par BRH » Mercredi 23 Avril 2008 11:04:03
Mon cher Percy, je vais reprendre votre brillant résumé pour le compléter:
Le documentaire présenté hier soir et réalisé par Serge Moati m'a paru assez complet:
François Mitterrand est effectivement capturé à Lunéville, après avoir combattu près de Verdun et blessé, le 14 juin 1940. Il est indiqué qu'il aurait vu des avions italiens attaquer en piqué la troupe à laquelle il appartenait...
Mitterrand réussit à s'échapper de son stalag allemand après un an et demi de captivité et deux tentatives d'évasion avortées. La 1ère fois en compagnie d'un prêtre, ils échouent après une marche de 500 km en 20 jours, près de la frontière suisse. La seconde, il parvient jusqu'à Metz, mais sera dénoncé par l'hôtelière qui l'héberge et lui fait payer sa chambre...
L'évadé, en effet, a besoin de papiers et de travail. Sa situation à Jarnac où il a rejoint sa famille n'est pas sûre. Grâce à son père qui a des relations à Vichy, il est affecté comme documentaliste à la Légion des Volontaires de la Révolution Nationale en décembre 1941, sous les ordres du commandant Fabre de Thiérens. Il est certain qu'il croit encore en Pétain et adhère à la révolution nationalede par ses convictions d'avant-guerre (milieu catholique de droite). Il est incontestablement pétainiste en ce sens qu'il pense qu'il faut d'abord redresser la France avant d'obtenir la revanche militaire, comme vous l'écrivez, mais encore par cette adhésion au mythe de l'union sacrée derrière le maréchal et également, sa foi dans un retour à la terre, axe idéologique du nouveau régime.
Proche des nationalistes et des Croix de Feu du colonel de la Rocque et probablement membre un temps de l'Action Française jusqu'en 1936. Le comte de Paris a toujours dit avoir rencontré Mitterrand en Belgique en 1936, à l'occasion d'un rassemblement royaliste.
Il n'a pas alors de lourdes responsabilités, se contentant d'un travail obscur au service de fichage des anti-nationaux : communistes, gaullistes principalement. Mitterrand aperçoit le maréchal une 1ère fois à l'opéra de Vichy et note sa prestance: "une statue de marbre", selon l'expression consacrée... A la même époque, en mars 1942, en compagnie de Simon Arbellot, il rencontre Gabriel Jeantet qui connaissait son père. Sur proposition de ce dernier, il écrit dans le journal "France Revue de l'Etat Nouveau", une feuille très pétainiste. Il est ainsi remarqué des hiérarques proches du maréchal. Il aurait commencé alors à afficher son scepticisme face à la Révolution Nationale...
En avril 42, il passe au Commissariat aux prisonniers, sous la direction de Maurice Pinot: son travail est apprécié par les proches du maréchal, ce qui lui vaudra plus tard la Francisque. C'est l'époque où le port de l'étoile jaune est imposé aux Juifs en zone occupée, le retour de Laval au pouvoir dont il dit "apprécier les méthodes"et celle de la terrible rafle du Vel'd'Hiv', une opération dirigée par René Bousquet.
Est-ce que Mitterrand fait véritablement preuve d'indifférence face à l'antisémitisme d'Etat prôné par Vichy ? En tout cas, ceci ne semble pas retenir son attention. Il ressort de ses justifications ultérieures que le sort des juifs étrangers ne le touche pas, au milieu des malheurs subis par les Français de toutes confessions et qu'il ignore alors comme la plupart des Français le terrible destin qui attend les déportés.
C'est au printemps 1942 qu'il aurait assisté pour la 1ère fois à une réunion organisée par le célèbre commandant Antoine Mauduit, au chateau de Montmaur (près de Gap), ce dernier s'engageant alors dans une forme de résistance: assistance pour l'évasion des prisonniers et protection de certains juifs, comme Serge Klarsfeld. Mitterrand y aurait affirmé qu' il n'était nullement anti-sémite. Il reçoit peu après une lettre de son meilleur ami Georges Dayan, un avocat juif réfugié à Alger auquel on a retiré sa nationalité française et le droit d'exercer sa profession. Se questionne-t-il alors vraiment sur le régime qu'il sert ? En tout cas, il adhère à l'un des clans qui se disputent le pouvoir et l'influence à Vichy: celui dont on a appelé ses membres "les vichysto-résistants". Pour ces derniers, Laval est devenu l'homme des Allemands et ils espèrent encore que le maréchal saura se débarrasser de ce traitre.
C'est alors qu'il commence la fabrication clandestine de faux papiers, destinés surtout aux prisonniers évadés à qui lui et ses amis font également parvenir des plans de l'Allemagne, tout en s'occupant de fournir des effets chauds à leurs camarades moins chanceux. Le documentaire le montre sur le point d'être pris en flagrant délit par des miliciens qui le suspectent et le menacent... Il est probable que la protection de ses "parrains", Gabriel Jeantet et Maurice Pinot, dissuadent les hommes de mains de Laval de pousser plus loin.
Le 15 octobre 1942, Mitterrand rencontre le maréchal Pétain et lui serre la main. Une photo prise dans le service des prisonniers immortalise la scène qui ne sera révélée qu'en 1994... A cette date, il respecte encore le maréchal et espère une évolution favorable du régime !
Le 11 novembre 42, la zone libre est envahie. Laval neutralise toute vélléité de résistance et parvient à dissuader Pétain de s'envoler pour Alger. "L'homme à la cravate blanche" impose "la relève", un troc cynique par lequel Vichy s'engage à envoyer 3 ouvriers en Allemagne pour chaque prisonnier libéré.Face à ces palinodies, Mitterrand comprend que l'heure du maréchal est passée, qu'il ne pourra plus éviter de glisser sur la pente de la collaboration. S'il s'indigne, il ne démissionne pas. Il faut attendre que Maurice Pinot soit chassé du commissariat aux prisonniers en janvier 1943, remplacé par le servile Masson, pour que Mitterrand fasse sienne cette remarque de Pinot à ses anciens collaborateurs: "Pétain règne, mais ne gouverne plus !"
En février 1943, il se rend de nouveau à Montmaur et participe à la constitution du Mouvement des Prisonniers de guerre (RNPG). Déjà, il se heurte à Michel Cailliau, neveu du général de Gaulle. La francisque qui lui est officiellement attribuée (n° 2202), il l'a revendique alors comme une couverture à son action. D'instinct, il s'oppose à Cailliau, car il pressent déjà que la Résistance risque d'être accaparée par les Gaullistes et les Communistes. Aussi fonde-t-il son propre réseau, grâce à ses connaissances et aux documents du Commissariat aux Prisonniers. Il a les fiches et les adresses de tous ceux qui sont revenus en France.
Son premier contact avec la véritable Résistance se déroule en mars 1943, quand il rencontre Henri Frenay et Bertie Albrecht. Il propose l'aide de son Mouvement au réseau Combat, le mouvement des résistants le plus développé en zone "ex-libre". Là encore, il se justifie de l'attribution de la Francisque. Frenay accepte son concours, car lui aussi a été un moment un vichysto-résistant. Mitterrand -en somme- aurait compris tardivement la situation que le capitaine Frenay aurait lucidement analysé dès le retour de Laval au pouvoir... Mitterrand et Frenay partage d'ailleurs un autre point commun: ils sont plutôt favorables au général Giraud qui dirige à Alger les nouveaux territoires rentrés dans la lutte contre l'Allemagne, alors que de Gaulle se morfond encore à Londres. Et puis, pour Mitterrand, Giraud, c'est aussi un prisonnier évadé, comme lui.
Le coup d'éclat de Mitterrand, c'est en mai 1943, quand il interrompt à Paris, le discours d'André Masson, le commissaire qui a succédé à Pinot. Ceci lui vaut un brevet de résistance et cette brillante intervention est commentée à la Radio de Londres. Mitterrand va vraiment entrer dans la clandestinité. Et pourtant -quasiment au même moment- Pétain envisage de confier au jeune et brillant Mitterrand d'importantes fonctions, notamment un poste de directeur au commissariat des Prisonniers où il aurait "neutralisé" le trop lavaliste Masson. Mitterrand a bien compris que la Révolution Nationale est morte, que les heures de Pétain sont comptées; c'est la fin de son double-jeu ! Il entre définitivement dans la clandestinité et va prendre l'identité de "Morland".
C'est alors qu'il se rend à Londres pour y rencontrer de Gaulle. Mais celui-ci est à Alger et c'est là-bas qu'il le rejoint. L'accueil est plutôt froid. De Gaulle veut imposer Cailliau, son neveu. Mitterrand ne l'entend pas de cette oreille. Il repart un peu frustré, mais sans avoir rien lâché. Il profite de sa présence à Alger en décembre 1943, pour y rencontrer Giraud et revoit son ami juif Georges Dayan. Grâce à l'influence de Frenay, à l'issue d'une nouvelle entrevue avec de Gaulle, Mitterrand se voit confier la mission de réunir les mouvements de prisonniers sous sa direction. Son plan est réalisé ! Devenu le capitaine Monnier, il regagne Paris et fonde le Mouvement National des Prisonniers de guerre et Déportés (MNPGD). Il parvient à se débarrasser de Cailliau, qui est mis en minorité, suite aux propres ordres du général et écarte sans peine le malheureux Maurice Pinot, trop marqué par son passé vichyste...
Recherché par l'occupant, il manque plusieurs fois de se faire arrêter. Après le débarquement, il donne ses consignes à son mouvement pour appuyer la résistance. Après la libération de Paris, Mitterrand est nommé secrétaire général aux prisonniers. C'est une sorte de gouvernement intérimaire. C'est à ce titre qu'il rencontre encore de Gaulle. Peut-être a-t-il espéré secrètement sa nomination comme ministre des prisonniers. Mais c'est Henri Frenay qui est nommé. Un autre combat commence...
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon