par VR » Lundi 16 Avril 2007 21:02:18
Bonjour à tous.
Je me permet d'intervenir dans cette discussion. Et sans doute cette intervention sera la dernière de ma part.
BRH pense pouvoir lier la position de L16 vis à vis de la guerre à sa position vis à vis des émigrés. Cela reviens un peu à dire : BRH a une tête ; un âne a une tête : donc BRH est un âne... ce que personne ne peut soutenir, bien sur.
Je tiens à dire, avant de développer mon point de vue, que je suis en tout point l'avis de Duc de Raguse : si pour Marie Antoinette les choses sont claires, il n'en est rien pour Louis vu que :
1 - nous avons très peu de documents autographes de la main du Roi ;
2 - Louis était un roi très secret par caractère, mais aussi de par la situation bien particulière dans laquelle il se situait. Pas la peine de développer là dessus.
Mais il existe tout de même quelques documents AUTOGRAPHES du Roi quant à ses relations avec les émigrés.
Et le document le plus clair sur la position du roi vis à vis des émigrés est la lettre qu'il écrit à ses frères le 15 septembre 1791. Il s'agit non seulement d'une lettre autographe, mais en plus d'un document non officiel, c'est à dire dans lequel le roi peut parler librement et, surtout, sans que ses propos puissent être suspect de double jeu... puisque le public ne devait pas en être mis au courant !. Ce qui n'a pas empêché certains historiens de remâcher la théorie, si simple, de la trahison du Roi.
Mais laissons parler ce Roi que, du derrière de votre petit écran, vous vous plaisez à mépriser si facilement :
« Vous êtes instruits sans doute que j'ai accepté la Constitution, et vous connaissez les raisons que j'en ai données à l'Assemblée [--par les journaux--] ; mais elles ne doivent pas suffire pour vous ; je veux vous faire connaître tous mes motifs.
« L'état de la France est tel qu'elle touche peut-être à une dissolution totale, et qui ne sera qu'accélérée si l'on veut porter des remèdes violents à tous les maux qui l'accablent. L'esprit de parti qui la divise, et l'anéantissement de toutes les autorités sont les causes de ses malheurs. Il faut donc faire cesser les divisions et rétablir l'autorité du Gouvernement ; mais pour cela, il n'y a que deux moyens : la force ou la réunion.
« La force ne peut être employée que par des armées étrangères, et ce moyen n'est que la ressource de la guerre. Un Roi peut-il se permettre de la porter dans ses États, et le remède n'est-il pas pire que le mal ? Je sais qu'on se flatte de réunir des forces immenses qui, en ne laissant pas la possibilité de la résistance, empêcheraient la guerre ; mais a-t-on bien réfléchi à l'état du royaume et à l'intérêt de tous ceux qui ont aujourd'hui de l'autorité ? Tous les chefs, c'est-à-dire ceux qui sont en possession d'émouvoir le peuple [agiter], croiront avoir trop à craindre pour se rendre à discrétion ; jamais ils ne pourront se persuader qu'ils obtiendront l'oubli ou le pardon de leurs fautes. L'offre d'une amnistie ne saurait les rassurer. Ils penseront au contraire pouvoir faire une meilleure composition [--accord--] les armes à la main qu'en se livrant sans combattre. Ils se serviront des gardes nationales et autres citoyens armés et se les attacheront sous couleur de défendre la cause du peuple et de s'opposer à ses ennemis. Ils commenceront même la guerre en se jetant sur les aristocrates pour rendre les partis plus divisés. Ce premier exemple donné à Paris et par l'Assemblée ne sera-t-il pas suivi dans l'intérieur du royaume ? Il faut remarquer qu'il y a dans tous les départements des hommes qui ont commis chez eux les mêmes violences que les principaux chefs de la révolution, qu'ils craindront pour eux le même traitement, et que se trouvant aujourd'hui à la tête de l'administration, ils auront à la fois l'intérêt et le moyen d'armer le peuple. Voilà donc toute la France armée, et le peuple poussé à toutes les violences contre ce qu'on appelle aristocrates [ceux pour la monarchie et le roi]. Qui peut dire combien de malheurs en seront la suite ? Toutes les familles de ceux qui auront passé à Coblentz seront peut-être égorgées. S'ils triomphent, ils voudront se venger ; combien de sang répandu ! et comment l'éviter lorsqu'on a imbu le peuple de l'idée — que les propos en Flandre et en Allemagne n'accréditent malheureusement que trop — que les émigrants ne voulaient que se venger, et que si le secours des Puissances étrangères leur manquait, ils entreraient en France avec leurs seules forces, et que certains de périr, ils ne périraient pas du moins sans vengeance.
« La guerre sera donc inévitable parce que tous ceux qui sont en autorité se trouvent intéressés à la faire ; elle sera horrible parce qu'elle aura pour principe la violence et le désespoir. Un Roi peut-il de sang-froid envisager tous ces malheurs et les appeler sur son peuple ?
« Je sais que les Rois se sont toujours fait honneur de regagner par la force ce qu'on voulait leur arracher ; que de craindre alors les malheurs de la guerre s'appelle faiblesse. Mais j'avoue que ces reproches m'affectent moins que les malheurs du peuple, et mon cœur se soulève en pensant aux horreurs dont je serais la cause.
« Je sais combien la Noblesse et le Clergé souffrent de la révolution — tous les sacrifices qu'ils avaient si généreusement proposés n'ont été payés que par la destruction de leur fortune et de leur existence —. Sans doute on ne saurait être plus malheureux et l'avoir moins mérité. Mais pour des crimes commis faut-il en commettre d'autres ? Moi aussi j'ai souffert, mais je me sens le courage de souffrir encore plutôt que de faire partager mes malheurs à mon peuple.
« Qui peut d'ailleurs se flatter de réparer tant d'injustices ? On compte beaucoup sur le succès de la guerre. En effet, des gardes nationales et des régiments sans officiers ne doivent pas résister longtemps à des troupes bien disciplinées et à l'élite de la Noblesse. Mais ces troupes étrangères ne pourront pas se fixer dans le royaume, et lorsqu'elle n'y seront plus, comment gouvernera-t-on si l'insubordination recommence ? Et comment l'éviter si l'esprit de la nation n'est pas changé ? Je sais qu'on se flatte parmi mes sujets émigrés d'un grand changement dans les esprits. J'ai cru longtemps qu'il se préparait, mais je suis détrompé aujourd'hui. La Nation aime la Constitution parce que ce mot ne rappelle à la classe inférieure que l'indépendance où il vit depuis deux ans, et à la classe au dessus, l'égalité. Ils blâment volontiers tel ou tel décret en particulier, mais ce n'est pas là ce qu'ils appellent la Constitution. Le bas peuple voit que l'on compte avec lui, le bourgeois ne voit rien au dessus ; l'amour-propre est satisfait ; cette nouvelle jouissance a fait oublier toutes les autres. Les pertes qu'ils éprouvent leur paraissent toucher à leur terme. Ils n'attendaient que la fin de la Constitution pour être parfaitement heureux ; la retarder était à leurs yeux le plus grand crime parce que tous les bonheurs devaient arriver avec elle. Le temps leur apprendra combien ils se sont trompés, mais leur erreur n'en est pas moins profonde. Si l'on entreprenait aujourd'hui de la renverser, ils n'en conserveraient l'idée que comme celle du plus grand moyen de bonheur : et lorsque les troupes qui l'auraient renversée seraient hors du royaume, on pourrait avec cette chimère les remuer sans cesse, et le Gouvernement se trouverait dans un système opposé à l'esprit public, et sans moyen pour le contenir [--faire expérience de la constitution pour en voir l’erreur--]. On ne gouverne jamais une nation contre ses habitudes [-- Louis l’a toujours pensé--]; cette maxime est aussi vraie à Constantinople que dans une république ; les habitudes actuelles de cette nation sont dans les Droits de l'Homme, tout insensés qu'ils sont [-- manque de sens tant que non précisé par la loi ; mais il en a accepté les principes cf avt --]. Une force immense ne pourrait pas la gouverner longtemps dans une opinion contraire. Comment le pourrait-on lorsque cette force ne serait plus ?
« Je sais tous les secours qu'on peut attendre des Français armés qui resteraient auprès du trône [--ironie--] ; mais leurs forces pourraient-elles dominer longtemps celles de la multitude ? Ne faut-il pas une armée ? Ne la faut-il pas subordonnée ? et où la trouver lorsque les idées d'indépendance ont germé dans toutes les classes, et lorsqu'elles seront encore les plus chères et les plus dominantes ? D'ailleurs cette Aristocratie qui serait l'appui et la ressource de la Royauté, est-elle bien unie dans un même esprit ? N'a-t-elle pas ses partis et ses opinions diverses ? Ceux qu'on appelle aristocrates à Paris, le seraient-ils dans d'autres endroits ? S'il faut en croire les gens instruits, il y a autant de partis dans ce système que dans l'autre. Tel veut l'ancien ordre de choses, tel les Etats Généraux, tel le gouvernement anglais. Dans ces différents partis, qui seraient encore plus divisés entre eux s'ils venaient à être les plus forts, et dont plusieurs composeraient (s'entendraient) plutôt avec les Jacobins qu'avec une division de l'Aristocratie, quelle véritable force pourraient-ils donc donner au gouvernement ? J'y ai bien pensé, et j'ai vu que la guerre ne présentait d'autres avantages que des horreurs et toujours de la discorde. J'ai donc cru qu'il fallait éloigner cette idée, et j'ai cru devoir essayer encore des seuls moyens qui me restaient : la réunion de ma volonté aux principes de la Constitution.
« Je sens toutes les difficultés de gouverner ainsi une grande nation ; je dirai même que j'en sens l'impossibilité ; mais l'obstacle que j'y aurais mis aurait porté la guerre que je voulais éviter, et aurait empêcher le peuple de bien juger cette Constitution, parce qu'il n'aurait vu que mon opposition constante. En adoptant ses idées, en les suivant de bonne foi, il connaîtra la cause de ses malheurs ; l'esprit public changera, et puisque sans ce changement on ne pouvait espérer que des convulsions nouvelles, je marchais mieux vers un meilleur ordre de choses par mon acceptation que par mon refus.
« J'ai donc préféré la paix à la guerre, parce qu'elle m'a paru à la fois plus vertueuse et plus utile ; je me suis réuni au peuple parce que c'était le seul moyen de le ramener, et entre deux systèmes, j'ai préféré celui qui ne m'accusait ni devant mon peuple, ni devant ma conscience. En prenant ce parti, serai-je encore exposé aux reproches d'une partie de mes sujets dont les malheurs m'occupent plus que leurs injustices. Je plains la Noblesse, le Clergé, toutes les victimes de la révolution ; mais lorsque mon devoir se combine avec leurs intérêts, ne dois-je en attendre que des sentiments indignes d'eux et de moi ? Leur estime m'est chère, parce qu'elle est le droit le plus ancien et le plus beau de ma Couronne, et je me voudrais du mal à moi-même, si jamais j'avais pu penser qu'étant auprès de mes frères, ils pussent oublier leurs devoirs envers leur Roi. Ils honorent trop la vérité pour ne pas estimer les sacrifices que je lui fais.
« J'ai voulu vous faire connaître les motifs de mon acceptation, pour que votre conduite fût conforme à la mienne. Votre attachement pour moi, et votre sagesse doivent vous faire renoncer à des idées dangereuses que je n'adopte pas. Vous seriez bien injustes, si vous ne pensiez pas combien je suis occupé de votre position.
«Que les princes se conduisent de manière à m'épargner des décrets que l'Assemblée pourrait me présenter contre eux ; que la conduite de tout ce qui vous entoure soit telle qu'on ne puisse pas me soupçonner des intentions contraires au système que je vais suivre. Le courage de cette Noblesse, qui mérite un grand intérêt, serait sans doute mieux entendu si elle rentrait en France pour augmenter la force des gens de bien, au lieu de servir les factieux par sa réunion et par ses menaces. Qu’elle se conduise de manière que la multitude égarée dans l’ivresse de la nouveauté, cesse de croire que les aristocrates sont ses ennemis ; qu’au contraire ils se montrent désirer véritablement son bonheur, et ne lui donner plus d’inquiétudes. Je suis persuadé qu’en peu de temps ils regagneront une partie de ce qu’ils ont perdu ; qu’ils se persuadent bien qu’à présent la lutte sera entre la presque totalité du peuple, mais que si on lui donne le temps de regarder sur lui, et qu’on le désintéresse sur ce qui le touche personnellement, elle sera réduite entre un petit nombre d’ambitieux et d’intrigants qui veulent s’élever au dessus de la place où la nature les a mis. La véritable Noblesse aura alors beau jeu pour rentrer dans toute sa considération et dans une partie de ses droits. Ce que je dis de la Noblesse peut s’appliquer de même à la Royauté.
Voilà les paroles du Roi. Comme Louis a envoyé une copie à l'Empereur son beau frère l'Empereur Léopold 2, ce dernier pourra répondre aux frères du Roi : "Non seulement je crois que le Roi mon beau frère a sérieusement accepté la Constitution et répugne à toute idée de contre révolution (--là sans doute il s'engageait tout de même un peu--), mais je le sais de source certaine. Vos Altesses Royales le savent aussi: il vous a communiqué ses dispositions véritables par un mémoire secret qui renferme sur le parti qu'il a pris des motifs et des arguments supérieurs à ceux qu'on allègue en faveur du contraire."