des choses d'alors dans la situation de l'Europe rendait pour notre pays une entière reconnaissance de cette origine tout aussi difficile qu'il était impossible de la nier. Nous devions nous borner à reconnaître la supériorité de son génie et l'intégrité de son caractère. Du reste, tant de notre part que de celle du gouvernement, pendant son séjour en Hollande, il a toujours joui de toutes les distinctions qu'on accorde à un personnage de rang élevé.

Ceci fut le mieux prouvé par la sollicitude et les soins du gouvernement lorsque, dans l'attente des préparatifs pour son établissement à Delft, il se sentit tout à coup indisposé. Cette indisposition se manifesta par des symptômes tellement violents qu'il pensait être empoisonné. Sa constitution extraordinairement robuste fit résistance au poison. Dès qu'il se crut suffisamment rétabli, il se rendit à Delft et commença ses travaux par les deux problèmes les plus faciles pour lui, l'application du non-recul des armes à feu et la construction de bombes qui devaient éclater au moment du contact.

Mais l'indisposition maligne avait attaqué ses forces vitales et recommença ses ravages qui le conduisirent dans la phase d'une fièvre typhoïde. Il mourut après que sa famille, mandée à la hâte, fut arrivée de Londres. Chacun demeura srupéfait de la ressemblance des divers membres avec les gravures bien connues représentant la famille royale de Louis XVI, la Reine Marie-Antoinette, Madame Elsabeth, etc. et ceci ne contribua pas peu à fortifier la conviction de plusieurs personnes que celui qui avait vécu quelques mois parmi nous et dont nous déplorions la perte avait bien été le Fils de tant de Rois, l'Orphelin du Temple.

Il nous fut bien prouvé pendant sa maladie que les Ministres savaient à quoi s'en tenir à cet égard: de la part du gouvernement, deux médecins militaires furent adjoint au médecin civil de Delft, le premier était le chirurgien major du corps des grenadiers de la Garde du Roi; journellement on faisait rapport à Sa Majesté de l'état de l'illustre patient.

Son décès date du 10 août 1845. L'acte mortuaire fut rédigé comme étazt le fils de Leurs Majestés Louis XVI et Marie-Antoinette. Le bourmestre de Delft, officier de l'état-civil, y avait été autorisé.

Après le décès, je fis procéder à l'inspection du corps pour comparer les marques que la Reine sa mère avait observées sur le corps de son fils et qu'elle lui avait donné à garder dans le cas où il viendrait à s'égarer ou à être enlevé. Cette inspection eut lieu par les médecins militaires qui lui avaient donné leurs soins. Elles ont toutes été trouvées et se trouvent constatées dans un acte dressé par un notaire résidant à Delft.

À l'enterrement, le corps fut porté par des sous-oficiers. Je me souviens que le Colonel Chef du bureau d'artillerie se trouvait à la tête d'un cortège d'officiers….

La piere qui recouvre le tombeau porte le nom et le titre du Duc, ce qui n'eût pas été permis sans autorisation du gouvernement…

Remarques sur ce texte:

¹ Le gouvernement néerlandais décide de nommer son interlocuteur de ses deux prénoms seulement. Or c’est un privilège des rois, et d'eux seuls, d'être nommés ainsi. Les rois n'utilisent jamais leur nom patronymique. Ils ne sont nommés que par leurs prénom. Preuve s'il en est que le Roi et le gouvernement des Pays-Bas savaient pertinemment que leur interlocuteur était non seulement de souche royale, mais qu'il était bel et bien Roi.

² Il est remarquable que Maître Van Buren n'emploie à l'égard de son protégé jamais d'autre patronyme que de Bourbon. Or à l'époque où il écrit cette relation, en 1873, le nom porté à l'état civil était Naundorf, dit de Bourbon. Le patronyme Naundorf n'apparaît jamais sous sa plume. Ce n'est qu'en 1888 et 1891 que deux jugements des tribunaux néerlandais supprimeront la mention de dit Naundorf pour ne plus laisser subsister que le patronyme de Bourbon.





4/ - S'appuyant sur le côté farfelu que revêtent les récits de sa vie écrits par le prince, la Cour conclue qu'il ne peut être qu'un aventurier hardi, c'est-à-dire un imposteur. C'est aller un peu vite en besogne car, outre que ces récits, lus en seconde lecture, sont fort instructifs (mais on ne peut demander aux juges d'interpréter de la sorte des écrits), le fait d'avoir écrit des mémoires abracadabrants n'est pas, en soi, une preuve d'usurpation d'identité.

c/ - Parallèle entre le jugement en Prusse et les jugements en France

Il existe entre le jugement rendu en Prusse en 1826 et les deux jugements intervenus en France en 1851 et 1872 une parenté évidente.

Bien que ces deux gouvernements aient eu en main des documents prouvant l'origine réelle de Naundorf, leurs tribunaux respectifs le condament comme aventurier dépourvu de papiers et dans l'incapacité de prouver ses dires. L'un comme les autres y ajoutent le côté farfelu du ou des récits fournis par le prince.

Or, alors même que le président Le Coq parlait sans retenue chez lui de la présence dans son pays du fils de Louis XVI, le gouvernement prussien s'est toujours refusé à rendre à l'inculpé les documents qui lui avaient été remis ou à les communiquer à huis clos au tribunal.

De même le gouvernement d'Orléans a saisi, par un coup de force, les papiers de Naundorf et les a fait disparaître volontairement dans ses archives (où tout laisse à penser qu'ils se trouvent toujours, mais sous un classement tenu secret).

Il y a forfaiture dans les deux cas, et suivant le même schéma.

Cette constatation n'est pas innocente : il y a bel et bien eu complot entre les cours européennes pour occulter l'héritier - légitime - du trône de France, complot auquel les princes en exil ont adhéré sans hésiter. Nous avons mis le mot légitime en relief car, de même qu'il n'y a qu'un Roi, et qu'il ne peut donc être que légitime, de même il n'y a qu'un héritier qui soit dans la même situation. Tous les autres ne sont que des usurpateurs.

d/ - Maître Jules Favre détruit les témoignages de Lasne et de Gomin

Maître Jules Favre aborda l'examen de ces deux témoignages lors de la seconde partie de l'audience du 13 février 1874.

1/ - Gomin affirme être entré au Temple aussitôt après le 9 thermidor:(27 juillet 1794). En réalité, il n'y est arrivé que le 9 novembre 1794. Qui plus est, il situe le 9 thermidor au 26 août 1794, ce qui représente une erreur d'un mois.

Lasne, pour sa part, n'arrive que le 31 mars 1795.

2/ - Dans sa déposition du 13 juillet 1837 devant le juge d'instruction Zangiacomi, Lasne affirme que la tour du Temple n'avait ni comble ni grenier et était surmontée d'une terrasse.

L'avocat cite le Journal de Cléry qui indique que le quatrième étage n'était point occupé; une galerie régnait dans l'intérieur des créneaux et servait quelquefois de promenade. Il mentionne aussi le procès-verbal d'une visite faite au Temple par trois membres de la Convention qui déclarent qu'au quatrième étage se trouvait un appartement inoccupé.

On pourrait citer en outre les plans, notamment ceux dressés par l'architecte Bourlat, et les croquis de la tour.

3/ - En 1834, Lasne dit que l'enfant était malade depuis deux mois. En 1837, il a eu deux jours de maladie.

En 1840, il déclare que l'enfant a succombé à une fièvre qui le dévorait. Ces trois déclarations incompatibles l'une avec les autres devraient à elles seules faire écarter Lasne comme témoin au sujet de Louis XVII.

4/ - En 1834, Lasne déclare qu'il a toujours conversé avec le Dauphin. Mais en 1840, il affirme qu'il ne lui a parlé qu'une fois.

5/ - Lasne affirme qu'étant de garde aux Tuileries il a parfaitement connu le Dauphin.

¹ Voici, sur ce point, ce qu'il dit lors de sa déposition au procès de Richemont en 1834 :: J'avais été à même de connaître le Dauphin; j'étais soldat dans les gardes françaises, je faisais partie de la quatrième compagnie; je fus nommé capitaine, et quand je montais aux Tuileries, je voyais M. le Dauphin, que je connaissais parfaitement; ainsi je ne pouvais pas être trompé.

² Voici maintenant sa déposition du 13 juillet 1837 : J'avais vu le Prince avant le 10 août, parce qu'étant à cette époque commandant en chef du bataillon du district des Droits de l'Homme, j'avais souvent monté la garde aux Tuileries et avais accompagné quelquefois le Prince dans les promenades de la terrasse des Feuillants. Plusieurs fois aussi, pendant la détention au Temple de la famille royale, j'y ai été de service avec mon bataillon, et j'avais encore eu occasion de revoir le Prince, que j'avais parfaitement reconnu.

³ Voici maintenant sa déposition de 1840 : Je suis entré aux gardes-françaises en 1774 et j'en suis sorti en 1782; puis, en 1788, je fis partie de la garde nationale de Paris, et en 1791 je fus nommé capitaine des grenadiers du bataillon du poste Saint-Antoine. J'eus, dans cette position, et toutes les fois que j'étais de garde au château, occasion de voir les enfants du roi Louis XVI. Le jeune Dauphin se faisait remarquer par la beauté de ses traits, la vivacité de son caractère et son regard imposant et plein d'expression; il avait l'abord brusque de son père; ses gestes étaient vifs et saccadés; le premier moment passé, personne dans la conversation n'était plus affable; il étonnait par l'à-propos et la maturité de ses réparties.

Remarquons tout d'abord que l'appartenance de Lasne aux gardes-françaises ne peut influer en rien sur la connaissance éventuelle qu'il aurait eu du jeune duc de Normandie : il les a quittées avant sa naissance!

Maître Jules Favre note en outre une certaine confusion dans les grades que s'attribue Lasne et dans les corps dont il dit avoir fait partie.

Mais le plus grave est que, faisant partie de la garde du château, il n'a jamais pu approcher le Dauphin : ni un soldat, ni même un officier de la garde ne se serait permis d'approcher les Enfants de France. L'étiquette s'y opposait formellement. Si donc Lasne a vu le Dauphin à quelques occasions en montant la garde, ce ne peut être, dans le meilleur des cas, que de loin. Encore moins se serait-il permis de lui adresser la parole : la distance qu'il devait observer l'en aurait d'ailleurs matériellement empêché.

Lasne était incapable d'identifier le fils de Louis XVI.



6/ - Lasne prétend en 1840 que pendant deux jours le corps du Prince fut exposé dans sa chambre. Il a pu facilement être vu et reconnu par toutes les personnes qui allaient et venaient dans le Temple, ainsi que par les hommes de garde.

C'est faux. La mort, d'ordre du Comité de Sûreté Générale, fut tenue secrète jusqu'au soir après l'autopsie, et même plusieurs heures après. On continuait à porter à l'enfant ses repas et ses médecines prescrites par les médecins. Pour pratiquer l'autopsie, Pelletan et ses confrères lui avaient rasé le crâne avant d'en ouvrir la calotte. Celle-ci avait été ensuite remise en place tant bien que mal et maintenue par un linge noué autour de la tête. Le cadavre avait, bien entendu, les yeux fermés.

Dans ces conditions, il était méconnaissable.

Ce qui n'a pas empêché tout le personnel du Temple, sans oublier la garde, officiers et sous-officiers en tête, de défiler, à partir de neuf heures du soir le 9 juin 1794,devant la dépouille, sur ordre, et, bien entendu, de le reconnaître. L'ennui est que, depuis le 5 janvier 1794, plus personne n'avait vu l'enfant du Temple au grand jour: il n'avait plus jamais quitté la pièce où il était confiné. Dans ces conditions, ces reconnaissances en série, qui ont duré 24 heures et non 48 comme prétendu par Lasne, n'ont strictement aucune signification.

Ceci d'autant plus que, dans cette avalanche de témoins sur ordre, il n'en est pas un qui ait été en mesure d'identifier Louis XVII, faute de l'avoir jamais approché de près.

7/ - Dans sa déposition de 1837, Gomin déclare : lorsque j'entrai en fonctions, la santé du Prince était déplorable, son état de langueur et d'abattement annonçait une fin prochaine. Citant ensuite les médecins Desault, Pelletan et Dumangin, il ajoute : ces Messieurs disaient que l'état du Prince était désespéré et que sa mort était imminente.

Gomin est arrivé au Temple, dans la réalité, un peu moins de cinq mois avant Lasne. Ce que Gomin dit là s'inscrit en faux contre les dires de son accolyte en 1834 et 1837, au moins.

8/ - Gomin précise aussi : pendant sa maladie, le Prince, que je voyais à tous les instants de la journée, causait sans effort; il a même parlé une heure avant de mourir. Il déclare plus loin : j'ajouterai que plusieurs membres de la Convention sont venus visiter cet enfant à l'époque où il était confié à ma garde et que jamais il n'a fait de réponse aux questions qu'ils lui adressaient; ce qui a pu accréditer cette version que cet enfant était muet; il répondait volontiers aux sieurs Laurent et Lasne ainsi qu'à moi. Cette circonstance se rapporte aux derniers temps de sa vie.

Là encore, il y a contradiction avec ce que dit Lasne en 1840, donc après ce témoignage de Gomin.

9/ - Gomin affirme avoir connu le prince : je suis d'autant plus certain que l'enfant que j'ai vu mourir au Temple était le duc de Normandie, fils de Louis XVI, qu'antérieurement à sa détention, je l'avais vu plusieurs fois et de très près (étant à cette époque commandant d'un bataillon de la garde nationale de Paris) dans le jardin, dit du Prince, aux Tuileries, où il avait l'habitude de jouer, accompagné de sa gouvernante, Madame de Tourzel. Il reprend la même assertion un peu plus loin dans des termes à peu près identiques : Je connaissais parfaitement, avant sa détention, le duc de Normandie, fils de Louis XVI, l'ayant vu souvent, et à une distance fort rapprochée, dans le jardin du Prince, aux Tuileries, où il jouait sous la surveillance de Madame de Tourzel. C'est cet enfant dont la garde m'a été confiée; c'est lui que j'ai soigné, c'est lui qui est mort sous mes yeux, en juin 1795, à la tour du Temple; c'est lui, enfin, qui parlait encore une heure avant de mourir.

Mais, interrogé plus tard par Monsieur de Beauchesne, Gomin lâchera ce formidable aveu: : arrivant au Temple le 9 novembre 1794, il est reçu par Laurent dont il doit être l'assistant. Monsieur de Beauchesne reprend les paroles de Gomin : Entrés au second étage, dont la première pièce servait d'antichambre, Laurent demanda à son collègue s'il avait vu autrefois le Prince royal. -"Je ne l'ai jamais vu", répondit Gomin. - "En ce cas, il se passera du temps avant qu'il vous dise une parole"("Louis XVII", de Beauchesne, Plon, Paris, 1872, Livre XVI, page 244).

Ce qui a été dit de Lasne concernant l'impossibilité d'avoir approché le prince alors qu'il montait la garde, vaut pour Gomin. Son aveu à Beauchesne en est d'ailleurs la confirmation.

Gomin était incapable d'identifier Louis XVII.



10/ - Notons en outre un mensonge délibéré de la part de Gomin lorsqu'il dit, comme repris plus haut : c'est lui qui est mort sous mes yeux.

Même quarante-deux ans après les faits, Gomin ne peut se tromper à ce point. Tout individu sait et pour toujours si un enfant est mort en sa présence ou non. Or Gomin n'était pas au Temple au moment, quelques minutes avant trois heures de l'après-midi du 8 juin 1795, où l'enfant du Temple est mort dans les bras de Lasne. Pendant ce temps, Gomin galopait dans les rues de la capitale, porteur d'un message pour le Comité de Sûreté Générale.



11/ - Un des considérant s'exprime ainsi : un procès-verbal du 16 août 1817, conservé aux Archives nationales, qui est signé par Damont, a retenu de lui les déclarations suivantes. Arrivé au Temple à midi, il avait trouvé encore en vie l'enfant royal, qui lui avait paru être dans un état presque désespéré; il l'avait reconnu pour l'avoir vu, avant sa détention, se promener dans le petit jardin qui lui était réservé, au bout de la terrasse des Feuillants; le même jour, au Temple, des officiers et des gardes nationaux des gardes montante et descendante avaient, comme lui, reconnu le jeune prince dans l'enfant qui venait de rendre le dernier soupir.

Ce que nous avons dit de Lasne et de Gomin s'applique mutatis mutandi à Damont et aux hommes de la garde nationale : aucun de ces hommes n'était en mesure d'identifier le fils de Louis XVI. Damont lui-même prétend l'avoir vu - ce qui ne peut être que de loin - avant sa détention et il ne dit pas l'avoir aperçu depuis. Il est donc dans l'incapacité totale de le reconnaître.

Ni Damont, ni les soldats, sous-officiers et officiers de la garde nationale n'étaient en mesure d'idenfifier Louis XVII.



12/ - Sur la question de l'identité de Naundorf avec Louis XVII, la Cour s'exprime comme suit : sur ce point, Naundorf a pu faire illusion à des gens crédules et enthousiastes dont l'imagination s'exalte, ou le cœur s'éprend sur les traces des choses extraordinaires, et qui forment un cortège dont, en France, les faux dauphins et, partout dans l'histoire, de célèbres imposteurs n'ont jamais manqué.

La partialité et l'iniquité des juges éclatent ici au grand jour. Non contents de prendre en compte les faux témoignages de Lasne et Gomin, sous le prétexte qu'ils ont été recueillis par voie judiciaire, ils écartent, sans même leur accorder un instant d'attention, les témoignages des personnes qui ont identifié Louis XVII en Naundorf, témoignages qui ont pourtant été recueillis, eux aussi, par voie judiciaire et à la même époque, à la requête du même juge d'instruction Zangiacomi, comme étant le fait d'exaltés crédules.

Il est remarquable que, de nos jours encore, des professeurs d'université cherchent à faire passer les partisans du Roi pour de doux illuminés, pris par la légende du prince perdu, faisant les uns allusion aux faux Dimitris de Russie, d'autres aux faux Sébastiens de Portugal.

Un tel considérant est indigne d'un tribunal.
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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BRH
 
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Suite

Message par BRH » Samedi 11 Août 2007 11:43:45

[b]

§4 - 1954 : second appel

a/ - Base de l'appel

Certains descendants de Louis XVII, qui n'avaient pas été partie au procés en appel de 1874, interjetèrent nouvel appel. Le procès s'ouvrit donc devant la Première Chambre de la Cour d'Appel de Paris le 5 mai 1954. Le code de procédure civil alors en vigueur permettait cette reprise de l'action par des parties absentes de l'instance précédente, ce qui ne serait plus le cas aujourd'hui. L'arrêt de la Cour fut rendu le 7 juillet 1954 et se trouve repris in extenso ci-après.


Arrêt de la Première Chambre de la Cour d'Appel de Paris le 7 juillet 1954

Remarque: nous avons ajouté à ce texte des numéros de repérage qui correspondent à ceux de nos commentaires.

La Cour

Statuant sur l'appel interjeté par René-Louis-Charles de Bourbon et Charles-Louis-Edmond de Bourbon, d'un jugement rendu par le Tribunal civil de la Seine le 5 septembre 1851, statuant sur l'action des héritiers de Charles-Guillaume Naundorf;

Considérant que le jugement entrepris a débouté les héritiers Naundorf de leur demande; que ceux-ci, à l'exception de Charles-Edmond, auteur de René-Louis-Charles et de Charles-Louis-Edmond de Bourbon, les appelants au présent procès, ont relevé appel de cette décision;

Considérant que, par arrêt du 27 février 1874, la Cour d'appel de Paris a confirmé la décision des premiers juges;

Considérant que, le 6 avril 1881, Charles-Edmond de Bourbon a interjeté appel à son tour de la décision du Tribunal de la Seine, appel qui a été renouvelé par ses héritiers de trois ans en trois ans jusqu'en 1951;

Considérant que, par arrêt de cette Chambre rendu le 25 juillet 1951 sur la demande de Charles-Louis-Edmond de Bourbon, l'instance a été déclarée reprise à l'égard des intimés, les consorts de Bourbon-Parme et de La Rochefoucauld;

Considérant que René-Louis-Charles de Bourbon déclare reprendre lui aussi l'instance introduite par son auteur;

Considérant que l'instance engagée devant la Cour d'appel de Paris par les appelants se présente sous la forme d'une simple demande d'annulation d'un acte d'état civil, en l'espèce l'acte dressé le 24 prairial an III (12 juin 1795) constatant le décès, le 20 de ce mois (8 juin 1795), de "Louis-Charles Capet, fils de Louis Capet, dernier roi des Français, et de Marie-Antoinette d'Autriche, âgé de dix ans deux mois, domicilié à Paris, aux tours du Temple";

Considérant que les conclusions déposées devant la Cour en sollicitent en effet l'annulation; mais qu'elles demandent en outre qu'il soit donné acte aux appelants de ce qu'ils entendent se prévaloir à toutes fins de l'acte de décès dressé à Delft (Hollande) le 12 août 1845 et qu'elles réclament l'infirmation du jugement du 5 juin 1851 dont est appel;

Considérant que, cependant, la Cour d'appel n'est pas saisie d'une simple demande de rectification d'état civil, mais d'une véritable action en réclamation d'état;

Considérant que l'assignation originaire qui a saisi le Tribunal de la Seine en 1850, émanant de la veuve et des enfants de Naundorf, tendait à "voir dire et ordonner que l'acte du prétendu décès de Louis-Charles, duc de Normandie, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, dressé le 24 prairial an III (12 juin 1795), paraît considéré comme nul et non avenu; que mention de cette nullité sera faite par la transcription en marge dudit acte de jugement à intervenir, en conséquence ordonner que les requérants seraient reconnus veuve et enfants légitimes de Charles-Louis, duc de Normandie, et admis à jouir de tous droits civils qui lui appartiennent";

Considérant que, le jugement ayant rejeté la demande, appel en a été interjeté dans les conditions susvisées, qu'en raison de l'effet dévolutif de cet acte qui a saisi la Cour, celle-ci doit statuer sur ce qui était demandé par l'assignation originaire;

Considérant qu'en conséquence les conclusions déposées par les appelants n'ont pu limiter la question déférée à la Cour à la seule annulation de l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795); que la Cour est saisie d'une véritable action en réclamation d'état;

Considérant que la question de l'annulation de l'acte de décès et la question de réclamation d'état forment un tout; qu'en effet les héritiers Naundorf n'auraient qualité pour faire rectifier l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795) que s'ils prouvaient que ce prince n'était pas mort au Temple à cette date et qu'il avait vécu jusqu'en 1845 dans la personne de leur auteur;



Sur la recevabilité

1 Considérant que les intimés ont demandé à la Cour, par voie de conclusions qu'ils n'ont pas obtenues à l'audience, de dire que l'appel dont elle est saisie doit être déclaré irrecevable en raison de l'indivisibilté de l'état des personnes;

Considérant que si la Cour, saisie dans les conditions susvisées, statuait d'une façon différente que ne l'a fait l'arrêt du 27 février 1874, il s'ensuivrait une contrariété de décisions quant à l'état de l'auteur des appelants;

Considérant qu'une telle situation ne serait peut-être pas sans inconvénients, mais que c'est là une conséquence de l'autorité relative de la chose jugée;

Considérant que, du point de vue législatif, on peut concevoir qu'une dérogation à ce principe soit admise pour les jugements d'état;

Mais considérant qu'étant donné la jurisprudence actuelle qui applique le principe de la relativité de la chose jugée, même aux questions d'état, la Cour ne saurait s'arrêter à l'irrecevabilité demandée par les intimés;

Considérant qu'il y a lieu de déclarer l'appel recevable;

2 Considérant qu'on ne saurait taxer, comme il a été dit lors des débats, d'esprits prévenus les rédacteurs de la décision de 1851; qu'ils jugeaient déjà à une époque où cette affaire ne pouvait avoir de conséquence sur le plan gouvernemental, puisqu'en 1851 la monarchie bourbonienne en ligne directe était déjà éliminée du pouvoir depuis vingt et un ans; qu'il convient de remarquer que celui qui présidait ces débats, Casenave, n'a pas, comme on l'a dit, rendu une décision hâtive, puisqu'il s'agissait tout au contraire d'un magistrat tout particulièrement versé dans les questions d'histoire de la Révolution;

Considérant qu'il importe de rechercher quels sont les documents nouveaux qui auraient été ignorés des premiers juges;

3 Considérant qu'à défaut des témoins, dont certains vivaient encore lors du jugement dont est appel, la Cour n'a plus depuis les décisions de justice de 1851 et de 1874, à sa disposition que les travaux historiques, ceux-là très nombreux, parus sur un sujet qui a passionné plusieurs générations de lecteurs;

Considérant que certains documents, jusque-là inédits, ont été retrouvés; mais que le travail des érudits a surtout consisté à reprendre ceux qui avaient déjà été produits, à les soumettre à une exégèse minutieuse, à les interpréter en bâtissant à leur propos des systèmes aussi séduisants que contradictoires;

Considérant que ces travaux ont abouti à des conclusions fort différentes; que, pour certains, Louis XVII est bien mort au Temple le 8 juin 1795, comme l'indique son acte officiel de décès; que, pour d'autres, il serait mort au Temple avant cette date et que c'est à un enfant qui lui aurait été substitué que se rapporterait cet acte de décès; que, pour d'autres enfin, ce n'est pas Louis XVII qui serait décédé à cette date au Temple, car on l'aurait fait fuir avant.

4 Considérant que c'est cette dernière thèse qui a rencontré le plus d'adeptes et connu le plus de succès; que l'on comprend que les esprits généreux n'aient pas voulu croire à la triste destinée qui aurait été celle de l'enfant royal si, victime innocente des événements, il était mort au Temple; que, d'ailleurs, près de quarante personnages se sont présentés pour réclamer la qualité de fils de Louis XVI et que tous ont compté des partisans;

5 Considérant que, quoique les historiens aient été loin d'être d'accord sur les conclusions des recherches auxquelles ils se sont livrés, leurs travaux n'ont pas été inutiles; que la critique grâce à laquelle certains documents ont été passés au crible a permis de rejeter définitivement du débat certaines pièces sur lesquelles s'appuyait précédemment la discussion;

Considérant que la décision de 1874 prenait grand soin de réfuter l'argument qu'on avait tiré de trois lettres que Laurent, gardien de Louis XVII au Temple, aurait adressées au général de Frotté, à la fin de 1794 et au début de 1795; que ces pièces qui, disait l'arrêt du 27 février 1874, "constituaient la base même du procès" révélaient une double substitution de l'enfant royal grâce à laquelle le général de Frotté l'aurait fait évader du Temple;

Considérant que la Cour doit maintenant examiner quelles sont les preuves que les appelants apportent pour soutenir la réclamation d'état qu'ils présentent au nom de leur auteur;

Considérant qu'ils doivent, pour ce faire, démontrer d'abord l'évasion du Temple, ensuite l'identité de Naundorf avec Louis XVII;

6 Considérant que les partisans de l'évasion s'appuient sur ce qu'il est possible que des royalistes fervents aient tout tenté pour faire sortir le petit roi de sa prison et que, même parmi les révolutionnaires, des esprits prudents aient voulu, en s'assurant de la personne de Louis XVII, prendre un otage qui aurait pu leur être particulièrement précieux dans l'avenir en cas de revirement de la situation politique;

Considérant que ceux qui pensent que Louis XVII n'est pas mort au Temple font surtout état de l'attitude de Louis XVIII à son retour définitif en 1815; que l'on comprend mal que le souverain, revenant en France, n'ait pas immédiatement ordonné des recherches pour retrouver les restes de son neveu et qu'il ait semblé, tout au contraire, le vouer à l'oubli;

Considérant que cette indifférence n'avait pas échappé aux contemporains, et qu'il a fallu attendre le célèbre appel lancé par Chateaubriand, le 9 janvier 1816: "Qu'est-il devenu, ce pupille royal? Où est-il….le frère de l'orpheline du Temple" pour que le pouvoir se décidé enfin à prescrire des recherches au cimetière Sainte-Marguerite, recherches qui, fait curieux, furent arrêtées subitement alors que le clergé était déjà là pour assister au transfert du corps;

Considérant que les tenants de l'évasion font également état de ce que la duchesse d'Angoulême refusa le coeur que le chirurgien Pelletan avait prélevé lors de l'autopsie de l'enfant mort au Temple le 8 juin 1795, et de ce qu'elle ne voulut pas recevoir non plus les cheveux coupés sur la tête de cet enfant et conservés par l'ex-commissaire Damont;

Considérant que, pour démontrer que Louis XVII n'est pas mort au Temple à cette date, les appelants ont surtout insisté sur le fait que le corps retrouvé lors de l'exhumation pratiquée en 1846 au cimetière Sainte-Marguerite serait manifestement celui d'un enfant de quinze ans au moins, ainsi que le démontre un examen médical, alors que Louis XVII n'avait, le 8 juin 1795, que dix ans;

Mais considérant que personne ne s'est vanté, lorsque avec la Restauration est revenue la royauté et son cortège de fidèles, d'avoir collaboré à l'évasion de l'enfant royal; que personne n'a apporté le moindre détail, alors, d'une part, que, pour qu'une telle évasion ait pu réussir, il aurait fallu qu'un certain nombre de personnes aient été mises dans le secret et que, d'autre part, une telle divulgation eût suscité la reconnaissance, sinon du pouvoir, du moins des royalistes;

Considérant que les auteurs fort nombreux qui se sont penchés sur cette occasion de l'évasion et s'en sont montrés partisans sont en désaccord absolu sur la date à laquelle elle aurait eu lieu et sur ceux qui l'auraient favorisée; que certains l'attribuent à Chaumette, d'autres à Barrés, la situant, soit au moment du départ de Simon du Temple, soit après le 9 thermidor;

Considérant qu'à la thèse de ceux qui prétendent que certains révolutionnaires ont voulu faire évader Louis XVII afin de s'emparer d'un otage, d'autres opposent que, tout au contraire, les hommes de la Révolution qui avaient condamné Louis XVI à mort devaient avoir grand souci de ne pas permettre à celui qui incarnait la royauté de quitter le Temple, ce qui expliquerait les mesures exceptionnelles d'isolement et de surveillance dont, comme le détaille l'arrêt de 1874, l'enfant royal fut entouré, ce qui devait normalement avoir des suites fâcheuses pour sa santé; que cette mentalité se décèle dans de nombreux documents; que Mathieu, au nom du Comité de Sûreté générale, avait dit, après le 9 thermidor: "Les Comités et la Convention savent comment on fait tomber la tête des rois, mais ils ignorent comment on élève leurs enfants"; qu'à une proposition du député Lequinio tendant au bannissement du Dauphin, le rapport fait à la Convention le 22 janvier 1795 (3 pluviôse an III) par Cambacérès au nom des Comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis concluait au rejet en ces termes particulièrement significatifs de l'esprit public: "Un ennemi, y lit-on, est bien moins dangereux lorsqu'il est en notre puissance que lorsqu'il passe aux mains de ceux qui soutiennent sa cause ou qui ont embrassé son parti. Il y a peu de danger à tenir en captivité les individus de la famille Capet, il y en a beaucoup à les expulser. L'expulsion des tyrans a presque toujours préparé leur rétablissement".

Considérant que l'identité du corps exhumé au cimetierre de Sainte-Marguerite, en 1846, qui a paru être celui d'un enfant de quinze ans, avec la dépouille mortelle de l'enfant mort au Temple le 8 juin 1795 n'est pas certaine; que, sans doute, il a été constaté que le crâne de l'adolescent découvert lors de cette exhumation avait été scié à la suite d'une autopsie comme l'avait été celui de l'enfant royal; mais que cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, à démontrer cette identité alors que les déclarations des fossoyeurs sur l'emplacement où ont été découvert ces ossements sont contrebattues par d'autres; que ce corps reposait dans un cercueil de plomb alors que le mort du Temple avait été placé dans une bière en bois et surtout que le procès-verbal d'autopsie dressé le 21 prairial an III (9 juin 1795), par des praticiens éminents: Pelletan, chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu, Dumangin, médecin en chef de la Charité, le professeurs Lassus, ancien chirurgien de Madame Victoire, fille de Louis XV, Jeanroy, professeur de médecine légale à l'Ecole de Santé de Paris, précisait que l'enfant avait paru âgé d'environ dix ans;

Considérant que la Cour d'appel doit maintenant examiner si les appelants apportent des preuves suffisantes pour démontrer l'identité de leur auteur avec le roi Louis XVII;

7 Considérant que la Cour doit d'abord écarter un argument donné par les appelants qui voient une preuve de leur thèse dans le fait qu'on ne peut savoir si Naundorf avait réellement le droit de s'appeler ainsi; qu'ils disent: "Puisqu'on ne peut démontrer qu'il s'agit bien de Naundorf, c'est une présomption qu'il est Louis XVII";

Mais considérant que, si un tel système était admis en matière de réclamation d’état, il n’est pas d famille qui ne serait ouverte au premier individu qu’on trouverait sans pièce d’identité ;

8 Considérant que le principal argument présenté par les appelants touchant l’identité de leur auteuravec Louis XVII résulte de ce que des familiers de l’ancienne cour de France ont formellement reconnu Naundorf : Madame de Rambaud, ancienne femme de chambre de la Reine, Marco de Saint-Hilaire, ancien huissier de la chambre du Roi, de Brémond, ancien secrétaire de Louis XVI, de Joly, le dernier ministre de la Justice de ce souverain, qui ne cessa ses fonctions que le 10 août 1792 ;

Considérant que ces reconnaissances sont, sans conteste, importantes en faveur de la thèse soutenue par les appelants ;

Considérant cependant qu’il convient de remarquer que Richemont, qui, lui aussi, avait prétendu être le Dauphin, bénéficia de nombreuses reconnaissances émanées de personnes semblablement qualifiées : Mme Bréguet, qui avait été au service de Marie-Antoinette jusqu’au 10 août 1792, Mme Fillette qui avait été fille de garde-robe du Dauphin ; que Mme de Rambaud elle-même, après avoir déclaré que Naundorf était Louis XVII, certifia que Richemont l’était aussi, "s’en remettant au ciel pour faire son choix" ; qu’au surplus de nombreux autres familiers de l’ancienne cour qui vivaient encore n’ont pas été appelés à reconnaître Naundorf, ou n’ont pas voulu le faire, telle par exemple Mme de Fallens, fille de la sous-gouvernante des enfants de France, qui avait été élevée avec le Dauphin et qui, après une première entrevue, refusa de le revoir ;

9 Considérant que les intimés font valoir que les récits de l’évasion du Temple produits par Naundorf sont tellement imprécis et invraisemblables que ses partisans ont eux-mêmes renoncé à se servir de la plupart d’entre eux ; qu’ils s’étonnent que Naundorf n’ait apporté aucune indication positive sur les nombreuses années, "ce trou noir de trente-six ans", qui se seraient écoulées entre son départ du Temple et sa réapparition en Prusse en 1831 ; qu’ils tirent également argument de son ignorance de la langue française ;

10 Considérant que ceux qui contrebattent la thèse de Naundorf invoquent aussi son appartenance à la religion luthérienne et le fait que, dans son acte de mariage du 18 novembre 1818 avec Johanna Einert, il n’ait pas indiqué l’origine dont il se prévalait ; qu’ils s’étonnent qu’il ait caché sa royale filiation à son épouse et qu’enfin les prénoms qu’il a donnés à ses premiers enfants n’aient pas été des prénomns français ou des prénoms rappelant les princes dont il se prétendait issu ;

11 Considérant que, plus récemment, les adversaires de la thèse des partisans de Naundorf ont itré argument de l’analyse de ses cheveux qui, effectuée grâce aux procédés de la science moderne, prouve qu’ils ne sont pas identiques à ceux de Louis XVII, et de la comparaison des traces de vaccination qui prouverait que le Dauphin en portait des signes sur les deux bras, alors que la visite médicale effectuée lors du décès de Naundorf n’en décela que sur un seul bras ;

12 Considérant que ces arguments ne sont pas sans valeur et qu’en tout cas on ne saurait considérer comme une preuve de l’identité de Naundorf avec Louis XVII le fait que son acte de décès, dressé le 12 août 1845 à Delft (Hollande), l’indique comme ayant été Charles-Louis de Bourbon, duc de Normandie, Louis XVII ;

Considérant qu’en effet Naundorf, qui était depuis le 15 janvier 1845 seulement en Hollande, n’y avait nullement la possession d’état de duc de Normandie ; qu’au contraire, il se trouvait sans papiers et que c’est sur la déclaration de son fils que ces indications ont été portées sur son acte de décès ;

13 Considérant que, si l’historien peut se livrer à des hypothèses et construire, en partant des documlents qu’il retrouve ou qu’il interprète, des systèmes fort séduisants, le juge, lui, ne peut bâtir de raisonnements aventureux puisque sa décision, à la différence des travaux historiques, est capable d’entraîner dans le droit des personnes et des biens de graves conséquences ;

14 Considérant que le juge ne peut, dans les questions d’état, modifier les actes existants que si les preuves indéniables, démontrant d’une manière certaine qu’ils sont erronés, sont apportées ;

Considérant que les appelants n’ont pas fourni sur l’identité de leur auteur avec Louis XVII des preuves telles qu'’lles fussent de nature à faire annuler l'’cte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795);

Considérant que cet acte régulier en la forme avait été, comme l’exigeait le décret des 1-24 décembre 1792, précédé d’une déclaration de décès de "Louis-Charles Capet, âgé de dix ans deux mois", faite le 22 prairial an III (10 juin 1795) par les derniers gardiens de Louis XVII au Temple, Lasne et Gomin, qui avaient assisté à la mort de l’enfant royal ;

Considérant que l’on s’est étonné de ce que l’acte de décès n’ait pas été signé de Madame Royale mais que l’on conçoit que la sœur de l’enfant n’ait pas participé à l’acte puisqu’elle était alors mineure;

Considérant que l'on a encore voulu voir une cause d'irrégularité de l'acte de décès dans le fait que Lasne et Gomin n'ont pas tous deux signé cet acte, alors qu'ils avaient fait tous deux la déclaration;

Mais considérant qu'il résulte des recherches auxquelles il a été procédé tout récemment, spécialement aux archives départementales de la Gironde, qu'à cette époque les actes de décès n'étaient pas, sauf de rares exceptions, signées des témoins; qu'il y a donc eu en l'espèce un surcroît de formalités; qu'on ne saurait non plus s'arrêter sur le fait, alors très fréquent, que l'acte de décès ait été rédigé avec quelque retard;

15 Considérant que l'arrêt du 27 février 1874 s'était longuement expliqué sur l'importance des déclarations de Lasne et de Gomin; que les appelants se sont attachés à démontrer au contraire que l'on ne saurait accorder foi à leur dire;

Considérant cependant que Lasne et Gomin avaient, en 1837, en 1837 et en 1840 été entendus par la voie judiciaire et notamment par un magistrat, le juge d'instruction Zangiacomi, qui, fils d'un ancien converntionnel alors encore vivant, connaissait bien toute l'histoire révolutionnaire; qu'à peu près à la même époque ils avaient été interrogés par un chef de section aux archives, Beauchesne, qui préparait un ouvrage sur Louis XVII, livre qui devait être publié peu de temps après le jugement dont est appel, que cet auteur, qui avait donc vu à la fin de leur vie ces deux témoins de la mort de l'enfant du Temple, a souligné le caractère de leurs dires;

16 Considérant que les appelants ont prétendu que Lasne et Gomin ne connaissaient pas le Dauphin avant sa captivité au Temple et que, par conséquent, ils ne pouvaient, comme ils l'ont fait, certifier l'identité, de l'enfant qui était mort sous leurs yeux;

Mais considérant que, sous l'ancienne monarchie, la famille royale ne s'isolait pas comme on pourrait le penser du public; que, d'autre part, les événements de la Révolution avaient donné à plus d'un l'occasion de la voir; que, lors de la journée du 20 juin 1792, la garde nationale, à laquelle appartenaient Lasne et Gomin, avait défilé avec un grand nombre de Parisiens devant le Roi, la Reine et le Dauphin; que rien ne permet donc de mettre en doute les dires de ces deux gardiens de Louis XVII, quand ils prétendent l'avoir connu avant son emprisonnement;

17 Considérant qu'ils n'ont pas été d'ailleurs les seuls à reconnaître le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans l'enfant mort au Temple le 8 juin 1795; que le commissaire municipal Damont a indiqué dans un procès-verbal du 6 août 1817, conservé aux Archives nationales, qu'il avait vu Louis XVII le jour de sa mort dans un état désespéré, qu'il l'avait reconnu pour l'avoir vu aux Tuileries;

18 Considérant que Guérin, commissaire civil de la section de l'homme-Armé, a opéré la même reconnaissance; qu'étant au Temple pour effectuer son service le 22 prairial an III (10 juin 1795), soit deux jours après le décès, on découvrit devant lui la tête de l'enfant, et qu'il déclara qu'il s'agissait bien du Dauphin qu'il avait vu aux Tuileries quelques années auparavant;

Considérant qu'il y a lieu de s'arrêter à ce témoignage auquel on doit d'autant plus ajouter foi qu'il émanait d'un ancien procureur au Châtelet qui devait ultérieurement être juge au Tribunal de la Seine, c'est-à-dire d'un homme de loi connaissant la valeur et l'importance de telles déclarations;

19 Considérant enfin que si l'on peut, à tort d'ailleurs, semble-t-il, discuter comme intéressé le témoignage de la duchesse d'Angoulême sous la Restauration, parce qu'elle était alors la femme de l'héritier du trône et la nièce des rois régnants, ces considérations disparaissent lorsque, après les événements de 1830, elle vivait en exil après l'abdication de son mari;

Considérant qu'alors, aux dires des mémorialistes, de Mme de La Ferronays, de Mme de Gontaut, non seulement elle était persuadée du décès de son frère au Temple mais encore qu'elle se plaignait amèrement d'être accusée de ne pas vouloir le reconnaître, ajoutant qu'on ne pouvait croire que, s'il lui eût été possible de conserver le moindre doute, elle eut pu hésiter: "Est-il vraisemblable, disait-elle, que j'eusse préférer mon oncle à mon frère?";

Considérant qu'à la fin de sa vie toute sa tendresse s'était reportée sur son neveu par alliance, le comte de Chambord, qu'elle désigna comme son héritier dans le testament qu'elle rédigea le 1er juillet 1851, peu de temps avant sa mort, quelques semaines après je jugement dont est appel;

Considérant que si, à ce moment, quelque doute était resté dans son esprit touchant la survivance de son frère, elle n'eût pas manqué de le consigner dans son acte de dernière volonté en lui permettant, à lui ou à ses descendants, d'obtenir une partie de ses biens s'ils venaient à se révéler;

Considérant qu'au contraire on ne trouve aucune trace d'une pareille préoccupation dans son testament;

20 Considérant que tous ceux qui ont été mêlés aux intrigues royalistes de ces époques ont été affirmatifs sur la mort de Louis XVII au Temple;

Considérant que le général de Frotté, le fervent royaliste qui devait payer de sa vie sa fidélité à la royauté déchue, ayant cherché à savoir ce qu'était devenu l'enfant royal, écrivait découragé le 28 décembre 1795 à Mrs. Atkins, autre amie dévouée de la cause royale, qu'il était mort dans sa prison dont il n'était jamais sorti: "Je n'ai pu voir le malheureux infortuné qui était né pour nous gouverner. Il n'a point été sauvé";

Considérant que les chefs de l'armée de Vendée furent convaincus, eux aussi, de la mort de Louis XVII au Temple, comme le montre un manifeste de Charette du 26 juin 1795 annonçant à son armée la mort du petit roi et la proclamation des généraux vendéens Charette, Stofflet, Scépeaux, Sapinaud, datée du "22 juin 1795, l'an premier du règne de Louis XVIII";

21 Considérant enfin que Chateaubriand, qui s'était étonné, comme le présent arrêt l'a déjà indiqué, que le gouvernement de la Restauration ne recherchat pas avec assez d'activité, à son retour définitif en 1815, ce qu'était devenu l'enfant royal, était, par ses relations dans le monde légitimiste, son passage au pouvoir, l'indépendance de son caractère, particulièrement qualifié pour donner son opinion sur la question de la survivance de Louis XVII;

Or, considérant qu'Albouys, qui devait se faire le champion de la cause de Naundorf et qui, hésitant encore, lui avait demandé quelques éclaircissements, Chateaubriand écrivit le 7 mai 1833: "Je ne puis vous donner aucun renseignement sur Louis XVII. Je le crois mort depuis de longues années et quand même le fils infortuné de Louis XVI vivrait, comme il lui serait impossible de prouver l'identité de sa personne, il ne pourrait rien réclamer";

Considérant qu'aucune preuve convaincante n'a été apportée à la Cour démontrant que les premiers juges avaient mal jugé en déboutant les demandeurs de leur action en réclamation d'état;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement dont il est appel;



Par ces motifs

et ceux non contraires des premiers juges;

Donne acte à René-Louis-Charles de Bourbon de ce qu'il déclare reprendre l'instance pendante sur appel interjeté par son auteur du jugement du 5 juin 1851;

Déclare René-Louis-Charles de Bourbon et Charles-Louis-Edmond de Bourbon recevables de leur appel;

Joint les causes vu la connexité;

Au fond déboute les appelants de leur appel;

Confirme le jugement dont est appel;

Déboute les parties de toutes autres conclusions;

Dit n'y avoir lieu aux autres actes demandés par les appelants;

Les condamne aux dépens dont distraction au profit de Bernard Soyet et Juilliard, avoués, aux offres de droit.





b/ - Les considérants

Ils méritent un examen attentif et une discussion minutieuse.

• 1• La Cour, après les nombreux préambules, habituels en la matière, qui font l'historique de la cause, finit par déclarer les deux appelants, René Louis Charles de Bourbon et Charles Louis Edmond de Bourbon, tous deux descendants de Charles Edmond de Bourbon, qui n'avaient pas figuré à l'appel interjeté en 1874, recevables dans leur action.



• 2 • Assez curieusement, la Cour commence par déclarer qu'on ne peut considérer comme des esprits prévenus les rédacteurs de la décision précédente puisqu'à l'époque la branche aînée des Bourbon était écartée du trône depuis vingt-et-un ans.



¹ De la part de juges examinant cette affaire en 1954, une telle phrase ne peut être que de l'ignorance voulue ou de la présomption orgueilleuse.

Le précédent jugement dont il est question date en effet de 1851, c'est-à-dire d'une époque où, si la branche prétendue aînée des Bourbons avait été ecartée du trône depuis 21 ans, celle des Orléans l'était depuis 3 ans, et la Seconde République qui leur avait succédé, devait disparaître l'année suivante pour donner naissance au Second Empire, lui même remplacé en 1870 par la Troisième République, puis par la Quatrième, dont on sait quel fut le sort final.

Qui plus est, en 1873, le rétablissement sur le trône de cette même branche prétendue aînée des Bourbons fut à un cheveu de se réaliser et n'échoua que de la volonté du comte de Chambord.

Rappelons enfin qu’en 1792 les révolutionnaires avaient prétendu éliminer à jamais la monarchie en France, ce qui n’a empêché ni son rétablissement en 1814, ni les deux empires.

Toutes choses que les juges de 1954 ne pouvaient prétendre ignorer.



² Quant à prétendre que le président Casenave n'aurait su prendre une décision hâtive en la matière parce qu'il était particulièrement versé dans les questions d'histoire de la révolution, ce détail, bien loin d'être pour nous rassurant, nous paraît inquiétant car, dans ces conditions, et quelle que soit la haute conscience professionnelle du magistrat susnommé, qu'il n'y a pas lieu de soupçonner a priori, il faut néanmoins observer qu'il était dans l'impossibilité de ne pas faire, fut-ce de manière inconsciente, intervenir ses convictions personnelles dans cette affaire, convictions personnelles qui sonnent anti-monarchiques.

De fait, nous avons constaté que l'arrêt de 1874 était d'une partialité scandaleuse.



³ En réalité, en faisant allusion dès le départ à la situation poliitique, le tribunal, par ses dénégations maladroites dans ce domaine, donne à ce procès sa véritable couleur : sous les apparences d'une action civile, il s'agit en fait d'un procès politique.

Ce considérant n’est en réalité rien d’autre que l’aveu et la démonstration de la partialité des tribunaux français dans cette affaire.



• 3 • La Cour remarque qu'alors que certains témoins vivaient encore lors du procès de 1874, elle n'a plus, comme documents nouveaux, que des études historiques. Elle s'empresse de constater que les auteurs de ces travaux ne sont pas d'accord entre eux: cette situation n'a d'ailleurs pas changé depuis. Elle admet pourtant que certains documents qui étaient auparavent inconnus ont été retrouvés, mais s'abtient de les mentionner, et encore plus d'émettre une opinion à leur sujet.



• 4 • La Cour mentionne ensuite que des esprits généreux (il faut lire en fait: égarés par leur générosité) n'ont pas voulu croire à la mort de Louis XVII au Temple et qu'il en résulte que près de quarante (aujourd'hui plus de cent) personnages ont prétendu être le fils de Louis XVI ou en descendre, et que tous ont eu des partisans.

Il faut aussi prendre en compte que si, parmi ces nombreux prétendants dont un seul, au maximum, pouvait être le bon, il en est beaucoup qui ne méritent pas que l'on s'attarde sur leurs prétentions, fondées en général sur des éléments partiels et souvent douteux, un certain nombre de leurres ont été lancés de façon délibérée, et de diverses sources, afin de brouiller la piste du petit Roi.

Il est exact que chaque disparition princière, dans le cours de l'histoire, a fait surgir le mythe du prince caché et que, dans tous ces cas, un certain nombre de fidèles se sont attachés à des personnages qui ont prétendu à cette identité illustre. Ce fait ne prouve en aucune façon que l'évasion de Louis XVII doive être considérée comme étant du domaine de la légende.

La persistance de l'espoir de retrouver la trace du fils de Louis XVI échappé du Temple prouve l'espoir que suscite cette survivance, espoir soutenu par le peu d'enthousiasme que soulèvent les autres régimes.

Sur le plan juridique, cet argument avancé par la Cour n'a aucune signification.



• 5 • La Cour reconnaît que les travaux des historiens ont eu le mérite d'éliminer de la discussion certains documents dont l'authenticité était pour le moins douteuse : c'est le cas des trois lettres attribuées à Laurent dont les appelants au procès de 1874 avaient fait l'épine dorsale de leur requête et qui se sont révélées être des faux.

Nous sommes d'accord avec les magistrats pour penser que ce nettoyage était indispensable. Mais il ne faut pas tirer du fait que certains documents présentés aient été des faux la conclusion que Naundorf ne pouvait en aucun cas être Louis XVII.

Dans ce cas encore, sur le plan juridique, pour savoir si, oui ou non, Naundorf était Louis XVII, cet argument n'a, en soi, aucune signification.



• 6 • La Cour en arrive à la discussion des possibilités d'évasion.

En parlant de fervents royalistes, la Cour tombe dans le travers commun à beaucoup de chercheurs qui pensent que seuls des partisans de la monarchie ont pu courir les risques de faire évader le petit Roi.

Le simple bon sens indique que, si le Roi s'est évadé - et, à son âge, il n'a pas pu le faire de sa propre initiative -, ce ne sont pas des monarchistes qui ont procédé à l'opération. Tout attachant qu'il soit par ses qualités, Louis XVII n'avait de valeur que du fait qu'il état le Roi.

Si des monarchistes s'en étaient emparés, ce n'aurait donc pu être que pour rétablir la dite monarchie, soit en la personne de Louis XVII qui n'aurait pas dès lors manqué d'être présenté au grand jour, soit en la personne de son oncle, ce qui aurait alors exigé, pour que la légitimité de Provence ne soit pas contestable, que le décès de l'enfant soit prouvé et dûment constaté.

Les monarchistes n'ont pas présenté Louis XVII, même pas les insurgés de l'intérieur qui se battaient en son nom, et ils n'ont jamais apporté la preuve de la mort de Louis XVII.

Cette hypothèse doit donc être écartée.



Lorsque les juges abordent la possibilité que des révolutionnaires aient pu s'emparer de Louis XVII pour s'en servir d'otage, ils traitent cette hypothèse comme si les dits révolutionnaires aient pu avoir l'idée d'échanger le jeune Roi contre leur impunité.

C'est une absurdité. Quelle garantie aurait pu être la leur après la remise de la personne du Roi ? Les révolutionnaires avaient parfaitement conscience qu'en cas de rétablissement de la monarchie par les monarchistes ils auraient de lourds comptes à rendre. C'est là une perpective qu'ils écartaient de façon absolue.

Si donc des révolutionnaires se sont emparés de Louis XVII pour assurer leur avenir, ce ne peut être que dans un but et un seul: le remettre eux-mêmes sur le trône en imposant leurs conditions pour le retour à la monarchie.

C'est, là encore, une question de simple bon sens.



Le tribunal passe ensuite à l'attitude de Provence, dont, s'il trouve son comportement étrange, il se garde bien d'y apporter la moindre explication.

Pourtant, Provence ne pouvait se prétendre légitime que si la mort de son neveu était prouvée. Et cela les juges, même en 1954, ne pouvaient l’ignorer.

Les juges auraient dû remarquer que les intérêts du frère de Louis XVI dans cette circonstance - et son ambition dévorante de monter à tout prix sur le trône de France était de notoriété publique, et ce dès avant la révolution ! - recoupaient exactement ceux des révolutionniares après que Louis XVII leur ait échappé sans retour.

L'attitude de Provence à l'égard de son neveu n'est donc pas étrange : elle est parfaitement logique en partant de son point de vue égoîste : Louis XVII est mort au Temple le 8 juin 1795 (enfin! a-t-il dû soupirer) , a été enseveli dans une fosse commune où sa dépouille ne peut être identifiée et donc il ne faut plus en parler !

Evidemment, quand on se dit un souverain catholique, il est gênant de ne pas souffler mot de l'enfant dans les cérémonies du souvenir….alors il est préférable qu'un silence complice fasse disparaître jusqu'à sa mémoire !

C'est l'attitude, encore aujourd'hui, de tous les suppôts, avoués et inavoués, de la doctrine révolutionnaire. C'est le cas de Chateaubriand dont la Cour se garde bien de reprendre ici la suite de son intervention, trop révélatrice sans doute (voir la suite de nos commentaires sur les considérants au numéro 21) !



En ce qui concerne la duchesse d'Angoulême, étant donné qu'elle n'était pas Madame Royale mais, selon toute vraisemblance, une bâtarde de Provence, il va de soi que ses attitudes dans cette affaires n'ont pour seul but que de conforter la thèse officielle. Quant au cœur et aux cheveux qu'elle a refusés, les tribulations qu'ils ont subis rendent ces pièces des plus douteuses.



En ce qui concerne le squelette exhumé au cimetière Sainte-Marguerite, il est hors de doute qu'il s'agit bien du corps du jeune autopsié de 1795. Non seulement les traces de trépanation pour l'examen du cerveau ont été retrouvées sur le squelette, mais aussi les marques caractéristiques des atteintes scrofuleuses.

S'appuyer sur le fait que les quatre médecins qui ont pratiqué l'autopsie attribuent un âge d'environ dix ans au défunt ne prouve strictement rien : après avoir repris la déclaration des gardiens qu'il s'agissait de la dépouille du fils Capet, dont la date de naissance en 1785 était de notoriété publique, il est bien évident qu'ils ne pouvaient en aucun cas (quel que soit l'âge réel du mort qu'ils devaient examiner) lui en accorder un autre que dix ans, sans publier par là que l'identité qu'on leur avait donnée (selon une procédure tout à fait normale : ce n'est pas aux médecins de donner une identité au défunt) était fausse, avec toutes les conséquences que cette déclaration aurait entraînées pour eux !



Il ne faut pas s'étonner que les juges reprennent à leur compte l'argument inepte qui veut que personne n'ayant rien dit, c'est qu'il ne s'est rien passé.

D'une part, il est faux : certains ont affirmé avoir participé à l'évasion de Louis XVII, et pas des moindres, tels Monsieur Joly de Fleury et l'impératrice Joséphine. Que leur bonne foi ait été trompée au départ ne change rien au fait qu'ils ont été persuadés d'avoir contribué à la sortie de l'enfant royal du Temple et qu'ils l'ont dit publiquement.

D'autre part, les juges commettent une lourde erreur d'interprétation en envisageant un complot ayant de vastes ramifications. Trop de participants sont toujours à la source de fuites : les auteurs de l'évasion le savaient et ont agi avec le minimum d'effectif.

L'hypothèse qui est la nôtre, d'une évasion réalisée par Chaumette pour le compte de Robespierre, ne demandait qu'un minimum de complices, lesquels, au surplus, étant tous membres de la Commune insurrectionnelle de Paris, ont été guillotinés dès le 10 thermidor et les jours suivants. Cette dernière circonstance, on en conviendra, est peu propice aux confidences !

Pour ce qui est des autres personnages qui ont été au Temple et qui n'ont rien dit, nous avons déjà démontré que, d'une part, aucun n'était en mesure d'identifier à coup sûr le fils de Louis XVI, condition indispensable pour pouvoir se hasarder à dire quoi que ce soit, et d'autre part que la Terreur, justement nommée, était là pour couper court aux velléités de bavardages intempestifs, qu'ils soient par voie orale ou écrite.

C'est le syndrome des trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire.

Rappelons enfin que nous avons déjà démontré que le fait de s’appuyer sur ce silence pour démontrer un fait réel est une monstruosité méthodologique. Ce vide ne prouve rien, rien d’autre en tout cas que son propre vide.


En ce qui concerne les mesures exceptionnelles d'isolement et de surveillance auxquelles les magistrats font allusion, il est stupide de les attribuer à un prétendu souci des révolutionnaires de ne pas laisser celui qui incarnait la royauté quitter le Temple.

Les juges font semblant d'ignorer ce que savaient fort bien les révolutionnaires auxquels ils font allusion : la royauté n'est pas un personnage physique, mais un principe. Si Louis XVII venait à décéder, ses droits passaient automatiquement au premier héritier mâle des Bourbon par ordre de primogéniture, à savoir Provence. Et Provence, lui, était hors de leur portée !

Contrairement à ce que prétend la propagande qui tient lieu d'histoire depuis maintenant plus de deux siècles, les révolutionnaires s'étaient parfaitement rendu compte que la mort de Louis XVI était un coup d'épée dans l'eau. Ils étaient tout aussi conscients qu'en dépit de leurs rodomontades, la monarchie perdurait, comme elle continue à le faire.

Leur chance était de détenir le Roi. Et ils auraient eu la stupidité de l'abêtir en le traitant d'une façon dont on oserait pas se comporter avec un animal ? Les révolutionnaires étaient des monstres, mais certainement pas des imbéciles !

Comme dans tous les régimes excessifs, il faut distinguer, chez les révolutionnaires, les bravades, destinées à la foule, des intentions réelles, réservées à des cercles très restraints. Il faut distinguer aussi les chefs, les seuls qui décident en réalité, tels un Danton ou un Robespierre, de la masse des braillards, qui renferme la quasi-totalité des autres.

Comme nous l'avons dit, les mesures de sécurité au Temple n'étaient qu'une aimable plaisanterie pour les petits malins qui connaissaient les filères utiles. Et il n'en manquait pas dans chaque camp. On a d'ailleurs la mauvaise habitude de considérer la période révolutionnaire d'un oeil beaucoup trop manichéen : les frontières entre les camps étaient souvent floues et les compromissions fréquentes. On en arrivait parfois à ne plus très bien savoir qui était pour qui ou pour quoi.

Les mots du représentant Mathieu n'apportent strictement rien au débat consistant à savoir si Louis XVII était toujours au Temple en juin 1795 ou non.



Quant à la réponse de Cambacérès au député Lequinio, on peut la considérer, en soi, comme un formidable aveu, surtout si on prend la peine de citer la suite qui dit que sitôt que le Roi serait dehors on le verrait paraître partout. Les juges ont une tendance fâcheuse à couper les citations. Les paroles de Cambacérès prennent tout leur poids lorsque, d'une part, on rappelle qu'un an plus tard, en 1796, tous les membres non émigrés de la famille de Bourbon seront expulsés de France (Louis XVII était mort, dira-t-on: et alors, Provence s'était proclamé "Louis XVIII"….à Vérone, bien loin de Paris !), et, d'autre part, que jamais Marie-Thérèse n'a pas pu voir l'enfant du Temple qui était censé être son frère….

Le vrai sens des paroles du futur archi-chancelier de l'Empire semble donc être le suivant : il y a peu de danger de garder en captivité un quelconque garçon que personne ne voit et qui passe pour Louis XVII ; il est en revanche matériellement impossible de l'expulser….puisque ce n'est pas le bon !



En résumé, cette longue suite de considérants aboutit à un match nul. Les appelants n'ont pas prouvé l'évasion. Dans l'état des connaissances actuelles, il n'existe d'ailleurs à notre connaissance aucun fait matériel, élément matériel, document ou témoignage crédible, qui permette de prouver le processus de cette évasion (quelle preuve plus flagrante de l'évasion elle-même pourrait-on invoquer que le fait que le prétendu défunt a été formellement identifié bien vivant près de quarante ans après son soi-disant décès ?).

Mais, en revanche, l'analyse raisonnée des arguments avancés, telle qu'aurait dû la faire les juges, ne prouve pas que l'évasion était impossible.

Malgré l'opinion des juges, il est reconnu aujourd'hui et scientifiquement prouvé que le garçon décédé le 8 juin 1795 au Temple et autopsié le lendemain n'était pas, ne pouvait pas être Louis XVII.

En toute équité, ce fait, aujourd'hui acquis, prouve qu'il y a eu substitution à un moment donné. Ce n'est pas, en soi, une preuve que le petit Roi soit sorti vivant du Temple : il a pu mourir auparavant en ces sinistres lieux. Mais ce fait ôte tout poids à l'acte de décès qui est manisfestement erroné quant à l'identité du défunt.

Or, c'était là justement le point essentiel du procès.



• 7 • Nous serons en revanche d'accord avec les juges pour considérer comme sans valeur l'argument consistant à dire que Naundorf n'étant pas réellement un personnage de ce patronyme, c'est qu'il est Louis XVII. Si Naundorf n'est pas Naundorf, il peut être n'importe qui, Louis XVII entre autres.



• 8 • La Cour en arrive aux reconnaissances formelles de Louis XVII en Naundorf par des membres de l'ancienne Cour de Louis XVI.



° Les juges commencent par énumérer un certains nombres d'anciens familiers de la Cour de Louis XVI et du Dauphin qui l'ont reconnu. Mais, à ce sujet, on peut remarquer deux choses.



D'une part, les juges ont la perfidie de qualifier Madame de Rambaud de femme de chambre de la Reine. Cette qualification est fausse et les juges ne peuvent l'ignorer puisqu'elle précise elle-même ses fonctions en commençant sa déposition devant le juge d'instruction du Mans, le 12 juillet 1837, déposition que la Cour a sous les yeux : attachée au berceau du Prince Charles-Louis depuis sa naissance jusqu'au 10 août 1792.

Cette perfidie fait éclater la mauvaise foi de la Cour.


D'autre part, les juges s'abstiennent de nommer d'autres familiers de la Cour de Louis XVI qui ont identifié Louis XVII en Naundorf, et singulièrement Madame de Saint-Brice qui partageait le même office que Madame de Rambaud auprès du jeune prince.



¹ La Cour omet volontairement de mentionner que Madame de Rambaud et Monsieur Brémond ont déposé par voie judiciaire, sous serment, et que personne n'a jamais pu les accuser de faux témoignage, contrairement à Lasne et Gomin, ainsi que d'autres que nous verrons par la suite.



² La Cour avance que Madame de Rambaud a reconnu aussi Richemont.

Maître Maurice Garçon, adversaire des héritiers de Bourbon dans ce procès, dans son ouvrage "Louis XVII ou la fausse énigme" (Hachette, Paris, 1952), se borne à mentionner cette "reconnaissance", survenue d’après lui en 1843, en une seule phrase (page 236). C'est peu pour un élément qui devrait avoir pour sa thèse une telle importance ! Il se garde bien d'ailleurs d'en founir la moindre preuve, ce qu'il s'empresserait certes de faire …. si cette preuve existait !. Et la Cour, qui s'empresse de reprendre ce pseudo-argument, n'en cite pas davantage.

La Cour se garde bien de signaler que Madame de Saint-Brice avait formellement refusé de reconnaître Richemont, ni que Madame de Rambaud a toujours nié - ce qui fut confirmé par sa propre fille, Madame de Générès - la prétendue "reconnaissance" de Richemont.

Cette déclaration de la Cour est donc tout simplement nulle et non avenue.



³ Le nom de Madame Fillette, dont la Cour invoque le témoignage en faveur de Richemont, ne figure pas dans la proposition de Chambre pour l'Enfant à naître dressée le 12 septembre 1784 par la duchesse de Polignac, gouvernante des Enfants de France.

Quant aux autres adeptes de Richemont, il suffit de se reporter aux deux chapitres que Maître Maurice Garçon consacre à ce peu intéressant personnage, qui ne pouvait être Louis XVII (il avait les yeux noirs !), pour être fixé sur leur naïveté.



Ces considérants, convenablement analysés, sont d'une importance capitale : la Cour se voit contrainte de reconnaître la validité des reconnaissances de Louis XVII en Naundorf par ceux-là même qui l'ont le mieux connu étant jeune.

Or l'article 323 du Code Civil prévoit expressément la possibilité de la preuve de la filiation - c'est-à-dire de l'identité d'un personnage - par témoins.


Article 323 du Code Civil

Art. 323 . A défaut de titre et de possession d'état, ou si l'enfant a été inscrit, soit sous de faux noms, soit sans indication du nom de la mère, la preuve de la filiation peut se faire par témoins.

La preuve par témoins ne peut, néanmoins, être admise que lorsqu'il existe, soit un commencement de preuve par écrit, soit des présomptions ou indices assez graves pour en déterminer l'admission.





Il en découle que les juges se sont trouvés dans l'obligation d'admettre, malgré leurs tentatives de minimiser, que Naundorf pouvait avoir été Louis XVII.

C'est-à-dire que le prétendu décédé du 8 juin 1795 avait été identifié bien vivant, en chair et en os, trente-huit ans après son prétendu décès.

Il va de soi que ces seules quelques phrases jettent dorénavant un doute ineffaçable sur l'acte de décès du fils Capet dressé le 24 prairial an III (12 juin 1795).



• 9 • Reprenant les arguments des adversaires, la Cour souligne l'étonnement de voir Naundorf n'apporter dans ses écrits aucune précision sur son évasion du Temple.



Il est exact que le prince se refuse, en réalité, à faire connaître comment il est sorti du Temple. Ce qu'il en a dit n'est pas crédible et a été avancé, la plupart du temps, sous la poussée de ses fidèles qui ont donc mauvaise grâce, ensuite, à lui en reprocher le caractère irréaliste.

Nous avons, pour notre part, analysé avec minutie les écrits du prince, et pour l'essentiel son Récit de Crossen. Nous sommes arrivés à la conclusion que ces écrits ne sont en aucun cas des textes autobiographiques, mais des testaments politiques dans lesquels le récit de sa vie ne joue guère de rôle. Vouloir y trouver le récit de son évasion consiste donc à y chercher ce qui à coup sûr ne s'y trouve pas.

Il faut néanmoins signaler une impression qui se dégage du déroulement de ce procès: en observant les sujets discutés, il semble que les participants, juges et parties confondus, ont parfois un peu trop tendance à oublier ce qui fait le fond même du procès, la question essentielle : Naundorf était-il, oui ou non, Louis XVII ?

Il est bien évident en effet que si cette identité est établie, et à notre avis elle l'a été sans conteste possible, n'en déplaise aux juges, par les identifications formelles des anciens familiers de la famille royale en 1833-4 et par l’examen post mortem à Delft en 1845, il est établi par voie de conséquence que le petit Roi est sorti vivant du Temple.

Dès lors, savoir comment, quand et grâce à qui, cela ne représente plus qu'un problème historique, certes passionnant, mais qui ne devrait en rien influer sur les décisions judiciaires.



Imposer aux appelants, ainsi que l'a fait la Cour, de démontrer d'abord l'évasion avant de démontrer l'identité de personne entre Louis XVII et Naundorf (sous chiffre 5), consiste, sous une apparence de logique chronologique, à mettre la charrue avant les boeufs.

Cette ineptie est voulue.

Quelle preuve plus éclatante, en effet, du fait que le Roi se soit évadé du Temple que de le retrouver bien vivant trente-huit ans après son prétendu décès ?



La Cour reprend aussi à son compte ce trou noir de trente-six ans entre son départ du Temple et sa réapparition en Prusse en 1831. Cette indication est fausse. Le procès tourne autour de l'identité réelle du dénommé Naundorf : ce dernier n'a pas reparu en Prusse depuis 1831, mais depuis 1810 selon les archives de la police prussienne (même si, en réalité, il devait résider à Berlin depuis novembre 1809), date à partir de laquelle on le suit très bien, ce que la Cour ne peut ignorer.

Le trou noir se réduit donc à quinze années, et même selon notre hypothèse du départ du Temple en 1793 et de l'arrivée en Prusse en 1809, à seize années, ce qui est quand même beaucoup, nous le reconnaissons.

Mais cela n'implique en rien que l'auteur des appelants n'ait pas été Louis XVII !

L'argument de la défense comme quoi il ignorait la langue française à son arrivée dans notre pays est faux : nous l'avons déjà vu.



• 10 • La Cour reprend ici contre les appelants trois fausses assertions dont elle ne cherche même pas à vérifier si elles correspondent à la réalité



¹ Les intimés prétendent tirer argument contre les appelants du fait que Naundorf aurait été de confession luthérienne.

Cette affirmation est un mensonge. Durant tout son séjour en Prusse, le prince s'est déclaré catholique, même s'il n'avait reçu aucune formation religieuse depuis qu'il avait été arraché à sa famille, le 3 juillet 1793, alors qu'il avait 8 ans ! La Cour - et les intimés - auraient pu avoir la charité chrétienne, puisqu'il s'agit de religion, de tenir compte de ces circonstances. Il est encore plus vrai que les juges, nommés par un pouvoir dont l'idéologie est fondamentalement antireligieuse, auraient dû savoir ne pas tenir compte de cette circonstance.

Il est exact que le prince s'est marié en 1818 avec Johanna Fridericke Einert devant le pasteur luthérien: c'était la procédure obligatoire en Prusse, de même que sous l'ancien régime en France seuls les curés catholiques pouvaient tenir des registres d'état civil. Il faut souligner à ce sujet que la mariée, prussienne, était de confession luthérienne et qu'un tel mariage est donc normal en tout point. Rappelons, n'en déplaise aux fanatiques, qu'un luthérien, comme tout protestant, est un chrétien et que le fait d'être chrétien, mais non catholique, n'exclue pas de la succession au trône de France.

Les intimés, en soulevant ce problème de confession, et la Cour, en le reprenant, prétendent se référer aux lois fondamentales du Royaume en y ajoutant la clause de catholicité, alors qu'il est formellement interdit d'y ajouter quoi que ce soit. Les lois fondamentales du Royaume sont des principes, immuables par nature, et non des girouettes. Ce faisant, les uns comme les autres soulignent, vraisemblablement sans s'en douter, le caractère essentiellement politique de ce procès, sous une façade de procès purement civil (voir plus haut considérant n° 2).



² Quant à l'affirmation des intimés que le prince n'a pas donné à ses premiers enfants des prénoms français ou des prénoms rappelant les princes dont il se prétendait issu, elle est proprement scandaleuse.

L'aînée, née en 1819, se prénommait Amélie, prénom fort courant en France au siècle passé. C'était aussi celui qui avait été attribué à Madame Royale lors de l'équipée de Varennes (alors que le petit Dauphin, habillé en fille, à sa grande colère, répondait à celui d'Aglaé) : ces détails se trouvent dans le Journal de Marie-Thérèse.

L'aîné des fils, né en 1821, s'appelait Charles Edouard : Charles, propre prénom usuel du Dauphin, nom de neuf Rois de France, prénom aussi du comte d'Artois !

Le second fils, né en 1831, s'appelait Louis Charles, c'est-à-dire les propres prénoms de Louis XVII, et dans l'ordre de l'acte de baptême, faisant précéder Charles de Louis, le nom de seize Rois de France, dont son propre père !

Le troisième fils, né en 1833, était Charles Edmond, alliant Charles, déjà vu, à Edmond, prénom lui aussi très courant en France au siècle dernier.

La seconde fille, née en 1823 (et décédée, hélas, deux ans plus tard) s'appelait Berthe Julie : Berhe au grand pied était la propre mère de Charlemagne.

La troisième fille, née en 1829, se prénommait Marie-Antoinette : sans commentaire !

La quatrième fille, née en 1835, s'appelait Marie Thérèse, les prénoms de sa grand-mère maternelle, impératrice d'Autriche, et de Madame Royale, la propre sœur du Dauphin !

Seuls les deux derniers enfants, deux garçons, nés l'un et l'autre en Angleterre, portent des prénoms qui sortent de l'ordinaire de la famille royale : Adelberth (1840) et Ange Emmanuel (1843). Seul Adelberth porte un prénom peu usité en France.

Que les prénoms des premiers enfants, tous nés en territoire prussien, aient été inscrits à l'état civil sous une traduction allemande par des employés ignorant selon toute vraisemblance la langue française ne change rien au fait que tous ses enfants portaient des prénoms bien français, en usage dans la famille royale, tels qu'ils étaient utilisés au foyer du prince.

Il est inadmissible que la Cour, qui sait si bien essayer de contrer les arguments des appelants, ait repris ces assertions sans un seul mot de commentaire, et sans avoir essayé d'éclaircir de point.



³ On reproche aussi à Naundorf de ne pas avoir fait état se son origine royale dans son acte de mariage en Prusse en 1818 et ne ne pas en avoir informé sa jeune épouse.

Ce dernier argument est de pure conjecture. Les appelants se gardent bien d'apporter la moindre preuve de leur affirmation. La Cour se garde, de son côté, d'en invoquer. Qui peut dire ce que Naundorf a ou n'a pas révélé à son épouse dans l'intimité ?



Quant à l'acte de mariage, pour pouvoir faire état de son origine royale, il aurait fallu à Naundorf pouvoir faire état des documents qui avaient été confiés aux autorités prussiennes et que celles-ci ont toujours refusé de restituer, alors qu'il est prouvé que ces documents ont bien été remis.

Qui plus est, le président Le Coq avait formellement interdit au prince, pour sa propre sécurité, de faire jamais mention de son origine réelle.

Nous retrouvons là les forfaitures omniprésentes dans l'histoire de Louis XVII. Il y a collusion évidente entre les autorités prussiennes et françaises pour dissimuler à tout prix l'identité réelle de Naundorf, dont elles savent très bien qu'il est Louis XVII. Dans ce cas encore, les paroles de Chateaubriand sont révélatrices (voir sous considérants n° 21).



Cette série de pseudo arguments ne relève de rien d'autre que de la plus manifeste mauvaise foi.



• 11 • La Cour reprend maintenant deux arguments pseudo scientifiques des intimés, cette fois encore sans les discuter.



¹ L'historien André Castelot avait fait réaliser l'analyse des cheveux de Naundorf et de Louis XVII enfant par le Professeur Locard, célèbre criminologiste lyonnais, qui se basait sur l'identification des individus par la position du canal médulaire dans leurs cheveux.

Après avoir donné un premier résultat favorable, le scientifique en arriva en définitive à une conclusion de non identité entre Naundorf et Louis XVII

Malheureusement, il a été prouvé par la suite que cette méthode d'analyse n'est pas fiable, la position du canal médulaire dans les cheveux n'étant pas immuable selon la place où ils ont été recueillis et leur forme plus ou moins bouclée.

D'autre part, il est aujourd'hui avéré qu'il n'existe aucune certitude que les cheveux soumis à l'examen soient ceux des personnages en question, des substitutions frauduleuses étant intervenues à l'insu de l'historien.



² Les médecins qui ont pratiqué l'examen post mortem de la dépouille de Naundorf ont relevé des cicatrices d'inoculation de la forme de celle utilisée pour les Enfants de France. Ils ne les ont trouvées qu'au bras gauche. Mais ils notent que le fort dégagement de gaz qui s'était déjà produit les empêchaient de voir toutes les marques corporelles.

Plusieurs autres marques corporelles du Dauphin ont été notées par ces médecins sur le corps de Naundorf ce qui, par simple probabilité, prouve l'identité de personne entre les deux.



Ces arguments que la Cour déclare non sans valeur en sont donc en réalité totalement dénués.



• 12 • Prétendre, comme le fait la Cour, que Naundorf se trouvait aux Pays-Bas (en non en Hollande, ce nom étant seulement celui de deux provinces des Pays-Bas, ce que la Cour ne devrait pas ignorer) depuis le 15 janvier 1845 sans papiers est inexact. Il y était arrivé muni d'un passeport délivré par le Consul Général des Pays-Bas à Londres que la police de Rotterdam lui avait confisqué à son arrivée et ne lui a jamais restitué. La date mentionnée par la Cour est, en outre inexacte, ce qui révèle le peu de soins pris par elle dans l'examen de cette affaire : c'est en réalité le 25 janvier 1845 que le paquebot Giraffe sur lequel il avait pris passage a jeté l'ancre à Rotterdam.

Il est exact que les mentions portées sur son acte de décès l'ont été, ainsi qu'il est normal, sur les indications de son fils et de Gruau de la Barre, qui ont ensemble déclaré le décès à l'état civil.

Mais le bourgmestre de Delft, avant d'accepter de rédiger l'acte de décès selon leurs dires, s'est rendu tout exprès à La Haye, siège du gouvernement néerlandais, où tant ce dernier que le roi Guillaume II des Pays-Bas lui ont donné leur autorisation formelle de mentionner sur son registre d'état civil les déclarations des deux témoins.



Il est clair qu'en agissant de la sorte, et en autorisant ensuite que la pierre tombale du défunt au Kalverbos, à Delft, où elle se trouve toujours, porte les mêmes mentions, le roi et le gouvernement des Pays-Bas proclamaient à la face du monde, qui n'a pas protesté, que le défunt était Louis XVII.

(Ill. : Pierre tombale de Louis XVII, au Kalverbos, à Delft)





La Cour n'hésite pas, pour contrer la demande des appelants, à fausser les faits.



• 13 • La Cour se retranche ensuite sur l'impossibilité pour le juge, contrairement à l'historien, de construire des systèmes aventureux car sa décision est capable d'entraîner dans le droit des personnes et des biens de graves conséquences.



¹ Dans un procès purement civil, les magistrats jugent sur documents, soit écrits, soit résultant de témoignages.

Dans le cas présent, outre l'aspect civil, ce procès présente des aspects à la fois historique et politique.

Le côté historique est évident puisqu'il s'agit de l'histoire même des événements qui se sont produits depuis la révolution.

Le côté politique résulte de façon tout aussi évidente du fait que Louis XVII, qui est au cœur de ce procès, a été, depuis son premier cri jusqu'à son dernier souffle, bien qu'il n'ait jamais eu la moindre activité politique personnelle, un personnage politique, et de toute première importance, du fait même qu'il était de naissance le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette et ensuite, par là même, l'héritier légitime du trône.

Vouloir, comme décident de le faire les juges, éliminer ces deux aspects consiste donc purement et simplement à fausser sciemment le procès.



² La raison derrière laquelle veulent s'abriter les juges est spécieuse.

Ils disent ne pas pouvoir prendre en compte les éléments dont nous venons de faire l'analyse parce que leurs décisions pourraient entraîner de graves conséquences dans l'état des biens et des personnes.

On croit rêver ! C'est la justement toute la raison d'être de ce procès !

Autrement dit, d'après ces magistrats, ils doivent bien se garder d'appliquer la loi car sans cela ceux qui ont volé à autrui son état et son patrimoine, qui lui est lié, pourraient être amenés à restituer le produit de leurs rapines !


• 14 • La Cour se livre à un examen de la validité formelle de l'acte de décès du 24 prairial an III (12 juin 1795) en ce qui concerne le respect des règles de procédure.

Cet examen semble de peu d'intérêt: ce n'est pas la validité formelle de l'acte qui est en cause, mais son contenu.

Des irrégularités se seraient-elles produites durant sa rédaction qu'elles ne prouveraient nullement, en soi, que le défunt est autre que celui qui y est mentionné.

Mais, a contrario, le fait qu'il paraisse conforme aux procédures en usage à l'époque n'apporte aucunement la preuve que l'identité réelle du défunt est bien celle qui y est mentionnée.

Ces considératrions, auxquelles les juristes se délectent, n'apportent en réalité aucun élément à la recherche de la vérité.

Les appelants ne demandent pas l'annulation de l'acte de décès de 1795 pour vice de forme, mais pour erreur dans l'identité du défunt.



• 15 • Lasne et Gomin, cela a été longuement prouvé par Maître Jules Favre lors du procès de 1874, se sont continuellement contredits entre eux et contredits eux-mêmes au fil de leurs diverses déclarations. Il est inutile d'y revenir.

Lasne et Gomin sont des faux témoins.



Prétendre, ainsi que le dit la Cour, que le fait que le juge d'instruction de 1837, Zangiacomi, apporte toute garantie parce qu'il est le fils d'un ancien conventionnel alors encore vivant est une insulte à la justice.

Autrement dit, d'après la Cour, le fait que les juges soient d'un milieu systématiquement hostile à la monarchie est, dans ce procès portant sur Louis XVII une garantie toute spéciale de compétence et d'impartialité !



• 16 • Maître Jules Favre a démontré que
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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BRH
 
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Inscription : Lundi 22 Janvier 2007 18:18:29

Message par Administrateur » Samedi 11 Août 2007 15:47:37

(16) Maître Jules Favre a démontré qu'aucun des témoins ayant appartenu à la garde nationale n'avait connu le Dauphin, si ce n'est de loin, et qu'ils étaient donc incapables de l'identifier ensuite.
Les allégations de la Cour que tout un chacun pouvait côtoyer la famille royale est une contre-vérité manifeste et indigne d'un tribunal.
Prendre comme exemple l'immonde défilé de la lie parisienne, accompagnée de la garde nationale, comme exemple de contact de ces militaires avec la famille royale est ignoble. Il suffit de se rappeler l'horrible cohue qui vint insulter le Roi et la Reine en cette journée pour constater qu'une telle rencontre ne pouvait en aucun cas permettre d'identifier le Dauphin par la suite, d'autant que, ce jour-là, on avait coiffé le malheureux enfant, paralysé de peur, de l'immonde bonnet phrygien sous lequel il étouffait. Bien malin qui aurait pu dès lors le reconnaître par la suite ! Qui plus est, ni Lasne, ni Gomin n'ont invoqué cette circonstance.
La Cour fait là l'amalgame cher à tous les anti-naundorfistes entre avoir vu à l'occasion le Dauphin et être à même de l'identifier, cette deuxième exigence, seule probante, n'étant réalisée que par ceux qui l'ont côtoyé de longue date, autrement dit par les seuls membres de la Cour de Louis XVI et du personnel au service rapproché de la famille royale.

(17) La Cour invoque ensuite le témoignage du commissaire Damont, qui se trouvait de service le 8 juin 1795.
Malgré ses dires, il ne connaissait pas plus le Dauphin que Lasne et Gomin, même s'il l'avait vu aux Tuileries, ce qui ne peut être que de loin.
En arrivant au Temple, Damont savait qu'il devait garder les enfants Capet. Il n'en savait pas plus et, pour lui, le garçon qu'il a vu dans la journée, ainsi que sa charge le lui commandait, était, sans plus ample informé, le fils de Louis XVI, qu'il était dans l'incapacité d'identifier.
C'est donc ce qu'il a déclaré aux médecins chargés de pratiquer l'autopsie qui ont reproduit ses dires dans leur rapport, selon la procédure normale.
Damont n'est pas un témoin. Notons d'ailleurs que sa déclaration, comme tous les témoignages du temps de la "restauration", a dû attendre 1817, époque où les espoirs de voir ressurgir Louis XVII s'étaient évanouis, pour être formulée: comme toutes les autres attestations de l'époque, elle va dans le sens souhaité par Provence. Curieux gage de probité !

[18] La Cour prend ensuite à son compte les déclarations du commissaire Guérin, qui arriva pour prendre son service le 10 juin à midi : l'enfant était décédé depuis deux jours et autopsié depuis vingt-quatre heures.
Le corps, depuis le décès, reposait sur une table, sans aucun système de refroidissement, inconnu à l'époque. On était au mois de juin. On peut juger, par ces détails, de la vue et de l'odeur !
Qui plus est, le cadavre avait les yeux fermés et le crâne rasé. En outre, après avoir remis en place la calotte crânienne sciée pour permettrre l'examen du cerveau, le docteur Pelletan avait entouré la tête dans un linge.
C'est ainsi que Guérin, qui exige de reconnaître le corps (ce que personne ne lui demandait !), se plante sur le pas de la porte, sans pénétrer dans la pièce (on le comprend !) et, voyant de loin le cadavre, s'écrie qu'il le reconnaît !
Comme faux témoin, on ne fait pas mieux !

Mais la Cour a encore l'audace d'ajouter que l'on doit d'autant plus ajouter foi au témoignage de Guérin que celui-ci était un ancien procureur au Châtelet connaissant la valeur et l'importance de telles déclarations.
Ce qui ne fait, en réalité, qu'aggraver son cas!

(19) La Cour aborde ensuite la question de l'attitude de la duchesse d'Angoulême. Elle ne met bien entendu pas en doute une seule seconde qu'elle soit la fille de Louis XVI. Nous avons déjà démontré qu'il n'en est rien, que cela n'est pas possible et qu'il s'agit selon toute vraisemblance d'une bâtarde de Provence.

° La Cour dit que, si son témoignage a pu paraître intéressé jusqu'en 1830 alors qu'elle était l'épouse de l'héritier du trône, cet aspect disparaît alors qu'elle vivait en exil après l'abdication de son mari.
Mariée à un impuissant, sans enfant par conséquent, la duchesse a reporté une affection passionnée sur les enfants du duc de Berry et singulièrement sur le garçon, qui était en outre son filleul et qui, pour les légitimistes, a toujours été Henri V. La duchesse n'a vécu que pour le voir monter sur le trône. À Frohsdorf, on l'appelait d'ailleurs «la Reine» (titre auquel elle n'avait d'ailleurs aucun droit). Le décès d'Artois d'abord, d'Angoulême par la suite, n'a fait que lui donner le champ libre à cet effet.
La duchesse d'Angoulême était donc bel et bien intéressée à ne pas reconnaître Naundorf.

1°) Quant aux déclarations de la duchesse d'Angoulême concernant le décès de Louis XVII, bien loin de ne retenir que les déclarations affirmatives reprises à titre exclusif par la Cour, il faut souligner avec force qu'à ce sujet elle a dit tout et le contraire de tout.
En ce qui concerne sa prétention de ne pas avoir pu préférer son oncle à son frère, il faut la réviser en y plaçant les liens de parenté exacts et il n'est dès lors pas étonnant qu'elle ait préféré son père à un cousin, cousin par sa propre bâtardise qui plus est.

2°) Un autre aspect de la question, fort déplaisant d'ailleurs, est évoqué - peut-on dire ingénument de la part de magistrats ? - par la Cour : la duchesse a fait du comte de Chambord, ex-duc de Bordeaux, mais toujours Henri V pour ses fidèles, son légataire universel.
Il convient dès lors de préciser que ce même comte de Chambord, à son décès, en 1883, laissera à ses héritiers, ses neveux par sa sœur, une fortune estimée à l'époque à 107 millions de francs-or (environ quinze milliards de francs actuels en 1998 !).
Voilà qui donne son véritable éclairage au caractère désintéressé de la duchesse d'Angoulême dans cette affaire!

3°) Et ce d'autant plus que la Cour suppose (sans apporter le moindre élément convaincant à ce sujet) que, si elle avait eu le moindre doute sur la mort de son frère, elle aurait fait en sorte, dans ses dernières volontés, de donner, à lui ou à ses descendants, la possibilité de toucher une partie de ses biens.
L'expression est délicieuse….Mais quelle réalité recouvre-t-elle?
La "restauration" avait rétabli le droit d'aînesse. Si donc la duchesse d'Angoulême avait reconnu Louis XVII, étant donné qu'il était le seul descendant mâle, c'est lui qui aurait recueilli la quasi-totalité de la fortune de leurs parents.
Adieu, dès lors, les 107 millions de francs-or !
Veut-on nous faire croire que cette femme, quelle qu'elle soit, qui avait vécu un premier long exil dans une quasi-misère, et qui, alors, en vivait un second dans l'opulence, se serait dépouillée en faveur d'un frère, elle dont la dureté et la sécheresse de cœur avait étonné tout son entourage (traits de caractère absolument étrangers à la vraie fille de Louis XVI) ?
Veut-on nous faire croire que cette même femme, qui agissait comme une mère vis-à-vis du comte de Chambord et en était arrivée à se considérer quasiment comme telle, aurait volontairement dépouillé d'un bien, même usurpé, l'objet chéri de tous ses soins, son presque fils ?
Le simple bon sens et l'expérience humaine - hélas ! - s'insurge contre une telle hypothèse.

(20) La Cour étudie ensuite les attitudes des royalistes de l'époque de la révolution.

1°) Affirmer que tous ceux qui ont été mêlés aux intrigues royalistes de ces époques ont été affirmatifs sur la mort de Louis XVII au Temple est une contre-vérité manifeste. Nous avons déjà signalé que des personnes comme Monsieur Joly de Fleury et l'impératrice Joséphine ont attesté avoir contribué à l'évasion du petit Roi. Que leur bonne foi ait été trompée à ce sujet n'enlève rien à la fausseté de l'affirmation de la Cour.

2°) Quant au général Louis comte de Frotté, qui n’est jamais revenu à Paris après août 1792, il faut signaler qu'il n'a jamais vu en personne l'enfant du Temple. Ce qu'il en écrit ne peut donc en aucun cas refléter des constatations personnelles, mais des rapports qu'il a reçus. Ses dires confirment bien qu'il ne l'a jamais vu, mais n'auraient pas dû lui permettre de tirer une conclusion aussi définitive que celle qu'il énonce puisqu'en réalité il ne sait rien de ce qui s'est vraiment passé au Temple, malgré toute la considération que l'on a pour ce fidèle de la monarchie.
Il faut ajouter que le réseau Atkyns était composé d'un ramassis d'aigrefins dont le but, qu'ils ont atteint d'ailleurs, était uniquement de dépouiller à leur profit une femme généreuse mais trop crédule dans sa fidélité à la monarchie : Frotté a cherché, sans succès, à la prévenir.
La Cour affirme qu'il a payé de sa vie sa fidélité. C'est beaucoup s'avancer. Si Frotté était sans nul conteste un fidèle de la monarchie, personne n'a jamais su au juste pour quelles obscures raisons il avait été arrêté alors qu'il voyageait sous sauf-conduit et exécuté après un simulacre de jugement. D'autres, qui se sont trouvés en déplacement dans les mêmes conditions, n'ont pas eu d'ennuis. Bien malin qui pourrait donner les raisons exactes de l'exécution arbitraire de Louis de Frotté.

3 Le manifeste de Charette et les textes des autres généraux vendéens ne prouvent strictement rien quant à l'identité de l'enfant décédé au Temple le 8 juin 1795. Ces officiers ne se sont jamais rendus à Paris durant la captivité de la famille royale. Dans leurs manifestes, ils se bornent donc à reprendre l'annonce officielle du décès et à relever l'évidente mauvaise foi de leurs interlocuteurs républicains lors des traités de pacification.
Ils ne disposaient d'aucun élément pour affirmer ou infirmer la présence réelle de Louis XVII au Temple, devant se borner, comme l'ensemble de la population, aux affirmations des pouvoirs en place, hors d'état qu'ils étaient d'en contrôler la véracité.
Ces textes ne peuvent donc en aucun cas être pris pour preuve de l'identité de l'enfant du Temple.
Il est à remarquer, à ce sujet, que les juges se gardent bien d'invoquer les articles secrets des traités de pacification et singulièrement de celui de La Jaunaye, articles dont l'existence est certaine malgré les dénégations des républicains…. qui ne les ont pas appliqués ! Il est vrai qu'il aurait fallu alors expliquer ce qui empêchait de remettre le petit Roi aux Vendéens, comme prévu dans ces articles, ou aux puissances comme l'Espagne, qui le réclamait….Mais, pour cela, encore aurait-il fallu que le petit prisonnier du Temple soit encore le Roi !
Tant qu'à invoquer des témoignages, autant les invoquer tous….

(21) La Cour, pour terminer, se réfère à Chateaubriand qu'elle considère comme particulièrement qualifié pour donner son opinion sur la survivance de Louis XVII.
Le divin vicomte, diplomate de profession par intermittence qui, avant de servir la "restauration", avait servi l'Empire à Rome et au Valais, signe s'il en est d'indéfectible fidélité à la monarchie, a été ambassadeur de Provence à Berlin et à Londres, ainsi que son ministre de l'Intérieur d'abord, des Affaires Etrangères ensuite.
Il est donc hors de doute que ce personnage connaissait parfaitement le dossier Louis XVII…dans le sens souhaité par Provence !
Quand il intervient à la Chambre pour demander qu'un monument soit élevé en souvenir de Louis XVII, il est très explicite sur le genre de monument qu'il propose aux députés d'ériger, car en parlant du fils de Louis XVI il s'écrie : Il vous demande un tombeau !. Il faut reconnaître qu'on ne saurait être plus clair…
Chateaubriand n'est pas un témoin crédible.
En le citant, par conséquent, la Cour montre le bout de l'oreille : il ne faut en aucun cas que soit proclamée une possibilité quelconque de survie de Louis XVII
Tout le reste est littérature !

Le verdict
Il va de soi que, dans ces conditions, les appelants ne pouvaient être que déboutés. L'arrêt de la Cour d'Appel fut rendu le 7 juillet 1954. En suivant notre analyse de cet arrêt, chacun aura pu se faire sa propre idée du degré d'impartialité et de bonne foi qu'il peut reconnaître à ces juges.

COMMENTAIRES SUR CES TROIX JUGEMENTS

Nous venons de voir ce que l'on peut dire rapidement sur ces trois jugements, et singulièrement sur le dernier que certains n'hésitent pas à regarder comme un modèle d'objectivité. Il ressort de notre analyse, qui permet de se faire une idée de cette objectivité, une opinion nettement moins favorable.

1°) Une inégalité frappante
Chacun peut dans notre pays, a-t-on coutume de proclamer (mais est-ce bien vrai ?), avoir et exprimer ses propres opinions, fussent-elles fausses.
Mais quand on examine de près un arrêt dans lequel pratiquement chaque paragraphe appelle à des commentaires rectificatifs, où on doit signaler nombre d'erreurs allant toutes dans le sens défavorable aux appelants, où se trouvent des affirmations délibérément fausses et des omissions étranges, on est en droit de s'étonner de le voir qualifier d'objectif.

2°) Des lueurs favorables
La Cour cite les travaux des historiens dont les plus nombreux, admet-elle, se sont prononcés dans le sens d'une évasion du jeune Roi. Sans se dire convaincue par ces recherches, ce qui est son droit, elle leur reconnaît cependant une valeur indéniable.
Elle relève par contre que les thèses sont nombreuses et contradictoires (et la situation ne s'est pas améliorée sur ce plan !). Il s'agit néanmoins en l'occurrence d'une avancée sérieuse dans l'esprit des juges.
La Cour n'a pas à trancher entre divers travaux historiques contradictoires. C'est une évidence qu'on aurait souhaitée inébranlable. Sous cet aspect, on peut reconnaître aux magistrats de 1954 un certain esprit d'objectivité.
Sous réserve néanmoins de ce que nous avons souligné : l'affaire Louis XVII, sous ses aspects de procès civil, du fait même de la personnalité qui est au centre des débats, est un procès à la fois historique et politique.

3°) Les identifications de Louis XVII
La Cour reconnaît la valeur des dépositions de l'entourage de la famille royale avant et pendant les événements. C'est un élément très important qui est désormais avalisé par la justice, ce qui aurait dû être le cas depuis le premier jugement.

4°) L'impossible tâche des juges
Le fond de la cause, sous le paravant commode d'un banal procès civil, est en réalité une affaire d'État, et qui dure maintenant depuis deux siècles : la dévolution de la couronne de France. La raison d'Etat et la Justice n'ont jamais fait bon ménage : la première a été inventée pour, entre autres et ceci de tous temps, écarter ou paralyser l'action de la seconde.
Les magistrats contraints, vu leur fonction et leur position, de s'y soumettre n'en peuvent mais. Nous aurions, pour notre part, plutôt tendance à les plaindre.
Tous les reproches que nous avons adressés à ces arrêts concernent en réalité non pas les magistrats, mais les régimes auxquels ils ont servi de paravents et qui se sont succédés en France depuis deux siècles et qui sont tous, y compris la prétendue restauration, d'obédience révolutionnaire. Tant que la France demeurera plongée dans cette idéologie pernicieuse, aucune décision ne sera favorable, sous aucune forme, à la survivance de Louis XVII, envers et contre tout.


FALLAIT-IL LANCER CES PROCÈS ?
Arrivés à ce stade de notre étude, une question se pose tout naturellement à notre esprit : le prince et ses descendants ont-ils été bien inspirés en lançant ces procès?
Pour notre part, nous serions tentés à priori de répondre : non !

Ils n'auront convaincu personne. Ceux qui s'intéressent au sort de Louis XVII, quelle que soit leur opinion à ce sujet, n'en auront pas changé pour autant.
Quant au commun des Français, soit il demeure indifférent à l'affaire, soit il s'arrête au côté négatif des décisions, qui possèdent à ses yeux l'autorité de la chose jugée et font donc reculer dans leur esprit la cause de Louis XVII, au profit des prétendants des branches cadettes.

Le prince, on le sait, était essentiellement bon (aimable trait de caractère qu'il avait hérité de son père), d'une bonté qui frisait trop souvent la naïveté. On comprend son désir et celui des siens de voir reconnaître leur véritable filiation: cette aspiration est naturelle sur le plan de la morale.
Mais ce souhait prend, vu justement cette filiation qui est la leur, une coloration politique inévitable. Avoir prétendu que leur requête ne visait que le nom et la nationalité est de leur part soit une grosse ficelle, soit une invraisemblable naïveté. Proclamer, selon l'expression consacrée, que l'on fait confiance à la justice de son pays part certes d'un bon sentiment et fournit de belles envolées lyriques. Mais la réalité concrète est plus terre à terre et rend un son autrement plus dur.
Comment ont-ils pu ignorer que le simple fait, pour les tribunaux français, de leur reconnaître leur filiation royale aurait fait d'eux, ipso facto, les Rois de France ? Comment leurs conseillers juridiques n'ont-ils pas eu conscience de cette conséquence inéluctable en cas de réussite ? Par quelle aberration, dès lors, ont-ils pu s'imaginer un seul instant que les tribunaux de régimes qui reposaient dès le départ sur la négation même de la survivance du fils de Louis XVI, des régimes fondés dès l'origine sur le mensonge et la mauvaise foi, pourraient jamais leur donner raison ? Se sont-ils imaginé qu'en 1851, puis en 1872 lors de la formulation du premier appel (jugé en 1874), l'écroulement de régimes à façade monarchique remplacés par des républiques leur fournirait l'occasion de faire triompher leur cause ? Comment ont-ils pu oublier que c'est justement la république qui s'est établie sur les ruines du pouvoir de leur ancêtre ?
Pour nous, ce comportement de leur part demeure inexplicable. Sauf à admettre leur certitude que les plaignants seraient déboutés et que chaque échec devant la justice républicaine les éloignerait un peu plus de la reconnaissance nationale.
Qui plus est, malgré le renom de certains de leurs défenseurs, il semble que leurs actions aient été mal menées et basées trop souvent sur des documents ou des éléments douteux, comme les trois fausses lettres de Laurent ou l'invraisemblance de l'évasion par double substitution et transfert au quatrième étage de la tour, par exemple.

Et pourtant, nous devons reconnaître que, bien malgré eux sans doute, les juges de 1954, en admettant d'une part qu'une évasion était possible et d'autre part que les dépositions des membres de la Cour de Louis XVI qui avaient identifié Louis XVII en Naundorf étaient recevables (enfin !), ont jeté sur l'acte de décès du 24 prairial an III un doute tel que ce document ne peut plus désormais servir de preuve à aucun titre.
Ce faisant, la Cour laisse comprendre qu'elle ne sait plus qui est réellement le défunt du 8 juin 1795.

C'est là une conséquence très heureuse de ce long conflit judiciaire puisqu'elle ôte aux adversaires de la survivance l'unique document qui leur servait d'étendard en toute occasion.
Il nous faut donc constater que, malgré notre impression première défavorable, ces jugements ont abouti à un résultat concret très positif bien que sans caractère officiel.

Les considérants 1 à 21 de l'Arrêt de la Première Chambre de la Cour d'Appel de Paris le 7 juillet 1954 sont repris ci-dessous sous forme de tableau :

REFERENCE TEXTE POUR LA SURVIE CONTRE LA SURVIE VALEUR
(1) Déclare les appelants recevables. Annonce la possibilité du procès. Sans autre signification.
(2) Dit que les juges précédents ne peuvent être considérés comme prévenus contre les appelants. Faux et faussement présenté.
(3) Témoins tous disparus. Les seuls documents nouveaux sont des études historiques, diverses dans leurs conclusions. Exact, mais sans signification en soi.
(4) Les esprits généreux n'ont pas voulu croire à la mort. Sans signification.
(5) On a éliminé des documents faux. Vrai mais sans signification.
(6) Aucun monarchiste n'a dit l'avoir fait évader. Faux et faussement présenté.
suite 1 Otage des révolutiionnaires. Vrai mais faussement présenté.
suite 2 Attitude douteuse de Provence. Vrai mais faussement présenté.
suite 3 Refus du coeur et des cheveux par la Duchesse d'Angoulême. Sans signification, compte tenu de sa personnalité.
suite 4 Squelette de Sainte-Marguerite est celui de l'autopsié. Vrai mais nié par la Cour.
suite 5 Silence des participants au drame. Sans signification et faussement présenté.
suite 6 Mesures exceptionnelles de surveillance. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 7 Paroles de Mathieu. Paroles de Mathieu. Sans signification.
suiite 8 Paroles de Cambacérès. Paroles de Cambacérès. Faussement présenté.
(7) Naundorf n'étant pas son nom, c'est qu'il est Louis XVII. Faux. .Rejeté par la Cour.
(8) Témoignages de Madame de Rambaud et de Messieurs Marco de Saint-Hilaire, de Joly et Brémond. Vrai. Accepté par la Cour, mais minimisé par la Cour.
suite Madame de Rambaud a aussi reconnu Richemont. Faux mais avalisé par la Cour.
(9) Pas de détails sur l'évasion. Vrai mais faussement présenté.
suite 1 Il faut prouver l'évasion avant de prouver l'identité. Manoeuvre tendancieuse de la Cour.
suite 2 Trou noir de plusieurs années. Vrai mais sans signification.
(10) Naundorf était luthérien. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 1 Prénoms de ses enfants non français et non royaux. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 2 N'a pas révélé son origine royale. Faussement présenté.
(11) Trichoscopie du docteur Locard. Trichoscopie du docteur Locard. Résultat non probant mais avalisé par la Cour.
suite Cicatrice d'inoculation sur le seul bras gauche. Faux mais avalisé par la Cour.
(12) Naundorf était sans papiers aux Pays-Bas. Faux mais avalisé par la Cour.
suite Origine royale résultant des seules déclarations du fils. Faux mais avalisé par la Cour.
(13) Les juges ne peuvent entrer dans un système. Faux-fuyant adopté par la Cour.
suite Décision des juges pourrait avoir des répercussions sur l'état des biens et des personnes. C'est l'objet même du procès!
(14) Validité formelle de l'acte de décès du 24 prairial an III. Sans signification.
(15) Les témoignages de Lanne et de Gomin sont recevables. Faux témoins prouvés mais avalisés par la Cour.
suite Juge Zangiacomi, fils de conventionnel. Manoeuvre de la Cour.
(16) Les gardes nationaux ont vu le Dauphin. Non témoins prouvés mais avalisés par la Cour.
(17) Le témoignage du commissaire Damont est recevable. Non témoin prouvé mais avalisé par la Cour.
(18) Témoignage de Guérin recevable et particulièrement probant en qualité de procureur au Châtelet. Archétype du faux témoin mais avalisé par la Cour.
(19) La Duchesse d'Angoulême n'était pas intéressée par le problème dynastique. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 1 Elle était certaine de la mort de Louis XVII. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 2 Elle aurait fait en sorte qu'une partie de son bien soit attribuée à Louis XVII. Faux mais avalisé par la Cour.
(20) Les royalistes de l'époque étaient tous persuadés de la mort de Louis XVII. Faux mais avalisé par la Cour.
suite 1 Le général de Frotté était sûr de la mort au Temple. Non témoin mais avalisé par la Cour.
suite 2 Les chefs vendéens reconnaissent la mort de Louis XVII au Temple dans leur manifeste. Non témoins mais avalisés par la Cour.
(21) Lettre de Chateaubriand à Monsieur Albouys. Formidable aveu s'il en fut !
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Re: L'affaire Louis XVII et la justice

Message par BRH » Samedi 28 Mai 2016 13:34:11

A la vérité, ces trois "jugements" sont un monument de honte dédié à la servitude, à la soumission, à la partialité et à l'iniquité de la magistrature française, de tous temps et sous tous les régimes !
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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