Désastre de LA HOUGUE

Désastre de LA HOUGUE

Message par BRH » Lundi 21 Février 2022 18:35:17


Combat de La Hougue
197 ANS AVANT L'ARRIVÉE DES TORPILLEURS A SAINT-VAAST-LA-HOUGUE
Le Roi d'Angleterre, Jacques II, Stuart, à la veille d'être détrôné par son gendre, Guillaume III, prince d'Orange, était venu chercher asile près de Louis XIV. Arrivé le 7 janvier 1689, avec son fils naturel, le duc de Berwick, à Saint-Germain-en-Laye, il fut reçu par le Roi très chrétien, avec toutes les démonstrations possibles d'amitié et de zèle.
Le 7 février, le Parlement anglais décida que Jacques II, ayant renversé, autant qu'il était en lui, les lois fondamentales de l'Angleterre, violé le contrat original qui était entre lui et son peuple et ensuite abandonné le royaume, avait, par sa retraite, laissé le trône vacant. Le lendemain, les législateurs réglèrent qu'un prince faisant profession de la religion catholique et romaine ne pouvait être roi d'Angleterre.
Le 17, ils déférèrent la couronne au prince d'Orange et à la princesse Marie, sa femme, malgré l'opposition de quelques prélats, en particulier de ceux que le roi Jacques avait envoyés à la Tour pour avoir refusé de publier la proclamation de la « Tolérance ».
Guillaume III, roi d'Angleterre, né en 1650, est mort en 1702. Il était fils de Guillaume II de Nassau, prince d'Orange et stathouder de Hollande. Il avait épousé, en 1677, la princesse Marie, fille aînée de Jacques II, roi d'Angleterre, alors que ce prince n'avait pas d'enfant mâle.
Aussi, le prince d'Orange était-il regardé, par les Anglais, comme leur futur souverain, lorsque Jacques II eut un fils, en 1688.
Le prince d'Orange n'en continua pas moins d'aspirer au trône d'Angleterre et, réunissant une floue de 500 vaisseaux et 140,000 hommes, il débarqua, le 5 novembre 1688, à Torbay, et marcha sur Londres, où le peuple l'acclama avec enthousiasme.
C'est à ce moment que Jacques II quitta son royaume pour se réfugier en France.
Rappelé en Angleterre par une nouvelle faction de sujets, il demanda au roi de France, en 1692, une flotte pour se mettre en mer, et des troupes pour le soutenir dans le débarquement. Il se rendit à La Hougue avec 8,000 hommes que le Roi lui accorda et 15 bataillons irlandais qui l'avaient rejoint. Trois cents bâtiments devaient le porter en Angleterre avec des armes destinées à ses partisans, qu'on disait en fort grand nombre. On ne leur menait point de chevaux, parce qu'ils avaient assuré qu'ils en fourniraient.
La flotte du comte de Tourville, vice-amiral de France, forte de 44 vaisseaux de guerre, était destinée à assurer le passage de Jacques II et d'escorter ses bâtiments.
A cette flotte, devait se joindre l'escadre du comte d'Estrée, partie de Toulon ; mais cette dernière, forte de 30 vaisseaux, fut dispersée au large par la tempête et ne put arriver à temps.
Les vents, constamment contraires pendant près de six semaines, retinrent en rade de Brest le comte de Tourville, qui devait croiser dans la Manche et occuper les flottes anglaise et hollandaise, tandis que le comte d'Estrée accompagnerait le roi Jacques.
Ce long retard fit découvrir le projet et donna le temps à la reine Marie de prendre quelques mesures pour empêcher la descente en Angleterre, et hâter l'armement de sa flotte. Guillaume, de son côté, en fit autant en Hollande ; ses instructions furent exactement suivies.
Les deux flottes furent en mer et se joignirent avant que la flotte française fût en état d'empêcher leur jonction. Le projet de descente en Angleterre, pour être découvert, n'était pas déconcerté ; aussi ne l'abandonna-t-on que lorsqu'il fut absolument impossible de l'exécuter.
Louis XIV comptait ou que l'invasion réussirait, parce que Guillaume n'avait laissé que très peu de troupes à la reine Marie, ou du moins qu'elle obligerait ce prince à repasser la mer, à ramener avec lui la plupart des anglais, et qu'en ce cas, de quelque manière que les affaires tournassent en Angleterre, il se rendrait maitre de la Flandre et obligerait les Hollandais à se soumettre.
Plein de ces espérances, ayant su que 40 vaisseaux anglais devaient se rendre sur la côte de Normandie pour tâcher de détruire les 300 vaisseaux de transport qui se trouvaient dans les parages de La Hougue, il donna l'ordre à Tourville de gagner la Manche et de combattre les vaisseaux anglais, à quelque prix que ce fût.
Wattier d'Ambroyse nous apprend que Léon Guérin apprécie ainsi, dans ses écrits, les causes, du funeste combat de La Hougue :
« Tourville, dit-il, voulait attendre d'avoir des forces nécessaires pour lutter contre les 94 vaisseaux et les brûlots de la flotte anglo-hollandaise. « Mais le ministre Pontchartrain, triste successeur de Colbert et de Signelay, eut la témérité de lui écrire : « Ce n'est point à vous à discuter les ordres « du Roi, c'est à vous de les exécuter et d'entrer « dans la Manche. Mandez-moi si vous le voulez « faire, sinon le Roi commettra à votre place quel- « qu'un plus obéissant et moins circonspect que « vous ».

Tourville, l'indignation et le désespoir au cœur, assembla aussitôt ses capitaines et leur fit la lecture de cette insolente épître. Il ne s'agit point de délibérer, leur dit-il ensuite, mais d'agir. Si on nous accuse de circonspection, du moins que l'on ne nous taxe pas de lâcheté. Et il les renvoya de suite, en leur donnant l'ordre d'appareiller, quoiqu'il n'eût que 44 vaisseaux à sa disposition.
Tourville s'étant plaint que la poudre était mauvaise et ne portait pas le boulet, un commis des bureaux de la Marine lui répondit : « Que s'il trouvait que la poudre ne portait pas assez loin, il n'avait qu'à s'approcher plus près des ennemis. »
Comme si ce n'eût pas été assez de la lettre de Pontchartrain et de cette grotesque réponse, Louis XIV avait envoyé, signée de sa main, des instructions pour chercher les ennemis et les combattre, forts ou faibles, partout où on les rencontrerait ! Le Roi ajoutait s'en remettre à Tourville pour, s'il y avait du désavantage, sauver l'armée le mieux qu'il pourrait.
Le désastre de La Hougue répondit à ces incroyables paroles.
La Société Archéologique, Artistique et Scientifique de l'arrondissement de Valognes, a consigné dans ses mémoires les instructions suivantes, extraites d'un manuscrit appartenant à M. Benoist :
« Pour le sieur comte de Tourville, vice-amiral de France, commandant l'armée navale du Roi. « Sa Majesté ayant expliqué de bouche au sieur de Tourville le service auquel elle destine son armée navale pendant cette campagne, elle se contentera de luy dire qu'elle veut qu'il mette à la voile, le 25 d'avril prochain, en quelque état que soit le Soleil-Royal, qu'il doit monter, avec le nombre des vaisseaux de guerre, les brûlots et les bâtiments de charge qui seraient en état de le suivre ; il verra par la liste ci-jointe les vaisseaux qu'elle destine pour partir avec lui, espérant qu'ils pourront tous mettre à la voile ce dit jour 25 d'avril, mais elle lui répète encore que s'il y en a quelques-uns qui, par quelque accident imprévu, ne soient pas en état d'appareiller en même temps que luy, elle veut qu'il les laisse. Elle se fera informer des raisons qu'auront eu ceux qui les commandent de rester, et elle se remet. Cependant, en cas que quelqu'un, soit par mauvaise volonté, soit par ignorance, ne fit pas toute la diligence nécessaire dans une occasion aussi importante. Sa Majesté lui permet de l'interdire et de donner à un autre le com- mandement de son vaisseau, elle lui permet aussi de prévenir par ses ordres tout ce qui pourrait causer quelque retardement, et elle approuve tout ce qu'il fera pour cela. Ledit sieur de Tourville connaîtra par le pouvoir qu'elle luy donne en cette occasion, qu'elle veut absolument que la diligence qu'elle désire se fasse et qu'elle s'en prendrait à lui si elle ne se faisait pas.
« Après être sorti de Brest, Sa Majesté veut qu'il entre, sans perdre de temps, dans la Manche ; qu'il détache aussitôt les vaisseaux de son armée, les plus tins de voiles, pour aller au-devant jusqu'à la rade du Havre et de donner avis au sieur de Baurepas de sa venue.
« Sa Majesté veut qu'il mouille à la rade de La Hougue, où il embarquera tant sur les vaisseaux de guerre que sur les bâtiments de charge qui seront à sa suite, toute l'infanterie.
« Sa Majesté veut qu'il aille aux côtes d'Angleterre pour y faire débarquement, Sa Majesté se remet du choix où il faudra faire cette descente au roy d'Angleterre duquel Sa Majesté désire qu'il suive en cela. les ordres et les avis du maréchal de Bellefonds, qui commandera l'armée de terre.
« Après que la descente sera achevée, Sa Majesté veut qu'il renvoie dans les ports de la Normandie, les bâtiments de charge dont les équipages ne seront composés que d'invalides, et les autres à Brest, sous l'escorte de quelques frégates qui restent dans la Manche, avec les vaisseaux de guerre couverts de brûlots et autres bâtiments nécessaires pour le service de l'armée, en observant d'envoyer au sieur de Châteaurenaud, qui commandera les vaisseaux qui le devront joindre, les ordres qu'il estimera nécessaires pour faciliter la jonction et les signaux de reconnaissance.
« Sa Majesté se remet à luy de faire tout ce qu'il jugera à propos pour faciliter cette jonction et ôter aux ennemis le moyen de l'empêcher.
« Il trouvera cy-joint des signaux de reconnaissance du sieur comte d'Estrées, afin qu'en cas qu'il n'arrive qu'après le départ du dit sieur de Tourville il puisse l'aller rejoindre dans la Manche.
« Sa Majesté veut absolument qu'il parte de Brest le dit jour 25 d'avril, quand même il aurait avis que les ennemis seraient dehors avec un nombre de vaisseaux supérieur à ceux qui seront en état de le suivre.
« Il observera cependant en ce cas de ne point détacher les vaisseaux fins de voile, comme il lui est ordonné cy- dessus. En cas qu'il les rencontre en allant à La Hougue, Sa Majesté veut qu'il les combatte en quelque nombre qu'ils soient, qu'il les poursuive jusque dans leurs ports, s'il les bat, après avoir envoyé un détachement de
l'armée du Havre pour prendre les bâtiments de charge et les mener ensuite au lieu où se devra faire la descente, et s'il a du désavantage, Sa Majesté se remet à luy de sauver l'armée le mieux qu'il pourra.
« En cas que les ennemis n'étant pas assez forts pour donner bataille ne veulent que faire perdre du temps pour empêcher la descente, il fera tout ce. qui sera possible pour les engager au combat, et s'il ne peut en venir à bout, il disposera l'armée de manière qu'elle puisse couvrir la descente ; mais en cas qu'en entrant dans la Manche, il

apprenne, soit par les avis qu'il recevra du Havre, soit par les vaisseaux qu'il trouvera à la mer, que les ennemis sont sur la rade de Cte Hélène (rade de l'île de Wight), Sa Majesté veut qu'il fasse en sorte de les y surprendre avant d'aller à La Hougue, qu'il les y attaque et qu'il trouve moyen de les y faire périr. Si, lorsqu'il mènera les bâtiments de charge au lieu de la descente, ou lorsqu'elle sera commencée, les ennemis viennent l'attaquer avec un nombre supérieur à celui qu'il aura sous son commandement, Sa Majesté veut qu'il les combatte et qu'il opiniâtre le combat, de sorte que quand il aurait du désavantage, les ennemis ne peuvent empêcher que la descente ne s'achève ; mais elle veut qu'il s'approche d'assez près pour les reconnaître luy même, quand cela devrait l'obliger à combattre.
« Sa Majesté se remet à luy d'autres ordres pour l'escadre que le sieur de Châteaurenaud luy mènera pour les opérations du reste de la campagne.
« Comme il est important que le sieur de Beaurepaux qui sera au Havre, soit exactement informé de tous les mouvements de l'armée navale pour régler l'embarquement de la cavalerie et la sortie des vaisseaux qui la porteront, Sa Majesté veut qu'il lui en écrive exactement pour tous les ordinaires et qu'il lui envoie des courriers exprès lorsqu'il y aura des choses extraordinaires à luy faire savoir, par exemple pour luy donner avis de son départ au moment qu'il fera appareiller, ou en cas qu'il y ait des événements qui avancent ou qui retardent sa partance, et aussy dès qu'il sera dehors il lui dépêchera des corvettes et ensuite des vaisseaux fins de voiles ainsy qu'il lui en est expliqué cy dessus.
« Fait à Versailles, le 26 mars 1692. « Signé : Louis. »
Plus bas que cette instruction, est écrit de la main du Roy :
« J'ajoute ce mot de ma main à cette instruction pour vous dire que ce qu'elle contient est ma volonté et que je veux qu'on l'observe exactement, pourquoy je vous ordonne de donner bataille quelque inférieurs que puissent être vos vaisseaux à ceux de nos ennemis.
« Signé : Louis. »
En marge, le Ministre de la Marine écrivit en ces termes au comte de Tourville :
« Ce n'est plus seulement par la nécessité du service, comme asseuré de votre amitié, que je vous demande de partir ; partez, je vous conjure, les heures de votre retardement tombent sur moy, le Roy s'en prend à moy et je tombe dans le plus grand inconvénient du monde si vous différez, au nom de Dieu, donnez-moi cette marque de votre amitié, et vous me donnerez un repos dont je vous auray une obligation infinie.
« Signé : PHILIPEAUX DE PONTCHARTRAIN. »
Tourville partit le 12 mai de la rade de Brest, avec 37 vaisseaux et 7 brûlots, le vent était à l'Ouest lorsqu'il mit à la voile ; il changea presque aussitôt, de manière que dans sa route, il fut contrarié par des vents forcés du Nord-Est. Cependant, le 25, il se trouva à la hauteur de Plymouth, où il fut joint par 7 vaisseaux de guerre et par 4 brûlots ; la flotte se trouva ainsi de 44 vaisseaux et 12 brûlots ; selon les ordres précis qu'il avait reçus, il chercha les ennemis.
Le vent contraire à Tourville, avait favorisé les escadres ennemies ; elles s’étaient jointes et formaient ensemble une flotte du double de celle des français.
Louis XIV était déjà en Flandre lorsque les vents se mirent à l'Est et lui firent craindre cette jonction ; peut-être la sut-il positivement, car il donna des ordres contraires aux premiers ; malheureusement la frégate qui les portait fut prise et la copie qu'on avait envoyée par une autre voie arriva trop tard et ne fut remise à l'amiral Tourville que le lendemain de la défaite.
Comme on se cherchait de part et d'autre, on ne fut pas longtemps à se rencontrer ; les flottes se découvrirent le 28 et elles s'approchèrent le lendemain entre Barfleur et l'île de Wight.
La brume avait empêché Tourville de reconnaître, la veille, les flottes ennemies ; il n'avait reçu aucun avis ; aucune des dix barques qu'on lui avait dépêchées de Saint-Vaast et de Cherbourg ne l'avait joint. Il assembla son Conseil de guerre à qui il fit voir ses ordres, et le combat fut résolu.
Lorsqu'on fut à portée de l'ennemi, on compta 94 vaisseaux de premier rang et plusieurs brûlots ; les équipages et les compagnies de débarquement qui les montaient s'élevaient à 41,000 hommes, appuyés par 7,000 canons. Comme on était au-dessous du vent, peut-être qu'on eût pu éviter le combat ; mais, outre les ordres précis qu'on avait, on jugea que s'étant approché de si près, la frayeur se mettrait dans les équipages, si on reculait, et qu'il serait beaucoup plus dangereux de fuir que de se battre. On se mit donc en ordre de bataille.

Le marquis d'Anfreville commandait l'avant-garde ; le comte de Tourville était au centre, et l'arrière-garde était aux ordres de Gabaret.
En arrivant sur les flottes combinées, dont les Hollandais avaient l'avant-garde, le corps de bataille et l'arrière- garde étant sous les ordres de l'amiral Edouard Russel, comte d'Oxford, et du chevalier sir John d'Ashby, le comte de Tourville fit gouverner directement sur l'amiral d'Angleterre et observa tous ses mouvements, pour ne pas perdre l'occasion de le combattre.
Les alliés avaient mis en panne pour attendre l'armée de France. On fut bientôt à la portée du mousquet ; on y resta un temps assez considérable sans tirer de part et d'autre.
Enfin, un vaisseau hollandais commença le feu à 10 heures du matin, le 29 mai. Ce fut le signal et, en un instant, il se fit un feu terrible sur toute la ligne, surtout au corps de bataille. Pendant trois heures, Tourville fit plier l'ennemi, fracassa tous les mâts des plus grands vaisseaux, en coula un à fond avec la plupart des brûlots qu'on dirigeait sur lui, sans même perdre, de son côté, ni mâts ni vaisseaux dans un engagement aussi inégal.
Le combat devint terrible. La plupart des vaisseaux de l'escadre française eurent à soutenir, tant d'un bord que de l'autre, le feu de 4 ou 5 vaisseaux ennemis. Un brouillard épais survint, vers 8 h. 1/2, et fit cesser le feu qui recommença à 9 heures et dura jusqu'à 10 heures du soir. L'obscurité sépara les deux flottes et 10 de nos vaisseaux se trouvèrent écartés. Le jour suivant ayant fait constater cette diminution, on ne se vit plus en état de joindre les ennemis ; il fallut céder au nombre et se retirer.
Le Soleil-Royal, qui avait été au plus fort de la mêlée, était percé en tant d'endroits, que le comte de Tourville qui le montait se vit obligé de l'abandonner et de monter sur l'Ambitieux, de 100 canons. C'est alors que l'ennemi, voulant s'emparer du vaisseau amiral, lui fit la chasse, mais sans pouvoir l'atteindre.
Le Soleil-Royal, l'Admirable et le Triomphant se réfugièrent sous Cherbourg, où ils furent brûlés, le 1er juin, par les Anglais, qui n'avaient pas réussi à s'en emparer malgré plusieurs assauts successifs. Le Soleil-Royal passait pour le plus beau navire du monde. Un historien anglais le décrit ainsi dans cette mémorable journée :
« Ce brave bâtiment, entouré d'ennemis, semblait une haute forteresse au milieu des flots, vomissant, de tous côtés, la mort par ses cent quatre sabords. Il était si formidablement armé, que toutes les tentatives d'abordage échouèrent. Longtemps après le coucher du soleil, il se débarrassa de ses assaillants et gagna la côte de Normandie ; le sang coulait de tous ses dalots. »
Treize vaisseaux de l'escadre se réfugièrent à La Hougue. Tourville, écrasé par des forces considérables et se voyant dans l'impossibilité de les sauver, avait résolu de les couler. On retira de ces bâtiments le plus d'agrès possible ; on arma des chaloupes et des bateaux pour les défendre contre le pillage des ennemis. On ne manquait pas de soldats, puisque les troupes destinées à passer en Angleterre avec Jacques II, étaient sur la côte, depuis Quinéville jusqu'à Réville. Mais on n'avait pu armer que 12 chaloupes et les bateaux qu'on leur avait joints se trouvaient peu propre à résister.
L'amiral anglais fit un détachement de 200 chaloupes légères et bien armées et brûla, le soir du 2 juin, les 6 vaisseaux échoués à l'islet de Tatihou.
Le lendemain, au flot du matin, qui commença à 10 heures, un plus grand nombre de chaloupes et de canots anglais, soutenus d'une frégate de 30 pièces de canon, entrèrent dans la petite rade et brûlèrent les 7 autres, avec tout ce qui se trouva de bâtiments marchands, malgré le feu de l'infanterie et le canon de La Hougue.
Une partie des équipages put se sauver à terre avec l'amiral Tourville. Le roi Jacques, avec le maréchal de Bellefonds qui commandait le camp de Morsalines, avait assisté, des hauteurs de Quinéville, à cette bataille qui anéantissait toutes ses espérances.
La population de Saint-Vaast, accourue au premier signal du danger, fit grandement son devoir ; elle se joignit à la troupe pour empêcher le débarquement que tentèrent les ennemis après l'incendie des vaisseaux.
Les Anglais crurent à la mort de l'amiral Tourville et s'en réjouissaient, malgré les éloges qu'ils prodiguaient à son égard.
Les Hollandais avaient eu 140 hommes tués, environ 300 blessés et 2 vaisseaux désemparés. Les Anglais, qui avaient eu tout l'honneur de cette bataille, avaient eu 2,000 morts, 3,000 blessés et un grand nombre de vaisseaux endommagés.
L'amiral anglais, sir John d'Ashby, qui commandait l'escadre bleue dans cette sanglante bataille, ne retira pas toute la gloire qu'il espérait avoir méritée. Il fut accusé, devant le Parlement, par le ministre Nottingham, d'avoir, par sa négligence, laissé échapper à la destruction, une partie de la flotte française. Déchargé de l'accusation, il quitta le service de mer. C'était un des meilleurs officiers de la marine britannique.
— Tourville avait battu, le 10 juillet 1690, les mêmes flottes combinées d'Angleterre et de Hollande, qui le battirent ce jour-là. 60 vaisseaux de ligne, équipés à Brest et rejoints par 18 autres armés à Toulon, étaient partis de Brest le 22 juin, avec 30 brûlots, quelques frégates et plusieurs bâtiments, de charge. Cette flotte était divisée

en 3 escadres, chacune de 26 vaisseaux. Elle portait 5,000 canons. Tourville entra dans la Manche le 29. Le 2 juillet, il reconnut l'île de Wight et découvrit l'ennemi. Les Hollandais étaient commandés par l'amiral Herversem ; les Anglais, sous les ordres d'Herberth, comte de Torrington. —
Je ne pourrais mieux faire l'histoire vivante des journées glorieuses et mémorables du combat de La Hougue, qu'en relatant, avec une stricte exactitude, le rapport officiel qui apprit au roi de France la nouvelle de ce désastre. Ce document lui parvint le 4 juin 1692.
Confirmé les jours suivants par MM. de Tourville, de Coëtlogon, Dumanoir et tous les officiers supérieurs qui avaient échappé à la mort, ce rapport a été, jusqu'à ce jour, inédit ; je suis heureux de le mettre sous les yeux des habitants de Saint-Vaast-la-Hougue, qui gardent fidèlement le souvenir des jours illustres où nos ancêtres combattirent avec tant de courage :
Saint-Malo, 4 juin 1692.
« Il n'est pas, Monsieur, que vous ne sachiez les malheurs dont l'armée du Roy se vient de voir accablée. Vous ne vous seriez jamais attendu à d'aussi tristes nouvelles, non plus que moy à vous faire le récit d'une retraite si désavantageuse.
« Vous saurez donc que nous sommes sortis de Brest avec quarante-quatre vaisseaux avec lesquels nous sommes entrés dans la Manche, jusques à environ 7 ou 8 lieues de l'isle de Ouhuït ; je ne seay pas quel était le dessein de la Cour, puisqu'il n'y avait rien de plus caché, mais il paraît cependant qu'elle avait été mal informée des forces des ennemis, puisque le sieur Renault, capitaine de vaisseau, ingénieur de la marine, avait été envoyé dans une corvette pour nous chercher et nous apporter les ordres de sortir de la Manche, mais ne nous ayant pas trouvé, nous tombâmes la nuit du 28 au 29 dans l'armée des ennemis qui était la plus belle et la plus nombreuse que l'on ait jamais vue par mer.
« 28 hollandais faisaient leur avant-garde, 37 anglais le corps de bataille, et l'escadre bleue des anglais, composée de 29, faisait leur arrière-garde.
« Tout cela n'empêcha pas M. le comte de Tourville d'exécuter les ordres qu'il avait reçus, puisqu'étant au vent des ennemis et pouvant par conséquent différer le combat, il arriva dessus et les attaqua à portée de pistolet, avec toute la bravoure et toute la fermeté possible, mais il ne vous sera pas difficile de vous imaginer qu'une ligne de 44 vaisseaux ne pouvait pas assez s'étendre pour faire tête à une autre de 94, et surtout avant affaire à de très-habiles gens qui s'éloignaient dans le corps de bataille à mesure que M. de Tourville s'avançait et qui se serraient, l'arrière garde et l'avant garde ensemble, afin que par la longueur de leurs lignes ils pussent doubler nos vaisseaux et nous environner de toute part.
« Après avoir donc rendu un combat fort inégal depuis 10 heures du matin jusqu'à 7 heures du soir, nous mouillâmes auparavant les ennemis afin que tenant sur nos ancres, ils pussent s'éloigner de nous par la force du courant qui les dérivait.
« Mais l'escadre bleue arrière garde qui n'avait rien fait pendant tout le combat, n'ayant point eu de nos navires par son travers à cause de la brièveté de notre ligne, se mit au vent à nous, à la faveur de la fumée de canon, si bien que quelque temps après avoir mouillé, nous nous vîmes environnés de tous côtés, les vaisseaux hollandais et le corps de bataille ayant mouillé fort peu de temps après nous et derrière nous.
« Il ne fut donc pas difficile à l'escadre bleue, qui n'avait pas encore mouillé et ayant l'avantage du courant sur nous, de se laisser dériver sur nos vaisseaux, ce qu'ils firent avec un feu continuel pour faire approcher de nous leurs brûlots à la faveur de la fumée de leurs canons, tellement, que ceux de nos vaisseaux qui se trouvaient les plus pressés par les brûlots, dont celui de M. Gabaret en était un, avec toute sa division, furent contraints de couper, pour éviter d'être brûlés ainsi dérivés dans l'armée des ennemis.
« Nous n'en avons eu aucune nouvelle depuis, non plus que M. de Nesmond avec toute sa division, dont M. de Périnet tenait la tête.
« La nuit étant venue et le descendant qui était pour nous, nous levâmes l'ancre et appareillâmes pour nous approcher de la côte de Normandie. Il se leva à ce moment une grosse brume avec un vent favorable qui nous donna espérance de faire une belle retraite parce que la brume empêchait l'ennemi de nous voir, mais sur le soir qui était le 30e, nous fûmes contraints de mouiller à cause du calme, afin que le courant qui montait ne nous dérivât pas sur les ennemis que la clarté du temps venait de nous faire paraître tout proche de nous.
« Nous nous trouvâmes ce soir-là, trente-trois du reste, qui étaient : l'amiral, tous les généraux et les navires à trois ponts, hors ceux que je vous ai nommés qui, pendant le combat, étaient tombés entre les mains des ennemis.

« La nuit étant venue, qui était donc du 30 au 31, M. de Tourville et tous les autres vaisseaux appareillèrent pour éviter les marées comme à l'ordinaire, et comme l'obscurité de la nuit nous empêchait de voir, M. de Tourville rit une route différente de la nôtre et résolut de passer le raz Blanchard qui est proche de Cherbourg. C'est proprement parler le détroit qui est entre la terre ferme et l'île de Cholay, qui est proche de Jersey et de Guernesey, et comme il n'avait aucun signal, nous nous trouvâmes mouillés fort au large, au nombre de onze vaisseaux, sans savoir ce que pouvait être devenu le reste de notre armée.
« C'est le matin-là, du 31e, où la force du courant du raz Blanchard fit dérader tous les gros vaisseaux parce que les courants avaient plus de prise sur eux que sur les moindres, et leurs ancres ne pouvant tenir au fond, ils se virent cruellement contraints de dériver tout au travers de l'armée des ennemis sans être en état de soutenir un second combat. Nous n'avons eu aucune nouvelle depuis, sinon que M. de Tourville, avant que de dérader du raz Blanchard, avait abandonné son vaisseau entre les mains de M. Desnos, son capitaine, afin de l'aller échouer à la côte, de manière qu'on put sauver le monde et le canon, parce qu'il était si criblé de coups et si maltraité qu'il était hors d'état de suivre et qu'il s'était embarqué avec M. de Villette.
« Voilà à peu près le récit en général d'une entreprise fort hardie et suivie d'une retraite assez malheureuse pour être appelée déroute.
« Je ne vous parle point du détail particulier des affaires, car je ne veux taire le procès à personne, je vous dirai seulement qu'il y a une quantité extraordinaire d'officiers tués. Pour ce qui est de nous, nous sommes ce qui s'appelle échignés et criblés de coups, étant désemparés de tous mâts et de la plus grande partie de notre équipage tué ou blessé.
« C'est tout vous dire que nous avons chauffé de si près qu'on a été obligé de nous envoyer des chaloupes des autres vaisseaux pour nous retirer d'entre les ennemis, parce que la nôtre fut coulée bas dès le commencement du combat et qu'il n'y avait que cela qui peut nous sauver, étant désemparés de tous mâts et de voiles.
« Pour ce qui est de moi, je crois que je m'en suis réchappé que pour une plus grande peine qui était de voir l'armée du Roy en si pitoyable état. On ne peut pas plus souffrir de fatigue que nous en avons enduré, tant du corps que de l'esprit, car il ne se peut jamais voir de spectacle plus terrible. Le soleil qui venait de se coucher avait laissé l'horizon tout rouge et la fumée du canon s'y mêlant faisait paraître l'air tout enflammé, de manière que nous voyons au travers de cet embrasement que de gros vaisseaux qui étaient tout en feu par la quantité de canons qu'ils tiraient pour faire approcher leurs brûlots à la faveur de la fumée ; ils venaient directement sur nous, à la portée du pistolet et nous aurions été criblés sans ressource ou nous aurions coupé le câble et par conséquent dérivé dans l'armée des ennemis, si par nos soins nous n'avions coulé bas celui qui venait à nous malgré le feu du vaisseau qui le soutenait, qui acheva de tuer presque tout notre monde. Mais, comme je vous ai déjà dit, M. de Gabaret ne put éviter celui qui venait à lui non plus que sa division qui furent contraints de couper leurs câbles et tomber sur les ennemis.
« Je ne vous ai pas dit que nous avions brûlé à coups de canon le vaisseau contre lequel nous nous sommes battus au commencement, qui était directement matelot de l'avant-garde du vice-amiral rouge, comme nous l'étions de M. de Villette, vice-amiral blanc.
« Leur vaisseau était supérieur au nôtre de 40 pièces de canon, le nôtre n'étant que de 60 et le leur de 100, et si nous n'en avions pas eu trois à la fois de cette force sur le corps pendant tout le jour, nous ne serions pas si maltraités. Il faut que ces gens-là aient bien peu de feu et de vigueur pour ne nous avoir pas tous mis en canelle avec une armée aussi nombreuse.
« Assurez-vous que personne n'aura une relation aussi juste que celle-ci. car comptez que mon sang froid ne m'a pas assez abandonné pour ne pas remarquer tout ce qui s'est passé et au besoin j'en dirais davantage.
« Le service n'a point pâti de toutes mes observations, car il serait difficile de se donner plus de mouvement que je ne m'en suis donné.
« Les brûlots renouvelèrent mes applications dans mon bord, car après avoir vu tant de brûlots rouler autour de moi et entre mes jambes et même en avoir eu mon habit brûlé, j'étais fort fâché de me voir courir le risque d'être jeté en l'air pour récompense de mes peines. C'est là où je fus contraint de sabrer et d'écharper plusieurs de nos gens qui quittaient le canon.
« Je vous avoue que j'étais si piqué au jeu que je croyais qu'une jambe emportée ne m'aurait pas fait cesser mes efforts pour tirer le vaisseau du Roy de la presse et plut à Dieu que nos soins et la vie qu'il en a coûté à mes camarades eussent apporté plus de profit au Roy. Mais c'est toujours quelque chose de lui avoir sauvé notre vaisseau.
« Nous sommes fort en peine de M. de Tourville et des autres. On vient de nous dire cependant que M. Desnos avait échoué le Soleil-Royal à Cherbourg et qu'on avait entendu un long combat hier à la Hougue. J'espère que M. de Tourville qui n'a pas son pareil au monde pour la capacité du métier et pour toutes les ressources qu'on y peut trouver retirera quelques vaisseaux de son escadre. »

Ce rapport a été adressé par le commandant du Content, vaisseau de l'avant-garde de M. de Villette.
Mes compatriotes, je n'en doute pas, liront avec le plus grand intérêt, les noms des 44 vaisseaux qui composaient l'escadre de l'amiral Tourville, avec les indications qui permettront de savoir ce que sont devenus ces navires :
- Le Bourbon, 67 canons, 350 hommes (M. Perrinel), n'a pas reparu.
- Le Monarque, 96 canons, 600 hommes, n'a pas reparu. L'Aimable, 70 canons, 600 hommes, n'a pas reparu. - Le Saint-Louis, 58 canons, 350 hommes (M. Perseigne), n'a pas reparu.
- Le Diamant, 58 canons, 350 hommes, n'a pas reparu. Le Gaillard, 68 canons, 350 hommes (M. C. Anfreville), brûlé et coulé à La Hougue.
- Le Terrible, 88 canons, 650 hommes (M. Seloville), pris et coulé à Tatihou.
- Le Merveilleux, 100 canons, 950 hommes (M. P. Anfreville), brûlé et coulé à Tatihou.
- Le Tonnant, 86 canons, 650 hommes (M. Septenne), brûlé et coulé à La Hougue.
- Le Saint-Michel, 58 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Sans-Pareil, 60 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Sérieux, 62 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Foudroyant, 96 canons, 900 hommes (M. Relinque), brûlé et coulé à La Hougue.
- Le Fort, 60 canons, 350 hommes (M. La Rongère), pris par l'ennemi.
- Le Henry, 64 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- L'Ambitieux, 100 canons, 900 hommes (M. Villette), coulé à La Hougue (l'amiral Tourville était à bord.)
- La Couronne, 86 canons, 600 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Maure, 56 canons, 340 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Courageux, 62 canons, 370 hommes, a rallié Saint-Malo.
- La Perle, 62 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
— Ce navire, commandé par le célèbre comte de Forbin qui reçut dans le combat une grave blessure au genou, fut criblé de coups de canon et faillit être anéanti par un brûlot ennemi. Forbin servit ensuite sous les ordres de Jean Bart. Devenu chef d'escadre, le vaillant marin se rendit tellement redoutable que les Autrichiens, en prenant la mer, ne demandaient à Dieu que « de ne pas rencontrer le chevalier de Forbin. »
Il gagna, en 1707, avec Duguay-Trouin, une bataille considérable sur les Anglais. —
- Le Glorieux, 64 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Conquérant, 84 canons, 650 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Soleil-Royal, 104 canons, 1,000 hommes, coulé à Cherbourg.
- Le Saint-Philippe, 90 canons, 800 hommes (M. Infreville), brûlé et coulé à Tatihou. - L'Admirable, 100 canons, 800 hommes (M. Beaujeu), coulé à Cherbourg.
- Le Content, 60 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Souverain, 94 canons, 650 hommes, coulé à La Hougue.
- L'Illustre, 84 canons, 650 hommes, coulé à La Hougue.
- Le Modéré, 56 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- L'Excellent, 60 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Prince, 60 canons, 350 hommes, coulé à La Hougue.
- Le Magnifique, 92 canons, 650 hommes (M. Coëtlogon), brûlé et coulé à Tatihou. - Le Laurier, 62 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Brave, 60 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- L'Entendu, 64 canons, 350 hommes, coulé à Tatihou.
- Le Triomphant, 86 canons, 650 hommes (M. Machaut), coulé à Cherbourg.
- L'Orgueilleux, 100 canons, 800 hommes, pris par l'ennemi.
- Le Fier, 86 canons, 650 hommes (M. Larteloire), pris par l'ennemi.
- Le Fleuron, 58 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Courtisan, 62 canons, 600 hommes, coulé à La Hougue.
- Le Grand, 92 canons, 800 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Saint-Esprit, 74 canons, 500 hommes, a rallié Saint-Malo.
- La Sirène, 62 canons, 350 hommes, a rallié Saint-Malo.
- Le Brillant, 62 canons, 370 hommes, a rallié Saint-Malo.

Les 20 navires qui se réfugièrent sur la rade de Saint-Malo rencontrèrent de si grandes difficultés pour aborder le mouillage, que les autorités décidèrent d'envoyer des barques pour sauver les équipages, et, ensuite, de faire mettre le feu aux carènes, afin d'empêcher l'ennemi de capturer ces débris. Un simple pilote, embarqué par Tourville pour les besoins de sa flotte, Hervé Riel, originaire du Croisic, s'éleva contre la dernière partie de cette résolution, demandant avec instance à être chargé du sauvetage des bâtiments, et se portant fort de les guider tous à travers les périls de l'entrée de la rade. On hésitait ; Riel redoubla de prières et parvint à vaincre les préventions qui, bien justement, l'accueillaient ; puis, indomptable de courage, d'audace mêlée de prudence, il put terminer heureusement son extraordinaire entreprise.
Enthousiasmés, les Malouins voulurent voter une magnifique récompense à ce merveilleux pilote. Mais, aussi modeste après la réussite qu'il s'était montré hardi pour en obtenir la responsabilité, il demanda son congé ! ! !
La plupart des navires coulés à Tatihou sont ensablés et ne nuisent pas à la circulation. Seul, le Terrible, qui portait 88 canons, est une épave que les marins évitent avec soin. Ce navire se trouve dans le gressier sous le petit fort ; les amers qui servent à le reconnaître sont les suivants :
Saint-Martin (église de Réville) par la cabane à Jean Porte (refuge du berger de l'île), d'un côté, et l'huilerie par la corderie à Goubeaux, de l'autre.
L'ancre du Magnifique, vaisseau de 92 canons, est dangereuse pour les navires qui vont au chalut ; on en reconnaît la position en prenant le feu de Réville par l'auque des ânes et Saint-Vigot (église de Quettehou), vu par la cacassière de La Hougue.
A différentes reprises, on a essayé de faire disparaître ces épaves qui étaient un véritable danger, surtout dans les premières années après le combat de La Hougue. M. Renau, ingénieur de la marine, en signalait les inconvénients dans une lettre qu'il écrivait le 15 novembre 1692 :
« J'ai esté, disait-il, à la Hougue, comme vous m'avez fait l'honneur de me l'ordonner. Comme les carcasses qui sont à l'entrée de la Hougue incommodent extrêmement les vaisseaux qui s'y réfugient par le mauvais temps et qu'il y a déjà eu trois bâtiments qui ont coulé à fond en y entrant pour y avoir touché dessus, j'ai chargé des officiers de les relever et je leur ai expliqué un moyen très-facile de le faire en se servant de futailles dont on a assez pour cela.
« Celles qui sont vers Tatihou n'incommodent aucunement la navigation présente, ni ne peuvent nuire au port qu'on y pourra faire un jour ; mais ces carcasses, avec ce qu'il y a dedans, valent bien la peine qu'on les relève. Pour celles-là, il sera nécessaire d'avoir deux fluttes de 3 à 400 tonneaux chacune ou 4 ou 5 hues, avec quoi il sera aussi fort aisé de les relever.
« J'en ay expliqué la manière au sieur Dupré, qui est le capitaine du lieu et homme de mer, que j'ai chargé, en cas que vous l'approuviez, de la conduite de ces ouvrages, à la place du capitaine Julien que vous envoyez en Provence.
« A l'égard de ces dernières carcasses, il ne conviendrait d'y travailler qu'au printemps prochain, à cause de la mauvaise saison, et même il serait bon qu'elles restassent là tout l'hiver, pour voir si la mer y fait quelque rapport et fera quelque changement au port projeté. C'est toujours autant d'expérience pour savoir si, en y faisant un port, il n'y en arrivera pas aussi quelque chose à quoi on ne s'attend point. »
Les navires coulés ne furent jamais relevés. A la basse mer du 7 mars 1833, on découvrit la carcasse de l'un d'eux ; on en retira des boulets et deux pièces de canon en fer, tellement endommagés par l'action de la mer, que l'âme de ces dernières en était bouchée par la rouille. Les tourillons étaient à moitié rongés et les moulures n'existaient plus.
La biographie de Tourville a été ainsi publiée par Léon Guérin :
« Tourville naquit au château qui porte le nom de sa famille, fort ancienne et puissante. 11 y a, en quelque sorte, deux marins dans notre compatriote : L'un, tout de premier mouvement, tout d'inspiration, tout de feu, qui s'élance et triomphe à l'abordage, comme Jean Bart ; l'autre, méditatif, prudent, calculateur, rangeant le plus de chances possibles de son côté avant de rien hasader, comme Duquesne.
« Aussi, sa vie militaire se divise-t-elle en deux parties, qui offrent, sous deux aspects différents, chacune leur genre de beauté, chacune leurs enseignements.

« Dans la première, c'est la fougue de la plus valeureuse jeunesse ; dans la seconde, c'est la sagesse et l'expérience de l'âge mûr, acquises avant le temps. « On ne pouvait mieux définir le génie de Tourville, qui parut toujours aussi grand, soit que le succès répondit à son courage, soit que le hasard le trahît.
« Il avait 17 ans, lors de sa première campagne contre les pirates barbaresques et il y accomplit de tels prodiges de hardiesse, d'intrépidité, de vivacité d'esprit, que sa renommée fut aussitôt établie. Six années entières, passées en croisières brillantes sur la Méditerranée, entoura son nom d'un si grand éclat, que Louis XIV n'hésita pas à donner au jeune comte le grade de capitaine de vaisseau.
« Sous les ordres du vice-amiral d'Estrées, il se trouva, en 1672, face-à-face avec le redoutable amiral hollandais Ruyter et sut l'empêcher de capturer son vaisseau, le Sans-Pareil.
« Partout il se signala à l'attention. Duquesne le regardait comme l'un des plus habiles, des plus vaillants marins qu'il connût. Tourville méritait l'éloge ; sa vie entière est remplie de faits éclatants. Il ose, en 1685, alors que, de nouveau, son vaisseau était sous les ordres de d'Estrées, proposer et exécuter la périlleuse aventure d'aller, avec une seule chaloupe, explorer le port de Tripoli. Pendant toute une nuit, il sonde la rade, trouve la place favorable pour que la flotte française vienne s'y embosser, et, par cet excès d'audace, provoque la soumission des pirates tripolitains.
« Sa lutte contre le vice-amiral espagnol Papachin fut homérique. Papachin, se croyant de beaucoup plus fort que Tourville, refusait de saluer le pavillon français. Mais, à la fin, vaincu, désemparé, près de couler bas, il s'estima trop heureux d'obéir. « Quelques mois après le désastre de la Hougue, Tourville reçut le commandement d'une escadre de 98 vaisseaux de ligne.
« Louis XIV ayant reconnu la faute où son ministre et lui étaient tombés, écrivit à Tourville ces singulières paroles, excusables seulement parce qu'elles donnaient une légitime satisfaction à l'amour propre de l'amiral : « J'ai eu tant de joie d'apprendre qu'avec 44 de mes vaisseaux vous en avez « battu 90 de mes ennemis pendant un jour entier, « que je n'éprouve aucune peine de la perte que j'ai « faite ». Il éleva Tourville, le 27 mars 1693, à la dignité de maréchal de France. »
De son côté, le duc de Vendôme écrivit à Tourville la lettre suivante :
« Si je vous écris aujourd'hui, Monsieur, ce n'est point dans le dessein de vous consoler du malheur qui vient de vous arriver, jamais malheur n'eut moins besoin de consolations que le vostre et il n'y en eut jamais de plus glorieux ; ce n'est pas moy, Monsieur, qui le dis, je pourrais être séduit par l'ancienne profession que je fais de vous honorer et d'être de vos serviteurs, je ne parle que sur le rapport de vos ennemis témoins, sur la foy desquels on peut bien se reposer et qui sont tous remplis des belles actions que vous avès faites dans cette bataille. Ils ont parlé de vous dans leurs lettres d'une manière si avantageuse que leurs maitres en les faisant imprimer n'ont pas jugé à propos, selon leur politique ordinaire, de publier ainsy l'éloge d'un général ennemy qui pourra encore paroître sur la scène. Je suis en lieu pour en sçavoir des nouvelles, et ce n'est pas seulement Allemonde, Callembourg, Wender, Goës et les principaux officiers de la flotte hollandaise qui vous rendent justice, bonnes gens qui ne sçavent dire que ce qu'ils pensent, mais ce sont, Monsieur, l'Anglais, nation fière qui jusqu'à vous n'avaient jamais sçeu ce que c'était que d'admirer les vainqueurs ; c'est un Russel amiral, qui avoue qu'on ne s'était jamais vu à pareille leste ny en plus grand danger, c'est un de la Walle qui vous a vu finir comme vous avès commencé et ne sortir du combat qu'au milieu des feux et des flammes et lorsqu'il n'y avait plus lieu de combattre, c'est enfin Schoires qui témoin de tout a écrit que vous avez tout seul essuyé toutes les forces des alliés et qu'on ne pouvait pas soutenir la partie avec plus de conduite et de valeur que vous l'avez tait jusqu'au bout. Je ne parle point ainsy. Monsieur, pour vous dire de belles choses, du moins si j'en dis c'est que vous les avez faites, je n'ay point besoin icy de l'éloquence je n'ay qu'à être un historien fidèle. Pour preuve que je ne sors pas de ce caractère, c'est que je vais vous raconter ce qu'on dit aussy contre vous, qui est que cette action était bien hardie d'être venu chercher et attaquer avec 44 vaisseaux les forces des deux plus puissantes nations, ce qui était les affronter et témoigner bien du mépris pour elles. On ne comprend pas après cela comment elles ont pu vous donner tant de louanges, votre dessein était d'en mériter bien d'autres à leurs dépens, et ils avouent que vous vous y êtes bien pris et que vos premiers saluts furent terribles jusqu'à les déconcerter ; mais le vent qui s'est déclaré, toute cette année, contre les français, nous trahit malheureusement ; c'était trop d'avantages à la fois pour des ennemis plus forts que vous, mais qui eurent besoin de tout ce secours pour vous arracher une victoire qu'ils n'ont remportée qu'à la faveur des ténèbres que la fumée du canon causait, et fut pourtant à leurs dires dans cette occasion que vous fîtes des actions qui méritaient un grand jour. Je ne sçay pas, Monsieur, si je fais mal de vous en faire encore ressouvenir, mais de tout ce que vous avez fait de plus éclatant dans votre vie où vous avez toujours été heureux, je ne crois pas que quoique malheureux icy qu'il y ait jamais rien eu de plus beau


pour vous que cette journée où vous fûtes plus de quatre heures, sur la fin du combat, à essuyer tout ce que vos ennemis avaient de plus terrible sans leur donner jamais le moindre avantage sur vous.
« C'est dans ces occasions-là, Monsieur, que l'on connaît ceux qui méritent d'être au nombre des héros. Je vous supplie très humblement de me le pardonner si après cela je prends la liberté de dire que vous avez lieu d'être content de vous et que vous auriez tort de vous plaindre de la fortune ; elle ne pouvait faire guère davantage pour vous lorsque tout était contre vous, les miracles de sa façon sont rares ; c'en est un assez grand de vous être tiré non-seulement d'entre les mains de vos ennemis où tout le monde icy vous croyait, mais d'entre celles que vous avès bravé durant quelques jours. Je suis bon françois, si jamais homme le fut, mais quelque grande que paraisse la perte que la France a faite dans cette occasion, je trouve qu'il y a lieu de se consoler qu'une personne comme vous ait été sauvée de tout danger après en avoir tant couru et je ne doute pas que vous ne fassiez sentir bientôt aux ennemis de la France, comme vous le faisiez si bien, la campagne passée, qu'a armes égales, son destin est de toujours triompher.
J'espère, Monsieur, que vous voudrez bien me faire la grâce de croire qu'il est peu de personnes au monde qui le souhaite tant que moy, pour le bonheur de ma patrie et pour votre gloire n'y ayant point d'homme au monde qui soit, avec plus d'attachement que je le suis, Monsieur, votre très humble.
« Signé : LE DUC DE VENDÔME. »
Pendant huit ans encore, l'illustre marin servit brillamment son pays. Quand il mourut, le 28 mai 1701, la flotte entière le pleura, car les matelots l'aimaient autant qu'ils l'admiraient.
Le gouvernement a créé, en 1889, une station de torpilleurs dans le port de Saint-Vaast, c'est-à-dire 197 ans après le combat de La Hougue.
Extrait de :
Histoire de SAINT-VAAST-LA-HOUGUE
Ancien Fief de l’Abbaye de Fécamp
Par Jules LEROUX - Receveur des Douanes – 1897
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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