Les heures sombres de l'Hotel du Parc

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Message par Jean Defranchi » Mardi 10 Avril 2007 15:46:32

Bonsoir à tous,

Il y a sur internet un tel magma d’informations contradictoires sur les événements de 1940 que chacun peut, comme dans un libre service, en tirer des éléments qui viennent conforter ses propres opinions. Si un internaute veut neutraliser son contradicteur il va noyer celui-ci sous une masse d’arguments souvent puisés dans le Web. La partie adverse étant dans l’impossibilité, faute de temps et de moyens, d’en vérifier la fiabilité va répliquer par d’autres arguments tout aussi invérifiables, pour les mêmes raisons.
De plus nul historien ne peut recréer, il me semble, le contexte dans lequel ces événements se sont déroulés. Il lui est impossible d’exprimer par l’écrit quelque chose dont il n’a pas été imprégné. Il y a, bien entendu, les textes intéressants des auteurs qui ont été les acteurs ou les témoins de ces événements, mais ces textes subissent souvent l’influence des opinions politiques de leurs auteurs ou bien se perdent dans la masse des autres documents. De plus certains militaires ou politiques ont quelquefois rédigé leurs mémoires dans le but de redorer un blason quelque peu altéré par leurs choix ou leurs stratégies des années trente ou de 1940.

Personnellement je m’en tiens à ce que j’ai vu et entendu. En tant que militaire lambda il m’était, durant l’exode, évidemment impossible d’avoir une vue d’ensemble sur la situation militaire. Nous savions seulement ce qui se passait dans notre champ visuel et ce que nous pouvions apprendre, éventuellement, par nos officiers. A cela venaient s’ajouter les bruits incontrôlables qui circulaient dans la foule.
J’étais, comme je l’ai expliqué dans d’autres messages, mécanicien dans l’armée de l’air, sur Breguet 693. Nous avons suivi un itinéraire assez sinueux. Après un séjour à Roye (Somme), ou nous étions le 12 mai 1940, nous sommes descendus à Châtillon sur Loire, puis remontés à Brétigny/Orge et, enfin, nous avons stationné sur la base de Chartres. Près de notre cantonnement les trains, souvent formés de wagons à bestiaux, se succédaient sans arrêt emportant des réfugiés.
Ensuite, mêlés aux réfugiés et aux autres soldats en retraite, nous avons repris notre marche vers le Sud par Châteauroux, La Rochelle, Landes de Bussac. Enfin nous avons gagné Mont de Marsan puis Toulouse-Francazal où nous sommes arrivés le 25 juin.
Ce que je peux affirmer, sans crainte de me tromper, c’est que durant cette retraite tous les réfugiés et la quasi-totalité des appelés et réservistes ne demandaient qu’une chose : l’arrêt des hostilités et le retour à la maison.
Un participant à un autre forum m’a demandé dans quelle mesure les tendances et les opinions que j’ai constatées autour de moi étaient partagées au-delà des personnes que je côtoyais. Cette remarque serait justifiée si j’avais été au sein d’une foule statique. Mais l’exode implique une foule en mouvement dans laquelle on rencontre sans cesse de nouveaux interlocuteurs.
En ce qui concerne le repli en AFN il aurait fallu que dès le temps de paix les conditions de ce repli aient été définies et les transports prévus et organisés. Mais dans les conditions présentes les mobilisés auraient catégoriquement refusé de s’embarquer. Et quelle force aurait été en mesure de les y obliger ? Les gendarmes ?

Bien amicalement
Jean Defranchi
 

Message par BRH » Mardi 10 Avril 2007 17:05:56

Sostène a écrit :Personnellement je m’en tiens à ce que j’ai vu et entendu. En tant que militaire lambda il m’était, durant l’exode, évidemment impossible d’avoir une vue d’ensemble sur la situation militaire. Nous savions seulement ce qui se passait dans notre champ visuel et ce que nous pouvions apprendre, éventuellement, par nos officiers. A cela venaient s’ajouter les bruits incontrôlables qui circulaient dans la foule.


Bien entendu, et en cela vous ne différez point des témoins de cette époque que je connais... Mon oncle paternel, mon beau-père... et d'autres !

J’étais, comme je l’ai expliqué dans d’autres messages, mécanicien dans l’armée de l’air, sur Breguet 693. Nous avons suivi un itinéraire assez sinueux. Après un séjour à Roye (Somme), ou nous étions le 12 mai 1940, nous sommes descendus à Châtillon sur Loire, puis remontés à Brétigny/Orge et, enfin, nous avons stationné sur la base de Chartres. Près de notre cantonnement les trains, souvent formés de wagons à bestiaux, se succédaient sans arrêt emportant des réfugiés.
Ensuite, mêlés aux réfugiés et aux autres soldats en retraite, nous avons repris notre marche vers le Sud par Châteauroux, La Rochelle, Landes de Bussac. Enfin nous avons gagné Mont de Marsan puis Toulouse-Francazal où nous sommes arrivés le 25 juin.


A quel moment êtes-vous parevenu à La Rochelle ? Combien de temps y êtes-vous resté ?

Ce que je peux affirmer, sans crainte de me tromper, c’est que durant cette retraite tous les réfugiés et la quasi-totalité des appelés et réservistes ne demandaient qu’une chose : l’arrêt des hostilités et le retour à la maison.


Ce qu'il convient de déterminer, c'est le moment exact où ces sentiments se font jour, à partir de quand on les exprime tout haut sans crainte de heurter l'entourage...

Il y a lieu -selon moi- de bien distinguer l'avant du discours de Pétain et l'après... Car AVANT, et encore le 16 juin, beaucoup veulent encore se battre et résister; ainsi, dans beaucoup de carnets des combattants, on note des références à une résistance encore possible derrière la Loire, voire même à une contre-attaque. Le 17 juin, c'est fini, et personne ne veut plus être le dernier tué avant l'armistice. Pourtant, plusieurs unités, bien encadrées, feront encore leur devoir au-delà de tout éloge.

Un participant à un autre forum m’a demandé dans quelle mesure les tendances et les opinions que j’ai constatées autour de moi étaient partagées au-delà des personnes que je côtoyais. Cette remarque serait justifiée si j’avais été au sein d’une foule statique. Mais l’exode implique une foule en mouvement dans laquelle on rencontre sans cesse de nouveaux interlocuteurs.


L'unanimité pour la paix existait surtout chez les réfugiés et les populations qui voyaient arriver ce troupeau, non sans inquiétude... Ensuite, chez les hommes qui savaient que l'inéluctable était accompli, sauf pour une minorité qui voulait lutter jusqu'au bout, ayant entendu (ou pas) l'appel du 18 juin.


En ce qui concerne le repli en AFN il aurait fallu que dès le temps de paix les conditions de ce repli aient été définies et les transports prévus et organisés. Mais dans les conditions présentes les mobilisés auraient catégoriquement refusé de s’embarquer. Et quelle force aurait été en mesure de les y obliger ? Les gendarmes ?


Les premières mesures pour un repli ont été prévues dès le 10 juin par de Gaulle. Notamment les lignes de repli successives jusqu'à la Dordogne et au-delà. Ces mesures seront d'ailleurs plus ou moins suivies par le GQG.

Je pense que les mobilisés -fermement encadrés- n'auraient guère eu l'occasion de s'interroger, notamment s'ils avaient eu à tenir ferme sur la Loire. D'ailleurs -pour la plupart- ils n'ont pas entendu le discours de Pétain, mais l'ont appris par les populations dans les villes et villages qu'ils traversaient. Ensuite, le bouche à oreille faisait le reste...

Le 17 juin demeure une date-clé, un point-pivot de ces jours sombres. Rien n'est pareil entre la veille (16 juin) et le lendemain (18 juin). De ce point de vue, l'appel de De Gaulle est très marginal. A peine 10% des Français l'ont entendu ou lu. Entendu, très, très peu, en effet. Mais davantage l'ont lu, car ce que l'on ignore généralement, c'est que la plupart des journeaux paraissant encore en zone non-occupée l'ont mentionné...
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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Message par Jean Defranchi » Mardi 10 Avril 2007 18:52:30

Bonsoir BHR,
Ce soir je répondrai seulement à votre question concernant mon séjour à La Rochelle. La carte ci-dessous montre le cheminement suivi par les groupes d'assaut entre le 10 mai 1940 et le 25 juin. Pour le 2/54 ce chemin est matérialisé par une ligne noire discontinue.
Roye du 10 au 13 mai- Montdidier du 13 au 17 mai- Briare (Chatillon sur Loire) du 17 au 19 mai- Brétigny sur Orge du 19 mai au 2 juin- Chartres du 2 au 13 juin- Chateauroux du 13 au 16 juin- Dampierre ( près de La Rochelle) du 16 au 19 juin- Landes de Bussac du 19 au 23 juin- Mont de Marsan du 23 au 24 Juin. Je pense qu'il y a une erreur sur la carte. Celle-ci donne du 23 au 26 alors que je me souviens être arrivé à Toulouse le 25.
Le 19 nous sommes passés sur le port de La Rochelle. Les Anglais y jettaient leurs véhicules.
Bien amicalement.

(La carte vient de la revue ICARE n°87 de l'hiver 1978-79.)
Image
Jean Defranchi
 

Message par Jean Defranchi » Mercredi 11 Avril 2007 11:17:00

Ce que je peux affirmer, sans crainte de me tromper, c’est que durant cette retraite tous les réfugiés et la quasi-totalité des appelés et réservistes ne demandaient qu’une chose : l’arrêt des hostilités et le retour à la maison.


Ce qu'il convient de déterminer, c'est le moment exact où ces sentiments se font jour, à partir de quand on les exprime tout haut sans crainte de heurter l'entourage...

Il y a lieu -selon moi- de bien distinguer l'avant du discours de Pétain et l'après... Car AVANT, et encore le 16 juin, beaucoup veulent encore se battre et résister; ainsi, dans beaucoup de carnets des combattants, on note des références à une résistance encore possible derrière la Loire, voire même à une contre-attaque. Le 17 juin, c'est fini, et personne ne veut plus être le dernier tué avant l'armistice. Pourtant, plusieurs unités, bien encadrées, feront encore leur devoir au-delà de tout éloge.

Bonjour BHR,

J’ai entendu, parfois, les propos suivants : « La quille bon dieu ! J’en ai rien à f……… ! » ou «Je préfère être Allemand vivant que Français mort ! » dès mon arrivée au groupe au début mai 40. J’ai été très étonné parce que, à Rochefort, nous n’avions pas été préparés à cela.

Nous n’avons eu connaissance des déclarations de Pétain et De Gaulle qu’après l’armistice. Ce que nous devions savoir, sans que je puisse préciser à partir de quelle date, c’est qu’il y avait des pourparlers d’armistice.

Je voudrais dire que les propos cités venaient uniquement de certains appelés et réservistes du personnel non navigant, toujours les mêmes d’ailleurs (suivez mon regard) et surtout pas du personnel d’active, équipages et mécaniciens.
A une date imprécise, après le 17, c’est tous les jours que je les entendais, mais ils n’étaient pas prononcés devant les officiers.
Je peux aussi affirmer que j’aurais été très mal reçu si, ayant entendu l’appel du général (ce qui n’était pas le cas) je serais entré dans notre cantonnement du jour en disant : « Les gars ! Il y a un général, à Londres qui nous demande de le rejoindre ! ». Je me serais fait moquer de moi et eng. par les intéressés tellement la proposition leur aurait parue absurde.

Une anecdote (je considère cela comme une anecdote compte tenu de la date : 24 juin) : Nous étions à Mont de Marsan. Le bruit a couru que les Allemands étaient à une heure derrière nous et qu’en conséquence nous devions mettre les avions en ligne de vol avec les armes pointées vers les entrées du terrain. De plus ce devait être les jeunes mécanos, dont j’étais, qui serait à bord, prêts à ouvrir le feu. Certains appelés et réservistes (toujours les mêmes) sont venus nous voir et nous ont dis : « Les gars si vous tirez sur les Fritz on vous descend ! ». Mais nous avons pris la route pour Toulouse.

Les mobilisés d’autres armes, que nous rencontrions sur les routes durant la débâcle, avant ou après le 17, n’étaient guère plus disposés que les nôtres à continuer la guerre.
Etablir une ligne de défense sur le Loire me parait difficile étant donné le désordre et les encombrements sur le réseau routier.
(À suivre)

Bien amicalement
Jean Defranchi
 

Message par Jean Defranchi » Mercredi 11 Avril 2007 17:52:25

Bonsoir BRH,

Je voudrais ajouter que si je rencontrais maintenant les auteurs des propos que j’ai rapporté, aucun ne reconnaîtrait les avoir tenus, soit parce que ces hommes ont pu, plus tard, appartenir à la résistance soit parce qu’ils ont préféré, pour 1940, un oubli peu a peu enraciné par le temps.

Je n’étais, à l’époque de la débâcle, qu’un gamin de 18 ans ½. Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais. Je n’y comprenais rien. Comment tout cela était-il possible ?. Rien ne correspondait aux discours ronflants d’avant la guerre.
Vous avez posté dans ce forum le texte se rapportant à la panique de Bulson. On voit bien que le vers était dans le fruit bien avant le 17 juin.
A mon humble avis il y avait trois causes à cela :
- Le pacte germano-soviétique.
- Les souvenirs, rapportés par les pères, des hécatombes de 14-18. Cette guerre devait être la dernière et 22 ans après les fils devaient « remettre ça ».
- La baisse du moral due à la trop longue inactivité durant la « drôle de guerre ».

En ce qui concerne le transfert de l’armée en Afrique du Nord je pense que celui-ci était impossible même en supposant l’existence d’une organisation faite au pied levé. Je continue à croire que les mobilisés auraient refusé de monter à bord des navires et qu’aucune force n’aurait été capable de les y obliger. Comment imaginer que des hommes, déjà démoralisés, auraient, au lieu de rentrer chez eux, consenti à abandonner leur famille pour aller attendre dans des camps, en AFN, durant des années, la livraison hypothétique d’armes américaines ?

Bien amicalement
Jean Defranchi
 

Message par BRH » Mercredi 11 Avril 2007 20:17:22

Les mobilisés d’autres armes, que nous rencontrions sur les routes durant la débâcle, avant ou après le 17, n’étaient guère plus disposés que les nôtres à continuer la guerre.
Etablir une ligne de défense sur le Loire me parait difficile étant donné le désordre et les encombrements sur le réseau routier.


Je ne dis pas que le moral était au beau fixe, loin de là... Il est indéniable qu'une partie des réservistes et du contingent faisaient preuve de défaitisme et souvent, d'un manque absolu de bonne volonté !

La propagande communiste y était certainement pour quelque chose. N'oublions pas que Duclos allait demander à la Kommandantur du "Gross Paris" l'autorisation de faire reparaître l'Humanité...

La Loire franchie, l'esprit combatif a rapidement disparu. D'abord parce que chacun put constater qu'aucun préparatif sérieux n'avait été réalisé et qu'il n'y stationnait aucun renfort.

Néanmoins, en de nombreux endroits, les Français défendirent le cours de la Loire, parfois même avec un certain succès. Répétons-le, il n'y avait aucun panzer sur la Loire, du 16 au 23 juin 1940... Les blindés étaient exclusivement de notre côté !

En ce qui concerne le transfert de l’armée en Afrique du Nord je pense que celui-ci était impossible même en supposant l’existence d’une organisation faite au pied levé. Je continue à croire que les mobilisés auraient refusé de monter à bord des navires et qu’aucune force n’aurait été capable de les y obliger. Comment imaginer que des hommes, déjà démoralisés, auraient, au lieu de rentrer chez eux, consenti à abandonner leur famille pour aller attendre dans des camps, en AFN, durant des années, la livraison hypothétique d’armes américaines ?


Bien difficile de dire ce qui se serait passé ! Si les troupes s'étaient battues dans de bonnes conditions, si l'opinion publique avait admis la nécessité de continuer la lutte pour ne pas céder aux diktats nazis et à son incroyable barbarie, les choses auraient pu être différentes.

D'ailleurs, ce n'est pas tant de fantassins dont on avait besoin, mais de l'aviation et de la marine. Les unités d'élite, comme les artilleurs, les cavaliers, les tankistes, les chasseurs alpins, les Légionnaires, etc. n'auraient fait aucune difficulté.

En dernier recours, on n'aurait embarqué que les volontaires. Pour les autres, on se serait contenté de les désarmer (pour emmener leur barda, avec armes et munitions) et de les laisser libre de s'arranger avec nos visiteurs...
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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