Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Samedi 12 Juin 2010 09:29:02

Un ancien juge d'instruction, Eric van den Bergh, historien amateur, dans son livre : "1940, une victoire-éclair", oppose de Gaulle à Chauvineau, tout en donnant raison à ce dernier.

https://www.victoire-eclair.com/victoire_eclair.html

Bref, tout le monde aurait évoqué Chauvineau en travestissant sa pensée, sans l'avoir lu, ou très mal, y compris François Delpla !


Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Samedi 12 Juin 2010 09:46:37

François Delpla a écrit :Vous nous citez votre livre sur mai-juin 40, qui est en ligne [...], et où je suis en flammes… avec beaucoup d’autres dont quelques-uns qu’on m’opposerait plutôt d’ordinaire, et en général à juste titre :

Jean-Pierre Azéma, Annette Becker avec Étienne Bloch, Georges Blond, François Broche, Cassius, Jean-Louis Crémieux-Brilhac (prix de l’Assemblée nationale), Christian Debril, Paul-Marie de La Gorce, François Delpla, Jean Feller, Max Gallo, de l’Académie française, Jean Galthier-Boissière, Maurice Gamelin, A. Goutard, Richard Griffiths, Henri de Kerillis, Raymond Krakovitch, Jean Lacouture (grand prix Gobert-Histoire de l’Académie française), Alain Larcan, Herbert R. Lottman, Roger Martin du Gard (prix Nobel de littérature) et André Daspre, auteur des commentaires, Pierre Messmer avec Larcan, Anatole Monzie, Jean-François Muracciole, Ladislas Mysyrowicz, Louis Nachin, Pierre Pellissier, Edmond Pognon, Maurice Rajsfus, Paul Reynaud, Gérard Saint-Martin, William L. Shirer, Jean Vidallenc, Eugen Weber.

Notre crime collectif (je ne force pas le trait puisque juste avant l’énumération on est averti que “les auteurs suivants sont coupables de «crime contre l’Histoire»”) : critiquer le général Chauvineau, auteur en 1939 (avant la guerre) d’un ouvrage intitulé “Une invasion est-elle encore possible ?”, chaleureusement préfacé par Philippe Pétain.

Nous aurions lu trop vite… et été aveugles à ce fait, pour vous évident, que si la préface est débile l’ouvrage est, lui, excellent et que les deux textes se contredisent radicalement.

Je reprends le livre dans ma bibliothèque… et constate, ce qui risque de vous divertir, qu’il n’est pas complètement coupé. Mais ne l’avais-je pas lu ailleurs, et acquis un peu plus tard ? C’est un peu vieux tout cela, il s’agissait de mon premier livre historique, en 1992…

Mais ici je suis couvert… par vous-même qui écrivez ci-dessus à propos de De Gaulle que vous tenez en très basse estime (au fait, quel parti prenez-vous dans la querelle des programmes ?) :

Dans son bouquin “Vers l’armée de métier “j ‘ai constaté une vintaine de fautes,dont je n’ai mentionné que quelquesunes (le personnage n’est pas le sujet de mon livre)(…)”

Donc je reprends l’ouvrage et saute à la conclusion où je trouve cette perle, suante de suffisance et non signalée par vous :

“Voilà un sombre tableau qui pourrait faire croire à une catastrophe prochaine. Ce serait mal connaître les autres pays dont les militaires n’ont pas vu plus clair que les nôtres. Ce serait aussi ne pas comprendre que l’Allemagne va mettre dix ans pour former la Grande Armée qui doit sortir des décisions prises au printemps de 1935.” (p. 209)
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Samedi 12 Juin 2010 09:57:19

E. van der Bergh a écrit : A monsieur Delpla
J’ai pris votre ouvrage de ma bibliothèque et je l’ai ouvert page 436. Là vous écrivez que le général Chauvineau, auteur du livre” une invasion est-elle encore possible?” “répond à cette question par la négative”.
Or,l’auteur est navré de l’état de l’armée et de l’aviation française, qu’il expose dans la quatriéme partie “Erreurs d’ après-guérre et conclusions “. Logiquement sa réponse est OUI, page 215, ce que vous ignorez. Il n’était pas inspecteur général du génie. Il condamne la conception de la ligne Maginot, comme Clausewitz l’a fait lui aussi.
Son plan pour la défense des frontières figure dans son cours de fortification, dont j’ai écrit un aperçu dans le chapitre 72 de mon ouvrage. Son plan pour les fortins est un ajout.
Votre commentaire est donc farfelu. Mais au sujet de cet imbécile Frieser nous sommes parfaitement d’accord. Son article, mentionné par vous, est tellement nonsensical que je n’ai pas pris la peine de lire son ouvrage. Il faut aussi signaler les pages 306 et 307 du manuel d’histoire franco-allemand qui sont aussi ridicule. Lisez Chauvineau dans sa totalité. Vous serez étonné.

Eric van den Bergh


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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Samedi 12 Juin 2010 11:21:52

CITATIONS DU LIVRE DU GENERAL CHAUVINEAU : ” UNE INVASION EST ELLE ENCORE POSSIBLE ? ”

p.64 : Mettre en face d’une offensive préparée une défense improvisée , c’est aller au devant de catastrophes .

p.86 : Qu’on songe seulement au stockage de milliers d’avions , qui sont périmés parfois un an plus tard .

p.91 : A la guerre , comme au bridge , on n’a pas le droit d’essayer de gagner la partie avant d’avoir fait ce qu’il faut pour ne pas la perdre , surtout quand , justement , on n’a pas dans son jeu les atouts nécessaires , c’est à dire le matériel offensif .

p.109 : L’avion est une de ces nouveautés sensationnelles , dont on pressent dans tous les pays , l’influence considérable sur les futurs conflits .

p.110 : L’attaque aérienne apparaîtra la première , quelques heures après la déclaration de guerre .

p.112 : L’avion deviendra un puissant facteur de l’ankylose des armées de terre .

p.155 : Pour faire échec à une attaque brusquée , il faut d’abord amortir le choc . Cela suppose une grande distance entre les avant-postes et la ligne de résistance , 25 kilomètres au minimum . Un canapé est d’autant meilleur que ses ressorts sont plus longs .

p,155 : Deux mesures sont essentielles : 1) Disposer d’une réserve solide et très mobile ; c’est la base de la défensive au XXe siècle 2) Organiser à l’avance , en exploitant les progrès de la technique , une barrière placée assez loin de la frontière pour que cette réserve puisse venir la renforcer en temps utile là où l’attaque se dessine .

p.206 : Nous avons construit , avec une hâte d’autant plus grande que nous avions hésité plus longtemps , des rocs imposants et solides auxquels , en regard d’une éxécution remarquable , on peut reprocher quelques erreurs , non seulement dans la conception stratégique qui a défini leurs emplacements , mais aussi dans certaines conceptions techniques , inutilement grandiloquentes , masquant mal un rendement défectueux des crédits engagés .

p.207: Au XXe siècle , il faut des grandes unités qualifiées pour les actes difficiles , d’autres pour les actes faciles .

p.209 : Notre activité guerrière est , depuis quinze ans , fébrile , coûteuse , sans grand rendement , et nous jetons avec prodigalité les milliards dans un édifice dont la base est d’une vétusté inquiétante .

p.211: Avec le temps , nous arriverons sans doute à comprendre qu’il ne s’agit pas , pour nous , de préparer la guerre , mais plutôt une bataille , et non pas une bataille quelconque , mais une bataille rigoureusement déterminée , dont le tracé est impérieusement fixé le long de notre seule frontière ouverte , et qui , si elle a jamais lieu , se déclenchera par surprise .

p.215 : Nous avons maintenant à répondre à la question qui forme le titre de cet ouvrage :” Une invasion est elle encore possible ? ” OUI , mais à condition que l’on parvienne à l’endormir ( c’est malheureusement assez facile ! ) et , à la faveur de ce sommeil , à limer les griffes qui , depuis hier seulement , permettent aux Français de se cramponner d’une manière inébranlable au sol de leurs frontières .
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par Francois Delpla » Samedi 12 Juin 2010 16:16:09

Bonjour à tous

Eric van den Bergh est un homme épris de dialogue et un chercheur méticuleux. Je le préviens de l'existence de ce débat.

Son travail, comme celui de Jean-Philippe Immarigeon, peut aider à nuancer les oppositions trop tranchées entre de Gaulle et d'autres officiers sur la question de la motorisation, et à cerner de plus près ce que de Gaulle apporte au juste dans les années 30 et qui n'est pas mince, même s'il commet sur le moment des approximations techniques et, après 1939, des raccourcis propagandistes. Car ce qu'on lui retire de prophétisme sur le déroulement exact de la future bataille peut avantageusement lui être rendu si on considère la prédiction d'un nazisme prochainement et mortellement dangereux : en la matière Chauvineau, vu au prisme de Van den Bergh, peut aller se rhabiller.
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Dimanche 11 Juillet 2010 09:14:29

http://archives.tsr.ch/dossier-histoire ... tainquatre

Henri Guillemin est-il -lui aussi- tombé dans le panneau, ou bien désinforme-t-il sciemment ? ECOUTER à partir de la 23ème minute.
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Dimanche 11 Juillet 2010 10:23:26

[b]

Préambule

J’ai effectué mes recherches à la façon d’un juge d’instruction, poste que j’ai occupé jadis. Ainsi me suis-je attaché essentiellement aux documents authentiques contemporains ou antérieurs à la campagne. Les mémoires des protagonistes ont été traités avec la plus grande prudence. Ce ne sont que des témoignages sur des événements d’un passé parfois lointain, et les intéressés étant morts, on ne peut satisfaire à l’exigence de les entendre. En passant leurs affirmations au peigne fin, j’ai constaté un certain nombre d’inexactitudes, voire de mensonges, facilement démontrables. Un juge qui accepte stupidement comme preuves de tels témoignages commet une faute professionnelle.

Cela vaut également pour un historien. Il existe plusieurs éditions de « Vom Kriege » de Carl von Clausewitz, aussi bien originales que traduites. J’ai donc référencé mes citations en mentionnant successivement la partie, le livre et le chapitre, par exemple 1.2.3. pour : partie 1., livre 2., chapitre 3.

J’ai traduit moi-même les textes allemands qui se trouvent tous au Service historique des Armées, dont l’éloge n’est plus à faire, et qui n’ont jamais été traduits en français malgré leur grand intérêt – comme notamment « Achtung Panzer ! » de Guderian, les documents de Jacobsen et les journaux de Halder et de Jodl. Parfois, j’ai ajouté le texte original entre parenthèses.

Pour « L’art de la guerre » de Sun Tzu, j’ai utilisé la traduction du général et sinologue Samuel B. Griffith, que je n’ai pu contrôler étant donné mon ignorance totale du chinois classique. Comme plusieurs éditions de ce livre sont en circulation, j’ai référencé les citations que j’ai traduites en français par les numéros des chapitres et des paragraphes.

Le présent ouvrage contenant plusieurs sujets en relation les uns avec les autres, il n’est pas nécessaire de le lire de bout en bout. On peut l’utiliser de façon aléatoire et le lire en discontinu en choisissant directement une partie, un livre ou un chapitre en fonction du sujet recherché.

Sans le Service historique des Armées et sans mes deux correctrices, Martine Baruch (†) et Marie-José Fabre, cette étude n’aurait jamais vu le jour.

Mai 2009.

Introduction

Encore un ouvrage sur la campagne de 40, et encore une analyse a posteriori ? Non. Cette fois il s’agira d’une analyse a priori. Ce ne sera pas la mienne, car à 11 ans je n’avais pas tout prévu. Mais j’ai voulu éviter de tomber dans le piège contre lequel Clausewitz met en garde : voir mon jugement influencé par le résultat de cette campagne.

« Triompher au combat et être universellement applaudi comme expert n’est pas le comble de la compétence » constatait déjà Sun Tzu (IV, 9).

L’art de la guerre est empirique. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter dans le temps, dans l’histoire militaire. Les armes nouvelles n’ont pas changé les doctrines de jadis.

La présente étude va donc s’efforcer de faire une synthèse des critiques a priori de la campagne de 1940, en relation avec la 2e guerre mondiale - dont elle n’était « qu’un moment furtif » (Delmas, L’Europe en guerre, p.6) -, qu’on peut trouver dans l’oeuvre de trois généraux.

Le premier est le général chinois Sun Tzu, auteur du livre L’art de la guerre, écrit il y a vingt-quatre siècles, première oeuvre sur ce sujet autant qu’on sache.

Le second est le général allemand Carl von Clausewitz, qui a écrit Vom Kriege (De la guerre) édité à Berlin en 1832, qui a approfondi l’oeuvre de Sun Tzu.

Le troisième est le général français Louis Chauvineau, dont le livre Une invasion est-elle encore possible ?, écrit dans la première moitié des années 30, a été publié à Paris en mars 1939. En bonne logique, la réponse était « Oui » (p.212), parce que dans le cas contraire il ne se serait pas posé la question.

Cet ouvrage contient une critique en règle de l’organisation de l’armée française, « aussi mal adaptée à l’attaque d’une grande armée qu’à la protection de notre territoire » (p.205), ainsi que de toute la politique militaire et étrangère de la France après la Grande Guerre, jusqu’à 1936, date de la fin de la rédaction de son manuscrit.

Aucun de ses conseils n’ayant été pris en compte par le Haut Commandement français, ce livre, écrit avec l’intention de montrer les moyens de sortir les forces armées de leur marasme, est devenu une analyse des causes de la défaite a priori.

Les analyses de Sun Tzu et de Clausewitz sont identiques. Et les trois généraux s’accordent à vouer aux gémonies notamment le plan D adopté par les Alliés, sur les mêmes motifs, et ce avant son existence même.

Le plan de campagne allemand, en revanche, existait depuis très longtemps. Certes, Chauvineau a correctement prévu ses principes. Certes, on le trouve dans ses moindres détails chez Clausewitz, parfois même à la lettre. Mais il est des doctrines militaires éternelles ! Ce plan a été publié pour la première fois il y a vingt-quatre siècles par un général chinois.

Si les généraux Sun Tzu et Clausewitz n’ont pas besoin d’être présentés, on verra au chapitre 4 qui était vraiment le général Chauvineau. Mais nous étudierons d’abord, livre I, ses idées sur un éventuel conflit à venir avec l’Allemagne. Il s’attend à une guerre de masses. Celles-ci doivent donc être amplement pourvues d’un armement moderne. Par conséquent, cette guerre sera une guerre totale.

Autre conséquence : ces masses vont occuper le théâtre des opérations dans sa totalité, comme durant la Grande Guerre, d’où la naissance de fronts incontournables qu’il appelle erronément fronts continus.

Il prévoit ensuite que la vitesse – l’essence même de la guerre – sera plus que jamais le mot-clé. Ce sera effectivement le cas pendant la campagne de Pologne en 1939, ce qui explique l’appellation de Blitzkrieg que le grand public a adoptée à ce moment-là. Dans le chapitre ainsi intitulé, la légende selon laquelle ce fut une toute nouvelle stratégie est démentie.

Les chapitres 5 à 9 exposent les raisons de la réponse affirmative de Chauvineau, ses propositions pour la réorganisation de l’armée, ainsi que sa diplomatie active. Le chapitre 8, « Les ignorants », décrit comment naît une légende. Une trentaine d’auteurs y ont collaboré à leur insu.

La deuxième partie évoque comment l’Europe est allée vers la guerre et comment elle aurait pu l’éviter.

La troisième partie se consacre à la genèse des plans de guerre. Le plan de guerre allié (Livre V) contient sa critique a priori par les trois généraux, ainsi que les bonnes raisons de la neutralité des Belges. Le plan de guerre allemand (Livre VI) contient le plan définitif et les trois directives qui l’ont précédé. Dans cette partie est démentie la légende selon laquelle ce plan fut conçu par Manstein, un officier général subalterne, et ses mensonges ainsi que ceux de Liddell Hart y sont exposés. On y trouve les plans de Clausewitz et de Sun Tzu.

La quatrième partie renferme un livre entier sur l’avion. Il déborde le sujet de mon étude de toutes parts. La raison en est qu’à certains égards, cette arme se distingue de toutes les armes au sol et sur mer. Son développement fulgurant depuis 1918 n’a pas engendré une nouvelle stratégie mais a donné une autre dimension à la guerre : la population civile y est dorénavant impliquée dans sa totalité. J’ai donc voulu présenter au lecteur un bref aperçu de son histoire et de son rôle en général.

Après une brève évocation du cheval, de la fortification et du chemin de fer, suit la présentation de toutes les armes au sol, combinées dans un seul livre. La raison en est qu’elles ont toujours été employées ensemble, appuyées par l’aviation si besoin était, tant par les Allemands que par les Soviétiques, et ce suivant la doctrine de Clausewitz : concentration de toutes les forces.

Puis on verra les absurdités écrites par de Gaulle sur la campagne, son mépris injustifié de l’infanterie et le mauvais accueil de son livre, Vers l’armée de métier, en Allemagne. Suivent les théories de Chauvineau et Guderian sur l’emploi des armes combinées, ainsi que les règlements soviétiques. Char et fantassins s’entraident. Le rôle indispensable du génie et de la logistique est également évoqué. Le dernier chapitre prépare le lecteur à l’action proprement dite.

La cinquième partie contient la campagne elle-même. L’infanterie allemande a dû livrer des combats acharnés, parfois jusqu’à l’épuisement. Le lecteur suivra le déroulement de la campagne au jour le jour, illustrée par les cartes dressées chaque soir par le quartier général de l’armée (L’Atlas de Hitler). Celles-ci montrent les mouvements de toutes les divisions. On verra comment a été dirigée l’offensive, et comment on a changé le livret au cours de la scène première de l’acte premier de ce drame, en raison d’une faute grave, lourde de conséquences à la fin de la scène II, totalement imprévisibles à ce moment-là.

Quant à Chauvineau, après le baisser de rideau à la fin du drame, il était en droit de dire : « Je l’avais bien prévu ».

CHAPITRE 5
« Une invasion est-elle encore possible ? »
Sous ce titre parut en mars 1939 un livre écrit par le général Chauvineau, du cadre de réserve, préfacé par M. le Maréchal Pétain, éditions Berger-Levrault. Sur la bande orange figurait en grandes lettres noires : « La réponse à la question que tout le monde se pose ». Le prix en était 30 francs. Une deuxième édition, à quelques exceptions près identique, sortit un an plus tard, au début de 1940. La réponse du maréchal était « NON », celle du général était « OUI ». Quelques mois plus tard, les événements donnèrent raison à ce dernier.

Dans un compte-rendu publié dans la « Revue de l’infanterie » n°563 d’août 1939 (pp.407-418), le lieutenant-colonel V. écrit : « Originale, audacieuse même. L’œuvre vaut d’être attentivement considérée et longuement méditée par les fantassins. Les arguments développés sont si nombreux et d’une telle portée qu’il n’est guère possible, en quelques pages, de tirer de ce livre une analyse complète. » Et en effet, son analyse est fondamentalement incomplète.

Ce conseil n’a pas été suivi. Des dizaines d’auteurs, qui de toute évidence n’ont jamais eu le livre sous les yeux, ont publié des bêtises stupéfiantes au sujet de cette œuvre. Et ça continue toujours (voir chapitre 8 « Les ignorants »).

La préface a complètement occulté le contenu du livre, « que tout le monde cite, mais que personne n’a lu » (Bauer, 2-T.5, p.261).

« Cet ouvrage a été écrit, sauf quelques pages, entre 1930 et 1935 » explique l’auteur, le 8 juillet 1939, en réponse à la lettre de Gamelin du 26 juin 1939 (voir chapitre 8 « Les ignorants »).

Il faut, en lisant ce livre, ou mieux, en le considérant attentivement, ne pas oublier surtout qu’il a été écrit à l’époque où les événements, qui pour nous se situent depuis longtemps dans le passé, étaient pour l’auteur encore dans l’avenir.

Sa réponse à la question qui forme le titre de l’ouvrage est : « Oui, mais à condition que l’on parvienne à l’endormir [la France], (c’est malheureusement assez facile !) ».

En fait, il jugeait que politiquement, économiquement et militairement, c’était justement le cas. C’est en termes voilés qu’il critique les deux premiers sujets, et surtout la politique étrangère de la France et de l’Angleterre, mais sur le troisième, il ne peut pas être plus explicite : rien ne va plus !

Son livre est donc d’abord un cri d’alarme, un cri qui doit éveiller la France. Il est aussi destiné à rassurer les Français : les moyens pour empêcher une nouvelle invasion existent ! Il en propose donc pour que la France puisse éviter un nouveau conflit armé et pour que, si la guerre éclate quand même, elle puisse la gagner. Les moyens qu’il exige sont considérables. Aucun d’entre eux n’était mis en œuvre en 1939.

La doctrine de l’auteur a le mérite de la simplicité : il faut préparer le début d’une guerre et non la fin. Dans son livre, il « ne vise que le début d’une guerre et la préparation correspondante » (p.119).

Or la guerre débutera forcément dans les airs. Comme appui à cette thèse il cite le général allemand von Seeckt, dont l’opinion personnelle, en 1929, était : « La guerre commencera par une mutuelle attaque des flottes aériennes […] Ce sont les forces aériennes opposées qui constituent les premiers objectifs, et c’est seulement après avoir acquis sur elles la supériorité que l’attaque se tournera vers d’autres buts. » Et Chauvineau d’approuver cette thèse : « Nous voici prévenus : l’attaque aérienne apparaîtra la première » (p.110).

L’avion étant une arme offensive, et prêt à décoller instantanément, il faut préparer une offensive aérienne, à déclencher dès les premières heures. Donc, « il est logique de sacrifier le maximum de moyens au danger aérien, et de laisser les armées de l’air jeter au début tout leur venin » (p.119). Les moyens financiers et le potentiel industriel ayant leurs limites - au moment où le livre fut écrit, on était en pleine politique d’économie du budget militaire et parmi les entrepreneurs régnait « l’esprit gagne-petit » (Duroselle, La décadence, p.220) – on ne peut pas préparer deux offensives à la fois. On doit donc rester au début dans la défensive sur terre, et l’effort pour l’aviation « se fera nécessairement au détriment des autres moyens de combat » (p.112).

Douhet ne dit pas autre chose et l’opinion de Rougeron est identique : « Sur les faibles crédits dont les armées et les marines pourront disposer après que les aviations auront été servies, il est à craindre qu’il leur faille consacrer une bonne part à se défendre contre l’avion » (G.d.E., p.140). Ce qui veut dire la formation d’« une D.C.A. dotée de matériels très puissants » (Chauvineau, p.115) parce que l’ennemi, de son côté « doit trouver la défense entièrement organisée et préparée à le recevoir »(p.110) (voir chapitre 60).

Mais ce ne sont pas uniquement des raisons financières qui imposent cette stratégie. Dans sa lettre à Gamelin mentionnée plus haut, il répète ce qu’il a écrit dans son livre : « Je n’ai étudié que le début d’une guerre, sans anticiper sur sa forme ultérieure. Pour ce début de guerre, et pour lui seulement, j’ai préconisé la formule : Offensive aérienne, défensive terrestre (voir p.114 de son livre), formule qui semble impeccable, puisque le principe de l’économie des forces, qui s’applique au matériel comme aux hommes, a toujours refusé à la Stratégie le droit de poursuivre offensivement deux buts différents. » Et il rejette « la formule : Défensive aérienne, offensive terrestre » parce que « la défensive de l’avion est contraire à la technique de l’arme ».

Là il est en plein accord non seulement avec Douhet (p.23), mais aussi avec Clausewitz qui recommande « de n’avancer offensivement que contre ce point principal et de rester sur la défensive sur tous les autres » (3.8.9) – ce point principal, dans la guerre moderne, étant l’aviation ennemie. On ne peut pas gagner une guerre sans avoir au moins la supériorité, ou encore mieux la domination de l’air.

Et c’est bien là la base, l’essence même, de la stratégie de Chauvineau. Elle apparaît pour la première fois à la page 110 de son étude. C’est là, pour ainsi dire, « le point culminant » du livre. Celui qui ne l’a pas remarqué n’a pas compris l’ouvrage.

Personne ne l’a remarqué.

Mais le rôle de l’aviation dans la guerre future était encore obscur en 1935. Les progrès, depuis 1918, étant considérables, Chauvineau juge qu’il sera de plus en plus important, mais l’expérience manque. Elle peut s’acquérir dans « nos offensives initiales » et peut permettre alors de voir comment « orienter nos efforts nationaux, ainsi que la conduite ultérieure de la guerre. Cette méthode prudente est conforme à la règle napoléonienne : on s’engage et on voit » (p.119).

L’organisation de la lutte aérienne étant une des grandes préoccupations au début d’une guerre, il en est une autre qui consiste à créer une barrière qui nous protège contre les armées de terre adverses.

Dans son « Cours de fortification » de 1924, Chauvineau avait déjà inclus un plan pour la défense des frontières (voir chapitre 72). Dans son ouvrage, il y ajoute un plan pour la construction de petits fortins préfabriqués, rapides à construire en profondeur pour compléter la fortification permanente, avec champs de mines, fils barbelés, destructions, etc. (Guderian préconise une défense similaire, « Achtung Panzer ! », pp.199-200). C’est ce qu’il appelle – utilisant une expression malheureuse, mais généralement en usage – un « front continu » (voir chapitre 2).

Or, le « front continu n’est qu’une barrière en carton si l’indifférence s’est glissée dans le cerveau des défenseurs » (p.213). « La fortification est un moyen, non un but. Les armées françaises n’auront pas comme but de s’installer sur une position préparée d’avance. Elles en auront une autre, qui sera de gagner la guerre par les moyens que le général en chef prescrira. Le mouvement a toujours été et sera toujours l’un de ces moyens » (C. d. F., p.315).

Selon sa doctrine, conforme à celle de Clausewitz, il faut que se trouve derrière ce système de fortifications, une armée capable d’un « passage rapide et vigoureux à l’attaque » (Claus., 2.6.5).

Mais l’organisation de l’armée française, « dont la base est d’une vétusté inquiétante » (p.210), est jugée par l’auteur « aussi mal adaptée à l’attaque d’une grande armée qu’à la protection de notre territoire » (p.205).

C’est un constat terrible qu’il dresse ici. L’armée française est incapable d’attaquer et de se défendre. En d’autres termes, dans l’état actuel elle ne sert à rien et elle est nulle. Elle doit donc être réorganisée de fond en comble.

A cette fin, il faut créer, en plus de l’aviation :

1.Une armée Spéciale Réserve de Couverture (SRC) qui « comprendra en particulier toutes les unités de chars » (p.105), « un outil offensif » et « en même temps un merveilleux moyen de défense » (p.150), prête à agir sans délai, c’est à dire maintenue en permanence sur pied de guerre », d’un grand intérêt « pour le pays qui médite de prendre prématurément l’offensive » (p.148).
L’armée SRC sera composée de 75.000 engagés pour quatre ou cinq ans. Car il désapprouve une armée de métier, qui « serait demain une armée de fonctionnaires » (p.149).
2.20 à 24 divisions de choc d’infanterie motorisée, composées de soldats d’active, non diluées par des réservistes, et aptes à l’offensive (p.159).
3.Des unités entraînées au combat anti-chars.
4.Pour l’attaque, « l’emploi de soldats choisis, agglomérés en unités de choc », comme celles des Allemands dès 1917 (p.206).
5.La motorisation de l’artillerie, qui doit être très mobile (p.81).
6.Un service militaire de deux ans avec entraînement intensif et sportif.
7.La Nation armée (p.213).
Tout cela,ajouté à la fortification qu’il préconise, constitue un bon et efficace « front continu ».

Concernant la tactique, il considère comme un « rêve », en unisson textuel avec Guderian qui lui aussi utilise ce mot (« Achtung Panzer ! », p.187), un raid de chars isolés, et il préconise la combinaison des armes (armes combinées) puisque « l’unité fait la force ».

Sa stratégie au début d’un conflit est donc synthétisée par les trois points suivants :

1.« Organiser la lutte aérienne
2.Barrer la frontière
3.Essayer de pénétrer chez l’ennemi avec nos armées de terre pour y faire justement ce que nous craignons qu’il vienne faire chez nous » (p.111)
« Disposer d’une réserve solide et très mobile, c’est la base de la défensive au XXe siècle » (p.155)

Pour une guerre à venir (qui en réalité se déroulera en Europe, principalement sur le front russe), il prévoit :

1.une guerre longue, de masse et d’usure,
2.une guerre industrielle, donc totale,
3.des fronts de bataille « continus », c’est à dire incontournables, qui nécessitent…
4.… des attaques de front, mais …
5.… des fronts de manœuvre discontinus ;
6.comme début des hostilités, « une attaque brusquée (qui) peut surgir par surprise (…) à vive allure avec un fort appui de chars, sans s’encombrer de l’appareil classique, mais lourd et lent, de l’attaque d’artillerie » (pp.151,152) (voir chapitre 47, Kriegsspiel du 7/2/40 et Clausewitz, 2.5.4)
7.A propos de Hitler, qui avait préparé une guerre courte, il annonce avec une prévoyance époustouflante : « qui prépare une guerre courte va au suicide » (p.59)
Dans les années trente, on s’inquiétait beaucoup de la guerre aérochimique, l’arme de destruction massive de l’époque étant le gaz. Et l’avion est l’unique arme pour laquelle il n’y a pas de barrières. Il peut pénétrer dans le ciel ennemi nonobstant la défense antiaérienne la plus puissante. L’unique moyen pour éviter une attaque aérochimique est la menace de rétorsion. L’ennemi doit savoir que nous sommes capables et déterminés de faire chez lui justement ce qu’il veut faire chez nous. C’est ce qu’on a appelé après la guerre « Mutual Assured Destruction (MAD) ».

Pendant quatre décennies les Américains et les Soviétiques, assis sur leurs armes nucléaires, ont ressemblé « à ces animaux de faïence qui se regardent férocement à l’entrée de certaines demeures », comme Chauvineau l’a prévu (p.119), chacun derrière son « front continu ». On a appelé cette situation « la guerre froide » et ce « front continu », selon une expression utilisée par Goebbels, « Der eisernen Vorhang », « le rideau de fer ».

Mais il n’y avait pas de guerre entre ces deux puissances.

On peut faire le reproche à l’auteur de ne pas avoir résumé au début du livre, dans une introduction, les bases de sa stratégie : offensive aérienne, défensive terrestre pendant les premiers jours.

En 1936, on ne pouvait pas prévoir que la guerre débuterait en 1939 à l’est, comme ce fut le cas. Tout le monde s’attendait à une guerre franco-allemande et les préparatifs que Chauvineau envisage sont destinés à ce cas de figure. L’auteur aurait mieux fait de placer le chapitre « L’avion » au début de l’ouvrage, même si dans l’ordre des chapitres retenu un lecteur attentif ne peut pas le manquer. Il est assez bref pour la bonne raison que la stratégie aérienne qu’il propose est nouvelle : on n’a pas d’expérience en la matière. Pendant la Grande Guerre, les avions étaient principalement en action au-dessus du front. Mais au cours de ce conflit, le bombardier stratégique et le zeppelin exécutèrent des bombardements à l’intérieur des pays adverses. Cependant ils furent insignifiants comparés à ceux de la guerre à venir. Le bombardier lourd à long rayon d’action ne fera son apparition qu’après (voir Livre VII).

Tout ce que Chauvineau pouvait donc conseiller était de construire des avions en priorité, et en cas de guerre suivre le mot de Napoléon : « On s’engage et on voit. ».

Pour les dispositions à prendre sur terre, il pouvait puiser dans toute l’histoire militaire, au cours de laquelle on a toujours essayé de protéger ses flancs (voir chapitre 2). Avec des armées de masse, qui pouvaient occuper tout le théâtre des opérations, cela était devenu automatique. Ainsi consacre-t-il une partie de son œuvre aux événements de la Grande Guerre sur le front de l’ouest, qu’il analyse et dont il tire les leçons pour un conflit futur. C’était normal. Nombre de militaires, notamment dans les pays belligérants, l’avaient également fait.

Dès le moment où Hitler « décidait de revenir au système de la Nation armée » (Chauvineau, p.205), en instaurant le service militaire obligatoire en 1935, il était prévisible qu’une situation pareille à celle de la Grande Guerre survînt dans un conflit à venir.

Chauvineau s’y prépare. Désapprouvant « la défense absolue » du Haut Commandement et étant un adepte de la doctrine clausewitzienne « défensive – contre offensive », il peut noter « que les préoccupations défensives qui dominent la présente étude conduisent à une organisation militaire plus propre à l’offensive que celle adoptée en France en 1919 » (p.207). Tout en préparant la défensive, il prépare aussi l’offensive, les deux étant inséparables. « L’offensive et la défensive ne sont pas deux méthodes de guerre entre lesquelles on peut choisir. Ce sont deux modes d’action que l’on est obligé d’employer en même temps. » (Revue militaire française, jan./mars 1930, p.272). Clausewitz ne dit pas autre chose.

Ses conseils n’ont pas été suivis. C’est aux amateurs des « what ifs » de s’imaginer le déroulement des événements dans le cas contraire. Tout ce qu’on peut dire c’est : Autrement. Et le pire est difficilement imaginable.

CHAPITRE 6
Erreurs d’après-guerre
La quatrième partie du livre de Chauvineau est un réquisitoire sévère de l’action et de l’inaction des gouvernants successifs, et des décisions et indécisions du Haut Commandement français après la Grande Guerre. Il faut rappeler que son ouvrage fut achevé au début de 1936.

Après la guerre, on avait conclu : « nous venons de vaincre avec une énorme artillerie, un débit journalier de 300.000 obus et 3.000 ou 4.000 chars » Le remède, pour avoir raison du front continu, était donc : « offensive, artillerie, chars » (p.203). C’était mal comprendre que ce résultat, obtenu en quatre mois, avait été le fruit de quatre années d’usure, et que les Allemands n’avaient plus de réserves.

« En outre, le traité de Versailles venait de fabriquer une armée allemande tout exprès pour qu’elle soit facile à attaquer » (p.203). Le Haut Commandement adoptait donc une stratégie offensive. « Cependant nos gouvernants, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les enseignements de la guerre, entretenaient dans le pays une mentalité défensive absolument opposée » (p.204). Au cours des années vingt, la stratégie offensive fut totalement abandonnée et remplacée par la défensive absolue. « Le pays, dans son ensemble […] s’est détourné, pour un temps, de l’ordre guerrier » (de Gaulle, F. d’E., p.59).

Mais avec l’avènement de Hitler et l’instauration par lui du service militaire obligatoire (1935), « nous avons reçu sans broncher le plus rude coup de l’après-guerre » (Chauvineau, p.205). Or ce fait n’a pas accédé au statut d’événement dans l’Histoire. « C’est à la fois une violation unilatérale du traité de Versailles, la proclamation officielle d’un réarmement intense qui se produisait depuis plusieurs années au vu et au su de tous et la sombre promesse d’une continuation des efforts militaires allemands bien au-delà de ce que pouvaient impliquer le désir de l’équilibre et la volonté de paix. François Poncet proteste avec énergie, et aurait voulu qu’on le rappelle à Paris. Laval n’ose pas aller jusque là. » (Duroselle, I, p.130).

Chauvineau, lui, constate : « Ce geste aurait dû nous ouvrir les yeux et nous prouver que les puissances victorieuses n’avaient qu’un mot à dire pour arrêter le führer dans sa marche ascendante. Mais d’abord ces puissances n’étaient pas unies et l’Angleterre était la moins « unie » de toutes. Ensuite les gouvernants comprennent les conséquences des événements avec le retard qui est naturel aux hommes » (p.205). Ce mot ne fut pas dit par crainte d’une guerre, et encore plus de l’opinion publique. Ils ne comprirent pas que cet événement « les obligerait tôt ou tard à modifier complètement leur orientation militaire et diplomatique » (p.205). Cela concernait aussi l’Angleterre, et même encore plus (voir chapitre 15).

Il fallait donc désormais s’attendre à avoir une grande armée comme adversaire, or « notre organisation d’après-guerre, conçue pour faire face à une petite armée, est aussi mal adaptée à l’attaque d’une grande armée qu’à la protection de notre territoire » (p.205). Car la défense était mal préparée, elle aussi.

« Dans le domaine de la fortification, nous avons attendu huit ans pour nous décider à organiser une faible partie de notre frontière » (p.206). Tournoux (p.9) parle de « l’abus des discussions d’ordre théorique avant de passer à l’action », et de Gaulle constate en général l’existence « de questions toujours à l’étude » (F. de E., p.58). « Puis nous avons construit, avec une hâte d’autant plus grande que nous avions hésité plus longtemps, des rocs imposants et solides auxquels, en regard d’une exécution remarquable, on peut reprocher quelques erreurs, non seulement dans la conception stratégique qui a défini leurs emplacements, mais aussi dans certaines conceptions techniques, inutilement grandiloquentes, masquant mal un rendement défectueux des crédits engagés ». La revue Soixante millions de consommateurs aurait dit : mauvais rapport qualité-prix… « Enfin, nous ne savions pas que, dès la fin de la concentration, une fortification de campagne très solide et de construction extra-rapide, serait en mesure d’assurer la « relève » de la fortification permanente, et que, dès lors, il suffisait de concevoir et de construire cette dernière pour une durée de résistance de quelques jours, sans oublier que son pouvoir d’intimidation est aussi important que sa solidité » (p.206) (voir chapitre 72). Mais il n’existait pas de règlement pour la fortification de campagne.

Troisième pierre d’achoppement : l’organisation de l’offensive. « L’organisation de l’offensive aurait exigé des soldats et des cadres subalternes de plus en plus instruits. Nous avons au contraire cédé paresseusement à la pression de l’opinion publique, diminué la durée du service militaire et pris des mesures qui ont rendu impossible une bonne formation des sous-officiers. En outre, nous n’avons pas compris que la puissance des armes défensives imposait depuis peu à l’attaque l’emploi de soldats choisis, agglomérés en unités de choc. (Les Allemands ont été obligés d’en venir là dès 1917) – les Stosztruppen - Pour avoir le nombre, nous avons dilué nos hommes de l’active dans un flot de réservistes et nous avons obtenu un liquide à peu près inoffensif. Comme conséquence, la valeur de nos divisions mobilisées est tombée au niveau de celle des divisions de réserve d’avant-guerre, dont la faiblesse est apparue si clairement en août 1914. L’idée seule de les faire attaquer, sans un ou deux mois d’« aguerrissement » préalable, heurte aujourd’hui le bon sens. » (pp.206-207) « Notre division moderne est un organisme défensif. Elle ne pourrait guère attaquer avec succès que des nègres » (p.145).

« Une organisation militaire qui s’applique à former des soldats interchangeables par une instruction uniforme et à noyer l’ardeur et la compétence des troupes actives dans la craintive circonspection du réserviste est devenue une erreur colossale qui affaiblit la défensive tout en détruisant totalement les possibilités offensives. […] Au XXe siècle, il faut des grandes unités qualifiées pour les actes difficiles, d’autres pour des actes faciles » (p.207) « Les valeureux attaquent, les prudents défendent » (Sun Tzu, V, 22) « La Landwehr (réserve) […] est nécessairement mieux adaptée à la défense qu’à l’attaque » (Clausewitz, 2.6.5).

« L’offensive requiert des soldats très instruits et fortement encadrés, deux conditions qui limitent leur nombre. » Or on a créé un « liquide plus abondant mais inoffensif, pas assez corrosif pour nous conduire offensivement à une victoire rapide. » Toutefois, au cas où l’on déclencherait une offensive, il faut « prendre, vis-à-vis d’un échec, les garanties nécessaires » afin de ne pas être obligé « de les improviser sous le feu, comme en 1914 » (p.208).

Voici un exemple de la façon dont les Allemands ont mis en pratique ce principe : la bataille de Kursk en 1943. Le groupe d’attaque Nord, sous les ordres du général Model, considéré comme un expert dans la bataille défensive, avait construit à l’avance une ligne de fortifications de campagne – la « ligne Hagen » – sur une distance de 30 à 80 kms à l’arrière du front. Après l’échec de leur offensive, les Allemands purent se replier sur cette ligne (incontournable), qui était si forte qu’elle arrêta la contre-offensive soviétique dans ce secteur.

« Nos fantassins et nos brevetés » - sous-entendu : le Haut Commandement – « sont les principaux responsables de cette orientation. […] Notre règlement sur l’organisation du terrain est en effet basé […] sur l’improvisation. […] Nous préférons faire improviser par des exécutants eux-mêmes improvisés une fortification qui rappelle celle de César » (p.208), ou, comme Beaufre l’exprime, « des huttes de branchages comme au temps de la forêt gauloise » (p.21).

« Cependant les militaires continuent à croire que pour organiser une position solide il faut toujours quatre à cinq mois, comme en 1915. Personne ne se doute qu’une nouvelle technique du béton changera demain toute la stratégie, non seulement en renforçant la solidité des fronts, mais en économisant des divisions au bénéfice des réserves mobiles, d’où la défense tire sa force.

Finalement, s’il s’agissait d’organiser la destruction des Français, au début d’une prochaine guerre, nous n’aurions pas fait mieux. » (p.209) – (c’est moi qui souligne). Chauvineau parle ici des années 1918-1936 !

« Les enseignements de la guerre ne sont bien connus que cinquante ans plus tard - et encore ! […] Il n’est donc pas étonnant qu’en 1938 tout le monde soit encore dans la brume. » Dans le manuscrit original figurait probablement la date de 1935 ; mais trois ans plus tard, la brume ne s’est toujours pas dissipée. « Notre activité guerrière est, depuis quinze ans (c’est moi qui souligne), fébrile, coûteuse, sans grand rendement et nous jetons avec prodigalité les milliards dans un édifice dont la base est d’une vétusté inquiétante » (p.210).

Avant la publication de son livre, Chauvineau rajoute quelques pages.

« On a vu nos journaux, nos grands chefs reconnaître que la fortification par l’Allemagne de sa frontière ouest était le prélude de notre impuissance à soutenir nos alliés de l’Europe orientale, ce qui équivaut à dire que nous ne pourrions rien contre le front continu allemand. » (p.210) Il faut donc réciproquer, et préparer « une bataille rigoureusement déterminée, dont le tracé est impérieusement fixé le long de notre seule frontière ouverte, et qui, si jamais elle a lieu, se déclenchera par surprise. Le problème est donc simple : il faut se ranger en bataille, non pas là où l’ennemi le voudra, mais là où ce sera avantageux pour notre armée, où nous aurons tout préparé pour accumuler les atouts dans notre jeu et le vide dans le jeu de l’autre, sans oublier que le plus important de ces atouts est la vitesse de notre mise en garde. » (p.211) Et il se demande « si les Allemands accepteront une bataille où ils se battraient à poitrine découverte contre des gens munis de boucliers excessivement résistants » (p.212).

Il est évident que Chauvineau rejette l’idée d’aller en Belgique et de se défendre là sur un front improvisé, mais qu’il conseille d’organiser une solide position sur la frontière belge (voir chapitre 72). Dans son cours de fortification il a exposé sa conception d’une telle organisation. Au chapitre Couverture de cet ouvrage, il a étudié les modalités pour la renforcer en grande vitesse. C’est qu’il s’attend à une surprise.

Après avoir démonté en règle toute l’action du Haut Commandement après la Grande Guerre jusqu’à la fin de 1938, il écrit, amicalement : « Il ne faudrait pas croire que nous faisons ici le procès de notre Etat-Major. Bien au contraire, nous désirons l’excuser en montrant que la guerre moderne lui pose des problèmes de plus en plus redoutables, par la complexité, la variété et le nombre des rouages dont il doit accorder l’action, et que ces problèmes exigent une réflexion de plus en plus longue. Mais, s’il réfléchit trop, l’ennemi, pendant ce temps, agira et, à cause de la rapidité que le moteur donne maintenant à ses déplacements, le bel ordre qui sortira du meilleur des 3e bureaux sera déjà caduc avant d’être parti » (p.211). Marc Bloch a effectivement constaté pendant la campagne que les officiers de ces bureaux « semblent, quelquefois, mépriser un peu trop des activités sans lesquelles cependant les plus belles flèches tracées sur la carte des opérations resteraient de vains signes » (p.130).

« Cette nouvelle source de difficultés pour notre Commandement » poursuit Chauvineau, « s’ajoute à une autre, fort ancienne, qui tient à ce que l’ennemi ne se conduit jamais comme il le faudrait. Il est naturel qu’il cherche à fausser tous les renseignements, à faire échouer tous les projets, à rendre vaines toutes les impulsions de son adversaire, et l’on conviendra, eu égard au calcul des possibilités, qu’il doit y réussir une fois sur deux » (pp.211-212). En d’autres termes : eh oui! c’est difficile la guerre moderne, mais le temps presse ; assez de réflexions, passons aux actes, s’il vous plaît !

On peut s’imaginer la tête de Gamelin quand il lut qu’il n’avait toujours pas compris la guerre moderne.

C’est alors que l’on se trouve devant une énigme : pourquoi, diable, Pétain a-t-il écrit la préface de ce livre ? Pétain qui fut, à partir de 1920, successivement :


◦Vice-président du Conseil supérieur de la guerre en 1920,
◦Inspecteur général des armées en 1922,
◦Inspecteur de la défense aérienne du territoire en 1931,
◦Ministre de la Guerre en 1934,
•et qui était donc le premier responsable de cette « erreur colossale qui affaiblit la défensive tout en détruisant totalement les possibilités offensives »,
•qui a voulu ces « rocs inutilement grandiloquents, d’un rendement défectueux des crédits engagés »,
•qui n’a pas tapé du poing sur la table et exigé la production d’une aviation et d’une DCA puissante,
•qui a « organisé la destruction des Français au début d’une prochaine guerre »
•et qui avait l’habitude d’écrire des préfaces d’une ou deux pages seulement, dont il existe une trentaine.
Pourquoi cette préface longue et élogieuse pour un livre qui condamnait toute son action depuis la guerre ? Une action qu’il voulait occulter aussi vite que possible après la défaite. Dans ce but, il instaura dès le 2 août 1940 une « cour suprême de justice » qui devait siéger à Riom. Sa mission : condamner ceux « qui étaient responsables de la déclaration de guerre et de l’impréparation de la France ». L’instruction s’était interdit de remonter au-delà de juin 1936, et la presse eut la consigne de montrer que ce procès ne saurait être celui de l’Armée mais celui du Front Populaire. Le nom de Pétain ne pouvait être évoqué.

Or, dans la quatrième partie de son livre, on a vu comment Chauvineau condamne avec force toute la politique militaire et étrangère française. Il commence ainsi : « Qu’avons-nous fait en France depuis 1918 ? » Or le livre était achevé juste avant juin 1936 ! Il était donc interdit de l’évoquer à l’audience. Surtout parce que Pétain y faisait piètre figure en raison de son affirmation selon laquelle « l’armée issue de la nation est parfaitement apte à s’opposer partout aux incursions terrestres de l’ennemi » (p.VIII). La critique de Chauvineau s’adresse aussi aux politiques, notamment à l’inaction du gouvernement à l’occasion de l’instauration du service militaire obligatoire par Hitler en 1935. Il le fait en termes mesurés, sans citer de noms. Mais Laval était aux Affaires étrangères et Morin, un fidèle de Pétain, au ministère de la guerre. Le président du conseil était Flandin, qui le 1er octobre 1938 envoyait des télégrammes de félicitations à Hitler et Mussolini pour les résultats de « Munich », et qui sera pour une brève période ministre de Pétain. Ainsi Chauvineau les rend directement responsables de la deuxième guerre mondiale, tout comme d’ailleurs les politiciens britanniques. On verra leur imbécillité au Livre IV : « Les Alliés – Les préliminaires ».

Dans cette préface du livre de Chauvineau, Pétain déforme complètement les propos de l’auteur, à un degré tel qu’on se demande s’il a vraiment lu l’ouvrage dans sa totalité, et s’il l’a compris.

Pourquoi ?

CHAPITRE 7
Une étrange préface

Pétain est mort. L’énigme reste entière. On ne peut qu’avancer des suppositions.

« C’est en avril 1936 que le général Chauvineau remet au Maréchal la minute de cette étude (conçue sans doute en 1935). Le Maréchal demande à son chef d’état-major de lui faire connaître son avis après lecture » écrit Conquet (p.88).

Nous savons que l’étude fut conçue entre 1930 et 1936, et à ce moment-là, Conquet était lui-même ce chef d’état-major. Il n’aimait pas l’œuvre de Chauvineau et « il lui sembla donc inopportun que le Maréchal lui donnât un éclat supplémentaire en la préfaçant. Le Maréchal approuva et le document fut rangé dans un tiroir. Plusieurs mois plus tard, le général Chauvineau étant venu aux nouvelles, le chef d’état-major (toujours Conquet) rappela l’affaire au Maréchal, qui conclut « qu’il fallait donc transmettre à l’Etat-Major de l’Armée pour avis (comme c’était la règle) […] La consigne fut donnée à un intérimaire. Mais les collaborateurs les plus immédiats du Maréchal ayant été changés, on ne saurait dire ici si elle a été écoutée. » (p.89). L’un de ces collaborateurs n’était autre que Conquet lui-même. Il fut remplacé par Vauthier, qui écrivit à Chauvineau le 8 janvier 1938 (erronément daté de 1937) que Pétain avait signé la préface le 8 janvier 1938 à 16h (voir fac-similé de la lettre et de la dernière page de la préface). Cette préface fut donc écrite en 1937. Le contrat avec l’éditeur ne fut signé que le 26 décembre 1938. La cause du retard est inconnue.

Pétain a-t-il dans cette préface du livre de Chauvineau, voulu condamner un écrit de de Gaulle publié en 1934, « Vers l’Armée de métier » ? Peut-on croire qu’il ait attentivement considéré et longuement médité le livre de Chauvineau ?

Cela semble hautement improbable.

Mais s’il a voulu, par cette préface, détourner l’attention, faire en sorte que tout le monde se contente de lire uniquement les mots du maréchal, ou tout au plus, en feuilletant les 215 pages du livre, ramasser ici et là quelques phrases et le critiquer quand même ; s’il a eu l’intention, tout en couvrant le général Chauvineau d’éloges, de faire croire que celui-ci exprime exactement ses propres idées, et que la préface est un résumé du livre ; s’il a voulu faire de Chauvineau l’anti-de Gaulle.

Alors il a réussi au-delà de toute espérance.

Je ne connais aucun commentateur qui ne soit tombé dans ce piège.

C’est l’auteur de la préface qui a été le premier à falsifier les propos de Chauvineau. Des dizaines d’auteurs ont fait de même et continuent de le faire jusqu’à nos jours (voir chapitre 8 « Les ignorants »). Le spectre du maréchal plane toujours sur le livre.

Lisons maintenant ce que Pétain écrit : « L’auteur a limité le sujet de son ouvrage aux opérations terrestres du début d’un conflit (p.VI) […] Les précautions défensives sur mer et en l’air n’ont pas été étudiées par l’auteur (p.XVIII) ». C’est un mensonge flagrant, comme on l’a vu. « Une des trois grandes préoccupations au début d’une guerre est : Organiser la lutte aérienne (p.111) » écrit Chauvineau. L’aviation doit prendre l’offensive dès les premières heures. Une aviation et une DCA puissante sont « à la mobilisation, l’un des objets les plus urgents » ; leur construction en temps de paix doit avoir la priorité sur toutes les autres armes. L’aviation doit bombarder les arrières de l’ennemi, leurs colonnes, coopérer avec l’armée de terre, etc. (voir chapitre 60). Voilà justement la doctrine de Chauvineau : gagner dès le début des hostilités la supériorité dans les airs par une offensive aérienne foudroyante.

« Un court chapitre est consacré à l’aviation » (p.XVIII) écrit le vieux Maréchal. S’il a vraiment lu l’ouvrage, soit il ment, soit ce fut pendant un de ses moments d’absence. Quant à la Marine, Chauvineau expose en quelques lignes, en passant, sa vision de la guerre aéronavale à venir, qui s’avèrera pertinente (voir chapitre 70).

Contrairement à ce qu’écrit Pétain - « La France doit éviter de débuter par une offensive stratégique » (p.VII) – Chauvineau n’exclut pas ce cas de figure, la troisième des « grandes préoccupations au début d’une guerre » étant : « Essayer de pénétrer chez l’ennemi avec nos armées de terre » (p.111). Mais Pétain se résigne en poursuivant : « l’outil militaire, l’armée issue de la nation, ne le permet pas ». Et il en reste là. C’est justement contre cette situation que Chauvineau s’élève. Il envisage une réorganisation de fond en comble de l’armée, qui doit en faire un outil offensif, notamment par la création de 20 à 24 divisions de choc - dont Pétain ne parle pas - ainsi que de l’Armée SRC. Et c’est au sujet de cette armée que Pétain dérape vraiment. Il la compare à « la conception récemment préconisée d’une armée de métier » faisant allusion à de Gaulle sans le nommer.

Les deux armées s’opposent par leurs buts, leur composition, leur recrutement, écrit-il (p.XII). « Les deux idées sont très différentes. L’armée de métier est surtout un instrument offensif », tandis que l’armée SRC est « au contraire destinée à colmater une brèche ou à contre-attaquer dans le flanc d’une offensive ennemie. » Pour ce qui concerne le recrutement, c’est vrai ; pour le reste, c’est faux.

Le but des deux armées est le même : être prêtes à tout moment pour protéger la couverture. Action défensive donc, mais aussi action offensive. L’armée SRC est un « outil offensif » (Chauvineau, p.150) ; elle n’est pas uniquement destinée à colmater ou à contre-attaquer. Ceci est contraire à la doctrine de Chauvineau. Cette armée est aussi destinée à une attaque brusquée de la première heure. Mais Pétain ne le dit pas.

On ne peut pas dire non plus que la composition de l’une et de l’autre soit différente. Chez de Gaulle elle est très détaillée, tandis que Chauvineau se limite à indiquer que son armée sera très rapide, motorisée, pourvue d’« armes offensives, souples, mobiles, d’une mise en action et d’une efficacité presque instantanées » L’artillerie est « peu indiquée pour une offensive de la première heure » - il insiste d’ailleurs sur la motorisation de cette arme, qui doit « être nombreuse et très mobile » (p.81) – mais le char est « aussi bien adapté que possible aux conditions d’une offensive brusquée en face d’une couverture faible par définition. » (p.149).

Par conséquent, son armée « comprendra en particulier toutes les unités de chars » (p.105) (c’est moi qui souligne), dont le « grand nombre est une inéluctable condition de succès » (p.93).

On est donc loin de la thèse de Pétain, qui veut des « réserves partielles réparties en arrière de la ligne continue » (p.VIII).

Mais que dit le Maréchal ?

« Les troupes de réserve de couverture du général Chauvineau […] sont motorisées, tout en comprenant quelques chars cuirassés » (p.XIII).

Dans ce contexte, la note 43 de Conquet (L’énigme des blindés, p.91) est intéressante. « Au sujet de l’incidente "tout en comprenant quelques chars cuirassés", il saute aux yeux d’après la typographie de l’ouvrage page XIII qu’il y a eu initialement à la 11e ligne de cette page autre chose que ce texte, peut-être les mots "quelques unités de chars cuirassés" ou "tous autres". On pourrait se demander de quelle correction contrôlée ou non par le Maréchal, il a pu s’agir. » Or l’original, signé par Pétain le 8 janvier 1938, ne présente rien de la sorte.

De la part de Conquet, voici une tentative bien naïve de dédouaner son ancien chef d’une falsification notoire. Il doit très bien savoir que Chauvineau a précisé : « toutes les unités de chars ».

Une autre contrevérité figure à la page XX, là où Pétain affirme : « Le système préconisé cadre […] parfaitement avec les travaux qui ont été construits aux frontières de la France. » On verra que Chauviveau, conformément aux thèses de Clausewitz, condamne « la conception stratégique » de la ligne Maginot, et que ses idées sur la défense des frontières étaient bien différentes de celles du Maréchal (voir chapitre 72).

Pétain présente ensuite certains « éléments d’une doctrine de guerre » qui, en ce qui concerne l’armée de terre, concorde parfaitement à une exception près avec celle du haut commandement en 1939, mais pas du tout avec celle de Chauvineau. Cette exception est bien amusante. Un de ses « éléments d’une doctrine de guerre » est : « la couverture doit être renforcée sur le champ de bataille choisi, préparé et partiellement occupé dès le temps de paix (p.XV) […] Chauvineau s’élève justement […] contre l’idée d’opposer une défense improvisée à une attaque méthodiquement préparée. » (p.XVIII). Ainsi Pétain condamne-t-il déjà en 1937 le plan D, avec le même argument et presque les mêmes mots que l’auteur, le plan qui était en vigueur au moment de la parution de la 2e édition du livre en mars 1940 et qui sera exécuté deux mois plus tard, envisageant de monter une défense improvisée en Belgique. « Mettre en face d’une offensive préparée une défense improvisée, c’est aller au-devant de catastrophes » (Chauvineau, p.64) . Remarquons que Chauvineau n’utilise pas le terme « méthodiquement ».

Tout en admettant que l’armée française est inapte à l’offensive stratégique, Pétain écrit, dans un accès d’optimisme totalement injustifié, qu’elle « est parfaitement apte à s’opposer partout aux incursions terrestres de l’ennemi, à couvrir la mobilisation et la concentration de l’armée et à donner au pays le temps de surmonter cette terrible crise qui accompagne le passage de l’état de paix à l’état de guerre » (p.VIII) « et d’une manière générale au passage de l’économie de paix à l’économie de guerre » (p.XII).

Il ne parle pas d’incursions aériennes ; or nous avons vu que Chauvineau est d’une opinion absolument contraire ; en septembre 1939 la mobilisation et la concentration de l’armée française furent couvertes par l’armée polonaise. Quant au passage de l’économie de paix à l’économie de guerre, cela peut prendre bien du temps et est contraire aux propositions de Chauvineau qui, lui, veut préparer le début de la guerre en temps de paix, afin qu’on puisse ouvrir les hostilités avec une offensive aérienne puissante.

Curieusement, dans cette doctrine Pétain inclut aussi un exposé sur le rôle de l’aviation, qui concorde en général avec les idées de Chauvineau. C’est l’unique partie de la préface où il a raison. Mais il omet soigneusement d’insister sur la priorité de la construction d’avions et de DCA sur toutes les autres armes, comme le fait Chauvineau. Or, quand il avait le pouvoir de mettre ces idées en pratique, il a gaspillé beaucoup d’argent dans une fortification trop lourde, trop coûteuse et inefficace, et il n’a rien fait pour développer une industrie aéronautique ni une DCA puissante.

Les mots ne furent pas suivis d’actes.

Tout ce qui ressemble de près ou de loin à des mesures offensives chez Chauvineau a été soigneusement laissé de côté par Pétain, qui n’hésite pas à écrire ce mensonge notoire : « il n’envisage que la défensive » (p.XX 20). En psychanalyse on appelle cela « projection » Puisque c’est justement lui qui se contente seulement de parer les coups, sans les rendre. Il ne dit rien de la transformation de l’armée en une masse offensive, non seulement capable de rendre les coups mais pouvant les donner en premier, ce qui a été voulu par Chauvineau.

C’est là que se situe l’opposition fondamentale entre les deux hommes. D’une part la doctrine de Clausewitz chez Chauvineau : parade et riposte immédiate, coup et contre-coup ; d’autre part chez Pétain : parade d’abord et (beaucoup) plus tard, offensive. Là se trouve l’anti-thèse la plus flagrante entre les doctrines du Général et du Maréchal : le premier « inclut dans son concept de défense dès le début un passage rapide et vigoureux à l’attaque » (Clausewitz, 3.6.5) et il veut créer les moyens de le faire ; le deuxième se contente d’endurer passivement, pour une période indéterminée, ce qui est « la défense absolue » selon Clausewitz. La guerre ne serait alors menée que d’un seul côté. Ce fut la septième erreur du haut Commandement (voir chapitre 33).

Sur deux colonnes à la une de L’œuvre datée du 4 août 1939, Pétain persiste et signe sous le titre « L’Armée de la République » : « Première partie du programme ? dit le maréchal Pétain, Ne pas être battu ! » L’article, qui occupe aussi deux colonnes en page 4, est une copie de la préface du livre de Chauvineau (pp. XVII-XIX) jusqu’à « ne pas être battu.» Un compte rendu en est fait le lendemain dans le journal allemand « Neue Wiener Tageblatt », et reproduit le 18 août dans « Deutsche Wehr », n°33.

En mars 1937, dans « Wehrgedanken des Auslandes » (12e année, n°3), on trouve un autre exemple prouvant que les mots du Maréchal ne furent pas entendus sans émotion par la presse militaire allemande.

Deux ans auparavant, Pétain avait prononcé un discours pour l’inauguration du monument aux morts de Capoulet-et-Junac, dans l’Ariège, une commune de 208 habitants ; celui-ci fut publié le 1er décembre 1935 dans son intégralité dans la Revue d’infanterie, 44ème année, n°519, pp.929-934. En apprenant que le monument était l’œuvre du « grand Bourdelle », Pétain avait décidé de venir pour « proclamer au fond d’une humble vallée pyrénéenne [son] admiration pour le paysan français. » Il décrit la vie du paysan en détail, mais parle aussi du paysan-soldat, et c’est cette partie du discours que publie, dans une traduction correcte, la revue allemande.

Voici donc l’original :

L’obstination dans l’effort quotidien, la résistance physique, une prudence faite de prévisions à longue échéance et de décisions lentement mûries, la confiance raisonnée, le goût d’une vie rude et simple, telles sont les vertus dominantes de nos campagnards. Ces vertus qui soutiennent la nation aux heures de crise sont aussi celles qui font le vrai soldat.

Car dans cette fusion intime des origines, des caractères, des individus qu’est une troupe, l’homme de la terre apporte un élément d’une valeur inappréciable : la solidité. Ceux qui ont eu l’honneur de le commander savent ce qu’on peut attendre de lui. Insensible aux excitations pernicieuses, il accomplit son devoir militaire avec la même assurance tranquille que son devoir terrien. Il apprend méthodiquement et n’oublie pas ce qu’il a appris. Aimé de ses supérieurs, respecté de ses camarades, il suit son chef sans discuter et donne à ce chef la volonté d’entreprendre. Pendant la guerre, le citadin, plus instruit en général, a fourni les cadres. Plus technicien, l’ouvrier a alimenté la main d’œuvre indispensable aux usines. Le paysan s’est battu dans le rang, avec le sentiment profondément ancré en lui qu’il défendait sa terre. Les plus terribles épreuves n’ont pas entamé sa foi. Tant que l’ennemi a foulé le sol français, il a gardé la farouche résolution de le battre.

Aux heures les plus sombres – je tiens à le rappeler devant ce monument – c’est le regard paisible et décidé du paysan français qui a soutenu ma confiance. »

Tout comme la revue allemande, je m’abstiens de tout commentaire.

CHAPITRE 8
La notoriété du livre de Chauvineau
À cause de la préface de Pétain, le livre a été l’objet d’une très grande attention. Il l’est encore.

Un certain nombre d’auteurs ont uniquement mentionné son existence, ou la préface. Ce sont, par ordre alphabétique:

Philippe Alméras (pp. 134, 141), Nicolas Atkin (p. 43), Ed. Bauer (Histoire controversée, t. 5, pp. 260-261), Benoist-Méchin (t. 1, p. 47 et t. 3, p. 265), Pierre Bourget (pp. 136-137), James de Coquet (pp. 46,47), Charles de Gaulle (Mémoires de guerre, p. 15), Jean-Baptiste Duroselle (La Décadence, p. 22), Marc Ferro (Pétain, pp. 374, 380), Claude Fohlen (p. 183), Jacques Le Groignec (Le Maréchal et la France, pp. 12, 156, 157, 367, et Pétain et de Gaulle, pp. 97, 116), Philippe Masson (Histoire de l’armée française, p. 141 et Une guerre totale, p. 138), Guy Pedroncini (p. 151), Pertinax (pp. 26, 327), Jean Plumyène (p. 77), Éric Roussel (p. 74), André Schwab (p. 13), Pierre Tissier (pp. 107, 115, 179). Judith M. Hugues mentionne aussi l’article de Chauvineau dans la Revue militaire française de février 1930, sans commentaire (p. 198, 213). Peut-être la liste est-elle incomplète.

Il est à noter que chez Pedroncini Chauvineau ne figure pas dans l’index. La préface est mentionnée uniquement dans la note 2, de quatre lignes (p. 451). A-t-il vu l’énigme?

D’autres l’ont critiqué.

Or, Chauvineau a écrit son œuvre au début des années 30, quand il commandait le génie de la 7e région à Besançon. Il l’a actualisée au cours des années 30. A cette époque-là, régnait la croyance selon laquelle la ligne Maginot pourrait empêcher une nouvelle invasion. Mais seulement le fait qu’il se soit posé la question, qui est le titre de son œuvre, dans cette ambiance illusoire, indique qu’il était bien au courant des erreurs commises après la Grande Guerre, et de la faiblesse de l’armée et de l’aviation notamment, ce qu’il signale impitoyablement dans la quatrième et dernière partie de son œuvre. Après avoir lu cette partie, la réponse à son interrogation ne pouvait être que oui.

Son livre est donc un avertissement. Mais il fournit aussi les moyens de remédier à toutes les défaillances. Quand il envoya le manuscrit à Pétain, comme c’était d’usage à l’époque, il s’attendait probablement à l’une de ces brèves préfaces, dont Pétain avait déjà écrit une trentaine. Or dans cette préface exceptionnellement longue, flatteuse mais falsifiée il contredit Chauvineau, notamment en affirmant: «L’armée, issue de la nation, est parfaitement apte à s’opposer partout aux incursions terrestres de l’ennemi» (p. VIII), alors que Chauvineau estime que «notre organisation d’après guerre […] est […] mal adaptée […] à la protection de notre territoire» (p. 205). Après la défaite, on a attribué les mots du Maréchal au Général, et au lieu de lire le livre comme un avertissement, on l’a lu, pourvu qu’on l’ait lu, comme une prédiction. Ainsi la réponse à la question devenait dans le livre intérieur du futur lecteur non, contrairement à ce que l’auteur de l’œuvre avait écrit. A ce moment-là, il pouvait difficilement deviner la lecture future. Mais après la défaite il avait le droit de dire: Je l’avais bien prévu!

Le premier qui a sévèrement critiqué le livre de Chauvineau fut Marc Bloch. Son article «A propos d’un livre trop peu connu» fut publié dans les Cahiers politiques d’avril 1944, pp. 22-24, et fut réédité en 1990, avec une orthographe légèrement différente, comme annexe à L’Étrange défaite (pp. 246-253). Comme lui, j’ai en main la deuxième édition. Un demi-siècle après la guerre, je peux le lire à tête reposée dans un quartier tranquille de Paris, où rien ne se passe. Il n’y a plus d’ennemis en uniforme allemand sous mes fenêtres.

Mais dans quelles autres conditions Marc Bloch l’avait-il lu! L’auteur de la préface était devenu le collabo du pire criminel que le monde ait jamais connu. Il lui avait serré la main. Sa police et sa milice faisaient la sale besogne de l’occupant: rafler les Juifs, traquer ceux qui avaient le courage de résister activement à l’ennemi. Parmi eux se trouvait Marc Bloch. Il était donc en danger de mort permanent. Une voiture qui s’arrêtait, des portes qui claquaient, cela pouvait signifier arrestation, torture, camp d’extermination, mort. Les compagnies allemandes marchaient dans les rues en chantant.

Comment peut-on écrire des phrases dignes parmi les Heils des barbares?

Celui qui n’a pas vécu d’occupation ennemie ne peut s’imaginer la haine de l’occupant et surtout de ses collabos, qui étaient des traîtres, que l’on sentait à l’époque. On évitait tout contact avec les ennemis et leurs supplétifs, on n’allait plus au cinéma parce que c’était de la propagande boche, on n’allait plus au concert parce que là on était au milieu du Feldgrau (les uniformes allemands) — moi, je pouvais aller aux concerts organisés pour les écoliers — sauf au théâtre, on était «entre nous». On se frottait les mains quand on écoutait des centaines de bombardiers survoler La Haye en route pour Brême ou Hambourg, tout en sachant que là beaucoup d’ennemis allaient périr. J’ai vu avec le plus grand plaisir quelques soldats se noyer dans un grand lac près de Gouda. Donc, je comprends très bien qu’un livre comportant une préface élogieuse rédigée par celui qui était devenu un traître à sa patrie, qui était son ennemi personnel et qu’il combattait au péril de sa vie, produisit sur Marc Bloch l’effet d’un chiffon rouge sur un taureau. Il était parfaitement normal qu’il soupçonnât le vieillard, et pour cause, des pires turpitudes. Tout ce que ce dernier avait écrit était suspect, et tout naturellement il fit rejaillir l’opinion qu’il avait de Pétain sur l’auteur du livre. Je me dois de fournir cette explication au sujet d’un homme qui fut un exemple de courage et d’amour de la patrie. Constater qu’en écrivant cet article il s’est trompé n’entache nullement son honneur. On sait maintenant que l’ouvrage de Chauvineau n’a pas été inspiré par Pétain, qui a laissé le manuscrit dans ses tiroirs pendant plus d’un an. La raison pour laquelle il a finalement rédigé cette préface est une énigme. On a vu qu’il a trahi les idées de l’auteur et que son «adhésion discrète mais certaine» est hypocrite. Les idées de Chauvineau ne sont ni celles du Maréchal, ni «l’état d’esprit du haut commandement» (Marc Bloch, p. 246 et Dutailly dans Corvisier, p. 357), loin de là. Il n’exprima pas «la pensée profonde» du Maréchal», comme Marc Bloch le pense (p. 247), tout au contraire. L’unique contact connu entre les deux hommes eut lieu au moment où Pétain commandait le 33e corps, du 24 octobre 1914 au 21 juin 1915, lorsque Chauvineau était capitaine.

Naturellement Marc Bloch a lu le livre avec un préjugé, tout à fait compréhensible. «Avant même de l’ouvrir, la seule indication de son titre ou le moindre regard sur sa couverture suffisent à susciter, chez l’homme cultivé et curieux, une série d’images et d’impressions qui ne demandent qu’à se transformer en une première opinion», écrit Bayard (p. 28), en l’occurrence une première opinion négative de Marc Bloch. Peu versé dans l’art de la guerre, il n’a pas vu que les louanges adressées à Chauvineau par Pétain étaient un leurre, et que la stratégie des deux hommes était diamétralement opposée l’une à l’autre.

En fait, ce que Marc Bloch recherchait c’était la preuve qu’il y avait déjà avant la guerre un complot pour porter Pétain au pouvoir. Effectivement il y eut le complot de la «Cagoule», une tentative — avortée —de coup d’État ayant pour but l’instauration d’une dictature de droite. A ce moment-là se trouvait à l’état-major personnel de Pétain un officier qui fut suspecté d’avoir eu connaissance de l’affaire, voire d’y être impliqué. Pétain était-il au courant? On ne le sait pas. Mais la suspicion de Marc Bloch n’était pas infondée. Seulement Chauvineau n’y était pour rien, et, comme on l’a vu, son livre n’était pas exactement destiné à «exalter le rôle de Pétain».

Or, au sujet de Verdun, Chauvineau approuve la demande de Pétain de lui envoyer toute l’artillerie possible, le centre de gravité étant là, car on pouvait y tuer le maximum d’Allemands, qui étaient à découvert. Et il désapprouve le refus de Joffre, qui voulait utiliser cette artillerie pour une de ces offensives meurtrières qu’il condamne. Il fait d’ailleurs le même reproche à Foch, à savoir que ces généraux n’ont pas compris que ces offensives, coûteuses et infructueuses, étaient une faute. Qui le contredira encore? Mais il approuve totalement la direction de la bataille de la Marne par Joffre, gagnée grâce à celui-ci (pp. 18-21), ainsi que l’action de Foch, qui, en 1918 «se décida à foncer sur ces poches, qui […] allaient donner à la destruction des réserves allemandes une rapidité décisive» (p. 42).

Or, que le feu tue est une vérité de La Pallice. C’est à cause de cela que Chauvineau veut protéger les poitrines des soldats par le béton, là où il est possible et souhaitable, et non «sur n’importe quelle ligne du territoire».

Chauvineau ne dit nullement que la tactique tue la stratégie en général, mais qu’elle change la stratégie d’autrefois. Et on ne peut pas accuser de «mépris hautain en ce qui touche l’offensive» quelqu’un qui veut commencer les hostilités par une offensive aérienne puissante, et qui préconise une armée blindée et une infanterie motorisée d’une capacité offensive.

Résumer le chapitre «Le char» par «Quant aux chars, qui devaient (imparfait!) nous ramener aux guerres courtes, leur faillite est éclatante» (p. 131), une citation hors contexte, qui ne figure pas dans ce chapitre mais là où l’auteur évoque la Grande Guerre, est une erreur. Dans cette guerre apparurent les 32 premiers tanks (britanniques) sur le champ de bataille le 15 septembre 1916 (Guderian, Achtung, Panzer!, p. 47), et elle dura encore plus de deux ans.

Or, voici tout ce que dit Chauvineau : on a vu pendant la Grande Guerre que le char était incapable de nous ramener aux guerres courtes. Et la Deuxième Guerre mondiale lui a donné raison. Nonobstant les dizaines de milliers de chars en action, elle a duré six ans. Probablement cette citation choisie par Marc Bloch s’explique-t-elle par son expérience personnelle, alors qu’il se trouvait en plein milieu du désastre et qu’il a vu la France s’effondrer en six semaines. Mais là il s’agissait d’une campagne, non d’une guerre.

En réalité, dans son ouvrage Chauvineau démontre aussi bien la force du char dans l’attaque et la contre-attaque que ses faiblesses. Sa démonstration est pertinente. Il insiste aussi sur «l’influence considérable sur les futurs conflits» de l’avion et il préconise comme première préoccupation l’organisation de la lutte aérienne. On ne peut pas dire qu’il dénie «toute valeur à l’avion et surtout aux chars». Quant à ses prédictions sur l’avenir de l’aviation, Marc Bloch affirme que Chauvineau « voit déjà le ciel vide d’avions de combat » (p.248) alors que Chauvineau repousse cette perspective « dans un siècle » (p.117). Je ne serai plus là pour le contrôler, mais les signes avant-coureurs sont déjà présents. Des flottes de milliers de bombardiers lourds n’existent plus.

L’œuvre de Chauvineau n’est pas un livre qu’on parcourt ou qu’on lit en une seule fois. Il faut l’étudier. La connaissance de Clausewitz et de Douhet notamment est indispensable pour comprendre sa stratégie, qui — il est utile de le rappeler — vaut seulement pour les premiers jours d’un conflit. Et il y a lieu de supposer que Marc Bloch n’a pas lu le livre dans sa totalité. Il écrit, page 250 : «On le [Chauvineau] voit esquisser dans une dernière partie de son ouvrage (page 168 à la fin) un véritable plan de politique étrangère». Or le chapitre «Diplomatie», pp.168-200, n’est pas la dernière partie. Ce n’est pas la fin. Il est suivi d’une «quatrième partie», qui est la dernière, «Erreurs d’après-guerre et conclusions», pp. 201-215. Et cette partie conclut comme suit: Nous avons maintenant à répondre à la question, qui forme le titre de cet ouvrage: «Une invasion de la France est-elle encore possible?» Oui.

On s’imagine mal, après avoir lu cette phrase, comment on peut écrire : «La réponse, comme on pouvait s’y attendre d’après le libellé de la question, était négative» (p. 246). C’est d’autant plus étonnant que — comme on l’a vu — Chauvineau a justement concentré dans cette partie sa plus sévère critique de l’état de l’armée française, en écrivant notamment que son organisation «est aussi mal adaptée à l’attaque d’une grande armée qu’à la protection de notre territoire (p. 205), (c’est moi qui souligne), ce qui ne veut pas dire autre chose que : une invasion est possible!

Donc, en ce qui concerne Marc Bloch, il y a deux possibilités : 1) Après avoir lu le chapitre «Diplomatie», il a vu, à tort, sa suspicion confirmée : il y avait un complot. Et il a refermé le livre, dégoûté, et a écrit sa critique. 2) L’exemplaire qu’il a acheté, ne comportait pas la dernière partie. On a vu la raison d’une telle censure au chapitre 6.

Son opinion de la politique étrangère de Chauvineau sera examinée au chapitre 9.

Quelques comptes rendus.
Tout comme Marc Bloch, plusieurs commentateurs, parmi lesquels des militaires, n’ont pas discerné la stratégie aéroterrestre préconisée pour le début d’un conflit par Chauvineau. On a vu au chapitre 5 qu’il a dû l’expliquer à Gamelin, dans sa lettre du 8 juillet 1939, en renvoyant celui-ci à la page 114 de son œuvre: «Offensive aérienne, défense terrestre».

Ainsi le mot «avion» ne figure pas une seule fois dans le long compte rendu du «lieutenant-colonel V.», ni dans celui du colonel Ritter von Xylander paru dans le Militär-Wochenblatt du 26 mai 1939. Il parle principalement des fortins préfabriqués, et juge le livre «très intéressant, mais il pèche par ses longueurs» («Das ganz interessante Buch leidet unter Weitschweisigkeit»).

L’auteur du très élogieux et long (8 pages) compte rendu publié dans la Revue du génie militaire de mai-juin 1939, (pp. 329-336) parle naturellement de la fortification et conclut l’article ainsi: «En particulier il convient de signaler les chapitres relatifs à l’avenir du char d’assaut et de l’avion». Mais ce thème n’est pas analysé, afin que le compte rendu ne soit pas trop long.

La critique de Dutailly dans Corvisier (p. 357) est incompréhensible pour un lecteur attentif du livre de Chauvineau. Certes, il a raison d’écrire que l’étude est importante, mais en affirmant qu’elle «privilégie d’ailleurs la défense» il démontre que lui non plus n’a pas compris la stratégie aéroterrestre de l’auteur.

Faut-il comprendre par la phrase énigmatique : «Il répond par la négative ou plus précisément “oui, mais à la condition qu’on parvienne à endormir (la France)” que Dutailly estime qu’il est impossible d’endormir la France? Pourquoi alors cette négative?» Chauvineau, lui, affirme : «C’est malheureusement assez facile.»

Ensuite Dutailly estime que Chauvineau a écrit son œuvre «en se fondant exclusivement sur son analyse de la Première Guerre mondiale. C’est inexact. D’abord, Chauvineau remonte plus loin dans l’histoire militaire, et par ailleurs de très nombreux militaires ont essayé de tirer des leçons de cette guerre, entre autres Guderian, qui y consacre plus de la moitié de son œuvre Achtung Panzer!. En affirmant : «Les fronts continus engendrés par la nation armée rendent la percée impossible», Dutailly ne reproduit pas les propos de Chauvineau correctement. Celui-ci ne parle pas de situations existantes, donc la phrase : «il oublie que les fronts ne sont pas continus partout» n’a pas de sens. On a vu que «front continu» est un pléonasme, et qu’il faut parler de front incontournable. Ainsi la ligne Mareth n’est pas ce que Dutailly appelle «front continu», et elle n’a aucun rapport avec le livre de Chauvineau. Quant à la phrase : «entre les fortifications belges sur la Meuse et la ligne Maginot il y a la trouée des Ardennes», il faut remarquer d’abord qu’il n’existait pas de fortifications belges sur la Meuse à l’exception de Liège et de Namur, ce qui n’est pas la faute de Chauvineau. Et ensuite qu’une trouée, selon la définition du Petit Robert, est «une large ouverture qui permet le passage» ou bien «un large passage naturel dans une chaîne de montagnes». Les Ardennes ne répondent absolument pas à cette définition.

L’existence de troupes aéro(trans)portées n’a pas échappé à Chauvineau, qui signale leurs «menaces constantes pour les arrières d’une armée!» (p. 109).

Comment Dutailly a-t-il pu conclure que Chauvineau «ignore les progrès réalisés par les chars et par le génie en matière de franchissement»? Peut-être a-t-il lu page 100, que les chars «sont arrêtés par un simple ruisseau de 7 à 8 mètres de large», ce qui est effectivement arrivé à Guderian au matin du 10 mai 1940 à Martelange, devant une rivière semblable, la Sûre, où les ponts avaient sauté (voir chapitre 87). On a déjà vu que c’est la préface, et non le livre qui «caractérise l’état d’esprit du haut commandement».

Jean Doise et Maurice Vaisse écrivent (pp. 405, 406) : «En outre, le haut commandement accorde toujours autant d’importance à la fortification. C’est dans cette ligne de pensée que paraît en 1939 l’étude du général Chauvineau.»

C’est complètement faux. Les idées de Chauvineau sur ce sujet étaient tout autres : il reproche au haut commandement de négliger la fortification de campagne, pour laquelle il n’y avait pas de règlement, et il désapprouve la conception de la ligne Maginot. En outre, la défense de la frontière franco-belge était nulle et contraire aux propositions de Chauvineau (voir chapitre 72).

Jean Vanwelkenhuyzen (L’Agonie de la paix, p. 302), a très bien vu que ce livre «prétendait démontrer la supériorité de la défense sur l’attaque», et «tendait, au fond, à rassurer les Français». D’autre part, Vanwelkenhuyzen note, à juste titre, que Chauvineau «ne faisait pas de la défensive une panacée universelle», et que la défensive lui «paraissait l’attitude raisonnable au début d’une guerre», sans toutefois mentionner que cela vaut uniquement sur terre et pas dans les airs. Mais pourquoi écrit-il : «l’ouvrage répondait par la négative à la question que le livre posait»?

Ed Bauer, dans son Histoire controversée (t. 5, pp. 260, 261) a vu le rapport avec la bataille de Kursk, non avec la doctrine du livre, mais avec celle de Pétain!, ce qui est étonnant. Il cite le passage de la préface (p. XIII) dans lequel l’auteur explique comment une attaque blindée peut échouer devant des mines et des canons anti-char. Mais, comme on l’a vu, le Maréchal ne parle pas d’une armée de réserve, comme Clausewitz, qui «passe rapidement et vigoureusement à l’attaque», ni de la «masse offensive que les transports modernes orienteront rapidement du côté favorable» de Chauvineau (p. 208).

Les lieutenants-colonels Cousine et Gourmen, en revanche (p. 210) ont bien vu le rapport existant entre la bataille de Kursk et les thèses de Chauvineau (Revue historique des armées, 1980, n° 2).

Isorni, l’ancien avocat de Pétain (Philippe Pétain, pp. 344, 348-354, et Philippe Pétain, actes et écrits, pp. 342 e.s.) et Conquet, son ancien chef d’état-major dans les années 30 (L’Énigme des blindés, pp. 86-99, Autour du maréchal Pétain, pp. 29, 33, 36-38, 44, 186, et Auprès du maréchal Pétain, pp. 150, 254-256), écrivent sur la préface et sa genèse. Ils s’en prennent notamment aux citations fantaisistes de Goutard, que l’on verra plus loin.

Les ignorants. Comment naît une légende
«Les gens instruits savent l’histoire, les ignorants acceptent les légendes; c’est pourquoi la légende étouffe l’histoire et lui survit» (Maxime du Camp).

Après avoir lu la critique de Marc Bloch, il me semble que la réaction normale de l’homme curieux est de penser : «Je veux bien voir les arguments de ce général qui affirme qu’une invasion est impossible. Cela pourrait bien être amusant.» Et, ayant appris de l’éditeur que le livre n’est plus disponible, on se rend à l’excellente bibliothèque spécialisée du Service historique des armées, où l’accueil est chaleureux et sans formalités, et où le livre est en libre accès, comme tout son fonds par ailleurs, en plein accord avec Pierre Larousse: «Les trésors de nos bibliothèques appartiennent à tous ; tous ont le droit d’y puiser».

Or, après avoir lu attentivement la préface et ensuite le livre, un sentiment étrange et quelque peu inquiétant s’empare du lecteur. L’auteur a bien répondu «oui» à la question qu’il se pose, et il a amplement motivé cette réponse. Mais le Maréchal n’a-t-il pas répondu «non»? On relit la préface, c’est exact. Et on relit le livre. Alors, on ne peut que conclure que Marc Bloch s’est trompé. Plus haut j’ai tenté d’expliquer pourquoi. Le Maréchal écrit le contraire de ce que déclare celui qu’il couvre de louanges.

Une recherche dans la littérature française m’a permis de trouver une trentaine d’auteurs contre lesquels existe une forte présomption de manque de curiosité et d’ignorance totale de l’œuvre de Chauvineau. Pourtant ils l’ont critiquée, et cela de façon ahurissante. Par hasard, j’ai aussi pu ajouter quelques auteurs américains à cette liste.

En vain je me suis interrogé sur les motifs de ces auteurs, et sur les causes de ces dérapages.

Ont-ils cet esprit téméraire, qui se glorifie en jugeant un livre traitant d’un sujet dont ils ne savent manifestement rien, sans le comprendre, voire sans le lire, ou en le parcourant tout au plus? Comme un juge qui condamne, sans avoir consulté le dossier. Ont-ils le goût de la malveillance ou celui du dénigrement?

Est-ce par paresse intellectuelle qu’ils n’ont pas eu la curiosité de chercher quelle était la véritable réponse à la question?

Pourquoi publient-ils entre guillemets, sans indiquer la page, hors de leur contexte, des citations fortement amputées, tronquées, voire carrément falsifiées? Des mélanges de textes de Chauvineau et de Pétain, des citations de l’un attribuées à l’autre, se copiant aveuglement l’un l’autre? Pourquoi toutes ces fautes graves?

Est-ce par manque de rigueur scientifique qu’ils n’ont pas eu l’autodiscipline de remonter à la source? C’est l’exemple typique de la manière dont on peut introduire le faux en histoire : répéter n’importe quoi pourvu que d’autres l’aient dit avant soi.

« Il est toujours facile, au moyen d’extraits bien choisis de faire dire à un livre le contraire de ce qu’il dit réellement » écrit Chauvineau dans sa lettre à Gamelin du 8 juillet 1939 (voir chapitre 5).

Considérer Chauvineau comme un pétainiste à cause de cette préface, et par conséquent comme un «anti-de Gaulle» c’est méconnaître qu’en 1936, lorsque l’auteur envoya le manuscrit au Maréchal, celui-ci jouissait encore d’un grand prestige. Le général pouvait difficilement deviner que Pétain allait écrire une préface dans laquelle il trahirait complètement le livre. N’oublions pas que de Gaulle a dédié par deux fois, en 1932 et 1938, un livre au Maréchal, ce que Chauvineau n’a jamais fait.

Je respecte la présomption d’innocence, mais il y a des indices graves et concordants, de sorte que les auteurs suivants sont coupables de «crime contre l’Histoire».

Il s’agit des personnes suivantes, par ordre alphabétique :

Jean-Pierre Azéma, Annette Becker avec Étienne Bloch, Georges Blond, François Broche, Cassius, Jean-Louis Crémieux-Brilhac (prix de l’Assemblée nationale), Christian Debril, Paul-Marie de La Gorce, François Delpla, Jean Feller, Max Gallo, de l’Académie française, Jean Galthier-Boissière, Maurice Gamelin, A. Goutard, Richard Griffiths, Henri de Kerillis, Raymond Krakovitch, Jean Lacouture (grand prix Gobert-Histoire de l’Académie française), Alain Larcan, Herbert R. Lottman, Roger Martin du Gard (prix Nobel de littérature) et André Daspre, auteur des commentaires, Pierre Messmer avec Larcan, Anatole Monzie, Jean-François Muracciole, Ladislas Mysyrowicz, Louis Nachin, Pierre Pellissier, Edmond Pognon, Maurice Rajsfus, Paul Reynaud, Gérard Saint-Martin, William L. Shirer, Jean Vidallenc, Eugen Weber.

Ils n’ont aucune excuse. Ils ont écrit leurs livres en temps de paix. Les citations qu’ils publient sont destinées à démontrer la stupidité de l’auteur de l’ouvrage. Lacouture, Gallo et Rajsfus y ajoutent des invectives injurieuses, Azéma du mépris hautain et le fils de De Gaulle publie quelques mensonges et injures des plus vulgaires à l’adresse de Chauvineau, que son père aurait prononcées, mais rien sur le livre ; des bavardages sans intérêt. André Martel se couvre de ridicule en insultant Chauvineau lors d’un colloque. L’attaque ad hominem et l’invective injurieuse, obéissant à la logique de l’effet boomerang, cataloguent ceux qui en font usage.

Tout cela n’a pas ému le général Chauvineau, et il a dédaigné répondre à ces griffonnages, qui ne méritaient pas la moindre réaction. Des civils, ou, le cas échéant, de mauvais militaires, avait-il coutume de dire. Mais ici il faut les signaler.

Comme on l’a vu, c’est Pétain qui est à l’origine de la «légende Chauvineau». Le premier qui l’a suivi après la guerre est Paul Reynaud, l’homme qui a eu l’idée catastrophique de sortir le vieillard du fourre-tout de la Grande Guerre et de le nommer vice-président du Conseil, dans le vain espoir de remonter le moral des Français en utilisant quelqu’un qui ne l’avait pas et en provoquant ainsi l’apparition de «l’État français».

Reynaud qui, «au cœur de la mêlée», a perdu son sang-froid et a emmené — on ne sait pour quelle raison — son gouvernement à Bordeaux (loin de l’Angleterre et de l’Afrique du Nord, où l’on aurait pu se replier), une ville qui était le fief d’Adrien Marquet, munichois notoire, complice de Laval et futur ministre de Pétain.

Dans son livre d’autodéfense publié sous le titre ridicule La France a sauvé l’Europe, dans lequel, curieusement, il défend Gamelin qu’il a limogé (t. 1, pp. 499-506, t. 2, p. 69), tandis qu’il s’en prend férocement — non sans raison d’ailleurs — à Weygand et Pétain qu’il a nommés, il fait rejaillir sur Chauvineau toute sa haine pour celui qui l’a emprisonné et livré à l’ennemi. Or, la haine est un état d’esprit irraisonné. Aux pages 486-493 du tome 1, et ensuite dans Au cœur de la mêlée (pp. 236-238) puis dans ses Mémoires (pp. 268-272), Reynaud procède avec une malveillance inouïe à un règlement de compte véhément, qui dénigre et caricature, ce qui fait partie du jeu classique, mais il le fait avec acharnement et une volonté totale de discrédit.

L’homme qui, nommé ministre des Finances le 5 décembre 1938, s’opposa au financement de 1000 avions modernes (Duroselle, p. 454), en arguant «qu’il ne fallait pas dilapider notre or», et dont «le mot d’ordre était: “Défendre le franc, c’est défendre la France”» (Monnet, p. 170) ; celui qui, encore en janvier 1940, appuyé cette fois par son homologue britannique, lequel aussi avait «une vue monétaire de la guerre» (Monnet, p. 186), estima qu’un milliard de dollars pour 8000 avions (la moitié à payer par la France), c’était trop cher (id. pp. 187, 188) ; ce même homme qui, le 27 mai et le 4 juin suivants, adressa des appels pathétiques au président Roosevelt, réclamant désespérément des «nuées d’avions sur l’Atlantique» (Monnet, p. 193).

Eh bien, ce Reynaud se garde bien de souffler un seul mot sur l’effort que la France devait faire pour se doter d’une aviation puissante, effort préconisé par Chauvineau, et il n’évoque pas non plus toutes les propositions qu’il avait faites pour rendre l’armée apte à l’offensive, reprenant ainsi fidèlement la falsification de l’auteur de la préface.

On a beaucoup écrit sur ce personnage, déjà de son vivant. Pertinax (le journaliste André Géraud) le classe, avec Gamelin, Daladier et Pétain, parmi les fossoyeurs de la IIIe République. Le chapitre 2 «Reynaud n’est plus ce qu’il était» commence par une phrase bien méchante (p. 200) : «Il nous faut […] prendre la mesure de Reynaud», qui mesurait moins de 1,60 mètre.

D’abord, il donne un grand satisfecit au Reynaud d’avant-guerre, notamment à cause de sa politique économique, mais aussi parce qu’il critique la vétusté de l’armée et la politique de Laval et de Flandin, tout comme Chauvineau! Mais «A l’épreuve de la présidence du Conseil il se révèle dépourvu de sérénité et même de stabilité. Ne perdant pas un pouce de sa petite taille, dressé sur de hauts talons, il avait toujours été d’une grande arrogance. […] Il avait l’esprit flou sous le métal des mots […] Sa volonté tendue à l’extrême, excitable, fébrile, se dépense en démarches contradictoires et se perd.» (p. 193 dans l’édition de 1946).

Bédarida mentionne aussi cette citation, et ajoute d’autres jugements et bons mots (pp. 57-59), notamment sur sa petite taille.

Quant à Raymond de Sainte Suzanne, il dépeint Reynaud en ces termes : « Trop rhéteur, plus sensible à la mise en place des arguments qu’au poids de ces arguments, à l’argumentation qu’à l’argument […] sa suffisance, son orgueil, l’arrogance infatuée et péremptoire […] joueur avec tendance poker » (pp.266 et 319).

Après la guerre Reynaud a de nouveau joué un rôle en politique. Ainsi était-il vice-président du Conseil dans le gouvernement Joseph Laniel de juin 1953 à juin 1954. À l’époque, sa petite taille faisait les choux gras des chansonniers et on racontait (je ne me souviens pas si ce fut aux Deux Ânes, aux Trois Baudets, au Théâtre de dix heures, à La Tomate ou au Coucou), l’histoire suivante: «Reynaud habite au dixième étage. Le matin il descend en ascenseur, et quand il rentre le soir il prend l’ascenseur jusqu’au huitième et monte les marches jusqu’au dixième. Pourquoi? - Il est trop petit pour appuyer sur le bouton du dixième».

Dans ses ouvrages, écrits après la guerre, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez, c’est-à-dire la campagne de France en mai-juin 1940. Ainsi cite-t-il, page 486: «Une chimère ; la percée» (Chauvineau, p. 38). En vérité, l’auteur parle là des offensives restées sans succès lors de la Grande Guerre, et il écrit que les belligérants ainsi «poursuivront une chimère : la percée». Qui prépare une guerre courte va au suicide, de Chauvineau, a aussi comme sujet la stratégie allemande au début de la Grande Guerre, mais il s’applique également à la Deuxième Guerre mondiale. C’est aussi le cas de la phrase : «La guerre d’invasion a vécu» et «Le char a fait faillite», comme on l’a vu.

Autre exemple. «Il faut dix jours pour construire des positions fortifiées» dit Chauvineau. Commentaire de Reynaud : «Nous n’avons pas eu dix jours mais huit mois…» (p. 487). Cela ne rime absolument à rien. Là où Chauvineau traite du combat entre char et fantassin, Reynaud en tire la conclusion stupide que, selon l’auteur, les chars sont inefficaces (p. 489). Et cætera, et cætera…

Ensuite, il y a Gamelin.

«On n’a pas accordé assez d’attention, dans le public, à la loi qui, peu avant la guerre, dota la hiérarchie militaire de deux nouveaux échelons […] Un beau jour, il fut décidé que, jusque-là simples fonctions, les postes de généraux d’armée et de corps d’armée deviendraient des grades» (Marc Bloch, p. 156).

Ce beau jour eut lieu en 1939. «Les membres du Conseil supérieur de la guerre (furent) haussés, tous, de par la réforme qu’ils avaient sans doute inspirée, à la nouvelle dignité de généraux d’armée» (id.). Selon le Journal officiel de juin 1939, ce ne furent pas des grades, mais des «appellations».

Effectivement (mais Marc Bloch ne pouvait pas le savoir), un seul membre de ce Conseil était à l’origine de cette mesure : Maurice Gamelin.

Dans cette année 1939 il avait été invité à assister à des manœuvres de l’armée yougoslave. Étant général de division, il fut relégué, à cause de ses trois étoiles, au deuxième rang, derrière un maréchal turc et un général d’armée bulgare. Quel affront! Humiliation intolérable! Furieux, il claqua la porte et se rendit à une partie de chasse. Rentré à Paris, il ne tarda pas à se faire attribuer deux étoiles de plus.

Dans le passé il y eut des généraux à propos desquels de Gaulle écrivit qu’ils étaient des «chefs, théoriciens brillants, que l’action de guerre prenait en défaut» (F. de l’E, p. 11). On a vu, par exemple, qu’un général peut être «un bon serviteur, non pas un maître vers qui se tournent la foi et les rêves» (id., p. 76).

Donc, Gamelin a écrit un livre dont le titre est très approprié : Servir. A propos de l’ouvrage de Chauvineau - dont il dit qu’il a paru en 1937! - il recommande : «Relisez-le et vous comprendrez.» (Là, il donne un bon conseil!) «La théorie qui y était développée venait à l’appui de notre politique pacifique. C’était un encouragement à s’endormir derrière la “ligne Maginot”». Sans doute, comme le maréchal Joffre, mon chef et mon maître, ai-je tort d’être un silencieux» (t. 1, pp. 236, 237). Devant la commission d’enquête il comprit son erreur.

En décembre 1947, on dut consacrer cinq audiences à sa déposition (t. 2), qui montre clairement son caractère rusé et sournois. La commission fit un très mauvais travail en le traitant avec le plus grand respect, alors qu’il fut responsable du catastrophique plan D. Normalement on commence un interrogatoire par une série de questions, préparées d’avance en connaissance du dossier. Mais, de toute évidence, il ne se trouvait pas un juge d’instruction parmi les commissaires. Gamelin n’aimait pas être interrogé, aussi demanda-t-il la permission de fournir d’abord une explication, ce que le président lui consentit! Cette «explication» dura plusieurs séances, et finalement le président lui proposa de consacrer la suivante à des questions que quelques commissaires souhaitaient lui poser. Gamelin y consentit gracieusement, mais le jour des questions venu, il déclara qu’il voulait ajouter quelque chose à ses explications, ce qui lui fut consenti. Toutefois les questions ne purent être évitées. Ses réponses furent évasives, esquivantes. J’en donne un seul exemple : l’un des commissaires, officier dans un régiment d’artillerie lourde, remarque que ce fut une faute de le placer à La Dyle en première ligne. Quand il y arriva, le 13 mai, c’était trop tard pour se mettre en batterie. Réponse de Gamelin : «Je n’ai pas eu de détails de cette nature en ce qui concerne l’action de la 1ère armée. Et que faisait notre aviation de chasse?» (p.467). Effectivement, au cours de ses explications, il avait déclaré : «Il n’y avait aucun généralissime. Je n’avais que des pouvoirs de “coordination” sans vigueur aucune vis-à-vis de la marine et de l’aviation» (p. 368). Plus tard, il affirmait aussi : «Je n’avais plus que la coordination générale des opérations sur les divers théâtres ou fronts. Je n’intervenais, pour la conduite même de ces opérations, qu’en raison de l’intervention des forces alliées. Ce pouvoir sur les Britanniques, je l’avais délégué à Georges, commandant en chef sur le front nord-est» (p. 401). Quoique chef d’état-major de l’armée, Gamelin se débarrassa lâchement de toutes ses responsabilités. Quelles furent, selon lui, les causes de la défaite? 1. — Les Belges. 2. — «Le maréchal Pétain». 3. — La 55e et la 71e division. 4. — Un certain «on» qui n’a pas renforcé ces divisions. 5. — La défaillance du moral. 6. — Le général Georges (p. 429).

Au sujet du livre de Chauvineau, il déclara devant la commission : «Le jour où l’on m’a apporté ce livre, j’ai dit au cabinet du Ministre : “Vous avez laissé paraître cette œuvre?” On m’a répondu: “On ne pouvait pas empêcher de paraître un livre préfacé par le Maréchal» (t. 2, p. 446). A-t-il lu l’ouvrage en une seule journée? Quand l’un des membres de la commission fit la remarque stupide : «Nous connaissons le livre du général Chauvineau qui ridiculisa les armées blindées», Gamelin répondit: «Oui (!), et quand le livre a paru, j’en ai été très profondément affecté. Mais qu’y faire, car il avait une préface de l’ex-maréchal Pétain».

À la question du commissaire : «Et comment se fait-il que le général Chauvineau soit resté directeur de l’École du génie avec de telles conceptions?», Gamelin répondit par un parjure : «Il est passé au cadre de réserve peu de temps après» (t. 2, p. 548). Et ce commissaire, qui prétendait connaître si bien le livre, omit alors de dire : «Mais sur la couverture de l’œuvre figurait bien, sous le nom de l’auteur, la mention : «”du cadre de réserve”».

Or, la vérité était un peu autre.

Le livre fut publié en mars 1939, non en 1937, et le 30 de ce mois Gamelin écrivit à Chauvineau en ces termes : «Mon cher Chauvineau» (cf. fac-similé).

Quand il déclarait, devant la commission : «Mais qu’y faire?», il savait très bien ce qu’il avait fait : il s’était plaint auprès de Daladier.

Par voie de conséquence Chauvineau reçut une lettre du ministre, datée du 1er juin 1939 (cf. fac-similé). Sa réponse du 5 juin est introuvable, mais Daladier n’avait plus rien à redire : cf. le fac-similé de la lettre du 12 juin 1939 du chef de cabinet du ministre.

De toute évidence l’article 29 du «décret du 1er avril 1933 portant règlement du service dans l’armée» ne suffit pas à empêcher la critique impitoyable de Chauvineau concernant l’état de l’armée et de l’aviation. Daladier le fit supprimer et remplacer par un décret du 6 juin 1939, très long et détaillé, réduisant au silence tous les officiers d’active et de réserve, sous la menace de «sanctions disciplinaires graves […] et de poursuites judiciaires», appelé à l’époque «le décret Chauvineau». Mais la seconde édition de l’œuvre vit le jour en mars 1940, sans problème, alors que Chauvineau était en service d’active.

Les «observations portant sur des points de doctrine» de Gamelin suivirent le 26 de ce mois (cf. fac-similé).

Plus de «mon cher Chauvineau»! On a du mal à discerner dans cette lettre le moindre «point de doctrine». Le vice-président du Conseil supérieur de la guerre se contente d’«adresser toutes observations utiles». Or, il y en a deux, dont on peut se demander l’utilité.

D’abord il reproche à Chauvineau «de livrer au domaine public certaines idées au sujet desquelles notre conception n’est d’ailleurs pas encore assise». C’est justement ce que l’auteur du livre reproche au chef d’état-major général de l’armée : de trop réfléchir! (p. 211).

Et deuxièmement, il n’a pas apprécié que Chauvineau juge totalement injustifiée «la confiance que le Pays et les Nations alliées accordent à notre puissance militaire».

«Relisez-le et vous comprendrez», a écrit Gamelin. Eh bien, il l’a lu et il l’a compris.

Voyons maintenant quelques exemples des conséquences de la mauvaise habitude qu’ont certains auteurs de reprendre des citations sans consulter l’original.

Reynaud a commencé ses turpitudes dans sa déposition en tant que témoin devant la Haute Cour de justice (pp. 22, 23), en commettant un parjure : «Vous savez que le général Chauvinot (sic!) soutenait cette thèse que les chars d’assaut avaient fait une faillite éclatante», répandant ainsi un virus, devenu épidémique. Broche (L’Épopée, p. 23, 24, et Antigaullismes, pp. 36, 37), et Lacouture (p. 258): «La faillite des chars est éclatante.» Cassius (p. 72): «Quant aux chars, leur faillite est éclatante.» Galthier-Boissière (pp. 118, 119) : «Chauvineau qui soutenait que les chars d’assaut avaient fait faillite.»

Mais dans La France a sauvé l’Europe (p. 489), Reynaud écrit correctement : «Quant aux chars qui devaient (imparfait) nous ramener une guerre courte, leur faillite est éclatante», affirmation réitérée dans Au cœur de la mêlée (p. 237). C’est un exemple de citation hors contexte, parce que Chauvineau parle là (p. 131) des chars dans la Grande Guerre. Après leur première apparition sur le champ de bataille, la guerre dura encore plus de deux ans.

Mais Reynaud passe cela sous silence, et dans son sillage aussi Feller (p. 190), Griffith (p. 180). Debril (sur un panneau d’exposition) attribue la citation à Pétain, tout comme de Kérillis (p. 235) dans son ouvrage publié à New York en 1942, Goutard (p. 35) et de La Gorce (De Gaulle, p. 152). Chez ce dernier, on trouve dans l’index «Georges Chauvineau» ; mais dans La République et son armée (p. 351), il attribue cette citation à Chauvineau.

Vidallenc fait semblant d’avoir lu le livre très attentivement en écrivant que l’auteur a «mis en doute de façon particulièrement précise la valeur des chars et le rôle de l’aviation» (p. 31), alors que Saint-Martin se contente d’affirmer que Chauvineau était «fondamentalement hostile à tout emploi moderne des chars» (pp. 10-12). Génial! Sans compter quelques citations hors contexte (pp. 31, 76). Pognon, lui, traite Chauvineau d’«aveugle contempteur des chars», en y ajoutant un autre mensonge : «Pour l’auteur de l’ouvrage les blindés seraient tous transformés en “ferraille” dès les premiers jours du conflit» (p. 92). C’est inventé de toutes pièces.

On a déjà vu qu’il y avait, lors de la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup plus de chars que pendant la Première et qu’elle dura deux ans de plus, ce que ces auteurs semblent ignorer.

La phrase de Chauvineau : «En France, la guerre d’invasion à vive allure, que l’on appelle encore guerre de mouvement, a vécu» (p. 28) est citée par Reynaud (La France a sauvé…, t. 1, p. 486 et Au cœur…, p. 236), de La Gorce (La République et son armée, p. 351) et Gallo (p. 291). «Inconscience!» s’exclame ce dernier, affirmant que le titre du livre est : Une invasion est-elle possible aujourd’hui? Aucun de ces auteurs ne signale que là aussi il s’agit de la Grande Guerre, et de la faillite du plan Schlieffen qui envisageait une telle invasion. Mais peu importe, tout est bon pour calomnier. L’honnêteté m’oblige à signaler que Gallo a déclaré, le 14 janvier 1999, sur France Culture : «Je ne prétends pas à un livre d’histoire. J’ai écrit un roman d’histoire», admettant ainsi qu’on ne peut pas le considérer comme un historien sérieux. D’où (selon Le Parisien), le sobriquet de : «le Michelet des hypermarchés».

Reynaud s’insurge contre la partie du chapitre II dans laquelle Chauvineau parle de «raids de chars isolément», et notamment contre la phrase où il se demande «ce que ces chars, arrivant dans la région parisienne, pourraient bien y faire». Raynaud est imité par Rajsfus, de La Gorce (Guerre inconnue, p. 127, De Gaulle, p. 152), Feller (p. 190), Martin du Gard (p. 789), Goutard (p. 35), qui attribue la phrase à Pétain, tout comme Debril.

Or, l’occupation de Paris était le résultat d’une offensive de toutes les forces allemandes réunies et non d’un «raid de chars isolément». Et Reynaud n’était pas là pour voir les fantassins de la 30e division d’infanterie, avec en tête le général Stuttnitz, non sur un char mais à cheval, marcher paisiblement à travers Paris jusqu’à la place de la Concorde, et le soir, en permission, aller chez les putes à Pigalle.

Martin du Gard, en publiant la citation de la page 99, n’hésite pas à remplacer par «etc.» les mots : «susceptibles en un mot d’agir isolément» (Chauvineau a souligné isolément), parce que c’est justement de ce cas de figure qu’il s’agit !

Chauvineau termine le passage dans lequel il évoque ce raid de chars de cette façon : «C’est pourquoi la conception (c’est moi qui souligne) que nous venons d’étudier paraît être du domaine du rêve plutôt que des réalités de demain» (p. 101). Lacouture publie, entre guillemets, la citation falsifiée suivante : «Les grandes unités cuirassées appartiennent au domaine du rêve» (t. 1, p. 258), reprise par Crémieux-Brilhac, qui mentionne le livre dans sa bibliographie!, (t. II, p. 388) et par Gallo (t. I, p. 262), qui a oublié le mot «cuirassées», ce qui rend la phrase complètement farfelue - mais ce mot est réapparu dans l’édition de poche. Publier une citation falsifiée n’est pas un obstacle pour être reçu à l’Académie française ou obtenir un prix. Inutile de dire qu’un tel «raid de chars isolément» n’a jamais eu lieu pendant la campagne de France en 1940.

Martin du Gard consacre les pages 787-790 aux «insanités de Chauvineau». A l’exception de ce dérapage, il cite correctement de longs passages, qu’on ne trouve pas chez les autres, en indiquant les pages du livre, ce qui est exceptionnel ; seul Reynaud l’a fait. S’il a réellement eu le livre sous les yeux, il n’en a rien compris. De toute évidence, il était «fort peu versé en la matière» (voir plus loin).

Tout comme Reynaud, il écrit que le livre est paru en 1938 (au lieu de 1939), et que la préface est «de plus de vingt pages» (chez Reynaud, c’est vingt et une). En effet, ce sont les pages V-XXI, donc dix-sept. Peut-être est-il inspiré par ce dernier… On trouve des notes page 1234, rédigées par Daspre, qui a écarté plusieurs citations du livre de Chauvineau, «celles qui sont reproduites suffisent, je pense, pour faire comprendre sa thèse». Même dans la si prestigieuse Pléiade, on peut écrire n’importe quoi.

Selon Schapira et Lerner (pp. 189, 190) (ainsi que Alméras (p. 134)), le lieutenant-colonel Émile Mayer était le correcteur et grammairien de Martin du Gard. «Les idées militaires, que lui (l’imaginaire colonel de Maumort) prête l’auteur, fort peu versé en la matière, ont été indiscutablement empruntées à Émile Mayer. Ne retrouve-t-on pas l’écho des discussions que celui-ci eut avec le colonel de Gaulle dans la critique acerbe que Maumort fait de l’immobilisme militaire en prenant nommément à partie le général Chauvineau?»

La réponse à cette question rhétorique est NON. Mayer est mort le 28 novembre 1938, le livre de Chauvineau est paru en mars 1939 et Souvenirs du colonel de Montmort a été écrit après la guerre. On connaît l’opinion de Chauvineau sur l’armée française et son haut commandement.

De plus, Mayer était un partisan convaincu de la guerre aérochimique, tout comme Chauvineau, qui propose des attaques à bombes à gaz toxique (pp. 100, 114). Cela n’aurait certainement pas échappé à Mayer, si celui-ci avait lu le livre.

Herbert R. Lottman a évoqué, dans son œuvre Pétain la date de la publication et l’histoire de la préface (pp. 199-201), mais dans De Gaulle et Pétain, il veut donner au lecteur un aperçu du livre, et au lieu de le lire d’abord, il se contente de lire Reynaud et publie au chapitre 6 quelques-unes des citations hors texte et tronquées de celui-ci.

Signalons encore un exemple du suivisme de quelques auteurs. Pétain écrit dans la préface, au sujet des forces aériennes, que «leur action directe dans la bataille est aléatoire» (p. XIX). Goutard a remplacé ce dernier mot par «illusoire», suivi fidèlement par de La Gorce (Guerre inconnue, p. 127 et De Gaulle, p. 151), Débril (l’exposition) et Shirer (p. 179, illusory), tandis que de Kerillis préfère «problématique» (p. 235).

Les Ardennes non plus ne peuvent pas manquer : «La forêt des Ardennes est impénétrable, assure-t-il» (Chauvineau). C’est un pur produit de la fantaisie de Gallo (p. 262), suivi par une déclaration tronquée de Pétain devant le Parlement, qu’il attribue à Chauvineau. De La Gorce n’est pas en reste, qui ose écrire que Chauvineau était «le plus notoire de ceux qui proclamaient impossible l’invasion de la France par des chars allemands à travers les Ardennes» (De Gaulle, p. 87). Un mensonge, figurant aussi dans une nouvelle édition (T.1, pp.95,155).

Mysyrowicz publie un bref aperçu du livre, complètement déformé (pp. 145-147). Il cite le premier alinéa du compte rendu du lieutenant-colonel V., mais non le second. Le compte rendu, d’ailleurs, se trouve aux pages 407-418, et non 407-410 du magazine. «Il y était proposé essentiellement un plan de construction ultrarapide d’une ligne continue fortifiée», écrit-il. Et il fournit quelques détails de cette ligne, entre autres qu’il fallait «30.000 tonnes de barbelés et 6 000 abris en béton». «Ses conceptions en matière de fortifications […] se matérialisent dans la ligne Maginot», écrit-il, ce qui est faux, tout comme le mot «essentiellement», parce que l’essentiel est dans la stratégie de l’offensive aérienne au début d’un conflit, et les fortins ne sont qu’une partie de tout ce que Chauvineau préconise sur terre (voir chapitre 72).

Azéma aggrave encore la faute de Mysyrowicz en remplaçant l’adverbe «essentiellement» par «seulement», en y ajoutant les 30.000 tonnes de barbelés et les 6 000 abris de cet auteur, qu’il cite dans sa bibliographie où il ne mentionne pas l’œuvre de Chauvineau. Il y ajoute un méprisant : «le brave général», à l’adresse d’une personne dont il ne sait rien, qui a écrit un livre qu’il n’a pas lu, sur un sujet dont il ignore tout (Le Monde du 2 août 1989, et 1940, l’année terrible, pp. 134, 135).

On retrouve également la fausse idée selon laquelle la conception de la ligne Maginot était celle de Chauvineau, dans le paragraphe farfelu de Weber (p. 248) : «General Chauvineau was, if not the father, at least the uncle of the Maginot line. The spirit of his argument and of Pétain’s preface was wholly defensive: attack may bring a win, but for how long? Attack could bring defeat; what do you do then? Better play it safe.» Delpla écrit, sur un ton révélateur: «On sait moins qu’il (Chauvineau) avait été inspecteur général du génie pendant la construction de la ligne Maginot» (p. 436). Faux! Un non-sens!

De La Gorce (pp. 351, 352, La République et son armée) et Pellisier (p. 200) affirment que les idées de Chauvineau et de Pétain sont les mêmes («l’anti-de Gaulle», ajoute le second), tandis que Broche est convaincu que Chauvineau exprime «l’état d’esprit de l’état-major de l’époque», et, en plus de quelques citations fantaisistes, il se couvre de ridicule en affirmant que selon Chauvineau «les avions ne font pas partie de conflits futurs» (pp. 23, 24).

Annette Becker et Étienne Bloch écrivent que Chauvineau oppose «la manœuvre bétonnée à l’utilisation des blindés» et «chars et avions ne modifient en rien, selon lui, les données de la guerre» (p. 805).

Messmer et Larcan considèrent Chauvineau comme «médiocre, trop grand classicisme, conformisme, inadapté et calamiteux pour le pays», en le rangeant parmi Weygand, Debeney, Pétain et Gamelin! (pp. 349, 475), complètement à tort, et ils écrivent que de Gaulle critique «le livre du général Chauvineau et la préface du général (sic!) Pétain», sans indiquer où et en quels termes (p. 330). Dans ses Mémoires, de Gaulle mentionne seulement la préface. Larcan tout seul accuse Chauvineau de «refuser la modernisation demandée par de Gaulle» (p. 466). Or la modernisation demandée par le premier, est plus ample et plus complète que celle du second, qui est mauvaise.

Blond, qui défend Pétain, trouve la préface «maladroite, parce qu’il commence par exposer la doctrine de l’auteur comme si c’était la sienne» (p. 165) en y ajoutant : «Elle n’est guère plus défendable dans son ensemble que le livre» (p. 166), sans élaborer aucune explication.

Il y a encore Nachin qui parle de «l’attitude résolument défensive de la France dans les proches éventualités», exposée selon lui dans le livre de Chauvineau (p. 89), Muracciole, qui s’étonne de «l’optimisme très dogmatique de l’auteur», (p. 25), impossible à comprendre, et Monzie, qui attribue une «part de responsabilité dans nos erreurs» à Chauvineau «qui escroqua une préface au maréchal Pétain» (p. 145). Broche (pp. 23, 24), Crémieux-Brillac (t. II, p. 83), Delpla (p. 436), Azéma (pp. 134, 135), Martin du Gard (pp. 787-790), de La Gorce (De Gaulle, p. 87), Krakovitch (p. 753), Vidallenc (p. 31), Gallo (p. 262), Saint-Martin (pp. 10-12), Shirer (p. 177), affirment unanimement que la réponse à la question est négative, et, bien sûr, Reynaud (Mémoires, p. 268), lui aussi. Broche, lui, fait étalage de son savoir: «Poser la question en ces termes, c’est y répondre d’avance par la négative»!, un bel exercice intellectuel quand on sait que la réponse est «oui».

Rajsfus, qui a produit une quarantaine de livres entre 1980 et 2000, ne consacre pas moins de cinq pages à l’unique étude que Chauvineau a publiée. Il les commence ainsi : «Chauvineau, qui, inlassablement, publie ouvrage sur ouvrage depuis le début des années 20» (p. 102). En psychanalyse, on désigne cela par «projection». Ce qui suit est à l’avenant. Il accuse Chauvineau de «débilité profonde», «délire», «niaiserie militaire». Notons seulement que les armes anti-char de l’infanterie lui sont inconnues.

De Gaulle Jr., l’amiral Philippe, incapable d’écrire un livre lui-même, a raconté une série de ragots à un «nègre», qui les a notés sans discernement. Ces bavardages lui ont valu le prix « Honneur et Patrie » créé pour l’occasion par le bureau de la Légion d’Honneur. Son père aurait dit que le général Chauvineau était «un général de Vichy», «un pauvre type», «un rat d’état-major». De Gaulle a-t-il vraiment proféré ces mensonges et insultes vulgaires, ou faut-il supposer que la mémoire du vieux loup de mer est devenue un peu chancelante? De toute façon on a dû publier un ouvrage dans lequel un grand nombre d’inexactitudes est signalé. Plusieurs rectificatifs furent nécessaires. Les descendants du général Chauvineau, eux, ont réagi par un haussement d’épaules à ces griffonnages. Leur commentaire est bref: «De Gaulle mon père est un roman qui s’est constitué sur le crédit du général de Gaulle à partir d’anecdotes inventées ou falsifiées. C’est de la littérature (cathartique) et, à ce titre, elle n’appelle aucune réponse…»

Reste encore Martel, qui n’a pas écrit, mais qui a parlé, au cours d’un colloque sur «La campagne de 1940», comme suit : «Il y a dans l’Étrange Défaite le plus beau réquisitoire que j’aie jamais lu contre ce livre totalement stupide qui s’appelle Une invasion de la France est-elle encore possible? du général Chauvineau, que le maréchal Pétain avait préfacé. C’est une aberration contre l’esprit.»

Personne, dans l’auditoire, ne lui a demandé : «Et le livre, monsieur le professeur émérite, le livre du général Chauvineau lui-même, l’avez-vous lu?» Verba volant. Malheureusement pour lui, les actes de ce colloque ont été publiés. Sa bêtise (p. 546) lui survivra.[/b]
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par Eric van den Bergh » Lundi 12 Juillet 2010 11:17:18

Bonjour
Merci de vouloir publier ce long extrait de mon ouvrage,dont je suis parfaitement d'accord'
Tout à vous,
Eric van den Bergh
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Lundi 12 Juillet 2010 11:34:08

Merci pour cette autorisation et votre compréhension.

Amicalement.
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par Eric van den Bergh » Lundi 12 Juillet 2010 12:25:22

De toute évidence il faut ajouter monsieur Guillemin aux ignorants.Il dit notamment que la réponse était non alors qu'elle était oui.Les citations qu'il mentionne sont des faux,qu'on trouve chez plusieurs des ignorants.Mais une phrase de Chauvineau pourrait confirmer ce qu'il dit sur Pétain :"Finalement,s'il s'agissait d'organiser la destruction des Français,au début d'une prochaine guerre,nous n'aurions pas fait mieux "( p.209).
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par Eric van den Bergh » Mercredi 18 Août 2010 09:33:59

Annie Lacroix-Riz a dit les bêtises usuelles le 9 mai sur France Culture.J'ai demandé une rectification à cette antenne.Elle n'a pas lu son livre,ni le mien.Chauvineau n'a pas participé à l'assassinat de la république mais il l'a prévu.
Dan la 4ième partie de son ouvrage ,"Erreurs d'après guerre"il y a une phrase qui pourrait conforter la thèse de madame Lacroix-Riz.Elle est la suivante :"Finalement,s'il s'agissait d'organiser la destruction des Français,au début d'une prochaine guerre,nous n'aurions pas fait mieux".
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Re: Le général Chauvineau, incompris et trahi ?

Message par BRH » Mercredi 23 Mars 2022 17:23:16

Pour mémoire, la préface de Pétain :

Cet ouvrage étonnera ou même scandalisera peut-être le lecteur. Le général Chauvineau a voulu, en effet, remonter aux causes, sans se laisser influencer par des idées presque universellement admises.

Souvent excellente, cette façon de procéder est de nos jours plus nécessaire encore qu'autrefois. Aujourd'hui les faits changent rapidement. Jamais le risque d'être dépassé par eux n'a été aussi grand. Le progrès scientifique marche à pas de géant et mêle d'une façon tous les jours plus intime les travaux de la paix et les industries de la guerre. Il crée des situations neuves, elles-mêmes rapidement renouvelées, et devant lesquelles les règles reçues et passées dans nos habitudes deviennent souvent des routines attardées, ou même périmées. Un risque technique peut grandir brusquement, devenir grave, peut-être mortel ; une attention vigilante est nécessaire si l'on veut le dominer à tout instant.

Le général Chauvineau a utilisé son talent, dont la tournure particulière est bien connue de plusieurs promotions d'élèves à l'École de Guerre, pour donner, sous une forme qui forcera l'attention de ses lecteurs, les résultats des réflexions qu'il a faites au cours de sa carrière.

Il convient d'ailleurs que ceux-ci abordent l'ouvrage avec le même état d'esprit qu'a eu l'auteur en le composant, et qu'ils gardent intact leur esprit critique, sous la seule condition d'étayer leurs objections en juste logique et saine raison.

L’auteur a limité le sujet de son ouvrage aux opérations terrestres du début d'un conflit : il s'agit donc de la couverture. Il l'a localisé aux théâtres d'opérations de l'Europe Occidentale.

Des opérations terrestres de la Grande Guerre le général Chauvineau dégage la leçon tactique qui lui paraît la plus importante : la grande nouveauté est pour lui le front continu, dont la brusque révélation constitue le tournant de la guerre.

Les causes du front continu sont au nombre de deux : les gros effectifs d'infanterie que procure la nation armée et l'efficacité actuelle des armes défensives. Toutes deux sont nées de l'essor industriel du xxe siècle, qui a permis d'équiper, d'entretenir et d'armer la totalité des effectifs fournis par la Nation Armée.

Pour la première fois, l'infanterie a pu meubler avec une densité suffisante tout le théâtre des opérations depuis la mer du Nord jusqu'à la Méditerranée. Le front continu, en interdisant les attaques d'aile, qui avaient été depuis le commencement du monde la forme la plus généralisée de la stratégie militaire, a réduit les conceptions des chefs opposés à de simples attaques frontales.

Ce front continu s'est révélé stable, car. la défensive a vu ses moyens accrus dans une proportion très supérieure aux moyens offensifs. Les feux des armes automatiques tendus au ras du sol, le réseau de ronces artificielles aux fils barbelées enchevêtrés, constituent un barrage qu'aucun homme ne peut tenter de franchir sous peine de mort.

Le char lui-même, considéré aujourd'hui comme l'instrument offensif par excellence et comme l'outil destiné à percer les fronts fortifiés, n'aurait-il pas un rendement notablement augmenté, si on l'employait pour se défendre ou pour contre- attaquer un assaillant, même cuirassé, mais désorganisé par le fait même de son avance ?.

Les transports sur rails et sur routes favorisent le défenseur : ils permettent en effet l'afflux rapide des réserves vers le point attaqué, alors que sur un champ de bataille parsemé d'obstacles et sous les feux de la défense, l'assaillant le plus vite ne peut progresser qu’avec lenteur. Le plan Schlieffen contre la France était théoriquement admirable et devait réussir si, en 1914, le défenseur avait dû mouvoir ses troupes à pied : il était voué à l'échec devant un défenseur disposant du rail et de la route pour amener ses réserves. Bien plus, dans ce cas, il devenait dangereux, car il exposait l'aile marchante de l'assaillant à être à son tour enveloppée.

La défensive est devenue si puissante qu'il faut à l'assaillant une énorme supériorité pour se lancer à l'attaque. Chiffrant cette prépondérance, le général Chauvineau estime que l'attaque doit avoir trois fois plus d'effectifs d'infanterie, six fois plus d'artillerie, douze fois plus de munitions pour espérer dominer la défense. L'assaillant doit posséder en outre une supériorité impossible à chiffrer en ce qui concerne la qualité des hommes : la troupe d'assaut requiert un entraînement physique complet et un moral très élevé, alors que la troupe de la défense a une tâche plus facile, « parce que son devoir est inscrit sur le terrain ».

Les enseignements stratégiques sont simples eux aussi.

La France, nation armée, doit éviter de débuter par une offensive stratégique : l'outil militaire, l'armée issue de la nation, ne le permet pas. Ce serait le plus souvent jouer le sort du pays sur un coup de dés.

En effet, l'attitude stratégique offensive ne peut être prise en général qu’au détriment des garanties défensives. Les effectifs et les matériels à mettre en jeu diffèrent profondément suivant que l'on adopte l'une ou l'autre attitude.

La mission essentielle à remplir, quelle que soit l'hypothèse envisagée, est d'assurer l'intégrité du territoire national : sans quoi tout s'effondre. Tout étant fait pour être sûr d'y réussir, on peut, avec le surplus des effectifs et des ressources, songer à entreprendre sur terre l'usure directe de l’adversaire par l'offensive terrestre, ou par la contre-offensive sur des troupes qui se sont déjà usées ou disloquées par une attaque malheureuse sur nos champs de bataille préparés.

De tous les problèmes à résoudre, le plus urgent est celui que posent les débuts d'un conflit : c'est le problème de la couverture.

Inapte au début à l'offensive stratégique, mais néanmoins capable d'offensives tactiques locales, l'armée issue de la nation est parfaitement apte à s'opposer partout aux incursions terrestres de l'ennemi, à couvrir la mobilisation et la concentration de l'armée et à donner au pays le temps de surmonter cette terrible crise qui accompagne le passage de l'état de paix à l'état de guerre.

La condition actuelle d’une « couverture efficace » est l’établissement d'un front continu immédiatement tendu à la frontière et utilisant les ouvrages de fortification. Les leçons tactiques et stratégiques de la Grande Guerre montrent que cette solution doit être envisagée.

Pour résister à une attaque brusquée, deux conditions sont nécessaires : fortifier la région frontière et se ménager des réserves.

La fortification, profitant des possibilités que lui donne aujourd'hui la technique de la construction, doit transformer ses habitudes afin de s'adapter au dynamisme moderne. Pour le cas où l'ennemi percerait le front continu établi aux frontières, l'auteur nous présente une technique nouvelle qui permet de construire en quelques jours une ligne solide, composée de petits ouvrages bétonnés. Aux improvisations de la dernière guerre, il substitue, dans le domaine de la fortification de campagne, des procédés méthodiques.

La couverture, appliquée sur la ligne fortifiée, est destinée à se transformer en un front de combat en cas d'attaque, grâce aux réserves partielles réparties en arrière de la ligne continue. Ce sera la mission de troupes très mobiles d'un type spécial, que l'auteur appelle armée S. R. C. (Spéciale, Réserve de couverture) et qui sera destinée comme par le passé à bloquer les attaques ennemies, soit en colmatant une brèche locale, soit en contre-attaquant dans leur flanc.

L'auteur explique comment ces données techniques, tactiques et stratégiques sont susceptibles de procurer à l’équilibre européen une stabilité moins précaire que c'elle qu'il paraît avoir aujourd'hui par suite des remous de la politique. Un agresseur éventuel risque, en effet, de se trouver en quelques jours arrêté sur une ligne où l'armée attaquée lui opposera un front continu.

Le problème de la sécurité, si difficile à résoudre quand on l'envisage sous l'aspect politique, trouve donc en définitive. sa meilleure solution dans un élément technique militaire : la crainte du front continu est pour les peuples décidés à se jeter sur leurs voisins le commencement de la sagesse. Il y a là une réaction de la technique militaire sur la politique et aussi sur l'économie générale du pays. L'auteur donne sur ces points des idées qui lui sont personnelles, mais qui ne seront pas discutées ici.

Telle est cette théorie, qui fera jugée peut-être audacieuse, mais qui est à coup sûr cohérente et digne d'être étudiée.

Voici les principales réflexions qu'on peut faire sur ses conclusions.

Cette doctrine, qui prend le contre-pied d'idées admises par quelques milieux militaires, n'est pas seulement issue de la raison pure. Elle ne méprise pas l'histoire, puisqu/elle commence par une interprétation personnelle des leçons de la guerre. Elle est surtout fondée sur des nouveautés survenues dans la technique de la fortification et de la motorisation. Les faits positifs qui lui servent de base sont : les propriétés techniques des armes, les possibilités des transports par voie ferrée et par route, le mode et la durée de construction des positions bétonnées, les propriétés techniques des chars, etc... Et ce n'est pas parce que l'auteur manie brillamment l'humour et le paradoxe et qu'il aboutit à des conclusions imprévues que celles-ci doivent être rejetées a priori.

La division du problème général de la guerre en deux problèmes élémentaires est rationnelle : d'abord prendre des garanties pour ne pas être battu, puis battre l'ennemi. Sur terre, l'importance de cette distinction est grande, bien qu'elle ait été peu comprise. Chercher à battre l'ennemi sans avoir pris les dispositions destinées à bloquer ses offensives, c'est, dit le général Chauvineau, jouer au poker le sort du pays. Au début d'une guerre, devant un ennemi qui n'est encore entamé ni matériellement ni moralement, l'attaque constitue un gros risque.

Il se peut néanmoins que l'opération réussisse; mais en cas d'échec, le rétablissement devient très difficile si l'ennemi réagit par une contre-offensive.

Ces notions n'étaient pas en faveur avant la guerre : à cette époque, c'était le règne de l'offensive en tous lieux et en tout temps, même au début des hostilités contre un ennemi intact. L’attaque, disait-on, portant en elle une vertu et une efficacité propres, il convient de la lancer très vite, fût-ce au détriment de la préparation. Ces procédés rudimentaires, cet esprit d’offensive irréfléchi, cette absence de méthode sont à la base de nos pertes et de nos échecs de 1914. L'expérience de la Grande Guerre a montré que le chef, tout en maintenant dans sa troupe par des procédés divers un esprit offensif élevé, devait d'abord se préoccuper de constituer un front de départ défensif (garantie terrestre), et qu'il ne devait passer à l'offensive qu'après avoir rassemblé les moyens nécessaires et étudié leur emploi dans tous les détails.

Toute autre méthode participe du jeu, plus que de l'art, et constitue en plus une imprudence qui peut-être fatale, une offensive manquée causant plus de mal à l'assaillant qu'au défenseur.

L'initiative des opérations ne consiste pas attaquer en tous lieux et en toutes circonstances. Elle consiste à faire ce qu'on veut. Elle consiste même à avoir la force morale de se 1aisser attaquer, si l'attitude défensive est jugée plus avantageuse. Contraints à attaquer très vite en 1914, les Allemands n'avaient pas l'initiative des opérations, telle qu'elle vient d’être définie. Pour leur bonheur, l'armée française les avait précédés de quelques jours dans l’offensive et les attaques françaises avaient été lancées dans des directions telles que l'attaque allemande prenait figure de contre-offensive et tirait de cette circonstance des avantages qu'elle n'avait ni escomptés, ni mérités. L'offensive française constituait une faute, parce qu'elle compromettait le jeu des garanties.

Le front continu n'est pas un accident passager, dont on peut se débarrasser comme d’une habitude néfaste. Au début des opérations, il se présente au plus faible comme le seul moyen de garantir le territoire national. En prenant cette attitude, le plus faible impose au plus fort le caractère des actions initiales.

La volonté d'un commandant en chef est asservie par les possibilités des troupes, et par les propriétés techniques des moyens de guerre, qu'il s'agisse des armes ou des transports.

Ce ne sont pas les dispositions morales particulières des chefs et des peuples qui ont jamais déterminé les caractères généraux des guerres ; ceux-ci sont surtout fixés, aujourd'hui comme toujours, par des données précises : effectifs et armement.

Le front continu est, en effet, une conséquence inévitable des effectifs accrus mis sur pied par la Nation armée et des propriétés techniques des armes. La raison en est terre à terre, on pourrait écrire sordide : c'est qu'un être vivant ne peut plus courir quand, empêtré dans les ronces du réseau artificiel, il a reçu dans la tête ou dans la moelle épinière un projectile de métal lancé par une arme invisible. Aucun enthousiasme patriotique, aucune ardeur morale ne tiennent devant ce fait. Les moyens de tourner sur terre le barrage infranchissable, constitué au sol par l'arme automatique associée au réseau de fil de fer, n'existent pas, si tout le théâtre d'opérations est barré. Les moyens de briser le barrage existent : ce sont les chars et l'artillerie lourde. Chers, ils sont rares et relativement lents à mettre en place. La rareté de ces matériels restreint les fronts d'attaque. Le temps nécessaire au développement de leur action efficace peut être utilisé par le défenseur pour amener ses réserves, d’autant plus facilement que le front attaqué est plus étroit.

Ces considérations conduisent le général Chauvineau à une classification des armements terrestres. Les armements défensifs sont en général faciles à construire et peu coûteux : armes automatiques, obstacles, artillerie légère, béton. Les armements offensifs, plus difficiles à construire, sont en général beaucoup plus onéreux pour le budget : artillerie lourde et chars.

Quelle que soit l'attitude qui sera adoptée dans la suite de la guerre, la première attitude à prendre est la mise en garde par un front continu immédiatement tendu à la frontière.

Il s'agit, en couverture, avec des moyens peu denses, mais toujours prêts, de conduire les débuts de la bataille sur le champ de bataille méthodiquement préparé et partiellement tenu dès le temps de paix. Le front continu renforcé par la fortification et tenu par les troupes de couverture donne à la nation le temps nécessaire à la mobilisation, à la concentration de l'armée, à la mise en place des armements, et d'une manière générale au passage de l'économie de paix à l’économie de guerre.

Les troupes employées à la couverture sont judicieusement réparties en deux fractions : l'une étirée en cordon, s'appuyant sur la fortification construite en temps de paix, sans intervalle libre afin de constituer le front continu ; l'autre (réserve de couverture) organisée en unités très mobiles en vue de colmater une brèche ou de prendre de flanc une poche ennemie. L'ensemble forme la couverture.

A la conception récemment préconisée d'une armée de métier, la réserve de couverture proposée par le général Chauvineau s'oppose par ses buts, par sa composition et par son recrutement : elle s'en rapproche par la nécessité de disposer de spécialistes que ne peut fournir le service à court terme.

L'armée de métier, telle qu'elle a été proposée, est à la fois répressive et préventive, capable d'aller prendre des gages et de faire des randonnées lointaines dans les arrières et dans le pays ennemi. Elle est tout entière cuirassée et mécanisée, pouvant s'engager le soir à 200 kilomètres de son bivouac du matin, et pouvant forcer les lignes de retranchement et semer la panique dans les arrières. Elle est formée de militaires faisant toute leur carrière sous les armes, mais affectés dans les divisions cuirassées pendant les six premières années de leur service.

Les troupes réserves de couverture du général Chauvineau sont au contraire destinées à colmater une brèche ou à contre-attaquer dans le flanc d'une offensive ennemie. Elles sont motorisées, tout en comprenant quelques chars cuirassés ; leurs camions les rendent très mobiles. Elles sont formées de militaires engagés pour quatre ans.

Les deux idées sont très différentes. L'armée de métier est surtout un instrument offensif ; la qualité de son matériel et de son recrutement en font, pour son auteur, un outil irrésistible. Il y aurait quelque imprudence à adopter ces conclusions : il semble qu'elles aient cherché, dans le domaine tactique, à obtenir par l'offensive des résultats décisifs qui risquent d'être sans lendemains si aucune garantie n'est prise contre un échec possible. Il semble aussi que les possibilités techniques des chars et les possibilités de commandement des divisions cuirassées n'aient pas été étudiées d'une façon suffisamment poussée. Il semble surtout, pour s'en tenir à l'emploi, que l'hypothèse où l'ennemi possède une armée analogue et l'utilise défensivement n'ait pas été envisagée. Sur terre, le barrage mortel qui s'oppose au passage des engins chenillés et blindés existe : c'est l'obstacle des mines associé au feu des armes anti- chars. Que deviendrait une offensive de divisions cuirassées, si elle se heurtait à des divisions de même nature, mais postées et ayant tendu d'avance en quelques heures sur un champ de bataille de leur choix un plan de feu antichars associé à des obstacles naturels renforcés par des champs de mines ? Sur terre, jusqu'ici, toute invention a plus profité en général au défenseur qu'à l'assaillant. La mobilité des divisions de l'armée de couverture du général Chauvineau peut être utilisée pour tendre dans la direction prise par les divisions cuirassées de l'armée de métier un barrage qui ne pourra plus être forcé que par une action méthodique. Arrêtées par un tel barrage, les divisions cuirassées de l'attaque sont à la merci d'une contre-attaque sur les ailes.

Les chars eux-mêmes sont vite démodés et difficiles à améliorer', ces propriétés militent en faveur de leur emploi pour arrêter une attaque, ou en faveur de leur emploi en contre-attaque sur un assaillant, appuyé ou non par des chars, mais en partie désorganisé par son avance même et affaibli par elle.

La conception du général Chauvineau parait mieux répondre à la fois aux possibilités techniques des engins blindés d’aujourd'hui, à leurs servitudes devant les mines et les armes antichars, et aussi aux saines conceptions stratégiques qui exigent l’occupation immédiate et sûre d'un champ défensif, avant de songer à l’offensive stratégique. Moins ambitieuse que l’armée de métier, elle parait plus sûre et en définitive plus utile.

Quant aux procédés techniques proposés, ils rendront certainement les plus grands services pour la construction des lignes fortifiées. Ils réduisent les types d'abris à un très petit nombre de modèles, simplifient leur construction, diminuent leur prix et permettent d'implanter sur le terrain une ligne bétonnée avec une rapidité inconnue autrefois, à condition que ses éléments aient été préparés.

En somme, les vues du général Chauvineau sur le début des opérations terrestres sont pleines de sagesse. Son étude aurait été plus complète, si elle avait examiné en détail les réactions mutuelles des trois catégories de forces (Guerre, Marine et Air), en plaçant les forces terrestres dans le cadre d'ensemble des forces armées.

Éléments d'une doctrine de guerre.

Les considérations qui suivent ont pour but d'y suppléer en restant dans le cadre général de la situation de notre pays, et en limitant leur objet aux premiers jours d'un conflit.

Une doctrine de guerre générale doit fixer dans toutes les hypothèses probables, d'après leurs possibilités techniques propres, les directives d'emploi des trois catégories de forces : nature des précautions défensives à prendre dans tous les domaines et sur tous les théâtres et nature des actions offensives à monter.

Quelle que soit l'hypothèse de guerre, les précautions défensives sont à prendre dans tous les cas. Leur étude présente donc un caractère universel.

Sur le territoire français, les précautions terrestres seront assurées d'abord par les troupes de couverture qui occuperont la zone fortifiée de la frontière et en interdiront le franchissement aux hommes et aux engins blindés. Le jeu des réserves partielles permettra de colmater les brèches ou de contre-attaquer les forces ennemies, qui auraient réussi à franchir lebarrage. Telle est la triple condition de la garantie terrestre initiale.

On ne peut avoir la prétention d'arrêter une attaque brusquée puissante avec de simples éléments de couverture. La couverture doit être renforcée sur le champ de bataille choisi, préparé et partiellement occupé dès le temps de paix. Derrière la couverture, les gros seront échelonnés en vue de permettre au commandement de conduire la bataille défensive, ou la manœuvre stratégique qui doit aboutir le moment venu à la bataille offensive.

Les champs de bataille préparés et renforcés par la fortification permettront d'obtenir deux résultats essentiels : constituer une barrière continue, qu'il serait autrement impossible de tendre, du moins au début, et réaliser pour la défense de cette barrière les économies les plus fortes au bénéfice des éléments placés en réserve.

Si la préparation du champ de bataille est suffisante, et son occupation rapide, l'ennemi sera contraint de monter une opération méthodique ; ses espoirs d'en finir rapidement par une attaque brusquée seront déçus.

Ces dispositions sont la condition même du rendement de la défense et de son efficacité. C'est le minimum de ce qu’on peut demander, dans tous les cas ; ces résultats, toujours nécessaires, sont à rechercher dans les premiers jours.

Les procédés à mettre en ouvre pour préparer le champ de bataille, ou pour rétablir la continuité quand le front aura été percé en un point, s'inspireront avantageusement de ceux qui ont été étudiés par le général Chauvineau.

Les précautions maritimes ont un degré d'urgence qui peut varier dans des limites beaucoup plus larges. Dans 1’hypothèse où un seul théâtre d'opérations est ouvert dans le nord-est de la France, il est de la plus haute importance d'assurer le transport des troupes d'Afrique. Inversement, l'obligation de transporter des troupes de France en Afrique peut aussi s'imposer. Il faut donc pouvoir assurer la liberté de navigation en Méditerranée occidentale, afin de faire dans les deux sens les transports commandés par la situation.

La protection du trafic maritime qui amène en France les matières premières ou les produits fabriqués nécessaires à la défense nationale n'est pas moins importante.

Enfin la sécurité de nos côtes est la troisième mission à assurer par la Marine. Le sol national peut en effet être attaqué, occupa et molesté par des forces venant de la mer. Comme la terre, la mer au voisinage des côtes peut-être barrée par des champs de mines, dont l'efficacité est redoutable. L'action des sous-marins et de l'aviation augmente encore le danger d'une expédition de débarquement.

La sécurité des côtes paraît facile à assurer, alors que le passage des troupes en Méditerranée et la liberté du trafic sont plus difficiles à garantir.

Avec la couverture aérienne, les choses changent d'aspect.

Les luttes de surface se développent autour de barrages dont l'efficacité est toujours très grande. Les avions, au contraire, sont les maîtres d'un espace immense qui ne peut pas être barré, comme la terre et l'eau.

La défense aérienne est à développer dans toute la mesure du possible : mais, même si on pouvait lui consacrer la totalité du budget de la nation, on ne serait pas certain de bloquer à coup sûr les attaques aériennes de l'ennemi.

C’est à 300 kilomètres à l’heure et plus que progressent aujourd'hui les attaques aériennes, pour choisir librement leurs objectifs sur l'ensemble du territoire national en sautant par dessus tous les obstacles. Alors que le péril terrestre est différé et partiel, le péril aérien est immédiat et total.

Une armée de l'air ennemie pourra causer au potentiel de guerre du pays des dégâts majeurs, qui feront peser un lourd handicap sur sa force de résistance, et influeront, en outre, sur les opérations terrestres ou maritimes en agissant sur leurs arrières, sur leurs bases ou sur leurs communications.

Ces actions en dehors de la zone de bataille porteront sur des réserves, sur des entrepôts, sur des courants de ravitaillement, sur des communications, sur des transmissions, organes particulièrement sensibles, et les moins faits pour recevoir les coups.

La défensive aérienne ayant un rendement réduit, il est impossible de se contenter d'actions défensives. En plus des défenses antiaériennes fixées au sol, l'air libre appelle les actions offensives, cherchant à briser le potentiel aérien de l'ennemi.

En l'air, tant que la barrière aérienne analogue aux barrages terrestres ou navals, n'aura pas été trouvée, le vieil adage reste vrai : on ne se défend bien qu'en attaquant.

E n résumé, pour être en état de remplir efficacement la première mission : « n'être battu de façon décisive dans aucun des domaines d'opérations », il faut prendre sur terre et sur mer, un ensemble de précautions défensives, dont le détail varie avec chaque hypothèse de guerre, alors qu'en l'air il est nécessaire d'adopter une attitude offensive, en prenant pour objectifs les bases offensives et les moyens d'attaque de l'adversaire, et en attaquant par priorité, toutes les fois qu'on le pourra, les objectifs aériens : formations aériennes, terrains, stockages, usines, etc...

Le général Chauvineau traite en détail la question des précautions défensives à prendre sur terre au début du conflit. On peut dire que c'est l'objet même de son étude. Technicien de la fortification très averti, doublé d'un officier d'état-major aux vues d'ensemble, il a étudié avec beaucoup de compétence la possibilité de déploiement d'un front continu bétonné, même devant une attaque brusquée. Il s'élève justement, et avec beaucoup de force, contre l'idée d'opposer une défense improvisée à une attaque méthodiquement préparée.

Son étude est intéressante et pleine d'aperçus nouveaux ; elle doit retenir l'attention du lecteur. Elle ne craint pas de réhabiliter le front continu, peu étudié en temps de paix, et qui porte le poids d'une réprobation générale, comme s'il était le produit d'un art de la guerre d'ordre inférieur, alors qu'il est la conséquence des effectifs considérables mis sur sur pied par la Nation armée, et des propriétés techniques des armes capables de tendre les barrages infranchissables aux hommes et aux chars.

L'étude du général Chauvineau vise à préparer le front continu pour que la bataille terrestre sur les frontières soit gagnée, ou au moins qu'elle ne soit pas perdue, et pour qu'il n'y ait plus lieu de remporter une nouvelle bataille de la Marne, c'est-à-dire une victoire incomplète, puisqu'elle laissait l'ennemi incrusté dans notre sol, et maître pendant quatre ans de huit départements et des régions industrielles les plus importantes.

Les précautions défensives sur mer et en l'air n'ont pas été étudiées par l'auteur. Un court chapitre est consacré à l'aviation. La Marine est passée sous silence. Ces lacunes pouvaient faire craindre des erreurs importantes, car les trois forces ne se battent pas séparément : elles réagissent au contraire les unes sur les autres. Or, on ne relève, malgré tout, dans l'exposé aucune erreur fondamentale, mais seulement quelques omissions concernant l'action de l'aviation.

Les forces aériennes influent, en effet, de façon importante sur la lutte terrestre. Leur action directe dans la bataille est aléatoire, car les troupes engagées dans les combats sur terre sont disposées pour recevoir des coups et pour les rendre. C'est par des actions indirectes sur les arrières que s'exercera le plus efficacement l'action de l'aviation. Arrières immédiats de la ligne de bataille, peuplés de dépôts de vivres et de munitions, de troupes au repos, d'États-majors, organes mal protégés aujourd'hui qu'on pourra bouleverser ou détruire par l'air. Arrières plus lointains de l'intérieur du pays, avec les stocks des ressources qu'on accumule pour la lutte, et les usines où on les produit. L'objectif le plus payant des forces aériennes ennemies sera constitué surtout par le réseau des communications qui relie l'arrière à l'avant : si l'aviation réussit à les couper, ou au moins à les interrompre temporairement, elle réalisera une sorte d'encagement qui pourra amener une paralysie de l'avant, privé des approvisionnements nécessaires à la conduite de la guerre. On ne peut plus étudier les opérations terrestres isolément, il faut les étudier en relation avec les possibilités de l'armée de l'air.

La solution de ce problème général comporte des variantes. On peut le résoudre de façon très différente suivant le cas. Si l'ennemi cherche à percer notre front, c'est une bataille défensive à mener de bout en bout. Si l'ennemi s'établit simplement en couverture, il conviendra de décider si le moment est venu de l'attaquer en l'air ou sur terre, ou de s'organiser en face de lui et de porter nos forces sur un autre théâtre d'opérations. La Méditerranée occidentale, l'Afrique du Nord, d'autres points encore, peuvent être englobés dans le conflit ou devenir à leur tour le théâtre principal.

Pour intervenir sur terre autrement que par le moyen passif du front continu et pour obtenir des résultats positifs, l'attaque est en effet nécessaire. La première pensée qui vient à l'esprit est d'utiliser l'aviation, son action offensive du premier jour est, en effet, une de ses missions essentielles.

La Marine aussi pourra intervenir en attaquant le trafic commercial qui ravitaille l'ennemi.

Les combinaisons par lesquelles se traduira l'action des trois forces dans les opérations de guerre sont nombreuses et complexes. Si les forces de terre et les forces de mer ont peu d'occasions de travailler ensemble, il n'en est pas de même des forces aériennes. L'aviation peut intervenir au profit des forces de terre et de mer, elle a un rôle essentiel à jouer dans la défense aérienne du territoire, et, en outre, nouvelle venue dans l’économie de la guerre elle s'est taillée une part prépondérante, car elle seule peut attaquer le sol ennemi dans sa totalité.

Grâce à l'aviation, à sa mobilité foudroyante, la situation peut changer avec la vitesse de l'éclair.

Pour faire face à ces variations subites, l'action d'un Conseil ne suffit pas, et pas davantage l'entente entre trois grands chefs. La décision d'un seul chef est nécessaire, assisté d'un État-major préparant ses décisions à l'échelon de l’ensemble des forces armées.

Le général Chauvineau a volontairement limité son étude aux opérations terrestres et aux premiers jours d'une guerre éventuelle. S'il n'envisage que la défensive, c'est qu'elle est la tâche la plus pressante au début des hostilités. Les actions offensives, sauf en ce qui concerne l'aviation, se développeront par la suite. Ses conclusions s'insèrent très heureusement dans le cadre d'une doctrine d'ensemble. Cela tient à ce qu'il s'est appuyé sur la base solide et inattaquable de données positives fournies par la technique : le front continu est une réalité qu'il y a péril à méconnaître.

Le système préconisé cadre parfaitement avec l'état politique, géographique et démographique de la France et avec les travaux qui ont été construits à ses frontières.

Aussi, malgré quelques réserves concernant la partie politique, le livre mérite d'être étudié.

On perçoit encore certaines tendances à reprendre la doctrine de la guerre de mouvement dès le début des opérations, suivant les idées en honneur avant 1914. L'expérience de la guerre a été payée trop cher, pour qu'on puisse revenir impunément aux anciens errements. L'idée offensive est à conserver précieusement pour le moment où les circonstances permettront de l'employer, en se gardant de vouloir plier les faits ou de chercher à adapter les réalités à nos sentiments et à nos passions.

Ce sera le rare mérite du général Chauvineau d'avoir montré que le front continu est à la fois fondé sur les leçons de l'histoire et sur les propriétés techniques des armes et de la fortification.

La possibilité pour notre pays d'arrêter à coup sûr tout ennemi voulant pénétrer à l'intérieur de nos frontières ne doit pas nous dispenser d'examiner attentivement toutes les nouveautés : les chars, les sous-marins et surtout les avions. Ces derniers engins, encore énigmatiques, ont bouleversé bien des conceptions militaires anciennes, et portent dans leurs flancs des secrets encore insoupçonnés.

Couverte par les fronts continus, la nation a le temps de s'armer pour résister d'abord, pour passer à l'attaque ensuite.

Cette perspective n'a rien de réjouissant pour un agresseur éventuel : elle est le meilleur gage de la paix.

Paris, 1938.

Maréchal PÉTAIN .
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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