Commode-le-clément a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler : " Je n'ai pas voulu cela."
Message Publié : 09 Mars 2016 12:41
Pour en revenir au sujet, à savoir est-ce qu'Hitler voulait ça, je vais vous synthétiser ce que j'ai lu sur le sujet (ayant notamment lu la biographie de Kershaw).
Ce qu'un forumeur a dit, que chaque camp avait ses bellicistes, c'est loin d'être faux. Malheureusement pour les démocraties, ils ne furent pas écoutés assez tôt (l'Allemagne était prenable en 1938, mais pour des raisons électorales, la France n'a rien fait).
Dire qu'Hitler ne voulait pas ça n'est pas faux, mais il faut nuancer! Ce qu'il voulait ce n'est pas la paix avec les Occidentaux, mais plus de temps. Contrairement, à une idée reçue, les forces allemandes ont galéré en Pologne, Hitler avait estimé avoir perdu beaucoup de temps lors de cette campagne. Mais ajoutons à ça que les déclarations de guerre du Royaume Uni et de la France étaient inattendue! C'est ça qu'Hitler ne voulait pas.
Qui plus est, rappelons que la France était considéré comme la meilleur armée d'Europe à l'époque (voir du monde). Ce qui s'est passé en juin 1940, fut de fait une victoire inattendue. Hitler pensait probablement un jour faire la guerre à la France, mais pas dans ces conditions, la Drôle de Guerre qui porte totalement bien son nom, lui a permis de gagner du temps aussi, car l'Allemagne occupée en Pologne était tout à fait prenable.
Donc pour résumé, ce que n'a pas voulu Hitler, c'est une guerre aussi rapide. Mais en tout cas, ça n'en fait pas un innocent pacifiste, car ça vaut ce que ça vaut, mais dans Mein Kampf il rappelle bien que la France est l'un des grands adversaire du Reich Allemand, ce qui prouve qu'il avait au moins le projet de faire la guerre à la puissance voisine...
(le livre "le nazisme et l'antiquité" de J. Chapoutot, aborde également cette question en reprenant le point de vue que je viens de synthétiser)
Narduccio a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler : " Je n'ai pas voulu cela."
Message Publié : 12 Mars 2016 17:47Commode-le-clément a écrit :CNE_EMB a écrit :
Hitler voulait d'un conflit avec la France.
Je le répète, entre vouloir et pouvoir, il y a une différence. Il voulait écraser la France (par vengeance etc.). Mais il ne pensait pas que son pays en avait la capacité, donc il ne voulait à mon sens, pas cette guerre en 1939.
Après c'est mon avis (je respecte le votre aussi), aucun de nous n'a pu être dans la tête du dictateur allemand, et les faits ont été ce qu'ils ont été. Mais ça fait évidemment partie du métier de l'historien (amateur ou professionnel) de faire des hypothèses.
Je pense qu'Hitler pensait pouvoir manipuler les démocraties pendant encore un certain temps. Le temps de mieux se préparer à la confrontation. Divers témoins rapportent qu'il était convaincu d'être un excellent diplomate et qu'il réussirait à refaire plusieurs fois le coup de Munich. Et d'ailleurs, de nombreuses personnes de son entourage pensaient que cela était faisable. Du coup, il n'y avait personne pour lui conseiller de faire montre de prudence et d'attendre encore un peu. La surprise d'Hitler viendrait donc de la découverte que les démocraties ne se laissent pas aussi aisément manipuler.
CNE_EMB a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler : " Je n'ai pas voulu cela."
Il y a aussi des auteurs, sérieux, documentés et fondant leur raisonnement sur des témoins proches du Führer ou les discours de Hitler, qui estiment qu'Hitler souhaitait une guerre contre la France en septembre 1939.
Vous dites de plus qu'on ne peut rentrer dans la tête de Hitler : c'est partiellement faux. On connaît une source peu suspecte des manipulations ou contrepieds hitlériens ultérieurs, où il dit clairement qu'il veut se colleter avec la France et refaire le coup de 1870 : Mein Kampf. S'il y a un seul moment où il annonce la couleur, c'est dans ce livre.
Je sais qu'il a pu changer d'avis en presque quinze ans, mais justement, un faisceau de présomptions qui ne sont pas des analyses par trop psychologisantes mais des faits (nécessité absolue de rabaisser la puissance française pour assurer l'hégémonie allemande en Europe continentale, pacte germano-soviétique qui neutralise le flanc oriental, exhortation à lancer une offensive dès novembre 1939 à plusieurs reprises, initiative de lancer "Gelb" le 10 mai 1940, précédée par une opération d'une audace notable, "Weserübung", dans le jardin des Britanniques, et bien d'autres) montre qu'Hitler voulait d'un conflit avec la France.
En outre, cette citation n'a peut-être même pas été prononcée (en tout cas pas par Hitler) !
Commode-le-Clément a écrit :Chapoutot va même jusqu'à penser, d'après les sources qu'il a, qu'Hitler pensait perdre la guerre face aux français. Encore une fois, il faut faire très attention avec ce que nous avons, et comment les contemporains de la Drôle de guerre, l'ont perçue. On a souvent présenté la Bataille de France comme perdue d'avance, car les français étaient très faible. Alors qu'au contraire, beaucoup de source indiquent qu'elle était perçue comme la meilleure armée du continent (et donc du monde?).
(...)
L'historien Chapoutot va aussi dans ce sens (dans "le nazisme et l'Antiquité"), allant même jusqu'à affirmer qu'Hitler mettait déjà en scène sa fin, car il la présentait durant cette période. Lui aussi s'appuie sur des témoignages de proche du dictateur, qui le décrivait comme dépressif à ce moment-là (septembre 1939 à mai 1940).
(...)
Mais alors, pourquoi ne recule-t-il pas en 1939 (pour répondre à CNE_EMB) ? Les Alliés ne lui en auraient pas donné l'occasion. Et selon Chapoutot, Hitler est un joueur de poker, ainsi qu'un nihiliste, la fin ne lui fait pas peur (et il évoque même que le dictateur allemand appréhendait déjà la fin de son régime quand les Alliés ont enfin osé lui déclarer la guerre, ce qui n'avait pas été le cas dans les autres crises). Il préférait même que l'Allemagne perde de façon explicite, plutôt que cette amère défaite de 14-18, où pour lui (et la plupart des élites nazis), l'Allemagne n'a pas été vaincue mais trahi par le front intérieur...
Sur quoi s'appuie-t-il pour affirmer cela? Sur des témoignages de personnes de l'entourage du chancelier allemand.
(...)
Et encore une fois, que ça plaise ou non, mon point de vue (que j'ai argumenté, sourcé), c'est qu'à mon sens, Hitler craignait la France et le Royaume-Uni. Que si cette phrase est apocryphe ou non, elle a très bien pu illustrer la peur du dictateur allemand, face à la réaction des français et des britanniques, qu'il était loin d'être certain de battre. Bien au contraire, dès le début du conflit, il envisage la défaite de l'Allemagne (point de vue largement partagé par Johan Chapoutot).
(...)
Quand à ce que j'ai souligné en gras, Chapoutot explique cette attitude, non pas par une attitude de confiance au potentiel de l'Allemagne, mais parce qu'il ne craint pas la défaite, au contraire, il préfère une véritable défaite plutôt qu'une défaite humiliante comme en 14-18 où l'armée allemande n'a pas été vaincue. Selon cet auteur, c'est bien quelque chose qu'il faut avoir en tête pour comprendre l'action du dictateur allemand (et pour affirmer cela, l'auteur fait appelle à divers sources, dont des témoignages de ses proches).
En outre, je pointe bien la situation en septembre 1939. Quelques mois après, Hitler commence à comprendre que les Alliés n'ont pas l'intention de passer à l'offensive (alors qu'il la craint totalement une offensive française lorsqu'il est en Pologne).
Caesar Scipio a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler : " Je n'ai pas voulu cela."
Message Publié : 17 Mars 2016 6:08
@ Commode : vous êtes victime des mensonges allemands. En 1918, l'armée allemande est bel et bien vaincue. Elle est au bord de l'effondrement tout comme d'ailleurs l'appareil productif allemand et le moral de l'arrière.
Elle est forcée de rentrer chez elle pour ne pas se prendre une déculottée. Aux échecs cela s'appelle abandonner avant le mat, et en boxe jeter l'éponge avant le KO.
Elle mène un tour de prestidigitation de politique intérieure pour accréditer le mensonge qu'elle est invaincue et que c'est la sédition intérieure qui l'oblige à cesser le combat.
Sur le fond du sujet, Hitler veut réaliser son programme décrit dans Mein kampf. Ce livre est la vérité de Hitler. La folie et le caractère criminels de Hitler c'est entre autres qu'il voulait vraiment ce qu'il écrivait. Il ne s'agissait pas juste de se défouler et de servir d'exutoire à la colère des nationalistes allemands. Pas de démagogie chez Hitler. Une farouche volonté politique de faire ce qu'il pensait et écrivait.
Il pensait que l'Allemagne devait écraser, exterminer et réduire en esclavage ses voisins pour pouvoir vivre comme elle le méritait dans un monde darwinien.
Il voulait se venger de la France et la satelliser autant que conquérir le lebensraum aux dépens des slaves.
Dupleix a écrit : je viens de terminer la biographie de Canaris par H. Höhne.
Il en résulte un portrait bien plus nuancé que ce que j'ai retenu du livre de Kerjean. (Dans mon souvenir, ce dernier me semble avant tout préoccupé de démontrer que Canaris était un nazi convaincu au service de Hitler, cherchant à lutter contre la résistance intérieure et allant jusqu'à promouvoir la participation de l'Abwehr à l'extermination des Juifs.)
Dans la biographie de Höhne, l'activité de l'Abwehr sous Canaris est décrit avec assez de détail, et le mythe du maître-espion en prend un sacré coup, au-delà de la réputation savamment entretenue par lui-même et certains de ses biographes. Hormis certains succès notamment dans les actions commando dans les années 1938-40, l'Abwehr se révèle très peu efficace dès 1941. Canaris est montré comme un homme ayant beaucoup de goût pour l'action secrète mais aucun des talents d'administrateur nécessaires à la direction d'un service secret qui devient peu à peu un nid de corruption. Une grande partie de son énergie semble avoir été consacrée à la lutte contre l'empiètement des autres services secrets du Reich : Gestapo, SD...
L'une des raisons invoquées pour l'absence de bonnes informations de l'Abwehr concernant le potentiel militaire russe est l'interdiction faite par Hitler de mener des actions hostiles en URSS. "Si Canaris avait été à la hauteur de sa réputation légendaire", dit Höhne" il se serait débrouillé pour tourner l'interdiction de Hitler".
Quant aux liens de Canaris avec la résistance allemande, j'avoue que la description de Höhne me semble plus convaincante que celle de Kerjean. Selon Höhne, Canaris serait ce que j'appellerais un anti-nazi non pratiquant. Il est d'abord proche de la résistance aux nazis, et participe à des projets de putsch, jusqu'à l'offensive de 1940 à l'Ouest. Environ à cette date, les opposants finissent par considérer qu'il est impossible de renverser le régime sans éliminer Hitler, et c'est justement le point où Canaris ne veut pas aller, d'autant que l'Allemagne est en guerre. Même s'il protège (de moins en moins) les conspirateurs dans ses services, il ne se mêle plus à leurs projets. C'est après l'attentat de juillet 44 qu'il est mis en cause par ses subordonnés et rattrapé par des dossiers des années 38-40. Canaris est présenté comme un traditionaliste, légaliste, nostalgique de la monarchie, opposé aux méthodes des nazis et persuadé que le régime mène l'Allemagne à sa perte et mais sans vouloir s'y opposer activement.
Chez Kerjean, Canaris est présenté tout au contraire comme un allié actif des nazis qui ne fait semblant de soutenir la résistance que pour la trahir. De mémoire, les deux principales preuves apportées à cette thèse sont l'amitié de Canaris avec Heydrich (ancien camarade officier pendant la 1ère GM et voisin de Canaris à Berlin avec qui il échange des visites familiales le dimanche) ; et la déclaration de Canaris lui-même expliquant qu'il n'a approché la résistance que pour mieux la trahir. Je trouve ces deux arguments peu convaincants, d'autant que la citation en question (également mentionnée par Höhne) date de la fin du "procès" de Canaris et d'Oster, un moment où chacun cherche à sauver sa peau.
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