par A.Lionel » Samedi 14 Avril 2007 03:20:03
Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, Accusateur public du Tribunal criminel extraordinaire et révolutionnaire étably à Paris par decret de la Convention nationale du dix mars dernier, sans aucun recours au Tribunal de cassation, en vertu des pouvoirs à lui donnés par autre décret de la Convention du cinq avril présent mois par l’article second portant que l’Accusateur public dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur dénonciation des autorités constitués ou des citoyens :
Expose que suivant un décret de la Convention du premier août dernier, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au Tribunal Révolutionnaire, comme prévenue d’avoir conspiré contre la France ; que par autre décret de la Convention, du 3 octobre, il a été décrété que le Tribunal Révolutionnaire s’occuperoit sans délai et sans interruption du jugement ; que l’accusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du premier mois de la seconde année, vulgairement dits 11 et 12 octobre présent mois ; qu’il a été aussitôt procédé, par l’un des juges du tribunal, à l’interrogatoire de la veuve Capet ; qu’examen fait de toutes les pièces transmises par l’accusateur public, il en résulte qu’à l’instar des Messalines Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifioit autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français ; qu’avant même l’heureuse révolution qui a rendu au peuple français da souveraineté, elle avoit des rapports politiques avec l’homme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie ; que ces rapports étoient contraires à l’intérêt de la France ; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme et exécrable Calone, d’avoir dilapidé les Finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents des ses intrigues criminelles, il est notoire qu’elle a fait passer à différentes époques, à l’empereur, des millions qui lui ont servi et servent encore à soutenir la guerre contre la République, et que c’est par ces dilapidations excessives qu’elle est parvenue à épuiser le trésor national ;
Que depuis la Révolution, la veuve Capet n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères et dans l’intérieur de la République, par des agens à elle affidés, qu’elle soudoyoit et falsoit soudoyer par le cydevant trésorier de la liste civile ; qu’à différentes époques, elle a usé de toutes les manoeuvre qu’ell croyoit propres à ses vues perfides pour opérer une contre-révolution ; d’abord ayant, sous prétexte d’une réunion nécessaire entre les cydevant gardes du corps et les officiers et soldats du régiment de Flandre, ménagé un repas entre ces deux gardes corps, le premier octobre mil sept cent quatre vingt neuf, lequel est degeneré en une véritable orgie, ainsi qu’elle le désiroit, et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires, ont amené la plupart des convives à chanter, dans l’épanchement de l’ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l’aversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale ; et d’avoir, par sa présence, autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui l’accompagnait à distribuer des cocardes blanches aux convives ; d’avoir le quatre du même mois d’octobre, témoigné la joie la plus immodérée de ce qui c’était passé à cette orgie ; en second lieu, en ayant conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute l’étendue de la République, des ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux même adressés aux conspirateurs d’outre-Rhin ou publié en leur nom, tels que les « pétitions aux émigrans, la réponse des émigrans, les émigrans au peuple, les plus courtes folies sont les meilleures, le journal à deux liards, l’ordre, la marche et l’entrée des émigrans » ; d’avoir poussé même la perfidie et la dissimulation au point d’avoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle étoit dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, qu’elle ne méritoit déjà que trop en ce temps, et ce, pour donner le change et persuader aux puissances étrangères qu’elle étoit maltraitéé des Français, et les animer de plus en plus contre la France ; que, pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avoit, par ses agents, occasionné dans Paris et les environs, les premiers jours d’octobre mil spt cent quatre vingt onze, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes se sont portés à Versailles le cinq du même mois ; que ce fait est prouvé d’une manière sans réplique par l’abondance qui a régné le lendemain même de l’arrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille ;
Qu’à peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tout genre, a formé des conciliabules dans son habitation ; que ces conciliabules, composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigans des assemblées Constituante et Législative, se tenoient dans les ténèbres de la nuit ; que l’on y avisoit aux moyens d’anéantir les droits de l’homme et les décrets déjà rendus, qui devoient faire la baze de la Constitution ; que c’est dans ces conciliabules qu’il a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étoient favorables au peuple ; qu’on a arrêté la fuite de Louis Capet, de la veuve Capet et de toute sa famille, sous des noms supposés, au mois de juin mil sept cent quatre vingt onze, tentée tant de fois et sans succès à différentes époques ; que la veuve Capet convient dans son interrogatoire que c’est elle qui a tout ménagé et tout préparé pour effectuer cette évasion, et que c’est elle qui a ouvert et fermé les portes de l’appartement par où les fugitif sont passés ; qu’indépendamment de l’aveu de la veuve Capet à cet égard, il est constant, d’après les déclarations de Louis-Charles Capet, et de la fille Capet, que Lafayette, favory sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étoient présents au moment de cette évasion, et qu’ils l’ont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes, a recommencé ces conciliabules ; qu’elle les présidait elle-même, et que d’intelligence avec son favory Lafayette, l’on a fermé les Tuilleries, et privé par ce moyen les citoyens d’aller et venir librement dans les cours et le ci-devant château des Tuilleries ; qu’il n’y avait que les personnes munies de cartes qui avoient leur entrée ; que cette cloture, présentée avec emphase par le traître Lafayette, comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, étoit une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux, pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramoit contre la liberté dans ce lieu infâme ; que c’est dans ces mêmes conciliabules qu’a été déterminé l’horrible massacre qui a eu lieu le dix-sept juillet mil sept cent quatre vingt onze, des plus zélés patriotes que se sont trouvés au Champ de Mars ; que le massacre qui avoit eu lieu précédemment à Nabcy et ceux qui ont eu liei depuis dans les divers autres points de la République ont été arrêtés et déterminés dans les mêmes conciliabules ; que ces mouvements, qui ont fait couler le sang d’une foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plus tôt et plus surement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de l’homme, et qui par là étoient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la Contitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet s’est occupée de la détruire insensiblement par toutes les manoeuvres qu’elle et ses agens ont employées dans les divers points de la République ; que toutes ses démarches ont toujours eu pour but d’anéantir la liberté et de faire rentrer les français sous le joug tirannique, sous lequel ils n’ont langui que trop de siècles ; qu’à cet effet, la veuve Capet a imaginé d faire discuter dans ces conciliabules ténébreux et qualifiés depuis longtemps, avec raison, de Cabinet Autrichien, toutes les lois qui étoient portées par l’Assemblée législative ; que c’est elle, et par suite de la détermination prise dans ces conciliabules, qui a décidé Louis Capet à opposer son véto au fameux et salutaire décret rendu par l’Assemblée législative contre les ci-devant princes, frères de Louis Capet et les émigrés, et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques répandus dans toute la France ; véto qui a été l’une des principales causes des maux qu’à éprouvés depuis la France ; Que c’est la veuve Capet qui faisoit nommer les ministres pervers, et aux places dans les armées et dans les bureaux des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que c’est par ses manoeuvres et celles de ses agents, aussy adroits que perfides, qu’elle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet d’anciens officiers qui avoient quitté leurs corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et d’étrangers, et enfin de tous hommes réprouvés par la pluspart de la nation, et dignes de servir dans l’armée de Coblentz, où un très grand nombre est en effet passé depuis leur licenciement ;
Que c’est la veuve Capet, d’intelligence avec la faction liberticide qui dominoit alors l’Assemblée législative, et pendant un temps la Convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, son frère ; que c’est par ses manoeuvres et ses intrigues toujours funestes à la France, que s’est opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique ;
Que c’est la veuve Capet qui afait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d’attaque qui étoient convenus dans le conseil : de manière que, par cette double trahison, les ennemis étoient toujours instruits à l’avance des mouvements que devoient faire les armées de la république ; d’où suit la conséquence que la veuve Capet est l’auteur des revers qu’ont éprouvés, en différents temps, les armées françaises ;
Que la veuve Capet a médité et combiné, avec ses perfides agens, l’horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n’a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu’à cette fin, elle a réuni dans son habitation, aux Tuilleries, jusques dans des souterrains, les Suisses qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet ; qu’elle les a entretenus dans un état d’ivresse depuis le depuis le neuf jusqu’aux dix, jour convenu pour l’exécution de cette horrible conspiration ; qu’elle a réuni également, et dans le même dessein, dès le neuf, une foule de ces êtres, qualifiés de chevaliers du poignard, qui avoient figuré déjà dans ce même lieu le vingt-trois Février mil sept cent quatre-vingt-onze, et depuis, à l’époque du vingt Juin 1792 ;
Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n’eut pas tout l’effet qu’elle s’en étoit promis, a été dans la soirée du neuf aoust, vers les neufs heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués travailloient à des cartouches ; qu’en même temps qu’elle les encourageoit à hater la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles. (Les expressions manquent pour rendre un trait aussy atroce.) Que le lendemain dix, il est notoire qu’elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuilleries, vers cinq heures et demie du matin, passer la revue des véritables Suisses et d’autres scélérats qui en avoient pris l’habit, et qu’à son retour elle lui a présenté un pistolet, en disant : « Voià le moment de vous montrer, » et que sur son refus, elle l’a traité de lâche ; que quoique dans son interrogatoire la veuve Capet ait persévéré à nier qu’il n’ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite qu’elle a tenu le neuf, sa démarche dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit et auxquels elle a assisté, l’article du pistolet et de son propos sur Louis Capet, leur retraite subite des Tuilleries et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de l’assemblée Législative, toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter qu’il n’ait été convenu, dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, qu’il falloit tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui étoit la grande directrice de cette conspiration, n’ait elle même donné l’ordre de tirer ;
Que c’est aux intrigues et manoeuvres perfides de la veuve Capet, d’intelligence avec cette faction liberticide, dont il a déjà été parlé, et tous les ennemis de la république, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis longtemps, et dont heureusement la fin n’est pas plus éloignée que celle de ses auteurs ;
Que dans tous les tems, c’est la veuve Capet, qui par cette influence qu’elle avoit acquise sur l’esprit de Louis Capet, lui avoit insinué cet art profond et dangereux de dissimuler et d’agir, de promettre par des actes publics le contraire de ce qu’il pensoit et de tramer conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français et qu’ils sçauront conserver et recouvrer (ce qu’ils appeloient la plénitude des prérogatives royales) ;
Qu’enfin la veuve Capet, immorale sous tous les rapports, et nouvelle Agrippine, est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère et la démarcation prescritte par les loix de la nature, elle n’a pas craint de se livrer avec Louis-Charles Capet, son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idéé et le nom seul font frémir d’horreur.
D’après l’exposé cy-dessus, l’accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie-Antoinette, se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein :
1° De concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, et d’avoir fait passer des sommes incalculables à l’Empereur et d’avoir ainsy épuisé le trésor national ;
2° D’avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la république ; d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans de campagne et d’attaque convenus et arrêtés dans le conseil ;
3°D’avoir, par ses intrigues et manoeuvres et celles de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la république et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir par ce moyen fait couler le sang d’un nombre incalculable de citoyens ; ce qui est contraire à l’article quatre de la section première du titre premier de la deuxième partie du code pénal, et à l’article second de la deuxième section du titre premier du même code.
En conséquence, l’accusateur public requiert qu’il lui soit donné acte, par le tribunal assemblé, de la présente accusation ; qu’il soit ordonné qu’à sa diligence et par un huissier du Tribunal, porteur de l’ordonnance à intervenir, Marie-Antoinette, se qualifiant de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison d’arrêt, ditte la Conciergerie du palais, sera écrouée sur les registres de la ditte maison, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi l’ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à l’accusée.
Fait au cabinet de l’accusateur public, le premier de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république, une et indivisible.
A. Q. Fouquier
"Les vraies conquêtes, celles qui ne donnent aucun regret, sont faites sur l'ignorance."