La bataille des Saintes : Bougainville a-t-il trahi ?

La bataille des Saintes : Bougainville a-t-il trahi ?

Message par Auguste » Dimanche 10 Janvier 2010 09:43:12

Ce fut la plus grande bataille navale du XVIIIème siècle et même au XIXème... Elle voit 35 vaisseaux français s'opposer à 36 anglais (Trafalgar : 33 franco-espagnols contre 27 anglais).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Saintes

C'est un modèle de propagande subtile rédigée sur cette bataille;

A aucun endroit du texte de 2 pages les 3 mots clés ”jugement de Lorient” n’est cité.
Ceci malgré une debauche de schemas tous aussi savants que les autres pour noyer le vrai poisson-poison: Technique discursive pour masquer la réalité.

Grasse a perdu la bataille simplement parcequ’il a été abandonné en plein mouvement par Bougainvile.

Celui ci (frere FM) a fait semblant de ne pas comprendre les signaux (lui qui se flattait dans la rade de Yorktown en septembre 1781 de faire la plus belle manoeuvre de toute l’escadre).

Les Anglais eux mêmes furent sidérés de voir les navires de la division de Bougainville continuer en ligne droite et donc abandonner le lieu du combat imminent. Ils croyaient même a une manoeuvre secrète des Français.

Les explications ultérieures données par Bougainville à Lorient ne résistent pas à l’analyse !

Sa division pouvait très bien voir à l’arrière que le combat était engagé entre les français et les anglais.
Par voie de conséquence, Bougainville pouvait donner l’ordre à sa division de faire demi tour et arriver sur les anglais toute voile dehors, donc avec l’avantage décisif de la vitesse.

Pour mémoire Bougainville avait une excellente relation avec les Anglais qu’il connaissait très bien.

On peut ajouter une liste de 5 officiers français qu'on retrouve “ensemble” sur 3 champs de bataille decisifs chacun perdu par une manoeuvre “maladroite”, tous liés a Bougainville...

Il faut se remémorer toute la biographie de Bougainville en commençant par l’expedition canadienne ou il fit preuve d’un très grand courage pour défendre les québecois.

Il fut également profondement offensé par le cynisme des ministres de Versailles sous Louis XV.
Sa remarque défensive rendit ridicule le ministre qui refusait d’allouer des ressources pour le Canada au prétexte que lorsque le feu était au chateau on n’avait pas le temps de s’occuper des écuries. Ce à quoi Bougainville avait répondu avec beaucoup d’esprit : “Au moins on ne pourra pas dire que vous répondez comme à un cheval” ! La réponse fit le tour de Paris et le ministre ridiculisé dut demissionner.

Au début de sa carrière militaire, Bougainville n’était pas officier de marine. Il demanda à rejoindre la marine ultérieurement, ce qui était un cheminement atypique (comme Estaing, le futur amiral).

Bougainville étant franc-maçon: dans sa logique propre, avait-il le sentiment de trahir puisqu’il n’était pas au service du roi (selon lui), mais au service de la grande cause FM ?

Rappelons qu’il était également un faux noble. Chose que les autres officiers de marine ne manquaient pas de lui faire sentir.

Grasse eut la gentillesse et la naïveté de lui confier le commandement d’une division apres la bataille de Yorktown-Cheasapeke.

A une autre époque, Orvilliers fit preuve également d’une grande naïveté sur certains de ses officiers et s’en rendit compte après coup : le duc d'Orléans était aussi franc-maçon et grand admirateur de l'Angleterre : lui aussi prétendit ne pas avoir vu les signaux qui aurait permis à Orvilliers d'écraser les Anglais à la bataille d'Ouessant !

Pour conclure, la periode 1778-1783 de la marine royale française est largement sous estimée et tronquée par l’ensemble des historiens, y compris au sein même du musée de la marine. Quand on a compris que Louis XVI, restaurateur de la marine française, voulait atteindre au moins la parité avec la Royal Navy, on comprend tout le reste: l’Angleterre devait impérativement se débarrasser de Louis XVI...
Auguste
 
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Re: La bataille des Saintes : Bougainville a-t-il trahi ?

Message par BRH » Dimanche 10 Janvier 2010 10:31:56

Bonjour Auguste, c'est du lourd que vous mettez en ligne là... 8)

Après une rapide recherche, voici ce que j'ai trouvé :

François Joseph Paul, comte de Grasse, était l'un des seuls amis du grand Suffren. Et c'était l'un des meilleurs amiraux de Louis XVI. On peut siter la thèse d'un étudiant de la Sorbonne, qui étudia le procès dont fut victime de Grasse : trouvée sur google, en tapant "bataille des Saintes" dans l'onglet recherche d'Internet Explorer. Voici un copier-coller conforme du texte du fichier pdf :

http://www.paris-sorbonne.fr/fr/IMG/pdf ... sition.pdf

Position de thèse :

Si la bataille navale des Saintes, qui opposa Anglais et Français le 12 avril 1782, a été étudiée par beaucoup d’historiens, en revanche le procès de Lorient qui s’ensuivit n’a jamais été étudié et c’est ce procès qui a été le sujet de mes recherches. A son retour de captivité, le comte de Grasse, vaincu par l’amiral Rodney, accusa ses chefs d’escadre, Vaudreuil et Bougainville, ainsi qu’un certain nombre de capitaines de vaisseaux de n’avoir pas obéi à ses ordres. On ne peut donc dissocier l’étude du procès de Lorient et celle de la bataille des Saintes, l’un étant la suite de l’autre. Trois cent quatre survivants ont témoigné devant le tribunal. Il est exceptionnel d’avoir autant de témoignages sur une bataille.

Le comte de Grasse, né en 1722, choisit la carrière militaire et la marine. Après avoir fait ses « caravanes » à Malte, il eut une ascension régulière. Il participe brillamment à la bataille d’Ouessant en 1778, aux campagnes américaines de d’Estaing en 1778-1779, puis à celle de Guichen en 1780 pour aider les « Insurgents ».

Quelle était la situation de la marine militaire sous Louis XVI au temps de la bataille des Saintes ? Dans la Marine, deux personnalités dominent la période qui nous intéresse, Sartine et Castries. Avec Sartine, nommé ministre de la Marine par Louis XVI dès son avènement, la Marine française connaît une évolution considérable. Par les ordonnances de 1774 et 1776, il réorganise les ports et arsenaux, le recrutement et la formation des officiers et il développe un programme naval nouveau. Enfin, il décide d’intensifier la pratique de l’escadre d’évolution afin de former à la mer les marins en temps de paix. Les crédits de la Marine sont considérablement augmentés et dépassent même ceux de l’armée de terre.

La tactique navale du XVIII e siècle est dominée par la ligne de bataille ou « ligne de file ». Prendre l’avantage au vent est le but essentiel des manoeuvres. L’usage de l’artillerie lourde a remplacé l’abordage. Le renseignement dans l’armée navale française, à part quelques exceptions, reste médiocre. Les conditions de vie à bord provoquent des maladies par carence et des épidémies entraînent une mortalité terrible. Le nombre de marins qui meurent au combat est insignifiant en comparaison. Seuls, les officiers ont des conditions de vie et une alimentation décentes. La discipline exigée des matelots est très sévère ; en revanche l’indiscipline est fréquente dans la noblesse.

Après la déclaration d’Indépendance, le 4 juillet 1776, tout un mouvement d’opinion se déclare en France en faveur des Insurgents, mouvement soutenu par La Fayette, Beaumarchais, Sartine et Vergennes. En 1778, un traité d’amitié et de commerce est signé avec la jeune république américaine et les hostilités entre la France et l’Angleterre commencent très vite sur mer. Un traité d’alliance franco-espagnol signé à Aranjuez en 1779 renforce en apparence la position de la France. En 1780, Sartine disgracié est remplacé par Castries.

En 1781, le comte de Grasse retrouve la France pensant prendre un repos mérité, mais Louis XVI le nomme lieutenant général et lui donne le commandement d’une armée navale qui doit porter en Amérique toute l’aide réclamée par Washington. Sans perdre de temps, De Grasse appareille de Brest le 22 mars 1781 devant le ministre de la marine, le marquis de Castries, qui s’est déplacé pour la circonstance. Après une traversée en un temps record, il arrive à Saint-Domingue, puis devant la Martinique assiégée par l’amiral Hood. Il met la flotte anglaise en fuite sans pouvoir la détruire, suite à une faute de Bougainville. Avec le marquis de Bouillé, gouverneur des îles du Vent, il prend Tobago, puis décide d’aller en Amérique et porte son choix sur la Chesapeake sur les conseils de La Luzerne, ministre plénipotentiaire à Philadelphie. Il débarque les troupes du marquis de Saint-Simon qui font jonction avec les troupes de Rochambeau et de Washington et isolent le général Cornwallis qui ne peut s’échapper de Yorktown. Le 5 septembre 1781, une flotte anglaise, commandée par l’amiral Graves, va tenter d’enfermer De Grasse dans la baie de la Chesapeake, mais celui-ci réussit à se dégager à temps et fait battre en retraite les Anglais. Après une entrevue entre Washington et De Grasse sur la Ville de Paris, le 17 septembre, le siège de Yorktown commence, et après l’attaque du 14 octobre, Cornwallis capitule le 19. Les commentaires sont unanimes, les Etats-Unis viennent de naître. Nous sommes à l’apogée de la carrière du comte de Grasse.

De Grasse rentre à Fort-Royal, le 25 novembre 1781, avec une flotte délabrée, mais il n’a aucun moyen sur place pour la remettre en état. Sa santé est mauvaise et il demande en vain son remplacement. De part et d’autre, on envoie des renforts. Rodney appareille d’Angleterre pour renforcer Hood et arrive sans encombre à la Barbade. Guichen en revanche part de Brest, mais il est défait par Kempelfeld privant De Grasse de renforts. Les instructions de Versailles sont de détruire la flotte de Hood, d’escorter un grand convoi de navires marchands, et en priorité d’aider les Espagnols à prendre la Jamaïque.

De Grasse avec trente-trois vaisseaux appareille de Fort-Royal le 8 avril en direction du Cap-Français, protégeant un convoi de cent cinquante voiles et transportant six mille cinq cents soldats. Rodney, à l’affût à Saint-Lucie, se lance à sa poursuite avec trente-six vaisseaux.

Les forces anglaises sont donc commandées par Rodney, secondé par Hood. La stratégie britannique est déterminée par le premier ministre Lord North et par Lord Sandwich, Premier Lord de l’Amirauté. Les vaisseaux anglais sont construits par des arsenaux royaux et des chantiers privés. Des bases relais outre-mer assurent entretien et ravitaillement. L’importance des populations maritimes favorise le recrutement des marins. Les officiers ont tous été simples mousses pour débuter. Presque tous les amiraux sont membres du parlement.

La marine britannique en cette fin du XVIII e siècle bénéficie de trois avantages : le doublage des coques en cuivre, une arme nouvelle, la caronade, et enfin grâce à Blane, un jeune médecin écossais, la lutte contre le scorbut devient efficace assurant des effectifs complets et en bonne santé à Rodney. Le Secret Service est particulièrement efficace grâce à des espions comme Bancroft. La discipline est aussi sévère pour les marins que pour les officiers.

Les 9, 10, 11 avril se passent en évolutions marquées par un affrontement le 9, plutôt à l’avantage des Français, et la perte de trois vaisseaux français due à de mauvaises manoeuvres de certains capitaines qui provoquent des abordages.

Le 12 avril 1782, c’est la bataille décisive. A 6 h du matin la flotte française navigue en désordre dans un canal étroit, le canal des Saintes, la flotte anglaise est en ligne de bataille au sud-est. Un vaisseau français, le Zélé, avarié, remorqué par une frégate, est à la traîne. Il est sur le point d’être rattrapé par les Anglais. Plutôt que de l’abandonner à son sort, De Grasse décide de virer de bord pour protéger le Zélé et tout le futur procès de Lorient est là. Les deux armées navales vont donc se croiser et s’affronter à bords opposés et c’est le branle-bas de combat. Le feu commence vers 7 h 45, mais la ligne française n’est pas encore régulière, en revanche la ligne anglaise est alignée au cordeau. En continuant sa route, la flotte française va tomber sous les calmes de la Dominique et la flotte anglaise risque de se retrouver entre le convoi et l’armée navale française. De Grasse décide de virer de bord, les deux flottes iront alors dans le même sens. Il ordonne au vaisseau serre-file de virer le premier mais l’ordre n’est pas exécuté ; alors il ordonne au vaisseau tête de file de virer, l’ordre n’est pas plus exécuté, car non retransmis par Bougainville. Cette manoeuvre aurait prolongé le combat fort meurtrier provoqué par les caronades anglaises. De plus, le vent qui soufflait de l’est passe au sud entraînant la dislocation de la ligne française et des abordages. Une brèche s’ouvre en arrière de la Ville de Paris et Rodney en profite et coupe la ligne française. Il est 9 h 45. Les trois ponts anglais ravagent par un tir en enfilade les ponts français. Hood à 10 h 15 se jette dans une autre brèche. L’armée française est coupée en trois groupes. De Grasse essaie, mais en vain, de reformer une ligne de bataille. Vers 11 h 30, le vent tombe et la fumée empêche toute visibilité pendant une heure. Quand la fumée se dissipe, Bougainville déclare qu’il est hors d’état de combattre et c’est la débandade de son escadre. En revanche, Vaudreuil avec la sienne essaie de venir au secours du vaisseau amiral, mais il n’est rejoint que par quatre de ses vaisseaux qui forment une petite ligne en avant de la Ville de Paris alors que celle-ci est
attaquée à l’arrière, à bâbord et à tribord, par toute la flotte anglaise. La Ville de Paris est abandonnée par ses deux matelots (vaisseaux d’avant et d’arrière du vaisseau amiral chargés de le protéger). A 6 h 30 du soir, le vaisseau amiral de la flotte française amène ses couleurs. De Grasse se rend à Hood et Vaudreuil prend le commandement. Il n’y a pas de poursuite ce qui permet à vingt-cinq vaisseaux français de rejoindre le Cap-Français.

On peut estimer le nombre des tués à environ deux mille dont six capitaines de vaisseaux sur trente. Les plus grosses pertes sont enregistrées sur la Ville de Paris et trois vaisseaux placés au point de rupture de la ligne. En revanche, certains vaisseaux accusent très peu de pertes : ils furent plus spectateurs qu’acteurs, comme le montre le nombre de coups de canon tirés. Cinq vaisseaux furent capturés ou détruits. Le nombre des prisonniers est important, environ quatre mille gardés principalement à la Jamaïque. Vaudreuil part le 9 août à Boston avec sa flotte pour finir de réparer ses mâtures.

Les pertes humaines anglaises s’élèvent à six cents hommes environ, et si la flotte anglaise n’a perdu aucun vaisseau, plusieurs sont gravement endommagés. Conséquence tactique de la bataille des Saintes, les Anglais vont désormais prôner la rupture de la ligne en remplacement de la ligne de bataille classique. Les Français se contenteront d’ordonner, qu’en cas de bataille, l’amiral se place à bord d’une frégate pour mieux observer l’ensemble de la ligne.

De Grasse arrive à Londres le 5 août, prisonnier de Rodney, qui le traite avec beaucoup d’égards. Il est reçu par George III et par plusieurs membres du gouvernement anglais. Cet accueil est mal supporté par Versailles. De Grasse élabore avec Lord Shelburne les conditions d’un accord qui seront presque celles acceptées pour le Traité de Versailles en 1783, reconnaissant l’indépendance des treize colonies. Pendant ce temps-là, La Pérouse détruit les factories anglaises dans la baie d’Hudson, et les convois français continuent de traverser l’Atlantique, la marine française est toujours libre de ses mouvements.
A Versailles, Castries ordonne la mise en chantier de douze vaisseaux pour compenser les pertes. Vergennes, qui a pris connaissance des propositions anglaises apportées par De Grasse, manifeste son étonnement, les Anglais voulant toujours la paix en dépit de la bataille des Saintes. Louis XVI reçoit De Grasse qui, maladroitement, demande justice et accuse ses deux chefs d’escadre pour se justifier. Le roi va donc ordonner la réunion d’un Conseil de Guerre.

Le Conseil de Guerre tenu à Lorient comprend trois phases : l’information préalable, la Commission d’enquête et le Conseil de Guerre proprement dit.

L’information préalable est constituée par les comptes rendus de De Grasse. A savoir, une lettre rédigée à chaud, le 13 avril, le lendemain de la bataille, un Journal rédigé durant la traversée de l’Atlantique et enfin un Mémoire, largement diffusé, imprimé en octobre 1782 avec huit plans des positions principales des armées. Si, dans la lettre, il n’accuse que ses deux « matelots » de l’avoir abandonné, dans le Journal et le Mémoire, il accuse Bougainville et Vaudreuil de ne pas avoir exécuté ses ordres.

Voyons ensuite la Commission d’enquête. Des Conseils de marine sont mis en place à Brest, Rochefort et Toulon pour recevoir les journaux de navigation et les dépositions des officiers ayant combattu aux Saintes. Ils fonctionnent de septembre 1782 à juillet 1783.
L’interrogatoire comporte toujours les mêmes questions et les réponses montrent que chacun essaie de se donner le beau rôle et reste discret sur les erreurs commises, beaucoup affirment n’avoir rien vu, du fait de la fumée. Personne ne reconnaît avoir pris la fuite, mais certains disent plus pudiquement qu’ils ont arrivé et couru vent arrière. Tous ont des carrières à défendre, mais il y a quelques exceptions, en particulier le témoignage de Vaugiraud, major de l’armée, et d’officiers étrangers servant dans la flotte française. J’analyse les principales dépositions des officiers embarqués sur vingt vaisseaux et trois frégates ayant eu un rôle essentiel dans la bataille. Sur la Ville de Paris, tout le monde est solidaire du commandant en chef, ce qui est rare. Bougainville affirme que la fumée l’a empêché de voir quoi que ce soit mais son témoignage est souvent en contradiction avec celui de son capitaine de vaisseau et de son maître-pilote. Il est critiqué aussi par le marquis de Vaudreuil, l’autre chef d’escadre, qui se montre très amical vis-à-vis de De Grasse et affirme en parlant de Bougainville : « Il ne sait pas manoeuvrer, ce n’est pas de sa faute » . Les capitaines des deux vaisseaux matelots de l’arrière et de l’avant du vaisseau amiral protestent violemment de leur innocence, de même les capitaines des vaisseaux serre-file et tête de file accusés de ne pas avoir viré. Personne n’est d’accord sur le lieu de la première rupture de la ligne française, mais il semble, à la majorité, que le comte de Vaudreuil, frère du marquis, en soit responsable ce qui est confirmé par son frère. Des frégates, une seule a combattu le Richmond et c’est elle qui est arrivée la première en France pour apporter la nouvelle de la défaite.

Pendant ce temps, un accord est signé entre l’Angleterre et l’Amérique, le 28 septembre 1782 et, le 28 janvier 1783, c’est la signature des préliminaires de paix entre la France, l’Espagne et l’Angleterre.

Enfin, le Conseil de Guerre proprement dit siège à l’hôtel des ventes du port de Lorient, présidé par le comte de Breugnon, à partir du 20 septembre 1783 (le traité de Versailles a été signé le 3 septembre). Il comprend quatorze membres. Le rapporteur est le comte d’Arbaud et le procureur du roi le vicomte de Pontevès-Gien. La presse française est muette sur le procès, en revanche la presse étrangère le relate abondamment. Trois cent quatre témoins défilent à la barre, mais, en plus des officiers de marine survivants, il y a des officiers de l’armée de terre embarqués. Ces témoins qui ont déjà déposé devant les Conseils de marine font un deuxième témoignage qui peut être différent du premier, les langues se délient, des alliances se forment. En particulier, le marquis de Vaudreuil, amical au début, devient très hostile à De Grasse pour soutenir son cadet le comte de Vaudreuil. Bougainville atténue son témoignage, il a vu quand même en dépit de la fumée…Beaucoup se vantent en augmentant le nombre des vaisseaux ennemis. On finit par apprendre que, sur le vaisseau l’Ardent, ce sont les prisonniers anglais qui se sont rendus maîtres du vaisseau. Les divergences dans les dépositions sont nombreuses et il y a beaucoup de non-dits.

Après la 304e déposition, le Conseil de Guerre demande à entendre les deux capitaines des vaisseaux « matelots » de la Ville de Paris qui n’ont pas déposé car ils sont en forteresse et celle de De Grasse lui-même. Les deux capitaines témoignent avec véhémence, et De Grasse, bien qu’il ait rendu compte au roi (ce qui en principe le dispense de témoigner), se rend à Lorient pour témoigner avec dignité.

Les délibérations durent trois mois. Un premier rapport du comte d’Arbaud en date du 17 février 1784 est très sévère et soutient le point de vue de De Grasse. Il demande l’inculpation de Bougainville, des capitaines des deux matelots de la Ville de Paris et celle du capitaine de l’Ardent. Ce rapport provoque l’indignation, avec un mois de retard, de plusieurs membres du Conseil. Il est évident que ceux-ci sont souvent des amis intimes des accusés. Le président Breugnon et le procureur Pontevès-Gien, fidèle défenseur de De Grasse, s’affrontent.

De nombreuses pièces vont arriver au Conseil de Guerre, les unes défendant Bougainville, d’autres Vaudreuil et, enfin, les ripostes de De Grasse. Vaudreuil arrive à rassembler la plupart des capitaines de vaisseaux contre De Grasse, lui reprochant la décision de livrer bataille et ses ordres de virer. Mais quelques capitaines, et non des moindres, n’hésitent pas à critiquer Vaudreuil.

Le 12 avril 1784, le Conseil de Guerre vote. A l’unanimité, moins une voix, il demande une peine de dix ans d’interdiction pour Bougainville. La majorité, moins cinq voix (les partisans de De Grasse), demande la décharge de toute accusation pour les « matelots ».
Dans un deuxième rapport du comte d’Arbaud, en date du 11 mai 1784, celui-ci fait volte-face, change de ton et trouve des excuses à tout le monde. Il reste sévère avec Bougainville, mais se montre compréhensif avec tous les autres et termine par un éloge appuyé de la Marine. On peut imaginer des pressions venus de très haut sur le Conseil.

Le jugement est rendu le 21 mai 1784. Seul, Bougainville est condamné à être admonesté en présence du Tribunal assemblé (ce qui doit le laisser indifférent, car il a dans sa poche une lettre de Castries lui déclarant que Sa Majesté est contente de ses services) et le capitaine commandant l’Ardent est condamné à trois mois d’interdiction de ses fonctions et c’est tout. Tous les autres officiers sont déchargés de toute accusation.

Le grand perdant de ce procès, bien qu’il ne soit pas lui-même inculpé, c’est le comte De Grasse. Louis XVI lui fait dire qu’il ne souhaite pas le rencontrer et qu’il lui conseille de se retirer dans sa province. De Grasse effectivement ne remit jamais les pieds sur un vaisseau.

Les causes de l’échec se résume ainsi : la désobéissance aux ordres reçus, la supériorité de l’armée navale anglaise (le nombre des vaisseaux tous doublés en cuivre, ses relais aux Antilles, sa discipline, les caronades et la meilleure santé des équipages) et enfin le choix de De Grasse de livrer bataille. L’opprobre subi par De Grasse s’explique par son mauvais caractère, son autoritarisme, son manque de sens psychologique. Ce n’est pas un meneur d’hommes. Il n’a jamais su se faire aimer de ses officiers. Le témoignage des officiers de l’armée de terre embarqués sur les vaisseaux est très sévère sur le caractère des officiers de marine, marqué par l’orgueil et l’ absence de discipline.

Les hauts personnages qui ont pu intervenir pour étouffer le scandale sont nombreux : Castries, Vergennes, Louis XVI, Marie-Antoinette et le clan Polignac très lié à la famille Vaudreuil.

Mais les défenseurs de De Grasse existent : les officiers de la Ville de Paris, deux capitaines de vaisseaux (sur trente), les officiers étrangers, le procureur du roi Pontevès-Gien, le marquis de Bouillé, le comte de Rochambeau, le marquis de Saint-Simon et les Anglais. Si on fait un parallèle avec Suffren, on constate que lui aussi se heurte à des refus d’obéissance évidents (il se débarrasse de trois de ses capitaines) mais, bien que sa campagne brillante soit sans effet sur la défense des intérêts français aux Indes, il est idolâtré.

Il reçoit l’hommage de l’Amérique qui le fait chevalier de l’ordre de Cincinnatus, quatre canons pris à Yorktown lui sont offerts et Washington lui témoigne son amitié jusqu’à la fin de sa vie. En revanche en France, jusqu’à la deuxième guerre mondiale, le nom de De Grasse est tombé dans l’oubli, associé à une défaite cuisante, effaçant ses succès antérieurs
Puis un revirement se produit en sa faveur, plusieurs navires français portent son nom ainsi qu’un destroyer américain. C’est un Américain qui a écrit sa première biographie. Le procès de Lorient a été un procès politique, trop d’intérêts personnels étant en cause. Il aurait mieux valu exalter la Chesapeake et oublier les Saintes. On choisit de ne pas condamner la désobéissance de gens bien en cour.

En annexes, on trouve des notices sur les descendants du comte de Grasse, la Ville de Paris, la mesure du temps, les instructions de Versailles, une lettre écrite par un officier du Formidable, le Journal du comte de Grasse, le Mémoire du comte de Grasse, des extraits des dépositions des marins devant les Conseils de marine, des extraits des dépositions des marins et officiers de l’armée de terre devant le Conseil de guerre de Lorient, le mémorial de De Grasse à Saint-Roch, les huit plans des positions principales des armées respectives
.
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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