CEN_EMB a écrit :
Sujet du message : Re: L'armistice de 1940 était-il un choix rationnel ?
Message Publié : 25 Sep 2020 7:01
Etienne,
Je pense que l'on arrive aux limites de l'exercice :
- je pense que l'attaque de l'URSS en 1941 (même en mai) sans que l'Allemagne ne soit dégagée des contraintes d'un conflit à l'Ouest et au Sud signe la défaite de Hitler. S'il attaque l'URSS alors que le Royaume-Uni est encore dans la course - ce qui signifie en effet que les Américains le rejoindront sous peu - il perd la guerre. Puisqu'il s'agit, en stratégiste plus qu'en historien (puisqu'il s'agit d'une uchronie), de déterminer quelle aurait été la voie qui lui aurait permis la victoire, cette décision d'attaquer l'URSS en 1941 était donc une erreur stratégique majeure ;
- tu penses que la situation obtenue à l'été 1940, avec la signature d'un armistice par la France, était optimale - en incluant dans les données stratégiques intangibles le grain de sable Churchill qui a empêché la sortie du conflit du Royaume-Uni - et qu'il n'y avait aucune façon pour Hitler de l'améliorer encore. Et que donc il était urgent d'attaquer l'URSS avant que les États-Unis d'Amérique ne rentrent dans la danse, puisqu'il n'y aurait pas de meilleures conditions stratégiques pour une telle attaque.
Du coup, deux visions stratégiques s'opposent :
- l'une qui veut qu'il faut à tout prix forcer le Royaume-Uni à la paix avant de se tourner contre l'URSS, c'est-à-dire opérer dans les cieux anglais, dans la Manche, en Atlantique et en Méditerranée jusqu'à ce que les sujets de Sa Majesté jettent l'éponge. Je rappelle que c'était initialement, en juin-juillet 1940, vers là que s'orientait l'état-major allemand dans son ensemble ;
- l'une qui veut que la rapidité est la clef, et que l'URSS doit tomber avant que le potentiel américain ne soit mis au service de la lutte contre l'Allemagne. Celle-ci est assurément celle adoptée par Hitler en juillet 1940, confirmée par les décisions prises en décembre 1940 (directive n°21).
Permets-moi juste deux remarques :
1) si c'est le potentiel américain qui est si craint, alors je ne comprends pas pourquoi tu ne fais pas de la sortie du Royaume-Uni du conflit la condition sine qua none à son extension à l'URSS. En effet, sans le "porte-avions britannique", la puissance américaine est impuissante en Europe pour de très longues années. Neutraliser durablement les Américains, cela signifie éjecter les Britanniques de l'équation beaucoup plus sûrement que de les laisser tranquilles dans leur archipel, et actifs en Méditerranée. On l'a vu, sans Britanniques, il n'y a ni "Torch", ni "Husky", ni "Avalanche", ni "Overlord". Du coup les y laisser c'est prendre le risque maximal, dans toutes les configurations stratégiques possibles ;
2) l'Histoire a prouvé que le potentiel militaire allemand consacré à "Barbarossa" était insuffisant pour abattre l'Armée rouge en 1941. Et même de beaucoup. Il y aurait eu trois manières d'altérer ce cours - heureux - des évènements : a) que l'Allemagne attaque plus tardivement, avec un potentiel supérieur, avec le risque que l'accroissement de potentiel de l'Armée rouge soit équivalent ou supérieur à celui de la Wehrmacht mais avec l'avantage d'affaiblir en 1941 la puissance britannique au point de la rendre inoffensive ; b) changer significativement la conduite des opérations, mais je ne pense pas que cela aurait changé en profondeur le cours de la campagne, au point d'offrir la victoire aux Allemands, vu que c'est avant tout une question de potentiel, et que la ligne "AA" était définitivement trop loin pour les capacités que la Wehrmacht accepte d'engager à l'Est à l'été 1941 ; c) que l'Allemagne accroisse considérablement les moyens engagés (en y ajoutant la cinquantaine de divisions qui gardent l'"Atlantikwall" et opèrent sur le flanc méridional, dans les Balkans et en Afrique, ainsi que le quart de la Luftwaffe qui défend les cieux allemand, français, belge, néerlandais, norvégien et appuie les opérations en Méditerranée), ce qui ne pouvait être obtenu qu'en évinçant le Royaume-Uni de l'équation (ou en acceptant de ne pas se protéger contre ses actions, ce qui est invraisemblable).
Comme tu le vois, sur les trois hypothèses, la moins crédible pour que l'Allemagne vainque est celle d'un changement de plan d'opérations, qui est la seule où le Royaume-Uni est encore en course dans le conflit. Ergo, pour qu'elle envisage d'abattre l'URSS, il lui fallait nécessairement que le Royaume-Uni soit hors du conflit.
Considérant ces éléments, et le fait que j'assume pleinement être un tenant de la première configuration (n'attaquer l'URSS que quand le Royaume-Uni a été contraint à la paix), de mon point de vue TOUT devait donc être fait par Hitler pour obtenir cette sortie, tout devait être subordonné à cet objectif. A ce titre, précipiter l'attaque de l'URSS en 1941 fut donc une erreur stratégique immense - dont on peut se féliciter et dont on peut estimer heureux qu'il l'ait commise, mais qui demeure sur le strict point de vue du stratégiste une erreur immense.
De ce point de vue, l'armistice, s'il est une victoire psychologique et politique majeure de l'Allemagne, paradoxalement supprime pas mal de vulnérabilités pour les Britanniques, en ne laissant que bien peu d'espaces géographiques à portée d'attaque : les îles britanniques (via la bataille de l'Atlantique, les raids aériens et possiblement "Seelöwe") dont on sait qu'elles sont très résilientes et qui offrent peu d'opportunités opérationnelles à cause de la Grand Fleet qui veille à Scapa Flow et de la RAF qui y conteste durement la domination des cieux ; Gibraltar sous condition espagnole, Malte et l’Égypte sous condition italienne. Le maintien de l'AFN dans la coalition anti-allemande aurait ainsi offert des opportunités de rallier des soutiens, de porter des coups et d'affaiblir la volonté britannique.
Mais j'assume que cette analyse se fonde sur les facteurs les plus favorables à l'Allemagne (entrée en guerre de l'Espagne, Italie autorisant un déploiement aéroterrestre allemand en Sicile et en Libye dès l'automne 1940, conséquences politiques extrêmes de la chute de Gibraltar et de l’Égypte sur la direction de la guerre britannique), ce qui est loin d'être obligatoire. Ce qui n'amoindrit pas mon argument principal : le maintien de la France dans la guerre aurait possiblement amené Hitler à ne pas attaquer l'URSS en 1941, ce qui aurait été la meilleure décision qu'il aurait pu prendre considérant la suite des évènements. De ce point de vue et paradoxalement - et étant totalement admis que ces considérations ne pouvaient être présentes à l'esprit des signataires français - en neutralisant plusieurs espaces géographiques qui ont permis la concentration des forces britanniques (en Angleterre et en Égypte) et l'invulnérabilité de certains de leurs centres de gravité (Gibraltar), l'armistice a peut-être été plus favorable à la cause alliée que si la France avait poursuivi le combat.
Nous avançons sur un point : après avoir dénoncé les insultes soux x de Raguse pendant près de dix ans et lui avoir suggéré de se nommer fût-ce en privé, voici que nous connaissons son prénom !
Sur le fond, j'attendrai de nouveau avec curiosité la réponse d'Etienne au prêche gaullo-giraudiste de Loïc.
Ce dernier bat des records dans l'identification des deux guerres mondiales, ou si l'on préfère la sous-estimation des épices que le nazisme ajoute à la seconde.
Churchill n'est pas que le grain de sable qui fait rater au dernier moment une entreprise fort bien conçue et menée. Il est aussi l'humanisme personnifié. Face au nazisme s'entend, pas sur les questions sociales ou coloniales ! Il décide que l'humanité n'a pas à supporter un Hitler et sacrifie même à cette idée les intérêts coloniaux britanniques, que Hitler agite comme Satan des mets succulents devant Jésus jeûnant au désert. C''est un beau roman, c'est une belle histoire... et elle est vraie, ce qui ne gâte rien.
Hitler, inversement, c'est l'inhumanité faite homme. Il s'arroge un plein droit de vie et de mort sur l'ensemble des êtres, pour réaliser un plan précis de redistribution des cartes entre les puissances. Sous lui, l'Allemagne renonce vraiment et sincèrement à être une puissance commerciale et coloniale, du moins outre-mer : son domaine colonial, c'est le monde slave.
Les Etats-Unis sont l'ennemi qui pourrait tout gâcher et c'est bien parce qu'il ne les sous-estime pas qu'il agit par surprise en avril-mai 40, contre la Norvège puis la France. Il est en position de porter aux States des coups terribles sur le plan économique en leur fermant force marchés européens, et si l'Angleterre met les pouces il pourra dicter ses conditions.
La résistance churchillienne permet à Roosevelt de se réveiller et de les réveiller. Il n'y a pas une minute à perdre pour agresser l'URSS. Avec tout de même un an de préparation, pour se donner un maximum de chances de l'emporter vite.
Il faudrait d'ailleurs aussi expliquer à Loïc que les armées ne sont pas tout, et que si Hitler nourrit, à côté de fortes craintes, l'espoir de mettre l'URSS au tapis en trois mois, c'est en comptant sur un effondrement politique au moins autant que militaire.