L'attitude espagnole au moment de l'armistice...

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

L'attitude espagnole au moment de l'armistice...

Message par BRH » Dimanche 18 Octobre 2009 09:46:42

L'Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945, Christine Levisse-Touzé, Albin Michel, 1998. p.22-28.


"Les ambitions espagnoles
Lorsque la France entre en guerre, l'Espagne sort exsangue de trois années de guerre civile. Les responsables français s'interrogent sur les intentions espagnoles alors que des renforts militaires sont envoyés au Maroc espagnol (...) et aux Baléares. Noguès constate : "du côté espagnol, la situation manque de netteté".

Les conséquences de la guerre civile. Tremplin des officiers en rébellion contre le gouvernement du front populaire de Madrid en 1936, le Maroc espagnol est une menace certaine. Le soutien de l'Allemagne et de l'Italie aux nationalistes n'est pas désintéressé. Mussolini espère des compensations aux Baléares par l'établissement de bases navales et aériennes et à Tanger. L'idée d'un troisième front qui mobiliserait les forces françaises, (Pyrénées et Maroc espagnol) n'est pas non plus pour déplaire à Hitler car il aurait pour conséquence l'affaiblissement de l'armée française. Les forces militaires germano-italiennes restées en Espagne au printemps 1939 sont respectivement de 7,000 et 20,000 hommes. Enfin, l'infiltration économique et militaire de l'Allemagne au Maroc espagnol est bien réelle depuis 1937. Les forces espagnoles ne cessent de croître : 38,000 en 1936, 45,000 en 1939. Le Maroc est l'enjeu des luttes d'influence enropéennes. Les autorités françaises y voient une menace sérieuse sur les lignes de communications entre les ports de l'Atlantique, de l'Algérie et de la Tunisie et l'obligation de maintenir, en cas de conflit, le corps d'occupation du Maroc. Le Maroc ne pourrait donc pas alors remplir son rôle de réservoir de forces au profit de l'Afrique du Nord et de la métropole.
Prenant très tôt conscience de ce danger, le gouvernement français remplace, dès le 16 septembre 1936, Marcel Peyrouton, résident général par un militaire, le général Charles Noguès, dont la carrière s'est en partie déroulée au Maroc. Il a combattu aux côtés des Espagnols pendant la guerre du Rif et a les qualités requises pour maintenir la tranquilité du protectorat en cette période de tension. La guerre civile espagnole a ses répercussions sur le Maroc français : tribus frontalières enrôlées dans l'armée nationaliste, trafics d'armes, ravitaillement. En août et septembre 1936, le sultan prend des mesures pour arrêter ce trafic et interdit à ses sujets de se joindre aux armées espagnoles tant au Maroc que sur le continent. En 1940, la situation économique demeure grave au Maroc espagnol et la propagande active s'exerce sur la zone française. La revue nationaliste Arriba España est très virulentes à l'égard de la France.
Peu après la conférence de Munich (23-29 septembre 1938), le général Gamelin fixe la ligne de la politique méditerranéenne qui doit "régler la question d'Espagne qui pèse sur la Méditerranée occidentale dont la maîtrise nous est indispensable". Le 27 février 1939, le Conseil des ministres se prononce à l'unanimité en faveur de la reconnaissance de jure du gouvernement franquiste conjointement avec le Foreign Office. C'est un tournant de la diplomatie française, soucieuse de préserver la neutralité espagnole face à la montée des tensions internationnales. Daladier charge Léon Bérard, ancien ministre, sénateur des Basse-Pyrénées, qui compte beaucoup d'amis en Espagne, de régler les litiges avec Franco : restitution des avoirs espagnols, républicains réfugiés en France (475,000) et en AFN (19,000), matériel de guerre républicain. Le gouvernement français, en choisissant de se rapprocher de Franco, sacrifie d'une certaine façon les républicains espagnols. les négociations débouchent sur les accords Bérard-Jordana du 25 février 1939. La reconnaissance du gouvernement franquiste est suivie de l'échange d'ambassadeurs. Le choix du maréchal Pétain, le 2 mars 1939, répond à la volonté du gouvernement de favoriser un rapprochement avec Franco, son compagnon d'armes pendant la guerre du Rif, et Jordana, ministre des Affaires étrangères, chef d'état-major en 1925. Cette décision procède de la même préoccupation que la nomination de Noguès. Les deux hommes connaissent bien le Maroc, ils ont combattu aux côtés des armées espagnoles contre Abd el-Krim. Le gouvernement français espère ainsi favoriser la neutralité espagnole en cas de conflit et avoir les mains libres au Sud-Ouest et au Maroc afin d'utiliser au maximum les forces Nord-Africaines sur le Nord-Est et sur les Alpes. La nomination de Pétain est bien ressentie en Espagne. Il doit obtenir la neutralité espagnole et veiller à l'application des accords Bérard-Jordana.
Le problème espagnol est au coeur des conversations franco-britanniques du 4 au 6 mai 1939 à Rabat et de la réunion des chefs d'état-major présidée par Gamelin le 17 juillet, mais aucune stratégie commune n'est définie à l'égard de l'Espagne, la Grande-Bretagne s'en remettant à la France. Les relations diplomatiques entre les deux pays restent très tendues dans un climat international préoccupant. Fin mars 1939, l'Espagne adhère au pacte anti-komintern et, le 31 mars, Jordana signe le traité d'amitié avec l'Allemagne, confirmant l'orientation de la politique.


Une "drôle de neutralité". Au mois d'août 1939, Franco procède à un remaniement ministériel. Jordana est remplacé aux affaires étrangères par le colonel Beigbeder, jusque-là, haut-commissaire au Maroc espagnol. En dépit de cette inclination de plus en plus marquée pour l'Allemagne, le conseil des ministres espagnol se prononce à l'unanimité le 25 août pour la neutralité. Les motifs de politique intérieure et une situation économique inquiétante semblent avoir prévalu. L'évolution des relations franco-espagnoles jusqu'en juin 1940 souligne pourtant les ambiguïtés de cette politique.
Pétain et Noguès se montrent soucieux. Ce dernier est l'observateur privilégié de l'accélération des préparatifs militaires au Maroc (en novembre 5 divisions, près de 80,000 hommes) et du regain de l'action des nationalistes marocains. A la fin de 1939, des articles de presse et des tracts très antifrançais sont introduits clandestinement dans le protectorat par les nationalistes arabes de Tétouan. Au Maroc espagnol, la jeunesse subit l'influence de l'Orient. De nombreux étudiants se sont regroupés en Palestine (Naplouse) et au Caire (Maison du Maroc) avec l'appui et grâce aux subsides des autorités espagnoles. Les influences sont réciproques avec le Moyen-Orient. Des agents allemands et italiens ont aussi influencé l'attitude antifrançaise des jeunes Marocains.
Le parti réformiste national d'Abdelqhalek Torrès préconise l'indépendance d'un Maroc scindé en deux zones, l'une "khalifienne", l'autre "sultanienne". Il s'appuie sur les postes Radio-Tétouan et Radio-Séville et son journal El-Horriya a adopté, dès le début du conflit, un ton violemment hostile à l'égard de la France. Mekki Naçiri (transfuge de la zone française), chef du Parti de l'unité marocaine, encouragé par les autorités espagnoles, préconise l'unité d'un Maroc libre dont le journal El Wahda el-Maghribiya (l'Unité marocaine) se fait l'écho ; il se livre à des attaques violentes contre le protectorat français. Des émissaires recrutent des mercernaires dans les tribus frontalières pour grossir les effectifs franquistes, avec la vague promesse d'une guerre libératrice qui réaliserait l'unité et l'indépendance du Maroc. Dans le Sud, les agents espagnols pénètrent dans la zone française par les enclaves d'Ifni et du Rio de Oro.
La forte communauté espagnole implantée au Maroc (20,000) et en Algérie (92,800) est aussi source de difficultés. Les Espagnols d'Oranie comptent une grande majorité de phalangistes. Les républicains espagnols réfugiés ont été regroupés, pour ne pas mécontenter Franco, sur ordre de Noguès en compagnies de travailleurs au camp de Relizane où ils sont employés à la construction de routes et de voies ferrées, dont celle de Bou Arfa-Kenadsa. A Oran, les phalangistes, nombreux, bénéficient du soutien actif du consul espagnol, Barnabé Toca.
A la détente consécutive à la déclaration de neutralité, succède à partir d'avril 1940 une "drôle de neutralité" selon la formule de Michel Catala, avec une accélération des préparatifs militaires au Maroc espagnol. Les renforts portent sur 13,000 à 15,000 hommes, un important matériel (15 batteries d'artillerie de DCA et matériels antichars, de l'armement moderne pour unités d'infanterie). Le corps d'occupation de près de 100,000 hommes est concentré sur la frontière et la côte, entre Tétouan, Ceuta et Tanger. Pétain, croyant à de l'intoxication, recommande la prudence à Noguès tout en lui demandant de rester vigilant aussi bien au Maroc espagnol qu'aux Béléares où les forces ont été aussi renforcées, le gouvernement français craignant que Franco n'ait consenti aux Italiens des avantages territoriaux. Informé de la volonté d'apaisement de l'Espagne, Noguès demande au commandant des troupes du Maroc d'éviter tout renfort de troupes à la frontière espagnole. Le 18 mai, alors que les armées sont en pleine retraite, Paul Reynaud offre à Pétain le poste de vice-président du Conseil, Robert Renom de la Baume le remplace alors à Madrid.
Le 12 juin, deux jours après la déclaration de guerre de l'Italie à la France, le colonel Morel, attaché militaire à Madrid, transmet au ministère de la Défense nationale le communiqué espagnol : "En raison de l'extension de la guerre à la Méditerranée, le gouvernement espagnol a décidé la non-belligérance de l'Espagne." La "non-belligérance" n'est pas la neutralité et rapproche l'Espagne du camp de l'Axe. Elle entend défendre ses positions, notamment au Maroc espagnol. Le colonel Beigbeder est favorable à la non-intervention de son pays, mais il est prêt à la monnayer avec la France contre des concessions au Maroc. L'évolution de la politique espagnole est nette, l'intensification des fabrications de guerre et la recrudescence des revendications territoriales se concrétisent.

L'occupation de Tanger. La question revient au premier plan des préoccupations du haut commandement français, comme du gouvernement britannique, avec l'entrée en guerre de l'Italie. Noguès met en garde le gouvernement contre l'occupation de Tanger par l'Espagne sans la participation française ou sans un mandat de la part de la France car se "serait une perte de prestige considérable auprès de la population indigène et du sultan".
Le statut de Tanger n'a pas vraiment été réglé entre les deux guerres. Une convention signée en 1923 entre la France, l'Angleterre et l'Espagne, mais sans l'Italie, accorde une position prépondérante à la France comme puissance protectrice, le mendoub (représentant du Sultan) lui est acquis et l'administration européenne (nommée pour six ans) relève de son autorité. En 1928, l'Italie est associée à la police de la zone, et la convention, renouvelée en 1935, confie le poste d'administrateur à l'Espagne ; mais la guerre civile en diffère l'exécution. La question resurgit en 1939, avec la reconnaissance de jure du gouvernement nationaliste de Franco, dont les ambitions coloniales portent directement sur l'Empire chérifien. L'entrée en guerre de l'Italie rend caduc l'accord tripartite de 1928 et Noguès suggère "le retour au statut d'Algésiras avec une forte présence française et une force espagnole d'importance à peu près égale". Le gouvernement anglais est opposé à une intervention depuis Gibraltar et préconise une offensive française sur le Maroc espagnol avec l'envoi simultané d'une force à Tanger tout en y associant l'Espagne.
Le 14 juin 1940, Tanger est occupé par les forces espagnoles. Jen-Claude Serres, consul à Tétouan, est informé le jour même par le général Ascensio, commissaire-résident au Maroc espagnol, de l'accord du gouvernement français, donné la veille à Madrid, sur l'occupation de Tanger à titre provisoire "pour aider la gendarmerie internationnale". Ascensio confirme également à Le Fur, l'administrateur français à Tanger, l'accord des autorités françaises. Soucieux de lever tout soupçon sur les intentions réelles de l'Espagne, un message lui est remis : "Alors que vient de s'effectuer l'occupation militaire de Tanger et de son hinterland par les forces de la méhalla khalifienne, au nom de S.M. le sultan du Maroc, et dans le seul but d'assurer la neutralité absolue de Tanger et de sa zone dans ces circonstances, il m'est agréable au nom de mon gouvernement de vous en faire part en précisant que cette occupation revêt un caractère provisoire et que seront respectés les droits des puissances intéressées et de tous les services établis."
Cette occupation a indéniablement pris de court les gouvernements anglais et français. Pour l'état-major français, préoccupé par le désastre militaire - le jour même, les allemands occupent Paris et deux jours auparavant l'Italie est entrée en guerre -, Tanger passe au second plan. Pour sauver la face, les autorités françaises ont accepté cette occupation et régularisé, après coup, la situation sur le plan diplomatique. L'ambassade d'Angleterre à Madrid réagit plus violemment. Les nationalistes marocains manifestent devant le consulat général français à Tétouan. Franco n'a pas improvisé cette opération. L'occupation de Tanger a bien été préparée dès avril 1940 par le renforcement considérable des moyens militaires au Maroc espagnol. Noguès redoute alors une offensive des Espagnols en zone française dans la région de Sebou, de l'Ouergha, de la voie ferrée Taourit-Oujda et met les troupes en état d'alerte.

Les revendications coloniales de l'Espagne. Les évènements se précipitent. Dans la nuit du 17 au 18 juin, les troupes espagnoles prennent position à la frontière. Le 19 juin, Franco informe Hitler de ses prétentions coloniales sur l'Oranie et le Maroc français en préparant l'entrée en guerre. Mais l'ambassadeur Lequerica transmet au gouvernement français des revendications plus modérées : cession des territoires des tribus des Beni Zeroual, au nord de Fès, et des Beni Snassen, à l'est d'Oujda. Le 24 juin, Noguès réagit violemment : "Toute cession de territoire à l'Espagne, sans combat, serait déshonorante pour la France et causerait, après l'occupation de Tanger, une nouvelle et plus grave blessure à l'amour-propre du Sultan et du peuple marocain. Les fusils partiront tout seuls et nous serons obligés d'aller au secours de nos tribus sous peine de nous retourner contre nous la totalité du Maroc." Ces revendications s'appuient sur une propagande active auprès des tribus frontalières. Le cheik de Tazouguert reçoit, le 18 juin, une lettre lui annonçant l'entrée imminente des forces forces espagnoles en zone française, l'invitant à se réfugier en zone voisine sous la menace de la confiscation de ses biens. Le 22 juin, le chérif de la zaouïa de Bou Brib, cédant aux sollicitations de la tribu des Beni Ahmed, passe en zone espagnole. Pour éviter de tels actes, les autorités françaises ripostent en détruisant les biens du transfuge.
L'attitude espagnole suscite bien des interrogations : Franco pense-t-il obtenir de Hitler la satisfaction de ses ambitions coloniales en monnayant son entrée en guerre aux côtés de l'Allemagne ? Il se déclare prêt à attaquer Gibraltar avec l'aide militaire allemande, mais Hitler n'y donne pas suite. A-t-il volontairement demandé le prix fort, pour être sûr du refus du Führer et ne pas entrer en guerre ? Les difficultés économiques de l'Espagne suffiraient à justifier sa non-belligérance. Néanmoins, elle profite de l'affaiblissement de la France pour étendre son influence. Lors des négociations d'armistice, Beigbeder insiste auprès de Robert Renom de la Baume, pour obtenir une cession de territoire en Afrique du Nord en ajoutant : "Mieux vaut que ce soit à l'Espagne plutôt qu'à l'Allemagne." L'attitude espagnole est ambigüe : la menace qu'elle exerce indirectement peut être assez forte pour inciter Noguès à suivre Pétain et accepter l'armistice."
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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Re: L'attitude espagnole au moment de l'armistice...

Message par boisbouvier » Mercredi 21 Octobre 2009 07:47:12

Bravo pour toutes ces nombreuses précisions.
Louis Noguères, Président de la Haute Cour de justice à partir de 1946, s'est aperçu que son prédécesseur, ennemi de l'effort, avait présidé le procès Pétain sans avoir lu le dossier d'instruction. Il a repris le procès et l'a confronté au dossier. Un livre, "Le véritable procès du Maréchal Pétain", en a résulté. Il permet de juger au plus près.
Sur l'action de Pétain comme ambassadeur en Espagne en 39-40, il est formel. Pétain qui y avait été envoyé par Daladier pour raccommoder les relations entre la France et les nationalistes espagnols gravement compromises par le Front populaire a pleinement réussi sa mission.
Quand la défaite de la France fut consommée, rien de plus naturel pour l'Espagne que de se mettre sur les rangs pour partager ses dépouilles. Elle va donc demander le Maroc et l'Oranie comme Mussolini demande la Tunisie, la Savoie et Nice. Mais Hitler n'est pas disposé à satisfaire leurs demandes car il cherche à traiter avec l'Angleterre et il ne veut pas entraver ces négociations par des annexions de ses alliés susceptibles de la braquer. Mais comme les Anglais ne donnent pas suite à sa proposition de paix du 19 juillet il engage l'opération Seelöwe le 15 août. C'est un échec. Le 15 septembre il l'interrompt.
Le 23 octobre, il se rend jusqu'à Hendaye pour quémander à Franco une alliance que celui-ci était prêt à lui accorder en juin. Or, octobre n'est plus juin. Le rusé caudillo fait monter les enchères si haut que Hitler ne peut les accepter. Huit jours après Mussolini attaque la Grèce et tout bascule.
boisbouvier
 


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