Je découvre ce fil.
Il se trouve que j'ai parlé de l'affaire sur mon forum quand je l'ai découverte :
http://www.delpla.org/forum/viewtopic.p ... rrier#p646Michel Boisbouvier a mis trois ans et demi à répondre, et ne l'a fait que quand il a estimé que l'affaire pouvait lui servir à dédouaner Pétain. Quand je lui ai rappelé qu'entre-temps mon livre sur Mandel avait fait toute la lumière possible, il a déserté et s'est réfugié ici, sans que je le susse.
Moralité (si l'on peut dire) : il ne lui suffisait pas que le maréchal ait eu un geste, au moins une fois, tendant à une reprise de la lutte. Il fallait absolument qu'il ait été stoppé dans cet élan par une raison autre que l'impuissance et la résignation, prenant le dessus soit dans son propre esprit, soit au sein de son gouvernement.
Tout d'un coup, en juin dernier, en écoutant sur Courtoisie une émission de Dreyfus à laquelle au demeurant participait votre serviteur, Eurêka ! C'était Roosevelt, via Leahy, qui en ce 2 janvier avait retenu le maréchal par le maillot : preuve que l'armistice était une bonne chose, aux yeux des Américains eux-mêmes.
Il avait cru comprendre que le pauvre Vincent Auriol, captif du maréchal pour complaire au Reich, était vraiment très bien informé, puisque c'est par son témoignage qu'on aurait connu l'intervention de Leahy auprès de son geôlier.
Après en avoir tiré d'amples leçons pendant des mois sans l'avoir lu, Michel a fini, sur les instances de Bruno, par lire Auriol et, comme une simple relecture de mon livre (qu'il a) le lui aurait rappelé, par n'y point trouver un atome d'H2O pour son moulin. Mais l'inspecteur ne renonce jamais... à sa méthode : puisque ce n'est pas Auriol, c'est forcément Leahy ! Ce ne pourrait pas, par hasard, être une invention puisque, réfléchissez deux minutes, cela dédouane Pétain : rien de tel ne saurait être une invention.
Je vais encore, dans ma trop grande bonté, désembourber le char : j'ai les mémoires de Leahy à portée de la main... et j'y lis la date de la prise de ses fonctions d'ambassadeur : le 5 janvier ! On ne rit pas. Il aurait pu intervenir par télépathie !
Blague à part, je suis le premier historien qui ait pris au sérieux le témoignage de Robert Courrier, âgé de 14 ans au moment où ce fils du commissaire commis par Pétain à la garde de ses arbitraires captifs a accompagné leur transfert de Pellevoisin à Vals, la destination primitivement annoncée à la petite caravane étant Alger,via le port de Marseille. J'en ai donc causé sur Internet dès 2007, avant d'y consacrer un chapitre de mon livre sur l'assassinat de Mandel. Ce sont ces mêmes matériaux qui ont été utilisés par Claude Carlier dans le numéro du début 2010 de
Guerres mondiales et conflits contemporains, où il résume un mémoire de Robert Courrier qui comporte bien d'autres considérations que ses souvenirs.
Ce sont ses lectures, considérables, qui ont amené cet auteur, devenu septuagénaire, à proposer une piste américaine pour expliquer le blocage du mouvement à Aubenas. Sauf qu'il ne se trompait pas, lui, sur la date de la prise de fonctions de Leahy, mais... de Halifax, nommé ambassadeur à Washington le 23 décembre, étant expulsé du Foreign Office sans trop de ménagements par Churchill au profit d'Eden. Hélas pour le raisonnement cité, il ne rejoint son poste qu'à la mi-janvier !
Exit donc, complètement, la piste américaine, qui ne résulte que de cette erreur de Robert Courrier. Reste une piste Halifax, qui se résume à ceci.
Tout Vichy s'est caché de ce projet de transfert à Alger. Cependant, on connaissait au lendemain de la guerre un télégramme de Churchill, arrivé à Vichy le matin du 31 décembre par l'intermédiaire du chargé d'affaires canadien Pierre Dupuy. Winston félicitait chaleureusement Pétain d'avoir viré Laval, et l'invitait à rejoindre sans tarder Alger. Mais, expliquèrent ses avocats en 1945, il y eut une intervention du ministre Jacques Chevalier (confirmée alors par celui-ci), qui le convainquit de n'en rien faire en invoquant son amitié avec Halifax : ce ministre était plus prudent, dit-il, que Churchill, et trouverait sans doute trop risquée une rupture de l'armistice à ce stade.
Ce que je dis pour ma part, dans l'article tout récent d'
Histoires de la Dernière guerre que Bruno m'a fait l'honneur de citer, c'est que Hitler et Abetz ont sans doute joué un rôle plus important que Chevalier dans l'annulation du transfert. En effet, une fois écarté leur poulain Laval, ils reportèrent bien vite leur mise sur Darlan, que Hitler en personne chapitra le 25 décembre. Et un télégramme d'Abetz, daté du 2 janvier, explique qu'il y a eu une querelle à Vichy au sujet d'un départ vers l'Afrique du Nord mais que l'amiral (maître, faut-il le rappeler, des communications maritimes avec l'empire) a pesé de tout son poids pour l'empêcher.