La tactiques des croisés...

La tactiques des croisés...

Message par BRH » Mardi 06 Janvier 2015 08:08:20

Voir ici :

http://terresainte.eu/2014/12/organisat ... -croisade/


L’organisation militaire des croisés durant les grands affrontements de la Première Croisade

Au XIème siècle, les engagements de grande ampleur, rassemblant plusieurs milliers de combattants, sont très rares et sont toujours présentés comme des moments exceptionnels où se jouent l’avenir d’une campagne militaire, voire d’un pays. A cet égard, la Première Croisade est un conflit exceptionnel : trois batailles rangées de grande ampleur (Dorylée, Antioche, Ascalon), des dizaines d’engagements plus limités (Nicée, sorties durant le siège d’Antioche, vastes opérations de ravitaillement), des centaines d’escarmouches…

Selon une idée reçue que relaient parfois les manuels d’histoire ou les enseignants, les croisés ne doivent leurs victoires qu’à leur seul fanatisme ; les chevaliers sont présentés comme des têtes brûlées qui n’en feraient qu’à leur tête et transformeraient le champ de bataille en une série de duels, tandis que les soldats à pied ne seraient de pauvres paysans armés de piques, dirigés par des commandants sans formation ni sens tactique. L’histoire militaire reflète ce discrédit : les travaux des officiers de l’armée française ne s’intéressent guère au Moyen-âge, souvent considéré comme une période sans grand intérêt tactique ou stratégique. Quelques historiens militaires et de nombreux reconstituteurs ont démontré le haut niveau de préparation, d’entraînement et de tactique de certaines armées médiévales. Néanmoins, l’étude de la Première Croisade est restée quelque peu en retrait dans ce domaine. Pourtant, ces croisés vainquirent toutes les armées envoyées à leur rencontre (dont celles qui avaient vaincu les armées impériales byzantines et les armées du califat du Caire), prirent des villes jugées imprenables par les Byzantins eux-mêmes et atteignirent leur but initial: conquérir Jérusalem.

Bien entendu, ces victoires ne sont pas un hasard et nous allons tenter de comprendre comment ces croisés, souvent en sous-nombre, parfois affamés, toujours manquant de chevaux de guerre et de ravitaillement, ont-ils pu vaincre des armées de professionnels entraînés, bien équipés et bien nourris sur leur propre terrain. Quel était le niveau d’organisation et de discipline des armées croisées, quelle était leur capacité d’adaptation à l’ennemi et à la topographie du champ de bataille ?

Pour ce faire, nous allons tout d’abord dresser un tableau des différents types de combattants présents et de leurs équipements, éléments indispensables à la compréhension de l’utilisation des différents corps d’armée. Ensuite, nous verrons l’importance et la place du commandement lors des combats de masse et la discipline imposées aux soldats durant les combats. Nous pourrons alors étudier les dispositions initiales des combattants sur le champ de bataille et leur évolution sur le champ de bataille. Nous nous baserons essentiellement sur les descriptions des grandes batailles dans les sources historiques chrétiennes occidentales et orientales ainsi que dans les chroniques musulmanes, les autres engagements, hormis les sièges déjà traités dans un précédent articles, étant souvent à peine mentionnés.
I- Différents types de combattants

La Première Croisade rassemble des combattants d’origines sociales, géographiques et culturelles très diverses. Toutefois, il est possible de dégager six grands types de combattants à travers les sources écrites et iconographiques à notre disposition :

1Le chevalier : c’est un combattant à cheval professionnel, entraîné depuis l’enfance à monter à cheval, à pratiquer aussi bien la lutte que le combat à la lance, à l’épée ou au bouclier, et ce à cheval ou à pied. Il côtoie la guerre depuis l’adolescence en tant qu’écuyer. Le chevalier dispose souvent du meilleur équipement de son époque : haubert de mailles, casque conique avec ou sans nasal, grand bouclier en amande ou rond lenticulaire, longue lance de choc de 3 mètres environ, épée à double tranchant. Il monte un cheval de guerre habitué au combat et dressé aux manœuvres de combat individuelles ou collectives. Bien que minoritaires dans l’armée croisée ( 10 à 15 % des combattants), les chevaliers en sont l’élément central, le plus adaptable et le plus entraîné aux tactiques de combat de groupe. La plupart des commandants sont d’ailleurs des chevaliers.

2Le sergent à cheval : ce combattant à cheval professionnel ressemble beaucoup au chevalier, si ce n’est que son équipement est peut-être moins complet ou moins décoré, son entraînement moins poussé et son cheval de moindre valeur. Jamais cités concernant la croisade, les sergents à cheval sont pourtant mentionnés dans les armées normandes, italo-normandes ou françaises au XIème et au XIIème siècle.

3Le soldat à pied : il forme l’essentiel des troupes croisées. Professionnel de la guerre ou non, il est équipé légèrement, car il se déplace à pied et doit emporter sur lui tout son équipement. Son arme principale est la lance de choc, de 2 à 3 mètres de longueur ; il porte un bouclier rond ou un grand bouclier en amande. Il peut disposer d’une arme de combat rapproché comme un couteau, une hache ou une masse d’arme, plus rarement une épée. Les sources écrites ne parlent jamais de ses protections, mais les iconographies à notre disposition le montre portant parfois un gambison et un casque à nasal, rarement une cotte de mailles, souvent rien du tout. Il est entraîné à tenir une formation en ligne, avec plusieurs rangs de profondeur. Il est capable de se disposer en mur de boucliers, en quinconce, en « phalange » et de se déplacer en groupe sans disloquer les rangs, sous les tirs et les charges adverses. Il doit savoir ouvrir ses rangs pour laisser passer la cavalerie et lui permettre d’attaquer ou de se replier.

4L’archer, le frondeur ou l’arbalétrier : les gens de trait sont nombreux dans l’armée croisée et régulièrement cités. Ils semblent être équipés légèrement, de leur arme de jet, parfois d’un petit bouclier rond et d’un couteau, d’une hache ou d’une masse. Pas ou peu de protection, sauf les cas rares de sources mentionnant ou montrant une cotte de mailles (tapisserie de Bayeux, Anne Comnène)… Il doit être très entraîné, surtout l’archer qui est censé être capable de bander un arc de plus de 100 livres de puissance et de tirer à un rythme de tir élevé, tout en étant en plein champ de bataille et sous le feu ennemi ! –

L’artilleur : il construit, entretient et manœuvre les machines de guerre. Si son rôle est essentiel lors des sièges, il ne participe pas aux batailles rangées, sauf dans le cas de la bataille d’Antioche, où des machines sont disposées sur les remparts pour tenir éloignés les ennemis. C’est un spécialiste, considéré comme un « insgénieur », véritable scientifique de l’époque.

6Le turcopole : combattant à cheval professionnel, il dispose d’un cheval arabe rapide et endurant qui lui donne une grande mobilité sur le terrain. Il est armé à la « turque » c’est-à-dire d’un arc court et d’un sabre (ou d’une épée). Il porte un bouclier rond léger et peut disposer d’une armure lamellaire légère de cuir ou de corne, ainsi que d’un casque turc à nasal. Entraîné à la technique de combat turque, il sait tirer à l’arc depuis son cheval lancé au galop, en avant, sur les côtés ou en arrière en cas de poursuite. Mentionnés dans les sources écrites à plusieurs reprises, les turcopoles sont relativement peu nombreux, mais se montrent rapidement indispensables, car ils connaissent aussi bien le terrain que les populations locales et savent contrer les tactiques de l’ennemi.

Au bout de trois ans de campagne, l’équipement de croisés évolue considérablement : chevaux perdus au cours des combats ou des famines, hauberts vendus ou jetés par les chevaliers ayant perdu leurs chevaux au cours de l’avancée en Anatolie, épées et boucliers brisés, armes hors d’usage ou vendues ou échangées contre de la nourriture durant les nombreuses famines…

« Ils vendaient leurs boucliers et leurs bons hauberts avec les heaumes pour une somme de trois à cinq deniers ou pour n’importe quoi. Ceux qui n’avaient pu les vendre les jetaient pour rien loin d’eux et continuaient leur route. » (Anonyme)

De plus, les croisés n’hésitent pas à récupérer les armes et des armures locales, en les achetant sur les marchés, en les pillant dans les campements ennemis, ou encore en les récupérant sur les cadavres ennemis ou sur les prisonniers. Ainsi, l’équipement des croisés s’orientalise de plus en plus au fil de l’avancée vers Jérusalem : sabres, arcs courts, casques turcs ou arabes, boucliers turcs ou arabes, armures lamellaires, armures d’écailles, jazerants, hoquetons… Et aussi les chevaux arabes pris à l’ennemi ou achetés sur les marchés.

« Les Francs restèrent maîtres des approvisionnements de l’armée en vivres, en argent, en ustensiles, en bêtes de somme et en armes » (Ibn Al Athir)

« À la suite de cette affaire nous avons rassemblé une immense quantité d’or, d’argent, d’armes et de vêtements précieux » (Lettre des chefs croisés au pape).

« Il mit en fuite toute cette multitude et leur fit abandonner toutes leurs armes, afin que si plus tard ils eussent été tentés de se retourner contre nous, le manque d’armes dût les en empêcher. Il est inutile de rechercher quel butin l’on fit sur eux; il suffit de dire que les trésors du roi de Babylone (le Caire) tombèrent en notre pouvoir » (Lettre des chefs croisés)

Cette transformation de l’équipement modifie certainement le rôle des différentes troupes. Par exemple, de nombreux chevaliers se retrouvent à pied et sans armure aux côtés des fantassins, renforçant ainsi considérablement les lignes d’infanterie. D’autres disposent de chevaux arabes, plus rapides et endurants que leurs propres chevaux, mais ne possèdent plus de haubert ou le remplacent par un autre type d’armure plus légère ; ils font alors office de cavalerie légère aux côtés des turcopoles, servant d’éclaireurs ou poursuivant l’ennemi en fuite. Quant aux archers, ils disposent désormais d’arcs courts, utilisables à cheval.
II- Le rôle du commandement

Pour maintenir la cohésion de troupes aussi diversifiées, le commandement joue un rôle primordial. Signe de cette importante, les sources mentionnent toujours avec précision les noms des « généraux », ainsi que, très souvent, les noms de leur « commandants en second ». Afin de faciliter la communication en employant une langue commune, ils dirigent des troupes d’une même appartenance géographique ou culturelle. Ainsi chaque commandant dirige en fait une « nation » au sein de son unité : Bohémond de Tarente et Robert de Normandie sont à la tête des Normands, Hugues de Vermandois, Etienne de Blois commandent les « Français » et les « Angevins », Raymond de Toulouse et Adhémar de Monteil dirigent les « Provençaux » (qui rassemblent en fait tous les pays de langue d’Oc : Auvergne, Toulousain, Provence, Languedoc, Bourgogne…), Godefroy de Bouillon dirige les « Lorrains », Robert de Flandres commande aux « Flamands ». La langue doit être la même pour tous les soldats d’un même corps d’armée, ce qui montre l’importance de la communication des ordres donnés sur le champ de bataille, avant, pendant et après l’action : les commandants ne se contentent pas de sonner la charge !

Ensuite, les commandants sont vus comme des leaders charismatiques qui doivent montrer l’exemple au combat, sans forcément s’exposer inutilement. Les hommes respectent un chef qui donne des ordres clairs depuis l’arrière et qui sait garder son calme, comme un Bohémond ou un Raymond de Toulouse ; ces derniers ne sont jamais cités en train de charger l’ennemi en première ligne durant les grandes batailles. Il est vrai que Bohémond dispose, en la personne de Tancrède, d’un commandant en second impétueux et capable de conduire les assauts à sa place, tandis que Raymond dispose du soutien de l’évêque Adhémar, qui mène les troupes au combat quand il est malade. Au contraire, un Godefroy de Bouillon, un Robert de Flandres ou un Hugues de Vermandois dirigent les charges de cavalerie et se retrouvent souvent entourés d’ennemis. Leurs troupes à pied doivent alors être dirigées par des commandants en second disciplinés et efficaces. On sait par exemple qu’à Dorylée Raymond de Saint-Gilles et Adhémar de Monteil ont pris sous leurs ordres les troupes d’infanterie des autres commandants, pendant que ceux-ci partaient à la tête de la cavalerie pour sauver les troupes normandes prises au piège.

Avant la bataille, le commandant doit pourvoir au ravitaillement de ses troupes : il organise les expéditions de pillage, tente d’obtenir le soutien de populations locales pour avoir nourriture, chevaux, armes, vêtements… Les cadeaux faits aux chefs sont distribués autour d’eux à leurs soldats. Ils sont responsables de la bonne tenue de leurs hommes d’armes, de l’état de leur cavalerie, de leur armement et de leur moral. Ils entretiennent leur image auprès de leurs hommes et montrent une certaine concurrence à être les plus généreux pour s’entourer d’un maximum de combattants. Chaque chef veut prouver sa valeur et sa largesse face aux autres généraux.

« Le duc (Godefroy de Bouillon ayant reçu des cadeaux de l’empereur) cependant n’en réservait rien pour lui-même, et distribuait généreusement tous ces trésors aux nobles et au peuple… » (Guillaume de Tyr)

Le chef doit aussi connaître ses forces. Pour cela, les chefs de la croisade procèdent à une revue des troupes devant Nicée, une autre étant attestée juste avant la bataille d’Ascalon. Les chiffres avancés pour les débuts de la croisade par les sources sont fantaisistes, car le nombre de croisés semble trop important pour être réellement établi. En revanche, à la fin de la croisade, les chiffres de 9000 fantassins et 1500 chevaliers sont avancés, montrant ici, au contraire, un souci de vraisemblance. Ces revues prouvent le niveau d’organisation de l’armée et la volonté des commandants de tenter de contrôler leurs combattants et de connaître leur force. Ces revues font d’ailleurs la distinction entre les chevaliers, les combattants à pied et les « faibles », les femmes, les vieillards, les enfants qui ne peuvent combattre et qui semblent nombreux au début de la croisade, alors qu’ils ont presque totalement disparu à la fin du fait d’un taux de mortalité effroyable.

Sur le champ de bataille, le chef a plusieurs missions. Avant le combat, il doit se réunir avec les autres commandants pour établir une tactique de combat. Ces réunions sont fréquemment citées dans les sources qui précisent souvent des désaccords profonds entre les seigneurs. Cependant, dans les situations désespérées, comme à Antioche, tous parviennent à se mettre d’accord après de longues hésitations. Les discussions peuvent être très animées et se terminent parfois par de violentes altercations qui aboutissent à des impasses. Il faut alors reprendre la réunion plus tard, à tête reposée, et trouver un terrain d’entente. On pense aux violentes disputes entre Bohémond et Raymond de Toulouse par exemple. Adhémar de Monteil avait réussi à maintenir une certaine entente entre les commandants et les réunissait dans sa propre tente, zone neutre, pour organiser les réunions d’état major. L’évêque semble être le véritable chef de la croisade, dont le rôle a pu être diminué après sa mort pour glorifier un peu plus les rôles des commandants laïcs. Après sa mort, les commandants passeront le plus clair de leur temps à se disputer, au grand dam des simples soldats. Ceux-ci devant faire pression sur leurs chefs pour les forcer à avancer vers Jérusalem.

Une fois qu’une tactique a pu être arrêtée, chacun reçoit sa mission. Il faut rassembler les soldats par « nation » et les former en « échelles ». Les commandants reçoivent alors chacun leur mission qui petit à petit, semble devenir une sorte de spécialisation :

A l’avant, les « Français » et les Normands débutent le combat par des escarmouches et un assaut préparatoire visant à déstabiliser l’ennemi et le mettre sur la défensive ;
Au centre, les Provençaux, les plus nombreux, renforcent l’avant garde, la soutiennent et poursuivent, si possible, la lente avancée de l’armée. A l’arrière-garde, les Italo-normands interviennent en cas de déroute d’une partie de l’armée et protègent les arrières des troupes engagées ;
Enfin, lorsque les ennemis sont en fuite, Tancrède et sa cavalerie composée de chevaliers d’élite et de turcopoles les poursuivent jusqu’à leur camp, voire au-delà, pour en massacrer un maximum.

Cette spécialisation s’est construite au cours du siège d’Antioche, durant les nombreux affrontements avec les défenseurs et les armées de secours.

Avant la bataille, le chef peut encourager ses troupes par un discours. A Antioche, c’est Adhémar de Monteil, évêque du Puy, qui s’occupe de haranguer les soldats, du moins ceux à sa portée, dans un « silence » général. A cheval, portant le haubert de mailles, armé comme un chevalier, Adhémar se place en avant des troupes et les encourage au combat, renforce leur foi en la victoire et leur montre l’exemple en participant lui-même à la bataille. L’évêque a un rôle militaire capital. Comme Odon de Bayeux à Hastings, ou plus tard Frère Guérin à Bouvines, la victoire d’Antioche est la sienne plus que celle des autres commandants : il a su motiver les troupes, leur redonner courage et surtout convaincre les chefs de se parler et de se réconcilier pour mener la bataille. Aux yeux des milliers de fantassins qui commencent à douter de leurs propres seigneurs, il est à la fois un guide spirituel, un rassembleur et un commandant. Un autre clerc, Raymond d’Aguilers, chroniqueur de la croisade, porte la Sainte Lance aux côtés de l’évêque et l’accompagne à la bataille. Lui aussi est à cheval et porte l’armure tel un chevalier portant la bannière de son seigneur.

Après le discours, les commandants se placent aux ailes de leurs formations, pour mieux coordonner les mouvements de la troupe, et surveiller la ligne d’un coup d’œil. Cette disposition des chefs aux ailes du corps d’armée facilite la coordination des manœuvres, la surveillance de la ligne et le passage des ordres.

« Chacun à la tête leurs cohortes, les chefs se placent aux ailes des bataillons d’infanterie… » (Guillaume de Tyr)

Une fois le combat engagé, il est difficile pour le commandant de se faire entendre des troupes qui combattent. Toutefois, un corps d’armée n’engage jamais la totalité de ses hommes au même moment dans le combat : seules les premières lignes sont au contact de l’ennemi, le reste est en attente, prêt à intervenir ou à secourir les blessés de la première ligne, et à manœuvrer. Si le commandant passe à l’attaque lui-même, le commandant en second prend le relais auprès des troupes laissées à l’arrière.

En cas d’engagement total du corps d’armée, il est rare que les soldats gardent leur calme et leur position. Les troupes de Bohémond à Dorylée ou à Antioche ont failli céder mais sont parvenu à tenir bon. Si les troupes reculent puis se débandent c’est le massacre généralisé. Le chef doit être capable de rallier ses troupes et de les ramener au combat au plus vite pour éviter la destruction totale de son bataillon.

La discipline est tenue pour normale par les chroniqueurs, qui vantent à plusieurs reprises le calme des soldats, leur observation des ordres et leur patience sous les tirs ennemis. Le seul cas d’indiscipline sur le champ de bataille signalé au cours de la croisade (3 années de guerre!) se déroule lors d’un des premiers combats de la croisade : la bataille de Dorylée. Tancrède et son frère Guillaume désobéissent à Bohémond, sortent des lignes avec leurs chevaliers, puis chargent les Turcs. Ce sont de jeunes chevaliers voulant prouver leur valeur devant les « anciens » de Bohémond. Ils doivent cependant se replier en toute hâte sur une colline où ils subissent les tirs et les assauts répétés des cavaliers ennemis qui les encerclent. Guillaume meurt, ainsi que de nombreux jeunes chevaliers de la troupe de Tancrède. Il faudra attendre l’arrivée de Godefroy de Bouillon et de ses chevaliers pour les sortir de ce mauvais pas. Cela servira de leçon à Tancrède et à ses hommes qui ensuite observeront une stricte discipline… Cet exemple est cité par plusieurs chroniqueurs, ce qui laisse à penser que ce cas est une exception : nous sommes loin de l’image du chevalier impétueux qui charge dès que possible sur l’ennemi…
III- La disposition des troupes sur la champ de bataille

Les corps d’armées, surnommés aussi « bataillons » ou « batailles », sont formés d’unités ayant la même origine géographique, et dirigés par des commandants issus de la haute noblesse ; ils évoluent sur le champ de bataille dans un ordre précis, établi à l’avance ou mis en place en fonction de la situation.

La bataille d’Antioche nous offre un exemple type d’organisation d’une bataille rangée chez les croisés. La veille et le matin de la bataille sont passés en prière, en confession et en messe autour des membres du clergé, et notamment d’Adhémar de Monteil, évêque du Puy et légat du pape. Ensuite, les combattants sont rangés en corps d’armée. Chaque corps d’armée est sous les ordres d’un commandant en chef et de plusieurs commandants en second ; il devra respecter la place qui lui a été attribuée, ainsi que les espaces qui le sépare des autres corps d’armée, afin de permettre les manœuvres et de laisser la place aux attaques et contre-attaques.

« Les nôtres, lorsque tous les corps d’armée furent formés et disposés en ordre régulier, selon les principes de l’art militaire, firent ouvrir les portes et sortirent successivement, en observant avec soin leurs rangs et les distances qui séparaient chaque corps » (Guillaume de Tyr)

Les corps d’armée reçoivent des missions précises :

Etirer leurs lignes à travers toute la plaine pour éviter l’encerclement, ce qui montre que les commandants prennent en compte les données géographiques et la tactique habituelle de l’ennemi.
Placer à l’avant-garde des troupes de choc très motivées avec une forte infanterie composée de « phalanges » normandes et flamandes, ainsi qu’une cavalerie lourde en soutien.
Placer au centre du dispositif le plus grande nombre de combattants à pied, formant ainsi un centre solide vers lequel se replier en cas de problème à l’avant-garde.
Former une arrière-garde expérimentée avec des combattants aguerris sous les ordres de Bohémond, qui pourra ainsi observer les combats, donner des ordres de mouvements et venir en aide aux troupes en difficulté.

Chaque corps d’armée est formé de la manière suivante :

En première ligne, les soldats à pied qui forment une « phalange » ;
En seconde ligne, les archers, frondeurs et arbalétriers qui peuvent passer en première ligne si l’ennemi est assez loin ;
Enfin, en dernière ligne, la cavalerie qui attend le bon moment pour attaquer et sert à protéger les arrières de l’infanterie.

Chaque « ligne » est formée en réalité d’une formation de combattants disposés sur plusieurs rangs de profondeur, pour offrir un front solide face à l’adversaire.

Sur le champ de bataille, on avance lentement, au pas. De nombreux chroniqueurs, issus du clergé, utilisent le terme de « procession » pour décrire l’avancée des bataillons des croisés.

« Les Chrétiens s’avançaient lentement et progressivement, en sorte que les corps d’armée puissent demeurer toujours bien séparés, et que la distance des rangs fût observée » (Guillaume de Tyr)

« En voyant cette multitude ennemie remplie de confiance en sa position et en ses armes les nôtres invoquant Dieu et brandissant leurs lances, s’avancèrent étroitement serrés, hommes de pied et chevaliers, comme dans une procession ; en sorte qu’en les voyant vous eussiez dit que c’étaient des amis et non des ennemis qui marchaient vers les rangs opposés : mais, dès que la mêlée fut engagée, ils se trouvèrent bien de véritables ennemis et non des amis » (Raymond d’Aguilers)

A Antioche, les effectifs des croisés ne devaient pas dépasser 15 à 20 000 combattants, après les pertes subies durant l’avancée en Anatolie et lors du siège. De plus, la cavalerie était décimée : il ne restait plus que quelques centaines de chevaliers. Les croisés se divisent en une douzaine de bataillons, ce qui, en moyenne, donne 1200 à 1500 hommes par bataillons au maximum. Les soldats étant placés par « armes » et sur plusieurs rangs de profondeur, la taille de ces bataillons demeure raisonnable pour passer des ordres rapidement, que ce soit par cors, par signe de bannière ou par la voix du commandant, relayée par les commandants en second en dehors des moments de combat. Pendant la marche vers l’ennemi, ils sont menés par leur bannière, qui est toujours en avant des troupes. Au combat, la bannière semble rester vers les premières lignes pour servir de repère aux combattants, les aider à maintenir leurs rangs et leur donner courage. Les ordres de marche sont transmis par des oliphants, des cors et des clairons.

« [Les croisés] coururent aux armes au bruit des cors et des clairons, se forment en bataillons, se disposent en ordre de bataille et se préparent à marcher à l’ennemi, observant avec soin toutes les règles de la science militaire et ne négligeant aucun détail, car ils en avaient une pleine expérience et une longue habitude… » (Guillaume de Tyr)

Même à proximité de l’ennemi, l’avancée reste lente et c’est l’infanterie qui débute les hostilités. D’abord avec les tirs d’archers, d’arbalétriers et de frondeurs, puis avec des lancer de javelots par dessus les soldats à pied. Ensuite, les « phalanges » de soldats à pied armés de lances et de boucliers engagent le combat en maintenant leurs rangs. Ces lances ne sont pas seulement les lances courtes de la tapisserie de Bayeux, tenues au dessus de la tête ; on trouve aussi de longues piques, tenues à deux mains, bouclier suspendu à l’épaule par la guiche. Ces dernières forment une vraie muraille de fer et de bois en avant des lignes, capable d’embrocher des chevaux et des cavaliers tout en protégeant les combattants :

« les uns brandissent leurs lances, les autres, comme je l’ai dit, tirent leurs glaives; ceux-là couvrent leurs poitrines de leurs cuirasses, leurs cuirasses de leurs boucliers ; ceux-ci se couvrent de leurs petits boucliers échancrés. Ceux là combattent du haut en bas, ceux-ci font effort du bas en haut. la petite troupe du Christ ne fut ni entamée, ni affaiblie, tant les lances de frêne lui furent d’un merveilleux secours, faisant à la fois l’office de boucliers et celui de glaives. » (Raoul de Caen) « leurs poitrines s’enfoncent dans les lances comme les viandes que l’on doit faire rôtir s’enfoncent dans les broches » (Raoul de Caen)

La cavalerie n’est utilisée qu’aux moments critiques. La fameuse charge de cavalerie n’a lieu que si l’ennemi commet une erreur : une brèche dans sa ligne, l’exposition du flanc d’un bataillon adverse, la fuite d’un corps d’armée, des archers trop proches et exposés… Les cavaliers peuvent alors contourner la formation d’infanterie par les ailes, ou bien la ligne d’infanterie peut ouvrir ses rangs pour laisser passer les chevaliers. Certaines sources évoquent des charges furieuses, mais signalent aussi que l’infanterie est toujours très proche, en soutien de la cavalerie. La charge de cavalerie doit être très courte car les cavaliers ne s’éloignent pas du reste du bataillon. L’attaque de front d’une cavalerie lourde contre une autre ou d’une cavalerie lourde contre un groupe compact d’infanterie adverse n’est jamais cité durant les grandes batailles de la croisade.

« Les Turcs volent à la rencontre du comte, et le comte se jette sur eux avec ardeur; les phalanges de la Flandre, presque égales en nombre, égales en valeur, animées d’une pareille ardeur, le suivent à pied, se livrent au carnage, et poussent des cris. » (Raoul de Caen)

C’est ici que la description de la bataille de Dorylée nous permet d’en savoir plus. Les croisés durent recourir ici à toutes leurs connaissances militaires pour échapper à la défaite. Les sources citent le rôle de l’infanterie, des archers et même des femmes dans les combats. Si les chevaliers combattent vaillamment, la victoire finale est due à l’arrivée des troupes à pied et à la manœuvre d’encerclement d’Adhémar de Monteil. La bataille débute mal pour les croisés : l’avant-garde de Bohémond est surprise par la tactique des Turcs et perd beaucoup de chevaux sous les tirs d’archers à cheval. L’infanterie semble garder son calme, protégée par ses boucliers et n’ayant pas le stress de perdre ses chevaux, et obéit aux ordres en formant un cercle de chariot pour défendre le peuple désarmé. Les soldats à pied forment ensuite une ligne de défense solide, présentant une véritable phalange à leurs ennemis. Des chevaliers chargent en dépit des interdictions de Bohémond ; Tancrède se retrouve alors isolé avec ses hommes sur une colline et perd son frère Guillaume.

« Boémond s’était opposé à cette attaque, et l’avait même défendue, en sorte que Tancrède n’avait pu entraîner que quelques hommes à sa suite ; Boémond avait interdit ce mouvement, parce que l’armée ennemie, répandue de tous côtés, avait enveloppé la nôtre comme dans une espèce de cirque et la tenait ainsi enfermée, la menaçant de mort de toutes parts. Ainsi dans sa prévoyance pour les Chrétiens, Boémond refusait au courage bouillant des jeunes gens la permission de sortir pour aller combattre, de peur que la témérité de quelques-uns ne jetât le trouble dans tous les rangs et ne dérangeât ses dispositions. » (Raoul de Caen)

Après cette charge ratée, les cavaliers paniquent et se replient en désordre vers leur infanterie qui refuse d’ouvrir les rangs, certainement sur ordre de Bohémond. La cavalerie s’empale sur les lignes de sa propre infanterie ou part se réfugier sur les arrières.

« les chevaliers en fuyant renversent dans leur impétuosité les hommes de pied plus tardifs, et d’un autre côté l’épaisse forêt formée par les lances des hommes de pied, tantôt met obstacle à la fuite, et tantôt donne la mort; ainsi survient un nouveau désastre, digne de la compassion même d’un ennemi ; les dos des fuyards sont percés d’horribles flèches, leurs poitrines s’enfoncent dans les lances comme les viandes que l’on doit faire rôtir s’enfoncent dans les broches. » (Raoul de Caen)

Finalement, tous mettent pied à terre et forment une solide ligne d’infanterie en attendant les secours. Les femmes apportent à boire aux combattants, qui restent en formation sous les tirs adverses. Les bataillons de cavalerie de renfort arrivent peu à peu et permettent de débloquer un peu la situation, notamment celle de Tancrède. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée de Raymond et d’Adhémar et du gros de l’infanterie ayant opérer un contournement de la ligne ennemie, que les Turcs prennent peur et battent en retraite, abandonnant leur campement et leurs richesses.

A Antioche, l’infanterie de Bohémond parvient à repousser la cavalerie adverse en formant un cercle, certainement pour protéger aussi la cavalerie :

« Lorsque nous eûmes occupé toute la plaine, ainsi que nous l’avons dit, un certain corps de Turcs, qui était demeuré derrière nous, vint attaquer nos hommes de pied, mais ceux-ci ayant formé le cercle soutinrent vigoureusement le choc des ennemis. » (Raymond d’Aguilers)

Former un cercle rapidement, sous les tirs et l’attaque adverse, sur ordre du commandant, est une manœuvre très délicate et difficile pour une troupe de plus d’un millier de combattants, archers, lanciers, cavaliers… Les soldats connaissaient parfaitement cette formation ainsi que l’ordre qui devait l’annoncer. Chacun devait connaître sa place, son rôle et les ordres pour ouvrir ou fermer le cercle, et permettre ainsi à la cavalerie de lancer des attaques ou de se replier.

L’armée croisée remporte ses batailles, non pas grâce à des armures impénétrables ou à de grandes charges de cavalerie lourde, mais grâce à la mise en place d’une discipline solide et à une tactique à la fois simple, efficace et adaptable.
IV- Les tactiques employées

Très rapidement, en particulier grâce aux conseils des Byzantins, des Turcopoles et des Arméniens, les croisés comprennent la tactique des Turcs et cherchent à la contrer. Les charges puissantes mais irréfléchies sont inutiles face à des cavaliers plus légers, montés sur des chevaux plus endurants et plus rapides. Non seulement il est impossible de les rattraper dans une course effrénée, mais les Turcs savent tirer en arrière lorsqu’ils fuient au galop.

« Car ces peuples, toujours armés de ruse, percent la cuirasse de ceux qui les poursuivent, aussi bien que de ceux qui fiaient devant eux; et si le cavalier agile ne les presse de sa lance dans leur fuite, plus ils fuient, et plus ils s’attachent à lancer de terribles blessures. » (Raoul de Caen)

« Eux cependant, selon leur coutume, commencèrent de toutes parts à se disperser, puis ils tentèrent de nous cerner en occupant les collines et tous les passages qu’ils purent rencontrer. Ils pensaient ainsi assurer notre extermination. Mais la grâce et la miséricorde de Dieu, jointes à l’expérience que nous avions faite dans les précédentes rencontres de leurs ruses et de leurs manœuvres, nous servirent si bien que nous qui étions si peu nombreux en comparaison d’eux, nous les forçâmes de se réunir sur un seul point; puis, la droite de Dieu combattant avec nous, nous les contraignîmes, ainsi réunis, à prendre la fuite et à nous abandonner leur camp et tout ce qu’il renfermait. » (lettre des chefs croisés)

Les Turcs visent principalement les chevaux adverses, neutralisant ainsi l’élite ennemie, démoralisant les cavaliers et ôtant à l’adversaire toute capacité de mouvement. Une fois la cavalerie ennemie détruite, les soldats à pied blessés et épuisés, leur cavalerie lourde charge à la lance, à la masse ou au sabre et termine le travail.

« A tout moment, ils voyaient tomber leurs chevaux sans pouvoir se défendre… » (Guillaume de Tyr)

Les croisés établissent plusieurs plans pour neutraliser ces attaques.

Tout d’abord, il leur faut des renseignements précis sur l’ennemi afin de connaître ses intentions, d’estimer ses forces et de ne plus se faire surprendre comme à Nicée ou à Dorylée. Les Turcopoles sont cruciaux à cet égard : ils servent d’éclaireur, préviennent des manœuvres adverses ou harcèlent l’ennemi. Tancrède en a engagé plusieurs pour lui servir d’éclaireurs, mais aussi d’appâts pour attirer les ennemis dans des embuscades. Dans toutes les armées, le renseignement est primordial et de lui dépend largement la victoire ou la défaite. Les croisés, en soldats aguerris, le savent parfaitement et les sources parlent souvent de missions d’exploration, de collaborations d’une partie de la population, et de l’utilité de la cavalerie légère. Ce n’est qu’une fois le terrain exploré, l’ennemi repéré, et ses intentions plus ou moins découvertes que l’on peut se déployer efficacement.

A l’occasion des grandes batailles, l’idée première est de constituer un point fortifié solide sur les arrières : il servira de point d’appui, évitant ainsi un encerclement total des soldats, ainsi que de refuge et de lieu d’accueil des blessés. Voici quelques exemples : les cercle de chariots à Dorylée, les fortifications d’Antioche lors de la bataille contre Kerboga, le campement près d’Ascalon…

« On place de côté, à une certaine distance, les bagages et les équipages, la multitude invalide des vieillards, des femmes, des faibles et pour les mettre en sûreté on les entoure d’un rempart de chariots » (Guillaume de Tyr)

Ensuite, les bataillons ne s’engagent que lorsqu’ils arrivent au contact de l’ennemi. Toute charge est proscrite, les cavaliers sont mis à l’arrière, les chevaux sont ainsi hors de portée des archers ennemis. L’infanterie doit faire preuve de courage et de patience, car elle arrive au contact en premier et doit ouvrir une brèche dans la ligne ennemie ou la forcer à commettre une faute tactique. L’infanterie, par son avancée lente mais inéluctable, doit pousser les premières lignes de cavalerie adverses vers le centre de leur dispositif pour les bloquer. Ainsi, les cavaliers adverses n’ont plus de marge de manœuvre et leur nombre même peut les entraver.

C’est à ce moment que le commandant peut ordonner la charge de cavalerie. Celle-ci est courte, très courte même, car elle doit garder toute sa puissance et surprendre l’adversaire, qui ne doit pas avoir le temps de se replier ou qui se trouve repoussé vers les rangs suivants. De plus, les cavaliers ne doivent pas s’éloigner des fantassins : ceux-ci leurs servent de soutien, couvrent leur repli en cas d’échec de la charge, et les protègent d’un encerclement. Les chevaliers croisés veulent à tout prix pouvoir arriver au contact. Entraînés à l’escrime à cheval, armés de longues lances, d’épées à double tranchant et de grands boucliers en amande , ils ont un avantage considérable au combat rapproché contre des cavaliers souvent équipés légèrement – petits boucliers ronds et sabres – et moins entraînés à ce type d’affrontement. Ici, le nombre ne joue plus, et peut même gêner les combattants. Les chevaliers croisés, rompus à ce type d’affrontement, ne perdent presque aucun combat rapproché, même en nette infériorité numérique ; d’où leur réputation d’invincibilité auprès des Byzantins, des Turcs et des Arabes…

« Tancrède cependant ne s’avançait point à la course, ni avec rapidité, ni en s’élançant; il allait pas à pas, supportant les traits lancés par l’ennemi, jusqu’à ce qu’il se trouvât arrivé assez près pour pouvoir tomber sur lui ; car ayant combattu fréquemment contre cette nation, il avait appris à connaître la manière la plus facile de remporter la victoire, aussi réprimait-il avec sagesse des courages indomptables par eux-mêmes. Mais dès que l’on pût en venir aux mains, et de près, l’ardeur qui fut déployée racheta les retards commandés à l’impatience. Aussitôt les guerriers rendent les rênes à leurs chevaux, les pressent de l’éperon, brandissent leurs lances, s’y appuient de toutes leurs forces, et les petits boucliers des Grecs ne peuvent résister à leur poids. Écrasés sous les coups de ces armes, ceux qui naguère trouvaient leur défense dans leurs flèches n’y trouvaient plus qu’un lourd fardeau; car du moment qu’on en est venu à saisir le glaive, les flèches sont inutiles » (Raoul de Caen)

Une fois l’ennemi mis en fuite, trois solutions s’offrent aux croisés : la poursuite ; la consolidation de la position en soutenant les autres corps toujours en combat ; l’entrée dans le camp ennemi pour le piller. Cette dernière solution est la pire et les commandants interdisent, dès Antioche, d’aller piller avant que l’ennemi soit définitivement chassé du champ de bataille. Quant à la poursuite, c’est une option aussi décisive que dangereuse, car une tactique fort répandue à l’époque consiste à simuler la fuite pour ensuite encercler les poursuivants imprudents qui se seraient éloignés de leur bataillon et les anéantir. Cependant, la poursuite permet d’anéantir une partie des forces de l’adversaire, de faire plus de butin et de prisonniers et de briser le moral de l’ennemi. Au final, le plus sage semble de rejoindre son bataillon pour être prêt à aider les autres unités : c’est ce qu’ont fait Godefroy et Tancrède à Antioche en aidant l’arrière-garde de Bohémond mise à mal par une attaque à revers.

Après chaque bataille, les commandants se partagent les tâches : tandis que certains poursuivent l’ennemi, d’autres restent sur le champ de bataille pour assurer la victoire, preuve de l’importance de la concertation des chefs avant la bataille. Une certaine spécialisation des commandants et de leurs troupes semblent s’être fait jour au fil de la croisade : reconnaissance, avant-garde, centre, arrière garde, poursuite…
L’armée croisée : une armée disciplinée et organisée

L’étude des sources concernant la Première Croisade constitue un bon observatoire pour une approche de l’organisation de l’armée occidentale à la fin du XIème siècle et de l’utilisation tactique des différents éléments de cette armée.

Ainsi, les sources nous présentent une grande variété de combattants ayant tous leurs fonctions précises dans le déroulement d’une bataille et des chefs capables de combiner les actions des différents corps d’armée dans une tactique de groupe relativement élaborée. Les commandants ont plusieurs rôles qui s’avèrent décisifs : ravitaillement, armement, organisation des formations, maintien du moral des troupes, conduite du combat… Ils doivent également être capables de juger rapidement une situation, de prendre en compte les autres contingents pour les soutenir. Chacun combat avec la conscience de faire partie d’une vaste organisation tactique ; même les chevaliers ne forment pas un élément indépendant et leur action n’est jamais isolée du reste de l’armée.Les formations avancent avec lenteur sur le champ de bataille, respectent les rangs et les places de chacun. Les cavaliers protègent les arrières de l’infanterie qui avance vers l’ennemi, et attendent le moment propice à la fameuse charge. Ces charges sont très courtes et sont suivies par les troupes à pied, qui restent au plus près de leur cavalerie afin d’offrir un abri en cas de contre-attaque ou d’échec de l’attaque. Les archers couvrent l’avancée des troupes par des tirs de saturation sur les lignes ennemies.

Le croisement des sources, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes, occidentales ou orientales, nous révèle une organisation militaire élaborée et efficace, des soldats entraînés, disciplinés et organisés et des commandants expérimentés. Un tel niveau d’organisation et d’efficacité n’est possible qu’avec un entraînement régulier et intensif. Malheureusement les sources sur la croisade restent muettes au sujet de l’entraînement des croisés ; d’autres sources contemporaines ou plus tardives devront être mobilisées…
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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