par Daniel Laurent » Vendredi 22 Mai 2009 09:29:26
Bonjour,
Montoire, brouillard diplomatique
En juin 1940, Hitler a écrasé la France et est proche du triomphe total. Il ne lui reste plus qu’à signer la paix avec le Royaume-Uni et il pourra se retourner tranquillement vers son objectif essentiel : L’Est, le Lebensraum.
Churchill clame qu’il continuera la guerre, mais sa position est fragile et Hitler le sait. Les pacifistes, les partisans de «l'appeasement» comme Halifax sont puissants et tentent de contrecarrer Churchill.
Toute la stratégie nazie entre juin 1940 et juin 1941, soit le début de Barbarossa, aura deux axes essentiels :
- Tenter de déstabiliser Churchill en faisant craindre le pire aux Britanniques et les amener à signer une paix de « compromis ».
- Cacher au monde entier que, en fait, il se prépare à agresser l’URSS.
L’Afrique jouera un rôle important dans ses manipulations. En faisant résonner quelques bruits de bottes vers le sud, Hitler fait craindre le pire à la Grande-Bretagne pour son Empire africain.
Au passage, cela peut aussi inciter les USA à temporiser, car la perte de la route méditerranéenne serait une catastrophe pour leur commerce extérieur.
C’est donc les grandes manœuvres, mais, en fait de troupes, Hitler paye de sa personne.
Suite à son voyage à Hendaye, ou il rencontre Franco le 23 septembre 1940, tout le monde s’attends à ce que le Reich s’engage en Afrique en commençant par Gibraltar que le Caudillo souhaite récupérer.
Il avait la veille rencontré Laval à Montoire puis le 24 y rencontre Pétain. Même craintes : Cette «Collaboration» annoncée par la presse, que va-t-elle donner en Afrique ? Vichy va-t-il obtenir d’Hitler l’aide nécessaire à la récupération de l’AEF, passée peu avant à la France Libre ? Le régime de Vichy sort à peine de Mers El Kebir et de Dakar, son bellicisme anti-anglais semble évident.
Puis le 28 octobre à Florence, c’est le tour de Mussolini dont les ambitions africaines sont connues.
Toutes ces rencontres sont longuement commentées dans les medias allemands. A Londres, c’est presque la panique et il faut toute l’énergie et la compétence politique de Churchill pour que son siège, qui vacille, ne tombe pas. A Washington, c’est l’inquiétude. A Moscou, Staline est très intéressé : Plus Hitler s’enfonce sur le front Ouest, moins il lorgnera de son coté.
Mais tout ceci n’est qu’une partie du rideau de fumée que le Führer tend devant le monde.
Car contrairement à ce que certains ont bien voulu tenter de nous faire croire, lors de ces rencontres, ce sont Franco, Pétain et Mussolini qui proposent à Hitler l’aventure africaine, et pas l’inverse.
Les avocats passés ou contemporains du Maréchal ont toujours prétendus que Pétain avait courageusement refusé les offres d’entrée en guerre que Hitler lui aurait fait et développé une « diplomatie secrète » en faveur des anglo-saxons.
C'est en fait exactement le contraire qui c'est passé :
Cette entrevue fut soigneusement préparée par Vichy qui a fait preuve juste avant de "bonne volonté" en s’alignant sur des positions de nature, selon eux, à séduire Hitler : Publication du Statut des Juifs, lancement d'une "Révolution Nationale" néo-fasciste, création de la Légion des combattants.
Et, à Montoire, c'est Pétain qui, comme Laval 48 heures avant, propose au Führer une discrète entrée en guerre de la France contre les Anglais via la reconquête militaire des colonies AEF récemment passées a la France Libre, reconquête qui ne manqueras pas de faire s'affronter le Flotte et la Royal Navy.
La preuve irréfutable figure dans les archives allemandes saisies par les Américains en 1945 : Le compte rendu de l'entretien figure en effet dans les archives secrètes de la Wilhelmstrasse, le Ministère des Affaires Etrangères du Reich. Un extrait :
M. Laval l'avait informé sur la conversation qu'il avait eue l'avant-veille avec le Führer. Il en avait conclu que le thème principal de l'entretien avait été la question de la collaboration entre les deux pays. Il regrettait qu'une telle collaboration n'ait pas été déjà mise en place dans les années précédant la présente guerre. Mais il était peut-être encore possible de rattraper le temps perdu. Les Anglais offraient pour cela la meilleure des occasions. Pour des alliés de la France, ils s'étaient depuis l'armistice particulièrement mal conduits envers elle. La France n'oublierait pas les événements d'Oran et l'agression de Dakar. Cette dernière action avait été menée, à l'instigation de l'Angleterre, par un mauvais Français, un général français qui avait renié sa patrie. La France actuelle ne tolérait plus des choses de ce genre et cet officier avait été aussitôt condamné à mort, à la confiscation de ses biens et au bannissement perpétuel. Voilà comment la justice avait suivi son cours contre lui.
Les Anglais pourtant continuaient leurs agressions contre la France, particulièrement contre son domaine colonial. A Dakar, la France avait tenu bon. Il [Pétain] avait envoyé dans les colonies d'Afrique un officier, avec la mission de ramener les renégats sous l'autorité française. Dans ce domaine, puisque le Führer avait fait l'honneur à la France de parler de collaboration, il y avait peut-être un terrain sur lequel elle pouvait être mise en pratique entre les deux pays. Sans vouloir entrer dans les détails, il pouvait assurer, quant à lui, que tout ce qui dépendait de lui serait fait pour assurer l'emprise de la France sur ces territoires coloniaux.
(Souligné par l’auteur)
Il convient de signaler aussi le compte rendu rédigé sous forme de "Note" par un délégué des Affaires étrangères du Reich, Hasso von Etzdorf, et destinée aux commandants en chef de l'armée allemande. Von Etzdorf n'a pas personnellement assisté aux entretiens de Montoire. Il a établi son rapport au moyen de notes prises pour le compte du maréchal von Brauchitsch et du général Halder. Les renseignements lui avaient été fournis par Paul Schmidt, l'interprète d’Hitler. Le rapport est daté du 28 octobre 1940. Un extrait :
Pétain : A déclaré qu'il ne lui était pas encore possible de préciser dès à présent les limites exactes de la collaboration de la France avec l'Allemagne. Il ne pouvait que se prononcer sur le principe d'une collaboration. Il voyait dans la collaboration une « fenêtre de la France ouverte sur ses colonies ».
Il fallait d'abord qu'il discute en conseil des ministres la nature de la collaboration, et il fallait ensuite discuter cette collaboration dans les détails. D'abord une collaboration économique renforcée engageant davantage l'industrie française des armements serait sans doute la chose la plus intéressante qui soit, même pour l'Allemagne. La mentalité française exigeait, dans l'intérêt d’une évolution durable de la collaboration, que l'on procédât lentement. Pour cette raison, Pétain ne croyait pas qu'il fût alors déjà possible de déclarer du côté français la guerre à l'Angleterre; autrement, le résultat très grand et positif qui devait certainement découler de la présente conversation serait très vite anéanti. Pétain a exprimé le désir de collaborer avec l'Allemagne en direction de Dakar pour maintenir et reconquérir l'Empire colonial français; lui Pétain, il ferait tout ce qu'il pourrait pour assurer à la France la conservation de ses territoires.
(Souligné par l’auteur)
Quant à Franco, même scenario, découvert par les Américains après la guerre mais pieusement camouflé au nom de la guerre froide, cependant accidentellement révélé le Département d’Etat et repris par le journal le Monde du 6 mars 1946 :
Les relations de Franco avec l’Axe
Washington, 4 mars. Le département d’Etat a publié une série de documents concernant les relations du général Franco avec l’Axe durant la guerre.
Il s’agit d’abord d’un mémorandum de l’ambassadeur d’Allemagne en Espagne, Sohrer, daté du 8 aout 1940, déclarant que : Le gouvernement espagnol se déclare prêt, sous certaines conditions, à abandonner sa position de non-belligérance et à entrer en guerre au coté de l’Allemagne et de l’Italie.
Le mémorandum ajoute : Le gouvernement espagnol pose comme conditions à son entrée en guerre :
1 – La réalisation de ses demandes territoriales : Gibraltar, Maroc Français, portion de l’Algérie colonisée et habitée par des Espagnols de façon prédominante (Il s’agit d’Oran) et agrandissement du territoire de Rio-de-Oro, ainsi que des colonies du golfe de Guinée
2 – Donner à l’Espagne l’assistance militaire et toute aide nécessaire pour faire la guerre.
Le deuxième document est une lettre de Franco à Mussolini, ou il rappelle son intention d’entrer en guerre au moment favorable, dans la mesure des moyens à sa disposition et le désir des Espagnols d’entrer en possession des territoires dont l’administration actuelle est la conséquence de la domination et de l’exploitation franco-anglaise.
Le troisième document est une lettre de Franco à Hitler, datée du 22 octobre 1940 (Veille de l’entrevue de Montoire) dans laquelle le Caudillo discute les conditions pour l’entrée en guerre de l’Espagne et conclut en adressant au Führer son adhésion inébranlable et complète.
Le quatrième document est constitué par des notes sur une conversation entre Hitler et Franco, le 23 octobre 1940, ou ce dernier affirme une fois de plus que l’Espagne s’est toujours sentie à tous les moments a l’unisson avec l’Axe ... et que, dans la guerre actuelle, elle lutterait avec joie aux cotes de l’Allemagne."
Mais l’Afrique, en fait, Hitler s’en fiche comme d’une guigne et il ne donnera aucune suite à ses propositions d’alliances vers le sud, sauf à envoyer un très maigre DAK quand Mussolini sera en difficulté en Lybie.
Cependant, tout le monde s’y est fait prendre, y compris d’ailleurs les généraux allemands qui rêvent de reconquérir les colonies du Kaiser perdues en 1918. Mais, la aussi, c’est tout bénéfice pour Hitler. Que la Wehrmacht se tienne prête à attaquer à tout moment ! Cela ne sera pas vers le sud, mais vers l’est, aucune importance.
Daniel Laurent
Sources :
François DELPLA, Montoire, Albin Michel, 1996
Dominique VENER, Histoire de la collaboration, Pygmalion, 2000
Louis-Dominique GIRARD, Montoire, Verdun diplomatique, André Bonne, 1948
Archives allemandes, ADAP, D XI 212, pages 326-322, compte-rendu de l’interprète Schmidt
Note de von Etzdorf citée par Louis NOGUERES, Président de la Haute Cour de Justice, Le Véritable Procès du Maréchal Pétain, Librairie Arthème Fayard, 1955 (p.634-637)
Le Monde, édition du 6 mars 1946
Cordialement
Daniel
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